Témoin de la nuit : Kishwar Desai

Titre : Témoin de la nuit

Auteur : Kishwar Desai
Édition : De l’aube – Aube Noire (2013)
Édition Originale : Witness the night (2010)
Traducteur : Benoîte Dauvergne

Résumé :
Si l’intrigue est très bien troussée, ce n’est pourtant pas le principal intérêt de ce livre.

Les crimes servent de prétexte à la romancière pour brosser le tableau d’une société à la fois ancrée dans la tradition et en pleine mutation.

Simran, par exemple, est une femme émancipée, contrairement à Durga, qui vient d’une famille très conventionnelle, riche, bridant ses filles, faute d’avoir pu les tuer à la naissance.

Ce roman devint un best-seller à sa parution à New Delhi, il y a quatre ans, et il vaut bien des documents.

Critique :
Pour une fois, le résumé n’est pas trompeur : une intrigue bien troussée mais qui n’est pas le principal intérêt de ce roman noir.

Toute l’enquête de la travailleuse sociale atypique Simran Singh sur l’assassinat de toute une famille riche (13 membres) n’est que le prétexte pour nous parler de la société indienne (hindoue) qui est patriarcale à mort et où les femmes et les filles n’ont que le droit de pondre des fils et de tenir le ménage.

— Alors dès le début, on m’a mis la pression pour que je ponde, ponde, ponde… comme une putain de poule.

On se plain des plafonds de verre chez nous ? Croyez-moi, nous sommes le cul dans le beurre et il est bordé de nouilles déposées à la cuillère en argent.

Le récit est âpre, violent, dénonçant les injustices et le sex-ratio inégalitaire puisqu’il est mal vu de mettre au monde des filles, alors, on les élimine direct et on ne garde que les mâles. Vous imaginez qu’au final on se retrouve avec 350 filles pour 650 garçons et que ces derniers doivent importer des femmes d’ailleurs puisqu’il n’y en a pas assez.

Le médecin nous a appelés pour nous dire que le bébé était une petite fille en bonne santé. J’étais tellement heureuse que j’ai presque sauté de joie. Et puis j’ai vu le visage de mon beau-père. Pendant tout le trajet de retour, il a eu l’air très mécontent. À la maison, la nouvelle a reçu le même accueil.

La plume est trempée dans le vitriol, par le biais de sa personnage principale, Simran Singh qui s’est toujours révoltée contre de telles pratiques mais qui ne peut pas faire grand-chose à son niveau. Pourtant, elle essaie.

Simram a tourné le dos à toutes ces traditions du Punjab, elle a 45 ans et ne s’est pas mariée, ce qui fait que tout le monde regarde cette vieille fille avec mépris et sa mère la harcèle pour qu’elle lui offre un petit-fils. Pas facile de dire merde aux traditions.

Les portraits dressés de certains personnages sont taillés à la serpe, le genre de personnage qu’on aimerait flinguer assez vite, imbu d’eux-mêmes, jaloux de tout et prêt à tout pour y arriver.

Les flics étaient corrompus sous Al Capone et le sont toujours ? Ici, on est dans le haut du panier niveau magouilles, les médailles d’or tombent, n’en jetez plus, tout marche à la corruption, même les soins dans les hôpitaux.

Au fur et à mesure que Simran Singh dénoue l’écheveau de ce meurtre multiple et tente d’entrer dans le passé de Durga, la fille cadette de cette famille, suspectée d’être l’auteure des meurtres, elle tombe dans le glauque absolu, et nous avec.

On referme ce roman noir avec le coeur au bord des lèvres, le dégoût suintant de tout nos pores (on aimerait écrire « porcs » mais ce serait une insulte à l’animal) et le guide du Routard peut me dire ce qu’il veut mais je n’ai pas envie de poser un pied là-bas.

Un roman noir où l’enquête est un prétexte pour écrire un réquisitoire sur le pays de l’auteure, sur son gouvernement, sur les hommes qui ne veulent pas de l’égalité et sur des gens qui n’ont pas encore compris qu’on va droit dans le mur en ne sélectionnant qu’un seul sexe et en éliminant systématiquement l’autre.

Un roman noir qui laisse le lecteur groggy, pantelant, en proie à de multiples émotions qui ne sont pas celle de la joie, évidemment. Avec un tel sujet, on se doute qu’on ne va pas nager dans les petites fleurs et les arc-en-ciel des Petits Poneys.

Je savais qu’en Inde, il était illégal de demander le sexe de son enfant, alors j’ai cru qu’il voulait savoir si le bébé était en bonne santé et j’ai accepté. Cependant, j’ai été très surprise lorsqu’il m’a dit que nous devions attendre le compte rendu avant de rentrer.

Un roman noir où l’enquête est accessoire, même si elle est utile pour nous brosser, au vitriol, un portrait peu flatteur de la société hindoue dont certains sont encore plus rigides que les plus rigides anglais victoriens.

Challenge Thrillers et Polars de Sharon (2018-2019) et Le mois du Polar Chez Sharon (Février 2019).

22 réflexions au sujet de « Témoin de la nuit : Kishwar Desai »

  1. Ping : Bilan Livresque Mensuel : Février 2019 [Mois du Polar chez Sharon] | The Cannibal Lecteur

  2. Ping : Bilan du Mois du Polar chez Sharon : Février 2019 | The Cannibal Lecteur

  3. Ping : Le mois du polar 2019, c’est ici | deslivresetsharon

  4. Ah ouais… le statut de l’an femme en Inde… ou en Chine… le genre de truc qui me révulse. J’ai déjà vu quelques reportages ou quelques trucs… Beurk!

    Si les victimes du polar sont que des machos qui malmènent les femmes je veux même pas savoir qui a fait le job! Ou alors juste pour lui donner une médaille!

    Avortements sélectifs, crime « d’honneur », mariages arrangés, viols non punis même avec des preuves évidentes… enlèvement de femmes… esclavagisation des jeunes mariées par les belles familles… Je sens que c’est le genre de bouquins qui me ferait monter la tension… et MamIda, vieille féministe qui a déjà eu son content d’indignation… ben aujourd’hui elle a juste besoin de calme, de sérénité… etc… 😥

    Aimé par 1 personne

    • Ça méritait une médaille, l’assassinat de la famille, mais faudrait aussi éliminer le coupable aussi…

      Sans compter qu’à un moment, on entre dans de la pédophilie, là, même si les deux filles étaient consentantes ! Allez hop, sur l’échafaud aussi !

      Pour le calme et la sérénité, je vais voir si je n’ai pas un Oui-Oui dans mes fonds ou alors le petit traité du zen 🙂

      J’aime

      • Le consentement d’un mineur ne vaut pas car les enfants ne réalisent pas vraiment ce qu’implique ce type de relation! Donc les pedophiles ne sont pas entendables quand ils avancent cet argument pour leur défense.

        Franchement Belette ! T’aimes le glauque tu le démontres une fois de plus avec ce bouquin! 😜

        Et tu sais que moi j’aime pas trop le glauque… ou du moins ça doit rester circonscrit à la personnalité du méchant ! J’ai été trop formatée par les films américains d’M6 moi… 🤔

        Aimé par 1 personne

C'est à votre tour d'écrire !

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.