Les mal-aimés : Jean-Christophe Tixier

Titre : Les mal-aimés

Auteur : Jean-Christophe Tixier
Édition : Albin Michel (27 février 2019)

Résumé :
1884, aux confins des Cévennes. Une maison d’éducation surveillée ferme ses portes. Des adolescents décharnés quittent le bagne sous le regard des paysans qui sont aussi leurs geôliers.

Quinze ans plus tard, l’ombre du bâtiment plane toujours. Les habitants ont beau feindre de l’ignorer, les terribles souvenirs qu’il contient continuent d’étouffer leur communauté.

Aussi, lorsqu’une jument se putréfie ou qu’un troupeau de chèvres est décimé par une maladie, il faut des responsables. Les habitants, tous coupables ou complices de monstruosités, s’accusent du mal qui rôde.

Dans ce chaos, c’est aussi l’itinéraire de Blanche, une jeune-fille abusée par son oncle, qui tente d’échapper au fatalisme et à la violence à laquelle elle est destinée.

Nous sommes aux confins des Cévennes, là où la religion règne en maître. Là où la terre est dure et le climat rude.

Critique :
Voici un rural noir dans lequel je n’ai pas su m’identifier puisqu’en 1901, je n’étais pas née ! Mon grand-père non plus et il n’a pas dû me raconter cette vie-là.

De plus, en ce temps-là, c’était la Troisième République chez vous, celle qui allait instaurer la séparation de l’Église et de l’État, ce qui fait vachement enrager le curé du cru.

Il a beau ne pas se dérouler à mon époque, ce rural noir m’a pris à la gorge et aux tripes tant l’atmosphère était à la fois envoutante et horriblement oppressante.

Dans ce patelin reculé des Cévennes, on croit autant à Dieu qu’au Diable et on a tendance à invoquer plus vite le Malin que le Divin : « Le Diable, le Malin et le Démon », c’est leur sainte trinité, à ces pauvres hères non instruits et qui doivent subir les affres du climat, qu’il soit trop froid, trop chaud, trop sec ou trop humide.

Le diable. Les gens de la campagne ont toujours eu besoin d’attacher un mot ou une présence à chaque acte qui leur échappe. Une vie passée à craindre, à s’en remettre à des forces supérieures, comme des gosses craintifs et immatures qui n’ont pas encore saisi que la vie n’attend que d’être empoignée, fermement, comme une force brute toujours prête à se rebeller, dont il faut tenir la bride au plus court.

La terre est rude et travailler au bagne, cette maison dite « d’éducation », et bien, ça met du beurre dans les épinards pour les habitants de ce patelin, ou du lard sur le morceau de pain sec. Lorsque ce dernier a fermé en 1886, beaucoup ont perdu un statut et des revenus.

Le bagne, parlons-en… L’auteur aurait pu se répandre dans tous les supplices qui furent imposés à ces pauvres gosses, placés là suite à un vol, un braconnage, du vagabondage, des attentats à la pudeur…

L’intelligence a été de ne pas s’appesantir dessus et de nous expliquer en peu de mot, à travers les pensées d’un pensionnaire quittant ce lieu maudit, ce que furent ces années d’horreurs, de brimades, de privations et d’abus en tout genre.

De toute façon, à chaque début de chapitre, l’auteur nous présente un billet d’écrou des pensionnaires, avec leurs noms, leurs condamnation et leur cause de sortie : tous mort dans la première ou deuxième année de leur incarcération. Plus besoin de nous faire de dessins et d’en rajouter, tout est dit.

Je me demande si ce n’est pas encore pire de laisser le lecteur imaginer ce que ces gamins ont subi plutôt que de nous le décrire. En tout cas, ça donne des sueurs froides dans le dos, surtout en calculant leur âge lors de leur jugement, les années auxquelles on les condamnait pour si peu et l’âge de leur décès. La salive est parfois dure à avaler.

Dans ce rural noir que j’ai eu du mal à lâcher, l’auteur nous offre une analyse juste et des portraits réalistes de ces gens habitant la campagne profonde, ceux qui pensent directement à des malédictions au moindre pépin et sont toujours prompt à accuser les autres, surtout si cela peut détourner l’attention de leurs propres fautes à eux.

On pénètre dans du glauque, dans des esprits étroits, dans la petitesse des actes humains, dans leurs envies, leurs jalousies, leurs bassesses pour gagner quelques sous… Sans oublier que les femmes, en ces temps-là, sont soumises à leurs maris, à leurs pères et que dans ces contrées reculées, ils ne sont pas prêts à passer le commandement.

Toutes les filles de la campagne, sans exception, sont ainsi. Soumises à la vie, soumises aux hommes. Elles ne soupçonnent pas le pouvoir incroyable qu’elles exercent sur eux, et sont incapables d’imaginer qu’ailleurs, d’autres filles, parfois moins belles, mais surtout moins mièvres, prennent leur existence en main pour briser le carcan patiemment imposé par la gent masculine au cours des siècles voire des millénaires passés.

Horrifié, on assiste à tout ce qu’ils (ou elles) sont capable de faire à leur prochain, comme si, tout compte fait, ils ne craignaient pas tant que ça ce Dieu qui doit les juger à l’heure de leur mort.

Comme on dit en wallon : Mougneû d’bon Dieu èt dès tchiyeu d’jiale (des mangeurs de bon Dieu et des chieurs de diable = mon orthographe wallonne a toujours été nulle).

Le récit fait la part belle à une multitude de personnages, qui reviendront au fil des pages, tous avec leurs part d’ombre et leurs non-dits, ces secrets qu’ils ont enterrés après la fermeture du bagne, et même avant.

Qu’est-il arrivé au P’tiot, un gamin évadé du bagne ? Pourquoi personne ne veut en parler même 17 ans après la fermeture du bagne ? Pourquoi une telle chape de plomb ?

Seuls Blanche et Étienne, deux jeunes, semblent ne pas porter la trace du péché des autres et pour eux, j’ai ressenti une forte empathie car ils sont bien les seuls à être innocents, comme le simple d’esprit, Géraud. Par contre, ce qu’ils subissent…

Un roman noir rural dont la plume de l’auteur vous happe dès les premières lignes, vous subjugue et dont on a dû mal à reposer le livre, tant le récit nous tient en haleine alors que le rythme est assez lent et les mystères levés dans le dernier tiers du roman.

La justesse des portraits brossés, tout en finesse, même s’ils sont rugueux comme une pierre ponce, le réalisme dans leurs actions et leurs pensées, ce côté religieux poussé chez ces gens où l’instituteur et le curé tiennent la place la plus haute dans le village et cette aura de mystère qui entoure ce bagne vide depuis 17 ans et qui, malgré son abandon, continue à faire de l’ombre à tous ces biens pensants.

Même les tombes du cimetière attenant au bagne sont maudites, évitées comme la peste, tant ce lieu fait peur et est porteur de toute une flopée de malédictions qui pourraient vous tomber dessus, comme si la porte menant aux Enfers se trouvait sous les tombes de ces gamins morts sous les coups, les privations, le travail harassant ou autre.

Elle regarde une nouvelle fois le bagne. Le bâtiment n’a pas changé depuis ce jour. Même le feu n’en viendrait pas à bout, se dit-elle.
— Leurs âmes à ces gosses, elles dormaient tranquillement au cimetière. Elles nous laissaient en paix. Mais l’a bien fallu que quelque chose les réveille, accuse Léon.

En tout cas, je suis heureuse d’avoir reçu ce roman en avant-première grâce à l’opération Masse Critique de Babelio et je les remercie pour cet envoi, ainsi que l’auteur pour les mots qu’il a inscrits sur ces pages.

Challenge Thrillers et Polars de Sharon (2018-2019) et Le mois du Polar Chez Sharon (Février 2019).

35 réflexions au sujet de « Les mal-aimés : Jean-Christophe Tixier »

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  5. Pas touche aux p’tits n’enfants! Et pis les zhistoires de crassous superstitieux ça, ça m’ennerve vite mes petits nerfs fragiles de petite lectrice qui a autant de capacité de concentration qu’un poisson rouge en ce moment! Anybref le thème ne m’attire pas! Pas pour moi! J’ai plein de serial killers qui m’attendent bien au chaud dans ma PAL pour au moins 10 ans vu mon rythme de lecture… alors je fais ma sélective exigeante ! 😬

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    • Hélas, même si un a dit « ce que vous faites aux plus petits d’entre nous, c’est à moi que vous le faites », ses représentants ne le respectent même pas… Le pouvoir, c’est grisant, donc, abuser d’un enfant et savoir que tu ne seras jamais puni, c’est encore plus bandant (je parle pour eux, pas pour moi ! Je le précise parce que j’ai déjà croisé des bas de plafonds dans mes couloirs, ou des qui savaient pas bien lire).

      Ils sont superstitieux, mais sans que ça en devienne lourd ou chiant. De toute façon, ça sert à rien que je te le vende, je ne pourrais pas te le prêter, vu les tarifs de la poste (et le service, voir le sketch de Dany Boon).

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