Hiver rouge : Dan Smith

Titre : Hiver rouge                                                                           big_5

Auteur : Dan Smith
Édition : Le Cherche midi (2015)

Résumé :
1920, Russie centrale. La terreur s’est abattue sur le pays. À la mort de son frère, Nikolaï Levitski a déserté l’Armée rouge pour aller l’enterrer dans son village.

Mais lorsqu’il arrive dans la petite communauté, perdue en pleine nature, c’est la stupéfaction. Les rues sont vides et silencieuses. Les hommes ont été massacrés dans la forêt alentour, les femmes et les enfants ont disparu.

Nikolaï se met alors sur la piste des siens.

C’est le début d’une quête aussi désespérée que périlleuse dans une nature hostile, au cœur d’un pays ravagé par la guerre civile.

Petit Plus : Après le succès du Village, le nouveau roman de Dan Smith ! Une fois de plus, Dan Smith nous offre un roman à l’intensité exceptionnelle. On retrouve son goût pour les personnages inoubliables, son talent pour mêler l’histoire et l’intime, et faire éprouver au lecteur une véritable sensation physique des conditions de survie en milieu extrême.

Une enquête palpitante dans les immensités glacées de la Russie bolchevique.

Critique : 
Si les Cœurs de l’Armée Rouge vous donnent des frissons de plaisir lorsqu’ils chantent, en 1920, ils vous auraient donné des frissons de trouille !

Russie, 1920, guerre civile… Nikolaï Levitski, soldat, vient de déserter avec son frère, se faisant passer tous deux pour morts dans un fossé.

Son but ? Rentrer chez lui et retrouver sa famille. Arrivé dans son village, celui-ci est vide de tous ses habitants, tous envolés… Certains partis au Paradis Blanc d’où on ne revient pas (torturés et exécutés) et d’autres fait prisonniers, apparemment.

Véritable enquête sous fond de guerre révolutionnaire, cet homme fera tout ce qui est en son pouvoir pour apprendre ce qui est arrivé aux siens et les retrouver.

Moi qui aime la Russie, je suis plus que bien servie avec les romans de Dan Smith, surtout qu’il explore les périodes troubles.

Ici, toute la violence, toute la barbarie et toute l’imbécilité de la guerre sont visibles. Ici, on se fait la guerre entre frères, entre habitants d’un même pays, on prive certains de nourriture pour la donner à d’autres, la guerre civile fait rage depuis 1917 et on ne sait plus trop contre qui on se bat…

Alors, on suspecte tout le monde et on n’accorde sa confiance à personne, tout le monde est tendu comme la corde d’un arc et les tensions sont bien palpables dans le récit grâce à la belle écriture de monsieur Smith qui m’a régalé, tout en me faisant accélérer le palpitant.

Méfiance, scission et violence étaient partout. Elles étaient évidentes sur les champs de bataille, mais présentes aussi dans nos foyers. Elles emplissaient l’air que nous respirions, et je compris qu’elles faisaient partie de nous, désormais. Nous étions allés trop loin ; nous ne pouvions plus revenir en arrière. Quel que soit le vainqueur de cette terrible guerre, cela ne changerait rien.

Lorsque l’on chevauche dans la neige, sous le froid glacial, il faut surveiller ses arrières et ses avants, car l’Armée Rouge n’est pas loin, la Tchéka non plus (police politique qui combattait les ennemis du nouveau régime bolchevik) et tout le monde vit dans la terreur.

Nikolaï, dit Kolia, est un personnage auquel on s’attache de suite, il a un passé de soldat de la Grande Guerre et le reste, on le découvrira au fil de la lecture.

Dans ce récit, personne n’est ni tout blanc, ni tout noir, tout est en nuance de gris et elles sont plus nombreuses que les fameuses 50 !

Je savais ce que j’étais, et « déserteur » n’était pas la pire épithète qui m’était applicable, mais cela me rappelait les hommes que j’avais traqués pour le même crime, des hommes dont le seul véritable délit avait été de vouloir une vie meilleure.

Tout le monde a des squelettes dans le placard, des casseroles au cul, des faits peu reluisant à masquer, des choses pas nettes à se reprocher et les pires exactions sont commises par des soldats parce que « se sont les ordres ».

Il y avait une pointe d’indignation dans sa voix. Il avait sûrement dû justifier ses actions à ses propres yeux, comme je l’avais toujours fait moi-même, et quand on se répète suffisamment de fois que quelque chose est légitime, on commence à y croire.

— Je n’ai jamais voulu recevoir d’ordres de lui.
– Mais vous n’avez pas eu le choix.
J’avais déjà entendu cet argument : le commandant Orlov avait été dans le même cas. Il avait obéi aux ordres parce que c’était son devoir de les suivre, et parce qu’il y avait des conséquences pour ceux qui ne le faisaient pas.

On doit tuer les traîtres, les mauvaises herbes… les habitants de son propre pays. Ils ont été endoctrinés et répètent cela tel un mantra.

Et pourtant, j’étais un révolutionnaire, et j’avais commis des actes innommables au nom de l’assainissement de la récolte. J’avais été convaincu que, pour rendre la patrie plus forte, il était vital d’éliminer le mal qui menaçait de gangrener la vision nouvelle.

Il était crucial d’arracher les mauvaises herbes contre-révolutionnaires du champ fertile de notre nouvelle nation pour que la terre y soit la plus féconde possible et que les cultures y poussent hautes et vigoureuses.

La guerre civile change les hommes en bêtes, les innocents en meurtriers, les doux se gorgent de haine et les paisibles deviennent des vulgaires assassins. La frontière entre les gens ordinaires et les monstres qu’ils traquent (ou qu’ils subissent) est ténue. Très ténue et on la franchit très vite, cette frontière, lorsque l’on cherche sa famille.

— Tu as tort, protesta Tania. Elle a tort. Rien ne me ferait jamais trahir quelqu’un de cette façon.
— Pas même tes propres enfants ? N’aurais-tu pas fait tout ce qui était en ton pouvoir pour les protéger ?
Elle s’arrêta et me regarda fixement, sachant que j’avais raison. Nous vivions en des temps qui poussaient les gens à faire des choses qu’ils n’auraient jamais envisagées avant.

— Je suis professeur, bon sang ! » Il serra les poings. « Professeur. Et regardez à quoi j’en suis réduit. À voler et mendier. À vivre dans la saleté, le froid et la faim. J’étais élégant et respectable et… Je n’avais jamais fait de mal à qui que ce soit, jamais frappé un homme avant… « .

Perdu dans cette immensité blanche et froide, juché sur sa jument fidèle, Nikolaï mènera une quête qui ne sera pas de tout repos et basculera parfois vers le côté obscur de la Force avant de se reprendre… peut-être.

Il devra accorder, ou pas, sa confiance à des inconnus, qui eux devront faire de même et je me suis souvent demandée ce que j’aurais fait à leur place et la réponse ne m’a pas plus parce que je sais que la peur nous faire accomplir des gestes inconsidérés.

C’est en cet instant d’amitié et de paix, alors qu’il avait baissé sa garde, que j’aurais pu le tuer. Ç’aurait été la chose la plus facile au monde que de le tirer brusquement à moi et de sortir mon revolver de ma poche pour l’abattre d’une balle, ou de prendre le couteau à l’intérieur de mon manteau pour lui en enfoncer la lame dans le corps. Mais au lieu de cela, je le regardai droit dans les yeux et reconnus son hésitante offre d’amitié dans la chaleur de sa main.

Beaucoup de tensions, de peurs, de lâchetés, de dénonciations, de barbarie, de violence, d’amour et d’amitié dans ce roman époustouflant qui m’a fait chevaucher dans les steppes glacées de la Mère Russie.

Par le passé, j’avais ignoré la dimension humaine de ce genre de situation, ne voyant que des révolutionnaires et des contre-révolutionnaires. J’avais été tellement plongé dans la guerre que j’avais fermé les yeux sur quoi que ce soit d’autre, et il avait fallu quelque chose d’affreux pour me forcer à les rouvrir et à voir les choses plus clairement.

On n’en sort pas indemne de ce roman coup de cœur. J’en ai encore mal au bide mais je remercie l’auteur de m’avoir donné à lire deux romans de cette trempe-là.

Ce n’était pas Dieu qui avait enlevé mes enfants. Ce n’était pas Lui qui avait torturé ces gens dans la forêt. C’étaient des hommes. Et j’étais certain que ces hommes avaient porté une étoile rouge sur leur casquette.

Challenge « Thrillers et polars » de Sharon (2015-2016), Challenge « Polar Historique » de Sharon et « A year in England » chez Titine.

BILAN - Coup de coeur

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