Nu dans le jardin d’Éden : Harry Crews

Titre : Nu dans le jardin d’Éden                               big_5

Auteur : Harry Crews
Édition : Sonatine (2013)

Résumé :
Garden Hills a connu des jours heureux. À l’époque où Jack O’Boylan, un magnat de l’industrie, a fait construire le village au fond d’une mine de phosphate qu’il a découverte et exploitée. Travail assuré, salaire, sécurité. Puis, les hommes de Jack ont quitté la place. Le créateur a abandonné sa création, la mine a fermé, les habitants ont déserté le village.

Seules une douzaine de familles ont résisté, constituant une véritable cour des Miracles qui vit aujourd’hui encore dans l’espoir du retour de Jack O’Boylan.

Le village pourrait néanmoins renaître seul de ses cendres grâce à Fat Man, qui a hérité de son père, propriétaire des terrains avant la construction de la mine, une incroyable fortune.

Mais personne n’attend plus rien de lui : Fat Man est un obèse qui passe son temps reclus dans sa maison à ingérer d’énormes quantités de nourriture en ignorant le monde extérieur.

Reste Dolly, une ancienne reine de beauté, dont le souhait le plus ardent est de convertir Garden Hills à la modernité, c’est-à-dire au tourisme et à la débauche.

Rapports de forces, manigances amoureuses et sexuelles, trahisons et machinations … Dolly ne lésinera sur rien pour abattre les vieilles idoles et mener son projet à bien.

Petit Plus : Quelque part entre Samuel Beckett et Jim Thompson, Harry Crews nous offre avec l’histoire de ces marginaux perdus dans une ville fantôme une interprétation saisissante de la Chute originelle.

On trouve dans ce roman, le deuxième de l’écrivain, publié aux États-Unis en 1969 et jusqu’ici inédit en France, la noirceur, l’humour et la compassion qui ont fait le succès de « Body », « Car » ou encore « La Foire aux serpents ».

Critique : 
« Nu dans le jardin d’Éden » ne vous parlera pas d’Adam et Eve chassé du Paradis, mais plutôt le contraire : Dieu qui fou le camp, abandonnant ses misérables créatures dans ce qui se rapprocherait plus de l’Enfer que du Paradis d’Éden !

1960. Garden Hills, une petite ville de Floride, sorte de trou du cul du monde d’où on extrayait du phosphate, tient plus d’un enfer que d’autre chose : les tâches y sont harassantes, horriblement sales à cause du phosphate, et répétitives à la limite de l’absurde, comme ce trou qu’un homme – Wes – creuse tous les jours et qui est rebouché la nuit

On pourrait croire que les habitants n’étaient pas heureux, mais c’est tout le contraire : ils étaient tout content, les gens qui bossaient à l’usine d’extraction de phosphate de monsieur O’Boylan ! La routine, certes, mais l’argent de leur salaire les faisait vivre… Jusqu’à ce que O’Boylan (Dieu) se retire de ce trou à rat, laissant les gens en plan.

Une douzaine de familles résistent encore et toujours, s’accrochant aux collines poussiéreuses et aux lacs sans poissons au lieu d’aller chercher fortune ailleurs. car dans leur petite tête, O’Boylan va revenir, cette absence de la divinité, qui les nourrissait en les faisant travailler, ne peut être que temporaire.

C’est ce constat qui donne un sens à leur présence dans cet endroit désolé.

Ici, nous sommes dans un vrai roman noir, limite huis clos puisque, en plus d’être dans le trou du cul phosphaté du monde, nous suivons la vie de trois personnages principaux (Fat Man, Jester et Dolly) et quelques autres secondaires (Wes dit « Iceman » et Lucy). Les seuls moments où nous quittons la petite ville, c’est lorsque nous suivons leur parcours de vie « antérieure ».

Si ces habitants attendent le retour de O’Boylan comme d’autres attendent le Messie, c’est parce que Fat Man – 280 kg à poil – a entretenu cette flamme en racontant sa fable : O’Boylan reviendra !

Fat Man, dont le père a touché un pactole en vendant les terres à O’Boylan, trône dans sa grande baraque sur les hauteurs. Un autre Dieu puisqu’il a maintenu un simulacre de vie normale à Garden Hills depuis le départ de l’usine et que « Les hommes pour qui Dieu est mort s’idolâtrent entre eux » (Le Chanteur de Gospel – 1968).

Les familles qui végètent à Garden Hills sont des pathétiques doublés d’assistés. D’ailleurs, s’il n’y avait pas le talent d’écriture de l’auteur additionné à un scénario bien monté, des personnages travaillés et goupillé avec tout le reste, on pourrait même dire que ces gens sont des cons, des débiles et des gros naïfs.

Mais cela eut été trop simple et trop facile que d’en faire des cons, et le roman n’aurait pas mérité son titre de roman « noir ». Non, on l’aurait appelé « Lost Story », tout simplement. Ces gens, on apprend à les connaître et on comprend le pourquoi du comment… Une partie de la force du roman réside là-dedans.

Mensonges, cupidité, trahisons, manipulations, freaks (monstres humains) prostitution soft (pelotage), espoirs entretenus, despotisme, misère, voyeurisme,…

C’est tout cela qui est réuni dans ce livre dont je ne puis vous en dire plus tellement le scénario est riche sans être alambiqué, bien écrit et bien travaillé, bien pensé, bien pesé, jusqu’à un final dantesque.

Une lecture coup de coeur, coup de poing, courte, mais bonne et qui va me trotter dans la tête durant de longues années !

Note : dans la salle de bain de Fat Man, construite par O’Boylan, il y avait la représentation de Michel-Ange « La Création » où Dieu et Adam se touchent le doigt, car si Dieu a créé l’homme à son image, l’homme a créé Dieu à la sienne. Et tout s’explique…

Challenge « Thrillers et polars » de Liliba (2013-2014) et Le « Challenge US » chez Noctembule.

23 réflexions au sujet de « Nu dans le jardin d’Éden : Harry Crews »

  1. Ping : Le challenge USA | 22h05 rue des Dames

  2. Ping : [BOUQUINS] Harry Crews – Nu Dans Le Jardin D’Eden « Les Chroniques Acides De Lord Arsenik

  3. Pfft c’est malin, à cause de toi moi aussi je vais devoir courir à poil dans le jardin… par contre je ne connais pas Eden, elle est comment ?

    Bon en gros à cause de toi ma PàL vient de monter d’un cran !

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    • Oh ?? Tu ne connais pas le joueur de foot Eden Hazard ?? L’attaquant de Chelsea… et Diables Rouge, en plus (équipe belge de foot, oui, monsieur, on en a une et elle marche bien, maintenant).

      Sorry, mais chez nous, Eden est un mec… mais tu en trouveras peut-être une dans ton patelin…

      Ne poste pas les photos de toi à poil… mais cours bien !

      Pour une fois que je fais monter une PAL 🙄

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  4. Ping : Bilan Livresque : Février | The Cannibal Lecteur

  5. Ping : Les lectures de février 2014 | 22h05 rue des Dames

    • Niveau roman noir, il vaut la peine ! Pas de morts, pas de sang, mais une ambiance sombre, des gens mal fichus qui espèrent le retour du père Noël… 😀 Non, je dois dire que ce fut une sacrée découverte. Je vais de roman noir en roman noir, moi ! 😉

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  6. Ouais c’est vrai que les personnages de cette fable sont crasseux. Mais l’écriture et le scénario de l’auteur magnifient le tout. Comme toi j’ai eu un gros coup de cœur pour ce roman bien noir.
    Il est vachement actuel pour un texte écrit il y a 45 ans.
    Perso je ne chercherai pas de photos de toi dans ton jardin. T’inquiètes. Mais je redemanderai de ta prose, promis. 😉

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    • Tu remarqueras que les seuls qui cherchaient une photo de moi, nue dans le jardin d’un certain Éden, étaient des hommes… 🙄 No comment ! 😀

      Je vois que je ne suis pas la seule à l’avoir adoré, ce noir de chez noir, avec des personnages dignes de Carnival… fallait les inventer, ceux-là ! Pathétique, mais tellement bien écrit qu’on les comprend dans leurs choix de cons.

      J’ai adoré Dolly et la manière dont elle a joué ! Magnifique 😉

      Actuel, en effet, hormis qu’on ne nous nous parle pas de GSM et de Google, c’est presque contemporain !

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  7. je suis très content que tu as eu toi aussi beaucoup de plaisir à lire ce roman d’un écrivain qui n’est pas reconnu à sa juste valeur en France. Mais qui sait ! cette parution viendra- t-elle peut être contribuer à rendre justice à cet écrivain incroyable. Très belle chronique en tout cas et j’ai pris beaucoup de plaisir à te lire ! 🙂

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    • Merci, mon souriceau ! 😳

      Beaucoup ne sont pas reconnus à leur juste valeur en francophonie ou dans leur pays d’origine (Horace McCoy en a eu en France avec son « Un linceul n’a pas de poches » mais était interdit en Amérique).

      Et à côté de ça, on encense des « 50 nuances »… 👿 C’est trop injuste ! La médiocrité élevée sur un autel et ce qui est bon est classé dans un motel de seconde zone… 😦 Dommage !

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  8. Comment dire….
    Je me sens un peu floué…
    Je reçois une alerte dans ma messagerie : « Nue dans le jardin d’Eden ».
    Je clique aussitôt sur le lien… Mais t’es même pas en photo, t’es même pas dans ton jardin et t’es même pas nue.

    Remboursé !

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