La malédiction de la Méduse : Erik Emptaz

Malédiction de la Méduse - Emptaz

Titre : La malédiction de la Méduse

Auteur : Erik Emptaz
Édition : Grasset (2005)

Résumé :
Le 2 juillet 1816, à la tête d’une mission chargée de reprendre le Sénégal aux Anglais, la frégate La méduse, commandée par un vieil officier incompétent et alcoolique, échoue au large de la Mauritanie, sur un haut-fond pourtant bien connu des marins.

Cent cinquante hommes qui ne pourront prendre place dans les embarcations du bord construisent un radeau de fortune, que les chaloupes remorqueront quelques milles, avant de l’abandonner en pleine mer, avec son fardeau humain.

Entassés sur le radeau, de l’eau jusqu’à mi-cuisse, les naufragés périssent les uns après les autres. Tempêtes, rixes meurtrières, faim lancinante, rage de survivre et désespoir : après quelques semaines, ils ne seront plus que quinze, qui se décideront à manger l’un des cadavres…

On connaît le tableau de Géricault, mais sait-on bien les circonstances de ce drame, fait divers historique qui fut, en son temps, un véritable scandale politique.

La malédiction de la Méduse, roman d’une aventure vraie, fait revivre cette incroyable odyssée.

Critique : 
Chronique d’un naufrage annoncé… Celui de la frégate, pas du roman qui lui, tient les flots et la barre haute. Hissez haut !

Pourtant, c’était pas un pédalo, la Méduse ! Non, c’était une belle frégate qui faisait 47 mètres de long, 12 mètres de large, avec la coque renforcée par des plaques de cuivre, monsieur ! 44 canons en sus.

Et si cette belle frégate royale a coulé, c’est parce que celui qui maniait le gouvernail était un imbécile, un crétin diplômé, un connard fini qui avait dû avoir son brevet de navigation dans un paquet Bonux !

Ou alors, il avait été à la même école qu’un certain commandant de Costa Croisières.

Et comme toujours, dès que des incapables ont des responsabilités, ce sont les subalternes qui trinquent.

D’ailleurs, on sent venir la chose, tant les deux personnages qui sont à la tête du navire sont des magouilleurs, des imbéciles, des fats, des menteurs, des flagorneurs, des sourds à tout bon sens… Ils t’auraient fait couler un canard en plastique dans une baignoire, ces deux là !

Chaumareys donnerait ses galons pour un fond de flacon. Pourtant, il a dû sacrément batailler avant de les gagner. Pour en arriver là, il en a fallu des interventions, des suppliques, des flagorneries, des pressions plus ou moins amicales entrecoupées d’évocations appuyées de son oncle, l’amiral d’Orvilliers, et de son amitié avec le comte d’Artois, frère du roi.

Le « seul maître à bord après Dieu » n’entend pas le matelot qui ajoute dans son dos : « Un marin qui fait confiance à la mer, c’est comme un pendu qui ferait confiance à la corde pour le tirer d’affaire… ».

Le récit se lit d’une traite, les yeux passant de bâbord à tribord, descendant la grande vergue et finissant au gouvernail, manié par le crétin de vicomte Hugues de  Chaumareys, capitaine de frégate commandant La Méduse au nom du roi et qui n’a plus navigué depuis au moins 20 ans.

« C’est impensable, Savigny, le commandant Chaumareys a confié le navire à un passager. Oui, tu m’as bien entendu, à un homme qui s’y entend en navigation à peu près aussi bien que toi ou moi…». Sans me laisser le temps de répondre, il pointe un doigt vengeur vers la dunette, et vitupère : « Et ça ne te préoccupe pas plus que ça ? J’ai obtenu son nom, c’est un certain Richefort, encore un de ces émigrés qui nous reviennent de chez les Anglais, un rentrant comme ce Chaumareys. Ah je t’assure, Savigny, il faut le voir pour y croire…»

Jean-Baptiste Savigny, jeune marin à bord de la Méduse, commence par nous conter un beau voyage vers le Cap Vert avec un arrêt qu’ils feront au Sénégal (Saint-Louis) car ils ont pour mission de reprendre le pays aux Anglais, et ça se termine empalé, non pas dans un iceberg, mais dans un ban de sable connu de tous les marins.

Pour planter un bateau ainsi : « Faut vraiment être une bourrique qu’a la cataracte ou un borgne des deux yeux ! »

Les femmes et les gradés dans les canots, les autres – les soldats et une partie du petit personnel – sur un radeau. 150 hommes sur un grand radeau qui prend l’eau. Jean-Baptiste Savigny nous racontera leur misères sans jamais sombrer dans le pathos.

Les pauvres gars sur le radeau seront lâchés ignominieusement en pleine mer, comme un chien abandonné sur le bord de l’autoroute, le jour du départ en vacances, les autres occupants des canots n’ayant pour eux qu’un pauvre regard du genre « Oh, l’amarre a cassé ».

Nous partîmes 150 sur le radeau et, par un prompt renfort de la Mort, nous fûmes bientôt 15 à survivre, obligé d’arriver à des extrémités que je ne puis condamner, la survie en dépendant.

Ce qui m’a le plus foutu en rogne, c’est l’attitude condescendante des gradés – le commandant Chaumareys et le colonel Julien Désiré Schmaltz, commandant les établissements français du Sénégal. Imbus d’eux même, persuadés qu’ils sont qu’ils ont agis pour le bien de tous, incapables de se remettre en question – surtout Chaumareys.

Et ce gros porc de Schmaltz qui fait des beaux discours en se mettant en avant, défiant les survivants de parler, sinon, il balance ce qu’ils ont fait sur le radeau pour survivre…

Là, Schmaltz a peiné sur la formule mais, à la relecture, il la trouve imparable : « En s’en rapprochant pour la reprendre, on s’exposait à ce que les malheureux qu’il portait se jetassent en foule dans les embarcations déjà surchargées et qui auraient été inévitablement submergées sans pouvoir contribuer au salut des hommes qu’on aurait été tenté de secourir. »

« On se vit donc dans la nécessité de l’abandonner pour éviter une perte générale. »

Et si les quinze revenants de ce cauchemar la lui posent, il leur fera la même réponse : la « nécessité » et le souci « d’éviter une perte générale ». Deux arguments qu’ils devraient être à même de comprendre. Et trouver recevables, puisque ce sont aussi ceux qui les ont conduits à manger la chair de leurs semblables.

À force de se le répéter, il finira pas y croire, comme il en fut avec sa non-présence dans le fort Penthièvre à Quiberon, lors de la bataille… Mais dont il a réussi à se persuader que si, il y était !

À la longue, à force de raconter, Chaumareys a fini par oublier qu’il a vécu le gros de la bataille sous l’édredon d’une épouse de négociant qui l’appelait « mon prince » tandis qu’il lui donnait l’assaut à grands coups de reins. Il est désormais persuadé de sa présence en première ligne. Et gare à celui qui prétendrait en douter !

Certes, les 150 sur le radeau se sont mis eux-mêmes à la flotte et dans les bras de la Mort en se bagarrant ou en s’enivrant dans des beuveries monumentales. Pas un pour relever l’autre, sur ce bout de bois, mais tout de même.

Un récit qui se lit tout seul, comme une aventure, même si l’on sait déjà que la frégate coulera, on dévore le récit de Savigny, jeune gars qui a signé un jour où il était rond et déprimé pour entrer dans la marine.

Une écriture qui roule comme les vagues, pourvues de quelques jolis mots de vocabulaire, un style pas « simpliste » mais facile à lire et qui ne sombre jamais dans le pathos, car il aurait été facile de s’y vautrer lorsque nous étions sur le radeau.

Malgré tout, ce ne fut pas une partie de plaisir sur le radeau et avec peu de mots, de phrases, l’auteur arrive très bien à nous faire comprendre que ça n’a pas rigolé !

D’autant que cette unique barrique de vin est aux trois quarts vide. Les deux soldats chargés de sa garde en ont, à notre insu, sifflé une bonne partie. Retrouvés ivres morts, ils ont été balancés à l’eau sans autre forme de procès. Il avait été décidé que quiconque tenterait de s’emparer de nos provisions serait puni du châtiment suprême. L’affaire n’a pas traîné. À la pointe de leurs propres baïonnettes, les deux buveurs brutalement dégrisés par la peur ont été poussés à la mer.

Des personnages bien tranchés, un faible pour Savigny et quelques uns de ses compagnons de misère, un récit double puisque nous aurons une partie de ce qu’il se passait à Saint-Louis, des bons mots, des répliques acérées et l’envie folle de pendre à la grande vergue le commandant Chaumareys, ce commandant qui a tout du célèbre capitaine de croisière dont je parlais plus haut…

Comment est-ce déjà son nom ? Allez, si, celui qui aimait un peu trop se frotter aux côtes avec son gros bateau ! Crétino ? Stronzo ? Sketbatô ? On me signale dans l’oreillette que c’était Schettino ! Celui qui, comme avant Chaumareys, quitta le navire dans les premiers au lieu d’être le dernier.

À force de ressasser son innocence, il en est venu, même dans ses moments de lucidité, à ne plus s’attribuer la moindre culpabilité. L’amarre ? « Elle a coupé » Le fait qu’il n’ait pas quitté le navire le dernier ? Il s’en est déjà expliqué : « Il fallait veiller à l’évacuation…»

Et bien, au commandant Chaumareys, on lui dirait bien « Vada a bordo, CAZZO !!! »

C’est comme si notre frégate n’était plus La Méduse, mais la Nef des fous.

— Monsieur, nous avons déjà eu un aperçu éclatant de vos dons pour la navigation, nous ferez-vous la grâce de nous épargner vos talents de stratège.

Étoile 4Le « RAT a Week, Winter Édition » chez Chroniques Littéraires (295 pages – xxx pages lues sur le Challenge).

29 réflexions au sujet de « La malédiction de la Méduse : Erik Emptaz »

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  3. Déjà qu’une croisière ne me branchait pas des masses, après ça mes dernières petites illusions tombent à l’eau ! Chronique top niveau, bien au-dessus de celui de mer 😉 Ok, je replonge…

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    • Merci ! J’étais en verve… mot dangereux, ici, dans mes bouche ou entre les doigts qui pianotent… oups !

      Évite les costa croisières et regarde bien le nom du commandant ! Sinon, promène-toi avec un gilet de sauvetage.

      Moi je voudrais voguer sur un à voile… j’aime la mer qui tangue.

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    • À la base, tu n’es pas le seul à l’avoir pensé, d’autres que toi y sont allé à reculons et moi, sans trois personnes pour me le conseiller, je ne m’y serais même pas arrêtée !

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    • Pas moi ! J’avais envie de le découvrir, d’en savoir plus et ton avis enthousiaste a achevé de me convaincre.

      Et puis, j’avais sondé des indics à moi et ils étaient emballés. Je dois donc remercier aussi Gr et CW… PTDR

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  4. Alors… Le mystère n’est pas de savoir qui a mangé le cadavre… Ils en avaient tous croqué dans la barque… Mais l’énigme est de retrouver l’identité du dit défunt qui n’avait plus de visage ni de crêtes papillaires (hé! Chuis moderne moi… De mon temps on disait empreintes digitales!) pour l’identifier… Et il n’avait pas de dentiste…

    Et les analyses d’ADN à l’époque n’étaient pas super fiables! 😀

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    • Le tout est de savoir aussi lequel des morts était le plus savoureux. Ce doit être comme avec les veaux, élevés au bon lait ils sont plus tendres que de ceux qui n’en ont plus eu et n’ont pas été choyé.

      Ils avaient jeté à l’eau toutes les cartes VITALES et ce fut la merde pour les identifications, alors, on a dit que tout ceux qui n’étaient plus sur le radeau n’étaient plus là. 😉

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    • Merci, mais mon talent est pauvre en comparaison à certaines connaissances… et vu que j’étais vénère sur certains personnages que j’avais envie de pendre, et bien, la critique a été toute seule et j’ai failli faire un roman ! ;-))

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  5. Ben tu sais quoi? tu m’as convaincue!!!!!^^
    En ce moment, j’ai envie d’histoire de bateaux, donc j’ai dans ma PAL quelques jolis ouvrages, mais celui ci et bien ça m’intéresse!!!!;) Mais bon t’as raconté la fin!!!!!!!!!MDR

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