Et ils oublieront la colère : Elsa Marpeau

Titre : Et ils oublieront la colère                                                big_3

Auteur : Elsa Marpeau
Édition : Gallimard (2015)

Résumé :
Été 1944. Une femme court dans la campagne icaunaise. Elle cherche à échapper à la foule qui veut la tondre.

Été 2015. Un homme a été tué près d’un lac. La gendarme chargée de l’enquête soupçonne que son meurtre est lié à une tonte, qui a eu lieu soixante-dix ans plus tôt.

Entre aujourd’hui et hier, les destins s’entremêlent mais les protagonistes ne s’en souviennent plus – ils ont oublié la colère, les jours de liesse et la cruauté des vaincus contre ceux de leur camp, lors de la Libération. L’enquête va exhumer ce passé dont plus personne ne veut se rappeler.

Critique : 
♫  J’ai eu des illusions et puis des certitudes, et comme au casino j’ai tout perdu d’un coup… ♪ [1]

Oui, dans ma vie j’ai eu des illusions. Toute jeune, je les ai cru tous résistants ! Pleins de résistants au milieu de très peu de collabos. Et puis, le grand Charles l’avait dit, non ?

« À entendre les Français, personne n’a jamais eu de collabos dans sa famille, pas même de pétainistes, ils étaient tous résistants ou, du moins, sympathisants du général de Gaulle ».

« Et malgré les vingt mille femmes tondues, on n’en retrouve plus aucune, ni d’ailleurs de tondeurs, comme si tous avaient disparu de la surface de la terre ».

Banqueroute totale ! Peu de résistants, beaucoup de Naphtaliens et à la Libération, tout à coup, tout le monde avait résisté, même les délateurs de voisins. Surtout les délateurs… ♫ Je retourne ma veste, toujours du bon côté ♪ [2]

L’auteur à l’art et la manière de retourner le couteau dans une plaie qui a du mal à cicatriser car on a bâti un monde libre sur des crânes rasés et des comportements indignes.

J’ai eu le cœur serré durant certaines scènes tant la honte de ces femmes était prégnante et tant l’imbécilité des autres était flagrante. Qu’on reste planqué, je peux comprendre, mais qu’on dénonce les voisins ou qu’à la fin, on se comporte comme pire que l’occupant, ça ne me rend pas fière vis-à-vis de certains humains.

Les chapitres se déroulant en 2015 sont entrecoupés de quelques uns se passant durant la Seconde Guerre Mondiale. On retrouve même des protagonistes sur les deux époques, ainsi que leurs descendants.

Mais quel est l’horrible secret qu’ils cachent ?? Un ogre, une sorcière, un bouilleur d’enfants ?? (Godefroy de Montmirail, sors de ce corps !).

J’ai eu des illusions et des certitudes dans ce roman… Certitudes car j’étais certaine d’avoir compris et résolu l’affaire avant la gendarmette Garance Calderon, personnage au passé trouble, soit-dit en passant.

Oui, je savais QUI avait tué Mehdi Azem, je sais QUI il était réellement et je connaissais la teneur du secret. Oui, je pensais tout savoir, pétrie de certitudes que j’étais mais comme durant un tour de magie, j’ai été illusionnée et bardaf, ce n’était pas le Colonel Moutarde dans la biblio ! Raté !

Illusions aussi sur certains passages du roman, qui me titillent un peu aux entournures si je commence à creuser un peu : la gendarmette qui creuse dans la propriété à la recherche d’un corps, seule, sans rien pour ramasser les preuves ou sécuriser la scène… Horatio en aurait avalé sa paire de lunettes de soleil de travers !

Problème aussi avec certains faits… que je ne puis tous étaler au grand-jour car risque de dévoiler des choses. Je peux juste vous dire que quand un gamin de 17 ans arrive à se faire passer pour un véritable curé auprès des Fridolins qui l’emmènent dans leur voiture pour lui épargner une marche, là je me dis qu’ils avaient besoin d’une visite urgente chez Afflelou !

Autre chose : si je devais tuer un homme endormi, je ne choisirais jamais un  fusil ! Peu maniable, déjà, et surtout, le recul ! Toi tu avance, lui il recule… Comment veux-tu, comment veux tu… ? On fait ça avec un révolver que diable ! Ça vous évite une épaule en compote à cause du violent recul de certains fusil.

Et puis, que fout un Fritz tout seul dans une maison durant l’occupation ? Il nous faisait un remake de la célèbre « tenaille » de la 7ème Compagnie ? De plus, c’est à croire que ce casque à pointe avait demandé une situation et pas du travail parce qu’il se la coule douce, le mec ! Ça nage dans le lac, ça fait la sieste durant 2h. Tranquille et détendu. Et il y a un autre fait avec cet allemand qui ne passe pas. Pas réaliste du tout, mais je ne puis rien dire.

Et puis, pourquoi diable les villageois en ont-ils eu après Marianne alors que tout le monde savait qu’elle n’aimait pas les occupants ?? Je veux bien que l’être humain, lorsqu’il est en groupe, devient con, mais là…

Il y a dans cette histoire des tas de petits détails qui clochent et qui me font enlever une étoile au Guide Beletien ! Le diable se cache dans les détails et les détails ont leur importance ! Sans ça, c’était 4 étoiles sans soucis. Mais faut pas jouer dans l’illogique juste pour arriver à écrire des fins auxquelles le lecteur ne s’attend pas.

Sinon, l’écriture se lit toute seule, le roman est court, intense, on ne s’embête pas, les personnages sont assez bien fichus, certains sont très mal fichus dans leur vie, mais bon, chacun fait ce qu’il veut de sa life…

Un proverbe à tirer de cette lecture ? Quand le chat Occupant fut parti en courant, les petits rats délateurs n’eurent plus peur et tondirent les petites souris qui avaient vécu dans le vice en tâtant le pénis de l’Occupant Allemand.

Que ces femmes soient innocentes, qu’elles aient des circonstances atténuantes ou qu’elles soient vraiment coupables, ils s’en moquaient, le tout étant de tondre le bouc émissaire afin de laver leurs propres péchés et leurs vilaines lâchetés.

Quand tout les regards et l’opprobre convergent vers celles qui avaient tripoté de la verge (ou pas), personne ne regarde vos propres vilénies ou ce voisin que vous avez fait envoyer en « colonie » (c’est pour la rime, on sait où ils ont terminés et ce qu’on leur avait fait croire).

Au final ? Une enquête contemporaine avec un cadavre tout frais et un Cold Case menée par une gendarmette moins sympathique que la blonde Lilly Rush.

Une enquête où le passé et le présent s’entremêlent pour danser une gigue endiablée mêlée à un tango sensuel, le tout sur un air de Faust-semblant.

Ami lecteur, laisse tomber tes illusions et tes certitudes… malgré les petits détails qui clochent et pas logiques, malgré la torsion du récit, j’ai été bluffée par la fin. La torsion était là pour ça…

Dommage qu’il ait fallu tordre pour faire plier, parce que la partie sur la Seconde Guerre était vraiment très bien.

[1] « Casino » Michel Sardou (1998)
[2] « L’opportuniste » Jacques Dutronc

Challenge « Thrillers et polars » de Sharon (2015-2016).

CHALLENGE - Thrillers et polars 2015-2016

48 réflexions au sujet de « Et ils oublieront la colère : Elsa Marpeau »

  1. Ping : Challenge Thriller et polar – session 2015-2016, bilan final | deslivresetsharon

  2. Ping : Bilan Livresque : Août 2015 | The Cannibal Lecteur

    • Une chose horrible, si faute il y a eu, un procès sera plus équitable. Une fois de plus, on s’attaque à la chevelure des femmes… et ensuite, on ose traiter les autres de barbares (avant, le terme barbare, du grec ancien barbaros, servait à désigner tout ce qui n’était pas grec, de leur civilisation, de leur langue… bref, les autres, uniquement).

      Je ne suis pas pour ce genre de comportements, même si je puis comprendre le ressentiment et la haine que certains ont éprouvés, eux qui crevaient de faim pendant que l’autre faisait bombance à la table de l’occupant. Pour moi, une vengeance doit être personnelle, pas collective, en troupeau, l’Homme devient pire qu’un animal en meute.

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      • et puis elle est injuste. Cela ne concernait que les femmes, sans jugement, juste avec des on-dit, la haine facile….
        j’ai vu un spectacle sur une petite fille qui racontant l’histoire de sa grand-mère qui s’est fait tondre. Les larmes étaient là….

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        • Jugement facile oui, toi tu as fait déporter tes voisins, mais celle qui a sucé des allemands, là, c’est bien plus important et immoral ! Toi, c’était juste pour virer le voisin… les gens ont la mémoire à géométrie variable et les excuses qu’ils se donnent sont à pleurer. Le traumatisme reste…

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          • Et puis même si certaines ont couché avec des allemands, de quel droit les gens ont pris le droit de raser des femmes sur la place public, de les insulter, de les battre…. Le phénomène de foule qui ne réfléchit pas et est ravie de voir de l’horreur. Comme si déjà la guerre n’avait pas été déjà difficile. Un bouc émissaire trop facile et décevant.

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            • Le bouc émissaire te détourne de tes propres fautes, de celles qu’on pourrait te reprocher, et puis, morte la bête, morte le venin, les bosches vaincu, c’est la liesse et les gens se vengent de tout ce qu’ils ont dû endurer, et comment mieux se venger qu’en appliquant sur ta voisine, la femme qui vivait plus loin, ce que tu n’as pas eu le courage de faire durant les années de guerre ?? T’as pas osé t’attaquer à l’occupant, mais une fois lui partit, foule toujours se comporter ainsi… le groupe, c’est fort ! Le groupe, ça réfléchit pas, c’est pas moi, m’sieur, c’est les autres… il suffit d’un ou deux qui bouge, et le troupeau de vaches, pardon, d’humains, suit ! mais dans un métro, compte pas sur le groupe pour te défendre !

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    • Je peux être bon public, je râle toujours devant les Experts et leurs photos à deux pixels d’où ils arrivent à extraire la couleur des yeux du bandit ou la plaque de voiture qui se reflétait dans l’iris d’un autre, mais bon, je passe.

      Dans un livre qui me parle de la Seconde, je suis plus à cheval sur les principes, sauf si c’est une comédie ! Là, je ne peux pas voir dire plus mais y’a vraiment un bazar qui va pas !!

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        • Certains ont aussi tondus des enfants… la connerie étant infinie et la méchanceté proportionnelle et à géométrie variable. Pas une belle époque. Mais pas de soucis, tout le monde a résisté ! ben voyons…

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            • Hé, à sa place, je me serais planquée aussi… courage, fuyons… Je ne jugerai point n’ayant pas connu la guerre et ne sachant pas ce que j’aurais fait à leur place…

              Et comme le chante si bien Sardou dans « Qu’est-ce que j’aurais fait moi ? » :

              Pardon pour ceux qui l’ont vécue
              Mais la question n’est pas
              Ce qu’ont fait ou ton père ou ta mère
              Dans cette guerre perdue
              Non la question n’est pas là
              Ce qui me préoccupe c’est :
              Qu’est-ce que j’aurais fait, moi ? […]
              Mais, si j’avais connu la guerre
              Mon Dieu, qu’est-ce que j’aurais fait, moi ?
              […]
              Pour ceux qui sont nés aujourd’hui
              Choisir le bon côté c’est sûr,
              Beaucoup voulaient sauver leur vie,
              Beaucoup s’inclinaient par nature.
              […]

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