La faux soyeuse : Éric Maravelias

Titre : La faux soyeuse                                             big_5

Auteur : Éric Maravelias
Édition : Série Noire  Gallimard (2014)

Résumé :
« La Faux Soyeuse » est un roman noir, pas de doute. Très noir. Suivant la définition d’Aurélien Masson, le directeur de la mythique série noire, un roman noir se doit de respecter au moins trois critères. Un milieu, avec son langage et ses codes, des personnages vivants et attachants, et une intrigue.

Pour le milieu, avec La Faux, on a la tête dans le sac. On est en banlieue, près de Paris, et au fil des 253 pages, le lecteur traverse deux décennies.

La folie des années 80, les vols, les braquages, la belle vie, l’amour, et l’arrivée en masse de la dope dans les quartiers, la glissade et la chute irréversible de Franck, le héros, triste héros, racaille toxicomane au cœur tendre.

C’est une odyssée, poignante et pathétique, dure et sans pitié. Pas de rédemption. Pas de pardon. Mais c’est aussi poétique et tendre, parce que ce sont des hommes et des femmes, comme vous, avec un cœur qui bat. Mais trop vite. Trop fort.

Puis les années 90 et les ravages du Sida, la déchéance, la maladie, la mort.

Petit Plus : « J’ai voulu, avec La Faux Soyeuse, porter un témoignage sur ce que fut ma vie. Ne vous y trompez pas, c’est un roman. Franck n’est pas moi et je ne suis pas lui. Mais ce qu’il a vécu, je l’ai vécu, moi aussi. En grande partie ».

C’est un roman qui s’adresse à tous, de tous âges et de toutes conditions.

C’est ce qui se passe aux pieds de vos immeubles. C’est ce qui s’y est passé, en tout cas. Dans toute sa cruauté. Vous en avez entendu parler, mais jamais vous ne pénétrerez ce monde mieux qu’avec La Faux Soyeuse. Et sans danger pour vous, sinon celui d’être hantés par ces hommes et ces femmes.

Vous allez les aimer. Malgré tout. Malgré leurs vices et leur laideur. Malgré leur langage et leurs esprits tordus. C’est ce que je veux. C’était mes potos. Nous étions des enfants.

Les personnages : Ils sont là, et ils vous balancent ce qu’ils sont au visage, sans honte. Le bon comme le mauvais. Et leur folie vous capture. Leurs démons vous pénètrent.

L’intrigue : Elle est simple, affreusement simple, horriblement simple. Pathétiquement simple. Mais elle est l’enchaînement, le destin, qui vous prend et vous pousse irrémédiablement vers la fosse. De violences en cris, en trahisons. D’amertume en amertume, il vous entraîne dans le chaos, sans répit.

Dans ce roman, pour ce qui est du style, j’avais comme une obsession.

Unir E.Bunker et J.Lee Burke. Mes deux auteurs fétiches depuis toujours. Le style au scalpel de la rue, son langage cru, direct, et la poésie de Burke dans les descriptions de l’environnement. C’était presque inconscient, au début, et puis cette évidence m’a sauté aux yeux. C’est comme ça que je voulais écrire. C’est comme ça que j’écrivais déjà. J’ai travaillé dans ce sens.

Critique : 
« Mes veines sont comme un fleuve tari, une rivière asséchée et parsemée de cailloux, où la roche affleure, une terre devenue stérile et dure. Elles forment de longues cicatrices qui ne véhiculent plus aucune vie. Ce sont les routes sombres de mon passé que mon sang a désertées. »

Je n’ai jamais eu envie de me droguer, mais si je l’avais eu, ce roman m’en aurait dégoûté à tout jamais !

C’est le genre de livre à offrir à une personne qui vous dirait que goûter là a poudreuse le tenterait bien, « juste pour essayer, parce que lui, il saura résister et pas recommencer, pas comme tous ces camés qui n’ont aucune volonté »

Mettez-lui ce livre dans les mains ! Il est rempli de gens qui voulaient « juste essayer une fois » et qui y sont resté pour toujours, passant des bras de la blanche pour ceux de la faucheuse.

Une fois de plus, un roman noir… mais cette fois-ci, rempli de poudre « blanche ».

Si la poudreuse peut-être coupée avec tout et n’importe quoi (strychnine !), le roman, lui, il est pur ! C’est de la bonne, de celle qui arrache et qui te marque à tout jamais, comme « L’herbe bleue » m’avait marqué à vie à l’âge de 16 ans, horrifiée que j’étais de voir qu’ils étaient prêt à tout pour avoir leur came.

Franck « Eckel » est un camé et il est au fond du gouffre, en ce 12 septembre 1999. Il a besoin de sa dose, comme tous les jours, depuis des lustres. Nous le suivrons lors de ses achats et nous écouterons ses pensées. Rien ne nous sera caché ou épargné.

Comment il en est arrivé là ? Il vous le racontera, sans édulcorants, avec son langage à lui, argotique et sans fioritures.

Franck nous fera vivre les années 80 et l’arrivée de la poudre sur le marché, les toxicos utilisant tous la même seringue, se refilant ensuite le HIV. C’est tout un pan d’histoire qui nous est conté, ici. Et il m’a fait frémir.

S’il a commencé « petit », Franck est vite monté vers de la « dure » et dans les doses, n’hésitant pas à prendre des médocs pour avoir son shoot, à cambrioler des pharmacies ou à devenir dealer pour se faire du fric et avoir ses doses à lui.

Volant, agressant, mendiant, implorant,… faisant tout ce qui est possible pour avoir son shoot dans les veines.

Il n’y a pas à dire, un toxico en manque, ça ne manque pas d’imagination pour se procurer sa dope, de l’argent ou le matos pour s’injecter la petite mort dans ses veines.

Ce qui frappe, dans ce roman, c’est la réalité avec laquelle il est écrit ! Tel un Edward Bunker nous parlant de la taule, Maravélias nous parle du milieu des toxicos comme si on y était. Des décors environnants jusqu’à la déchéance des corps et des esprits, en passant pas la crasse immonde, tout est superbement bien décrit.

« Mon univers s’exhibe dans un rectangle opaque, derrière les vitres sales drapées de rideaux gris. A l’ombre de deux peupliers, observateurs silencieux de ma lente décomposition. Un bout d’azur terni, usé, témoin indifférent de tant d’horreurs mais de plaisirs fugaces, aussi, ces rares moments de joie, comme une ponctuation, des instants en italique dans ces récits fiévreux ».

Comme je vous le disais, l’utilisation de l’argot et des codes des camés ajoutent au texte une réalité qui vous place au centre du jeu avec autant de réalisme que si vous étiez vraiment.

Pourtant, l’exercice n’était pas facile. En effet, il s’agit tout de même, pour Franck, de décrire des sensations à des lecteurs qui ne les ont jamais ressenties (du mois,, je l’espère pour eux).

« Ce n’est pas facile de décrire avec de simples mots, même en ayant du vocabulaire, les expériences extrêmes. Hors du commun. D’en faire saisir l’intensité à ceux qui ne l’ont pas vécues. Comme il est dur d’accorder foi au récit d’autrui sans aller voir par soi-même de quoi il retourne. Il n’y a guère que les enfants pour aller foutre les doigts dans la prise bien qu’on leur ait répété mille fois que ça faisait mal. Mais l’homme est un éternel enfant. Peu de gens, en vérité, sont conscients de ce qu’ils sont capables de faire dans certaines conditions ».

Franck n’est pas un personnage que l’on aime, mais on le suit dans sa déchéance, lui, ou les autres, les filles n’ayant pas honte de se prostituer ou de sucer contre une dose. Du liquide contre de la poudre…

On a beau ne pas les aimer, savoir qu’ils sont là de par leur volonté – ou par leur manque de volonté – on a mal pour eux, mal de les voir s’enfoncer de plus en plus profondément, sans espoir de retour, dans les sables mouvants que sont les drogues.

« Mon his­toire n’est qu’une suite d’exemples de mon in­com­pa­rable connerie » nous avouera même Franck. C’est vous dire que même lui, drogué jusqu’à la moelle, a encore de la lucidité de temps en temps. Mais il aime trop les sensations que les drogues lui procurent.

« Comment dire à quelqu’un de ne pas faire une chose sous prétexte que c’est nocif et mortel, alors que de toute évidence, ça vous procure un vif plaisir ? À tel point, même, que vos journées se passent à courir après ? Cherchez pas. C’est impossible ».

Mélangeant habilement les moments de 1999 et ceux des années 80, c’est dans un voyage fantastique que vous emmènera la plume de l’auteur, jonglant avec les époques, avec les personnages tous plus défoncés les uns que les autres, déambulant tous dans les tréfonds de la société, ayant perdu jusqu’à la moindre parcelle de pudeur ou de raison.

« Elle [la came] nous a obligé à faire des horreurs pour pouvoir profiter d’elle et en tirer du plaisir. Elle a fait de nous des parias. Des malades asociaux et violents. Elle a fait de Carole une pute. Sa putain exclusive ».

Le ton du texte est juste aussi… Franck a beau être camé jusqu’au sourcils, il reste logique dans ses pensées. Il ne se trouve pas d’excuses, mais il sait le prix qu’il devra payer pour ce qu’il a fait circuler dans son corps.

Quant au final, s’il ne vous arrache pas une larme, je n’y comprends rien. Là, j’ai eu mal. Une douleur sans nom quand j’ai compris en même temps que Franck que…

Un texte fort qui se dévore d’une traite – comme d’autre snifferont d’une traite leurs rails de coke – ne vous laissant pour séquelles que le souvenir de toutes ces ombres que vous aurez croisé dans ses pages. Ombres, qui, comme la Blanche, vous laisseront un grand vide lorsque vous refermerez ce livre et vous hanteront comme la fugueuse de « L’herbe bleue » me hante encore.

« La faux soyeuse » porte bien son nom. Le jeu de mot est habile, subtil, magnifique et aura le mérite de mettre en garde les imbéciles crâneurs contre cette fossoyeuse !

« La came se sert de notre bouche pour fumer des clopes à la chaîne et dire des conneries […]. Elle se sert de notre corps pour en faire une épave et prendre son plaisir. Elle utilise notre esprit d’où, installée confortablement, elle dirige tout et pourrit notre existence. De l’extérieur, c’est à ce point flagrant. Mais nous, on ne s’en rend pas compte. On croit au contraire que l’on maîtrise. C’est affligeant.« 

Challenge « Thrillers et polars » de Liliba (2014-2015), le « Challenge Ma PAL fond au soleil – 2ème édition » chez Métaphore, « La coupe du monde des livres » chez Plume de Cajou (mon second gardien de but) et « Ma Pedigree PAL – La PAL d’excellence ».

BIBLIO - Pedigree PAL

Petit dico du toxico :
Came  (n. f.) : Drogue, cocaïne, héroïne ; consommer de la drogue, se droguer. Abrév. de camelote = marchandise (GR) / Ancien argot (Arnal) • synonyme : drogue • morph : apocope  • usage : drogue • famille : cam- (camelote)

Dope (n.f.) : (familier) drogue agissant sur le système nerveux et dont l’abus conduit à la toxicomanie.

Chrome : Faire crédit

Carotter : Voler, se faire avoir

Bicrave : Vendre, dealer (origine gitane)

Brown-sugar & brown sugar ; brown (n. m.) : Héroïne en grains, mélangée à de la caféine

Coke : Drogue, cocaïne

Rail rail de coke ; rail d’héroïne ; se faire un rail : Ligne de drogue en poudre préparée pour aspiration nasale ; se préparer une prise de cocaïne (ou parfois héroïne) (disposer la poudre en ligne)

Blanche : Drogue en poudre blanche (avec parfois idée de pureté) : cocaïne, héroïne

24 réflexions au sujet de « La faux soyeuse : Éric Maravelias »

  1. Ping : Portrait d’une Cannibale Lectrice | 22h05 rue des Dames

  2. Ping : Bilan Livresque : Juillet 2014 | The Cannibal Lecteur

    • Le film ou le livre ?? Oui, le livre fait réfléchir… mais certains, tu peux le dire ce que tu veux, leur faire lire le livre, leur montrer le résultat, c’est comme les gosses et la prise, faut qu’ils mettent les doigts dedans, c’est plus fort qu’eux.

      Beaucoup pensent « moi je saurai gérer »… et tu gères rien parce que cette merde, elle te baise.

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  3. Oh, tu m’as rappelé une de mes premières lectures fortes avec « l’herbe bleue » à mes douze ans (en dehors des King), cadeau de ma maman car nécessaire bien souvent en cité, quoiqu’un môme fait ce qu’il veut aussi.
    Magnifique chronique qui accentue mon empressement de le trouver, car déjà noté (tu n’arriveras pas à allonger ma liste cette semaine).

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    • Nous lu à l’école dans le cadre d’une fiche de lecture sur la drogue. Mais comment en parler à 15-16 ans ?? Mais le récit est resté en partie gravé dans ma tête, surtout sa déchéance, la crasse, bref, j’avais pas envie, mais après ça, encore moins !

      Souvent les mômes en prennent pour faire comme les autres, parce que les autres disent « rien qu’une fois, c’est pas grave » et blablabla et que à cet âge là, on veut être accepté dans la bande et pas rejeté.

      C’est con, quand même… 😦

      Ok, je n’augmente pas ta liste, alors ! 😉

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  4. Superbe chronique, Belette ! Mais alors qu’est-ce que tu es dans le noir très noir ces temps-ci! Tout comme Fabe. Il y a une épidémie chez les filles ? Mais ça à l’air excellent, alors on ne va pas vous reprocher de bien choisir.

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    • Merci ma Poulette ! 😉 Oui, c’est vrai que nous faisons dans le fort sombre, nous les femmes !

      Envie de lectures plus fortes, avec un message, des situations réelles,… bref, la réalité. Pas que je n’aime plus les polars à énigmes, non, loin de là, mais les romans noirs sont devenus une drogue !

      Une drogue qui ne fait pas de mal mais qui crée une addiction 😉

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    • Le coeur et l’esprit est touché, coulé… c’est une lecture qui marque et qui reste gravée. Traumatisante, quasi, sauf que j’ai pris du galon depuis « L’herbe bleue » où la déchéance de la jeune fille se voyait au fil des pages.

      Tous les ingrédients étaient là pour nous toucher. Le style, l’écriture, les mots, les dialogues, les souvenirs, l’ambiance, l’argot, les mots utilisés entre eux… Superbe !

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