Titre : Rebecca
Auteur : Daphné Du Maurier
Édition : Le Livre de Poche (1971)
Résumé :
Sur Manderley, superbe demeure de l’ouest de l’Angleterre, aux atours victoriens, planent l’angoisse, le doute : la nouvelle épouse de Maximilien de Winter, frêle et innocente jeune femme, réussira-t-elle à se substituer à l’ancienne madame de Winter, morte noyée quelque temps auparavant ?
Petit Plus : Daphné du Maurier plonge chaque page de son roman – popularisé par le film d’Hitchcock, tourné en 1940, avec Laurence Olivier et Joan Fontaine – dans une ambiance insoutenable, filigranée par un suspense admirablement distillé, touche après touche, comme pour mieux conserver à chaque nouvelle scène son rythme haletant, pour ne pas dire sa cadence infernale.
Un récit d’une étrange rivalité entre une vivante – la nouvelle madame de Winter – et le fantôme d’une défunte, qui hante Maximilien, exerçant sur lui une psychose, dont un analyste aurait bien du mal à dessiner les contours avec certitude.
Du grand art que l’écriture de Daphné du Maurier, qui signe là un véritable chef-d’œuvre de la littérature du XXe siècle, mi-roman policier, mi-drame psychologique familial bourgeois.
Critique :
Rebecca… On parle beaucoup de toi dans ce roman qui porte même ton prénom pour titre, faisant de toi une héroïne.
Rebecca… On ne te voit pas, pourtant, tu hantes les pages de ce roman, on sent la présence de ton fantôme partout, dans chaque pièce, dans chaque couloir, dans chaque esprit de ceux et celles qui t’ont connu.
Tu n’es pas là mais on n’entend parler que de toi… Même moi, tu risques de me hanter, à présent que j’ai lu ce roman.
Faut dire que l’auteur a fait fort dans son livre : rendre un personnage mort aussi présent, lui donner une présence physique, presque palpable, alors que la véritable héroïne, bien vivante, elle, se trouve réduite à l’état d’ectoplasme, de tapisserie, tant elle est sans relief, sans courage, effacée, timide.
Pire, le prénom de l’héroïne n’est jamais cité dans les pages, nous ne saurons jamais comment elle se prénommait ! Fallait oser, non ?
Sincèrement, j’aurais dû détester celle qui deviendra la nouvelle Madame de Winter, cette jeune fille frêle, qui ne s’exprime que timidement, cette gamine qui épousa Maxim de Winter en seconde noces, cette gamine qui à l’air à côté de ses pompes, gauche, maladroite… Mais non, je l’ai comprise, tout simplement.
Voilà une jeune demoiselle de compagnie qui, après une cour éclair de 15 jours, se fait épouser par un homme deux fois plus vieux qu’elle et se retrouve ensuite propulsée dans une vaste et belle demeure – Manderley – pourvue de domestiques.
Comment cette petite prolétaire aurait-elle pu faire face à ce changement d’existence radical, plongée dans un monde qu’elle ne connait pas et devant faire face à l’hostilité froide de certaines personnes de son entourage ?? Impossible…
Je pense qu’à sa place, j’aurais eu du mal à trouver la mienne. Surtout quand TOUT, absolument TOUT dans cette grande maison est là pour vous rappeler l’ancienne madame de Winter, celle qui a bu la tasse dans la mer.
Vous voulez aller dans la bibliothèque après le petit-déjeuner ? Oh, madame de Winter allait toujours dans son petit salon… Et madame de Winter, ceci, et madame de Winter cela…
Bon sang, si la gamine avait soulevé ses fesses vers la droite pour péter, on lui aurait fait savoir que madame de Winter pétait par la gauche et que ça faisait un nuage rose avec des senteurs printanières !
Il ne m’appartenait pas du tout, il appartenait à Rebecca. Elle était toujours dans la maison, comme Mrs Danvers l’avait dit, elle était dans cette chambre de l’aile ouest, elle était dans la bibliothèque, dans le petit salon, dans la galerie au dessus du hall. Même dans le petit vestiaire où pendait son imperméable. Et dans le jardin, et dans les bois, et dans la maisonnette en pierre sur la plage. Ses pas résonnaient dans le corridor, son parfum traînait dans l’escalier. Les domestiques continuaient à suivre ses ordres, les plats que nous mangions étaient les plats qu’elle aimait. Ses fleurs préférées remplissaient les chambres. Rebecca était toujours Mme de Winter. Je n’avais rien à faire ici.
Apparemment, l’ancienne madame de Winter a marqué les esprits, tout le monde l’aimait et tout le monde chante encore ses louanges. Difficile de trouver ses marques dans une maison où l’on a l’impression que l’autre va franchir la porte à tout moment. Personne ne veut laisser la morte dormir tranquille.
De plus, son mari a tout l’air de n’avoir que son ancienne femme en tête et donne l’impression de traiter sa nouvelle comme on traiterait un chien : on lui grattouille la tête, on la tapote et ensuite, on vaque à autre chose. Un mari secret, taiseux, intrigant que je voyais avec le beau visage de Jeremy Brett qui l’a interprété dans un téléfilm.
C’est un roman qui m’a emporté, même si au départ, j’ai eu un peu de mal avec les 10 premières pages. Arrivée au bout, j’ai relu ces pages que j’avais survolées, en soupirant, afin de tout comprendre. Oui, j’ai tout compris.
La tension dans ce roman est à couper au couteau à certains moments et les dernières pages sont un enfer de suspense au point que j’ai failli me bouffer les ongles.
L’écriture est belle, enivrante, et notre héroïne, bien qu’un peu gamine au départ, va gagner en maturité et on le sent dans notre lecture. Fini de se faire des scènes dans sa tête une fois que… Non, je ne dirai rien !
Les personnages sont tous travaillés, ils évoluent tous, bonifiant au fil des pages ou pas, mais on sent pour certains un changement radical, dans le bon ou le mauvais sens. Pour un personnage, j’avais déduit qui il était vraiment, grâce aux petits indices semés ça et là par l’auteur. La surprise ne fut pas totale pour cette révélation.
De plus, Madame Van Antwerpen… heu, madame Danvers (jeu de mot pour les belges), la femme à charge, est une saleté de personne méchante bien réussie, perverse et retorse au possible. Pas à la manière brutale, sadique et lâche d’un Joffrey Barathéon, mais plus rusée, à la Tyrion Lannister, le capital sympathie en moins.
Rebecca, c’est une belle histoire d’amour, sans les niaiseries des Harlequin, mais avec la touche qu’il faut de drame et de suspense.
Je suis contente qu’on ne puisse l’avoir deux fois, la fièvre du premier amour. Car c’est une maladie et c’est un fardeau, quoi qu’en puisse dire les poètes.
Moi aussi je voudrais bien aller faire un tour à Manderley…
Un putain de bon livre rempli d’âmes tourmentées et les silences, les secrets, les non-dits sont aussi pesant qu’une chape de plomb.
Challenge « Thrillers et polars » de Canel (2014-2015), Challenge « La littérature fait son cinéma – 4ème année » chez Lukea Livre et le Mois Anglais (Juin 2015) chez Titine, Lou et Cryssilda.