Réflexions sur la question antisémite : Delphine Horvilleur

Titre : Réflexions sur la question antisémite

Auteur : Delphine Horvilleur
Édition : Grasset (09/01/2019)

Résumé :
Sartre avait montré dans Réflexions sur la question juive comment le juif est défini en creux par le regard de l’antisémite. Delphine Horvilleur choisit ici de retourner la focale en explorant l’antisémitisme tel qu’il est perçu par les textes sacrés, la tradition rabbinique et les légendes juives.

Dans tout ce corpus dont elle fait l’exégèse, elle analyse la conscience particulière qu’ont les juifs de ce qui habite la psyché antisémite à travers le temps, et de ce dont elle « charge » le juif, l’accusant tour à tour d’empêcher le monde de faire « tout » ; de confisquer quelque chose au groupe, à la nation ou à l’individu (procès de l’ »élection ») ; d’incarner la faille identitaire ; de manquer de virilité et d’incarner le féminin, le manque, le « trou », la béance qui menace l’intégrité de la communauté.

Cette littérature rabbinique que l’auteur décortique ici est d’autant plus pertinente dans notre période de repli identitaire que les motifs récurrents de l’antisémitisme sont revitalisés dans les discours de l’extrême droite et de l’extrême gauche (notamment l’argument de l' »exception juive » et l’obsession du complot juif).

Mais elle offre aussi et surtout des outils de résilience pour échapper à la tentation victimaire : la tradition rabbinique ne se soucie pas tant de venir à bout de la haine des juifs (peine perdue…) que de donner des armes pour s’en prémunir.

Elle apporte ainsi, à qui sait la lire, une voie de sortie à la compétition victimaire qui caractérise nos temps de haine et de rejet.

Critique :
Une fois de plus, c’est grâce à « La Grande Librairie » que j’ai décidé de lire ce roman qui est aux antipodes de mes lectures habituelles.

La manière dont l’auteure avait parlé de son livre m’avait interpellé, dans le bon sens du terme car elle faisait un parallèle intéressant entre l’antisémitisme et la place de la femme dans l’Histoire.

Nous étions accusées des mêmes maux, des mêmes tares que les Juifs : hystériques, manipulatrices, opportuniste, faible…

La féminisation du Juif dans le discours politique sert généralement à faire de l’homme enjuivé un faible, ou de l’homme juif un manipulateur, un hystérique ou un opportuniste. Autant d’importations d’une rhétorique misogyne traditionnelle qui vont disqualifier un individu dans l’exercice du pouvoir.

Comme je m’en voudrais de mourir bête et que j’aime aller me coucher un peu plus « culturée », j’avais coché ce roman, bien décidée à me plonger dedans dès que je pourrais le faire.

Véritable enquêtrice, l’auteure s’est plongée dans les textes anciens, les textes bibliques, pour aller chercher une trace non seulement de la première fois où l’on utilisa le mot « Juif » (avant, on disait « Hébreu ») et d’où viendrait cette haine, le patient zéro, en quelque sorte.

Pour les commentateurs, l’histoire n’a pas commencé là, mais trouve sa source ailleurs dans un autre récit ; et ils vont donc se livrer à une exploration, presque à une enquête policière sur la piste généalogique du Juif et de son ennemi légendaire. Remontons ensemble les générations bibliques de la haine antisémite…

Au départ, l’exploration des textes de l’Ancien Testament ne m’a pas dérangé, c’était agréable à lire, j’avançais bien au pays des légendes et des histoires, même si, au fil des différents textes, l’histoire n’était pas tout à fait la même.

Je la prends pour un texte servant à m’expliquer des choses, à m’élever, à réfléchir, rien de plus. Donc, tout allait bien dans le meilleur des mondes.

En un verset, Haman offre au lecteur un parfait condensé, une illustration intemporelle de ce que sont les accusations portées contre les Juifs à travers l’Histoire : un peuple perçu comme à la fois dispersé et à part, mêlé à tous mais refusant de se mélanger, indiscernable mais non assimilable. Son particularisme est vécu comme une menace pour l’intégrité de la nation ou la puissance politique, mettant en danger la stricte égalité entre des éléments d’une nation indifférenciée. Pèse sur lui, dès lors, un soupçon de non-allégeance, qui justifie à terme son départ ou son élimination physique. À l’instant même où le Juif paraît dans le texte, surgit avec lui comme dans un même souffle, son ennemi, fruit d’une gémellité littéraire troublante. Le duo Mardochée/Haman est comme scellé dès l’origine : cherchez le Juif, l’antisémite n’est jamais très loin.

Oui, mais, à un moment donné, trop is te veel et c’était trop pour mon petit cerveau qui a décroché quelques fois car trop théologique pour la lectrice lambda telle que je suis.

Le rythme de lecture en pâtit, on surprend ses yeux à sauter des lignes et à tenter d’aller voir plus loin si le texte n’est pas plus intéressant que cette étude trop poussée pour ceux et celles qui n’y sont pas habituées.

Pourtant, tout le reste est intéressant au possible, j’ai vraiment aimé tout le reste, mais ce blocage me restera en travers de la gorge et malheureusement, mon plaisir lecture s’en est ressenti car j’aurais préféré qu’elle nous parle plus de l’antisémitisme à travers les âges du monde réel.

Au final, c’était plus facile d’écouter l’auteure parler de son livre à La Grande Librairie que de la lire. Sans pour autant remettre son travail en question car il y a des heures de boulot là derrière, ce qui est bien dommage d’avoir mis autant de peine dans la recherche et peut-être moins dans la présentation de toutes ces études des textes bibliques.

Dommage… Malgré tout, je retiendrai des choses de cette lecture et j’irai me coucher moins bête que la veille, ce qui n’est déjà pas si mal. Tout compte fait, je ne suis pas vraiment perdante sur le coup.

Il existe par exemple une distinction fondamentale entre l’antisémitisme et les autres racismes. Ces derniers expriment généralement une haine de l’autre pour ce qu’il n’a pas : la même couleur de peau, les mêmes coutumes, les mêmes repères culturels ou la même langue. Son « pas-comme-moi » apparaît au raciste comme un « moins-que-moi » ; il a tôt fait de le juger inabouti ou inférieur. Il est un barbare au sens où les Grecs l’entendaient : un homme dont le langage semble bégayer, de façon primitive et ridicule, bar… bar… Changez sa couleur de peau, gommez son accent et la haine pourrait bien disparaître ou s’apaiser. Le Juif au contraire est souvent haï, non pour ce qu’il N’A PAS mais pour ce qu’il A. On ne l’accuse pas d’avoir moins que soi mais au contraire de posséder ce qui devrait nous revenir et qu’il a sans doute usurpé. On lui reproche de détenir et d’accaparer le pouvoir, l’argent, les privilèges ou les honneurs qu’on nous refuse. On l’imagine, dès lors, propriétaire d’un « en plus » dont il nous prive.

Challenge Thrillers et Polars de Sharon (juillet 2019 – juillet 2020) – N°129.

33 réflexions au sujet de « Réflexions sur la question antisémite : Delphine Horvilleur »

  1. Ping : Réflexion sur la question antisémite de Delphine Horvilleur – PatiVore

  2. Ping : Bilan n°6 du Challenge polar et thriller 2019-2020 | deslivresetsharon

  3. Ping : Bilan n°5 du Challenge polar et thriller 2019-2020 et premier bilan de l’année ! | deslivresetsharon

  4. Ping : Bilan Livresque Mensuel : Décembre 2019 | The Cannibal Lecteur

  5. Ouh là! Ben oui c’est de la lecture ambitieuse! Cette dame est une femme Rabbin je crois, donc le texte promettait d’être écrit à partir d’une vision théologique et philosophique complexe… C’est comme si tu voulais apprendre des choses sur la vie de Jésus et que tu achetais l’illisible pavé de Benoit XVI (cadeau de ma belle mère) plutôt que celui de Jean Petitfils (historien assez accessible)!

    Le parallèle entre antisémitisme et haine des femmes m’échappe… à moins qu’on ne se focalise sur la psychologie sociale psychanalytique post kleinienne qui établissait qu’un groupe consolide toujours son unité en reprochant à un autre groupe les défauts qu’il ne veut pas voir chez lui (mais qui y sont aussi)… Quôa? Je fais encoooore mon intello? 🤓

    Hé ho! C’est toi qu’a commencé en présentant ce livre!!! 🤣😂🤣

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    • Trop théologique pour moi et pour le lecteur lambda, je pense. J’aurais aimé plus d’Histoire et moins de textes bibliques.

      Pour en apprendre plus sur les religions, je lis de temps en temps « Le Monde des Religions ». Il est accessible sans pour autant être du niveau bas de gamme. On est dans le haut de gamme mais sans coller des maux de crâne.

      On sent que ta belle-mère t’aime ! :/

      Attends, je relis ta phrase, je bois un coup et on en disserte ensuite ! 😆

      Les juifs, tout comme les femmes, sont considérés comme « manipulateur, hystérique ou opportuniste ». Les mecs le sont aussi, pas besoin d’aller voir chez les juifs ou les femmes… Mais on nous le reproche et à eux aussi. 😉

      Fais l’intello, au moins on relève le niveau du Q.I de la rue ! 😀

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    • Je ne sais pas si on sait soigner la connerie humaine… Mais on peut tenter le coup, du moins expliquer à ceux qui ne savent pas (mais qui ne sont pas dans une démarche de haine) l’origine de cet antisémitisme. Je voulais comprendre, j’ai compris certaines choses, mais j’ai l’impression que mon cerveau n’a pas eu sa dose.

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      • Oh une sorte de jalousie et de mepris qui est entree dans l’adn des gens….bref….il y a ce scandale dans une region en allemagne: des parents veulent empecher la lecture du journal d’anne Franck…cela me depasse, des fois, cette haine seculaire….

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    • Non et c’est dommage car j’attendais de cette lecture un coup de coeur, mais ça a fait pchittt…

      J’ai bien du mal à écrire ce soir, j’ai Hannibal sur mes genoux, il est couché de travers, en appui sur mon bras gauche, presque les 4 fers en l’air (il est couché sur son côté en appui sur la table). Il a eu du foie de poulet cuit, Pupuce aussi, c’était Noël pour eux.

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