Le Bon Frère : Chris Offutt

Titre : Le Bon Frère

Auteur : Chris Offutt
Édition : Gallmeister (02/05/2016)

Résumé :
Virgil Caudill a toujours respecté la loi, laissant la rébellion et la violence à son frère Boyd.

Mais Boyd est mort et tout le monde – y compris le shérif et la propre mère de Virgil – s’attend à ce que Virgil, se pliant ainsi au vieux code des collines du Kentucky, venge la mort de son frère.

Virgil ne peut briser ce code, mais, s’il accepte de tuer, il est bien déterminé à stopper la spirale de la vengeance.

Il abandonne ses collines et ses modestes espérances, change d’identité et, comme d’innombrables fugitifs l’ont fait avant lui, il met le cap sur l’Ouest.

Critique :
L’avantage de vivre dans des communautés où tout le monde se connaît, c’est que lorsque vous donnez votre nom à quelqu’un, il peut vous parler de votre arrière-grand-père, des frasques de votre papy, et ainsi de suite…

Inconvénient ? C’est quand les gens n’ont rien de mieux à faire que de s’occuper de vos affaires et de vous dire ce que vous devez faire !

Comme ce fut le cas lors de la mort violente de Boyd, le frère aîné de Virgil : tout le monde sait qui a fait le coup, et tout le monde s’attend à ce que Virgil aille descendre le mec qui a fait ça.

Tout le monde le pousse à le faire, en plus ! De sa mère, en passant par sa sœur, ses collègues, les gens dans la rue, et pire, même le shérif !

Ces gens-là avaient-ils l’idée de ce que cela peut occasionner comme traumatismes de tuer un autre homme ? Ou simplement de savoir que tout le monde attend ça de vous et que personne n’arrive à comprendre que vous n’avez pas envie ?

Personne ne sait que lorsqu’on se venge de quelqu’un, il faut creuser deux tombes ? Une pour lui, une pour vous… La mère avait-elle seulement pensé que si Virgil tuait l’assassin de son frère, elle perdrait son second fils ?

Non, personne n’y avait songé, sans doute… Dans cette partie du Kentucky, dans cette ville paume qu’est Blizzard, les gens pauvres vivent chichement dans les collines, dans des cabanes de rondins ou dans des mobil-home, tout le monde se parle, tout le monde sait tout sur tout le monde et tout le monde s’occupe des affaires des autres.

Sa décision de quitter l’école et de rester aux poubelles avait plongé tout le monde dans la perplexité. Ce qu’appréciait justement Virgil était le fait qu’aucun éboueur ne pouvait prétendre être plus que ce qu’il n’était. Les études, c’était comme une foreuse à piquets, un bel outil, très cher, mais inutile si l’on n’avait pas besoin de planter des piquets.

Voilà un roman qui mêle habillement le roman noir avec tous ces personnages qui vivent dans un contexte social pas facile, le roman politique, parce que nous allons ensuite croiser la route de gens qui pensent que le Gouvernement les espionne, et le nature writing, car dans toute cette misère sociale, dans les fumées des cigarettes et des joints, dans les vapeurs de l’alcool de contrebande, il y a aussi la force de la Nature et le fait de vivre en harmonie avec elle.

Oui, ce roman c’est l’Amérique grandeur nature, avec ses magnifiques paysages et ces gens un peu bas de plafond, des Blancs suprémacistes qui pensent que les autres se sont des macaques (dit texto dans le roman), que le Gouvernement les piste, qui refusent de payer leurs impôts mais n’ont aucun scrupules à utiliser les routes payées par les impôts des autres.

Si j’ai aimé Virgil, sa couardise, ses réflexions, ses peurs, ses questionnements, si j’ai suivi sa vie durant un bon moment, il est des personnages dans le roman avec lesquels j’aurais aimé avoir une conversation et leur expliquer un peu l’Histoire, mais pas sûr qu’ils auraient voulu la comprendre.

— Il y a longtemps que nous sommes ici, à nous battre pour cette terre. Maintenant que nous l’avons domestiquée, le gouvernement réintroduit les ours et les loups. Mon arrière-grand-père a été tué par un grizzly et aujourd’hui, je suis censé les laisser se balader en liberté sur mes terres.
— Je comprends que ça puisse être dur à accepter.
— Si un loup tue un veau, on le laisse en liberté. Si un fermier abat un loup, il va en prison.

Pour certains points, ils n’avaient sans doute pas tort, je sais qu’il existe plus d’argent « numérique » que physique et qui si tout le monde demandait le remboursement de leur $, ce serait impossible, l’argent ne reposant plus sur la valeur or depuis longtemps.

Un roman noir politico-nature-writing sur fond de vengeance non voulue qui prend son temps, qui s’installe à son aise, qui vous pose dans l’environnement et dans la vie de Virgil, qui, comme la nature, va piano, sans rythme fou, avec juste un moment un peu plus chiant, quand Virgil est blessé, sinon, tout le reste (400 pages) se savoure et se digère avec délectation et lenteur.

C’est l’histoire d’un mec qui n’était pas comme son frère, mais qui a sur les épaules l’horrible tâche de le venger, parce que ici, c’est ainsi qu’on fait, et personne ne se soucie de savoir qu’il a collé une tempête dans le crâne de ce pauvre Virgil qui voulait juste vivre en paix.

Virgil se leva et sortit, laissant derrière lui un silence tendu. Le ciel était gris entre les collines. Il se demanda quel genre d’individu sa famille croyait qu’il était. Peut-être ne l’avait-elle jamais bien compris. Il réalisa, avec un nœud terrible dans la poitrine, qu’ils voulaient qu’il ressemble à [son frère décédé] Boyd.

Il se demanda pourquoi les gens se regroupaient en communauté uniquement pour se battre, plutôt que pour se protéger.

Le portrait d’une Amérique profonde, ou les clivages sont importants, que ce soit par race ou par niveau social, où l’appartenance à un clan ou une famille est importante, où tout le monde peut virer paranoïa, le tout porté par une écriture qui oscille entre la poésie brutale ou le brut poétique.

États-Unis, ton univers impitoyable !

La prison est une industrie en pleine croissance aujourd’hui. Nous avons plus de prisons que tous les autres pays réunis. Nous sommes le pays le plus libre de l’histoire et c’est nous qui bouclons le plus de monde derrière les barreaux.

Challenge Thrillers et Polars de Sharon (2017-2018), le Challenge « Il était une fois dans l’Ouest » chez The Cannibal Lecteur et Le « Mois Américain – Septembre 2017 » chez Titine.

43 réflexions au sujet de « Le Bon Frère : Chris Offutt »

  1. Ping : Bilan provisoire du challenge polar et thriller 2017-2018 | deslivresetsharon

  2. Ping : Bilan du challenge polar et thriller – janvier 2018 | deslivresetsharon

  3. Ping : Bilan du challenge polar et thriller | deslivresetsharon

  4. Ping : Bilan de décembre du challenge Thriller et polar | deslivresetsharon

  5. Ping : Bilan n°4 du challenge Thriller et polar | deslivresetsharon

  6. Ping : Bilan n°3 du challenge Polar et Thriller – octobre 2017 | deslivresetsharon

  7. Ping : Bilan Livresque Mensuel – Septembre 2017 | The Cannibal Lecteur

    • Parfois, je me demande si ce n’est pas un peu péjoratif le truc de l’amérique ou du sud profond… l’auteur le fait dire par son personnage qui se fait regarder de travers dès qu’il donne le nom de son patelin… et qui arrive même à faire croire à la dame de l’administration qu’il ne sait pas écrire, car chez lui, c’est la majorité qui ne sait pas le faire.

      Ici, c’est une amérique paumée, en décrochage, celle qui a subit la crise et qui la vit toujours, pas vraiment celle de l’autre con car pour lui, ils seraient tous des loosers virés… 😦

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  8. Ping : Le mois américain 2017 : billet récapitulatif | Plaisirs à cultiver

  9. Je suis sûre que celui ci pourrait me plaire! Je l’ai repéré depuis un petit moment, mais là, ton avis m’encourage à lui faire une place dans mon planning ultra chargé….mais pas avant….Janvier?!!!! J’ai une PAL qui déborde…..
    Plein de jolies pépites en ce mois américain 😉

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  10. Ping : Deuxième bilan du challenge polar et thriller 2017-2018 | deslivresetsharon

  11. Ah… ces portraits de l’Amérique profonde me donnent de moins en moins envie d’y remettre les pieds! 🙄

    Je n’ai rien à dire sur la qualité du travail de l’auteur évidemment… mais le thème… non merci 👎 !

    Surtout que moi… si mon frère ou ma sœur se faisaient zigouiller parce qu’ils trempaient dans des trucs louches… et ben je dirais « tan pis pour eux ! » et dirai ma ma maman aux velléités vengeresses d’aller se faire voir ou d’aller venger ses enfants mal élevés elle même si elle y tient! Non mais! 😖

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    • Mheu non, faut y aller, tu auras de l’eau pour ton moulin et du boulot pour 4 générations au minimum !!

      Mais tu es une femme de poigne, toi, une femme de caractère, tu en as plus que le Virgil du roman, même s’il a de l’astuce et de l’intelligence, le gars ! Mais quand tout le monde revient avec le même sujet, tu as plus envie de trucider les autres que celui qui a refroidi ton frangin !

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      • Meuh non! J’ai des lunettes mais pas de quéquette! 😜 C’est juste que… je ne vais pas raconter ma vie de famille ici mais… je ne risquerai pas ma vie pour ce qui reste d’honneur à ma fratrie! 🙄 D’ailleurs c’est pas ma Môman qui me le demanderait! 😬

        Sinon… je suis déjà allée chez mes ricains. C’est un fabuleux pays… mais le questionnaire qu’on te demande de remplir dans l’avion m’a horripilée ! Et il est d’un con! Comme si les terroristes allaient répondre au questionnaire en disant qu’ils viennent aux States pour commettre un attentat! Et puis l’accueil à la douane à L’os en gelée… les petits chefs en uniforme qui te gueulent dessus (tu ne sais pas quoi d’ailleurs!)… ils auraient dit «  »Schnell! » qu’on se serait cru revenu chez les nazis! Et le jour où j’ai voulu prendre une bière et qu’on m’a demandé si j’étais certaine d’avoir plus de 21 ans… j’ai modérément apprécié même si j’en avait 27! Je veux bien qu’on me rajeunisse un peu… pas qu’on me prenne pour une gamine! 😠

        Bon et pis… il n’y a qu’à voir qui ils ont élu… là… c’est le pompon! 😩

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  12. Il est dans ma PAL.
    Constat valable aussi dans les petites communautés rurales…. françaises version années 60 :
    – Pourquoi tu n’as pas mis ton poing dans la gueule de l’agresseur de notre soeur ?
    -Parce que cela n’aurait rien changé à ce qu’elle a subi, et que je n’ai pas envie d’aller en prison avec lui

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