La Nuit divisée : Wessel Ebersohn [Yudel Gordon – 2]

Titre : La Nuit divisée [Yudel Gordon – 2]

Auteur : Wessel Ebersohn
Édition : Rivages Noir (1993/2016)
Édition Originale : Divide the Night (1981)
Traducteur : Nathalie Godard

Résumé :
Weizmann, petit commerçant qui tient une épicerie, vient de tuer une jeune Noire qui, selon lui, tentait de pénétrer dans sa boutique.

Or, cette jeune Noire est la huitième personne de couleur que Weizmann abat dans des circonstances analogues.

Et selon la rumeur publique, le petit commerçant laisserait, certaines nuits, la porte de son magasin ouverte pour mieux piéger ses « victimes »…

Critique :
Un roman noir se déroulant en Afrique du Sud nous fait toujours entrer dans une autre ambiance qu’un autre, comme si nous pénétrions dans une autre dimension, poussant une porte que l’on aurait aimé ne jamais ouvrir.

Pourtant, je la pousse toujours dès qu’il s’agit de Wessel Ebersohn et de son détective psychologue, Yudel Gordon.

Avec ce roman-ci, je pense que j’ai vraiment poussé une porte ultime et été le témoin d’actes dont j’aurais mieux aimé ne jamais apprendre l’existence.

N’étant pas un lapereau de l’année, je me doutais qu’elles avaient lieu, je les suspectais, l’Humain étant le champion du monde toute catégories au niveau de la cruauté et des pièges tendus aux autres.

Le premier chapitre ne nous laisse que peu de possibilités de fuite : on assiste, impuissant, à l’entrée d’une gamine Noire crevant de faim dans le piège tendu par le commerçant Johnny Weizmann : la porte de sa réserve entrouverte et la vue, pour les estomacs affamés, de paquets de biscuits.

Deux balles tirée à bout portant pour cette gamine. Pas de sanction pour l’enfant de salaud de Weizmann, si ce n’est de consulter un psychologue parce que là, ça en fait un peu de trop, de trophée de chasse humain.

Un enfant de salaud, en effet… Oui, papa Weizmann était un salaud de la pire espèce et penser que son fils, flingueur de pauvres hères, en est un aussi, c’est un pas qu’il ne faut pas franchir trop vite.

Chez l’auteur, rien n’est jamais tout à fait blanc, ni tout à fait noir et au fil du récit, on fait la part des choses, on comprend le pourquoi, même si on ne pardonne pas. Le problème est né ailleurs, les conséquences se font sentir depuis lors.

Yudel, pressentant que le commerçant va récidiver et ne le voyant plus arriver à ses séances va mener son enquête et elle ne sera pas de tout repos, l’auteur en profitant pour nous faire visiter une partie de la mentalité de l’Afrique du Sud qui ne laisse pas indemne tant la violence est banalisée et la population Noire sans droits aucun, si ce n’est de se taire et de ne rien dire. Raser les murs, aussi. Et pire encore.

Dans une société où seuls les Blancs ont le droit de s’armer, où seuls les Blancs ont des richesses, des possessions et donc, des choses à perdre lors d’une cambriolage, il est est autorisé par la loi de tirer à vue sur un cambrioleur, qu’il soit menaçant ou en fuite et si vous vous trompez de cible, pour les policiers, si la personne tuée ou touchée est Noire, et bien, on classera l’affaire.

Pousser la porte d’un roman de Ebersohn comporte toujours un risque, en plus de celui de devenir accro à ses romans, ses ambiances, son personnage atypique d’enquêteur psychologue : ici, nous ne sommes pas dans le monde des Bisounours, si dans de la SF, mais ceci est la réalité d’une société et il est un fait que le roman est glaçant.

Le lecteur prend un risque en le lisant, mais dites-vous bien que l’auteur en a pris encore plus pour l’écrire car toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire.

L’histoire se déroule en 1978… On sent, malgré tout, que le système horrible qui était en place se gangrène, qu’il n’est plus tout aussi puissant qu’avant, que le reste du Monde a porté un regard sur les émeutes de Soweto qui eurent lieu en 1976 et que l’Afrique du Sud telle qu’elle était commence à vaciller sur son piédestal.

La bête est blessée, mais avant d’agoniser, elle donne toujours des coups de crocs, de griffes et tente, malgré tout, du survivre car perdre son statut de tout puissant Homme Blanc fait peur et entraîne que la vie ne sera jamais plus comme avant.

La Nuit Divisée est un roman noir glaçant qui décrit une société pourrie de l’intérieur et un système inégalitaire qui n’a que trop duré. Tout à son enquête, Yudel Gordon nous laisse entrevoir la vie et le mode de raisonnement de certains de ses compatriotes, qu’ils soient Blancs tout puissant ou Noir et sans droits.

Un roman noir percutant et pour l’instant, le meilleur de la saga.

Challenge Thrillers et Polars de Sharon (2018-2019) et Le mois du Polar Chez Sharon (Février 2019).

35 réflexions au sujet de « La Nuit divisée : Wessel Ebersohn [Yudel Gordon – 2] »

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  4. Tiens je devrais faire pareil au bureau… laisser la porte entr’ouverte et tirer sur les gens qui entrent en disant que c’étaient des voleurs! Je sais pas si on m’enverrai chez le psy pour ça seulement au bout de la 8e fois! Et pis le tire à bout portant… dis moi… c’est compatible avec la légitime défense ça ? 🙄

    Plus sérieusement… pffff! L’apartheid c’est une période trop glauque de l’histoire pour moi. J’ai du mal avec ça… comme les romans sur la Shoah… je peux pas…

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    • En Afrique du Sud, oui… légitime défense puisqu’un blanc tue un noir… bon, nous ne sommes plus dans les années 70 ni 80, ça a pu changer depuis, ce ne serait pas une mauvaise chose.

      Même les flinguer de dos quand ils s’enfuient, c’est pas si grave que ça ! Tu dis juste que la balle à ricoché lorsque tu tirais en l’air, si jamais il a eu la mâchoire fracturée comme après un tir de face et de près…

      Pas de mise au frigo de mojito alors 🙂

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      • Nan pas de mojito! Même complètement bourrée au mojito j’aurais du mal à adhérer ! 😄

        J’ai toujours pas ouvert le bouquin sur l’histoire d’un aveugle en camp de concentration offert par ma belle mère ! Ni les œuvres complètes d’une mystique fêlée italienne (pourtant mise à l’index par le Vatican) qu’elle m’a refilée. La meuf prétendait que Jésus lui avait raconter son enfance sa vie son œuvre en direct! Et évidemment avec plein d’anachronismes prouvant la fausseté de ses propos! Moi qui ait acheté une liseuse pour ne plus stocker de papier attrape poussière me voilà fournie en brouettes et bouquins que je ne lirai jamais! Quelle horreur!

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        • Bah, tu peux toujours les brûler pour te chauffer… Moi, Jésus, il ne m’a pas raconté son enfance, ni sa vie, ni son oeuvre, mais puisque le vatican est d’ok pour accepter des textes écrits 100 ans après la disparition du prophète Jésus (là, je risque l’excommunication pour ne pas l’avoir appelé fils de dieu) et qu’ils en refusent d’autres, ils peuvent accepter celui de cette pauvre folle, non, qu’on rigole un coup ?

          Je me doutais que tu ne mojiterais pas sur ce coup là ! 😆

          On sent bien que ta belle-mère t’aime beaucoup… oui, je sors…

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