Les énigmes d’Aurel le Consul – 01 – Le suspendu de Conakry : Jean-Christophe Rufin

Titre : Les énigmes d’Aurel le Consul – 01 – Le suspendu de Conakry

Auteur : Jean-Christophe Rufin
Édition : Flammarion (2018) / Folio (2019)

Résumé :
Un riche français est retrouvé assassiné, pendu par un pied au mât de son voilier dans la marina de Conakry. Tout accuse la jeune Africaine qui vit avec lui sur le bateau. Mais Aurel se met sur la piste du meurtrier et découvre une toute autre affaire.

Avec l’aide de la soeur du défunt, débarquée de France pour reconnaître le corps, il commence à assembler les pièces du puzzle.

Et, sur les pas d’Aurel on découvre en la personne du défunt un homme complexe qui, à l’image du Lord Jim de Conrad, a vu le destin lui donner l’occasion de racheter ses faiblesses passées…

Jean-Christophe Rufin, sur un mode volontiers humoristique et avec un sens consommé du récit, nous entraîne à la suite de son étonnant enquêteur, à la découverte des coulisses du travail diplomatique et d’une Afrique inattendue, sur fond de trafic de cocaïne.

Avec Aurel Timescu, il crée une figure qui pourrait nous devenir bientôt aussi familière, dans des contextes bien différents, de celles d’Hercule Poirot ou de Jules Maigret.

Critique :
Un peu de fraîcheur, ça fait du bien, même si elle n’est que littéraire et ça ne change rien à la canicule qui sévit.

Mais la fraîcheur était aussi de mise après des lectures plus éprouvantes, plus sombres.

Toute la saveur de ce roman policier tient dans son personnage principal : Aurel Timescu.

Aurel est un Roumain qui a connu les années de Ceaușescu, qui est arrivé en France, a connu des galères avant de pouvoir entrer au Quai d’Orsay et le voilà devenu Consul de France.

Mais quel consul… Il a une dégaine qui vaut le déplacement avec son style années 30 et son pardessus alors qu’il est en Guinée et qu’il y fait chaud. Son boulot, c’est de ne rien faire, de rester dans son placard où il n’a accès ni à un PC, ni à Internet, ni même à un téléphone. Il traîne une réputation épouvantable et personne ne veut de lui.

Le problème, comme toujours, c’était l’accent. Avec sa voix qui déraillait, ses « r » roulés et ses intonations de paysan du Danube, Aurel savait qu’il était difficile de se présenter à un inconnu au téléphone sous le titre « consul de France ». Cela sentait le canular et on lui avait plusieurs fois raccroché au nez.

Pourtant, Aurel a des passions… Le vin blanc (le Tokay), le piano et les enquêtes criminelles ! Alors, quand on retrouve un Français mort et pendu au mat de son voilier, dans la marina de Conakry, Aurel profite de l’absence de l’ambassadeur pour se livrer à une enquête.

C’est à cause (ou grâce) à #La Grande Librairie que j’ai entendu parler de l’auteur et de son personnage atypique, version Columbo mais avec des casseroles au cul, sans posséder la confiance de ses supérieurs et sans les petites phrases du lieutenant.

Il est moqué, regardé de haut, pas pris au sérieux… Pourtant, si les autres personnages se foutent de lui, ne l’invitant jamais à rien, on remarque qu’Aurel mérite d’être connu, qu’il a des choses à nous apprendre et jamais son père littéraire ne se moque de lui, ne le rabaisse, ne le tourne en ridicule.

Que du contraire, l’auteur lui donne de l’épaisseur, de la profondeur et si Aurel est fantasque, maladroit et prête à rire avec son accoutrement, c’est une belle personne à l’intérieur. Un homme qui, plus jeune, a connu la dictature et le communisme.

Il avait été élevé dans un pays désorganisé où il fallait faire la queue à tout propos. Ce qui était difficile pour lui c’était de conserver dignité et volonté dans de telles ambiances. Son premier réflexe dans la foule était de retrouver la soumission et la passivité que le monde communiste exigeait de ses sujets.

La vie l’avait doté, par la force des choses, d’une résistance inépuisable face à des vexations bien plus humiliantes. La Roumanie de Ceaușescu, où il avait grandi, était à cet égard une école d’une exceptionnelle rigueur, qui armait à jamais contre la bêtise et le mépris.

On ne va pas se leurrer, nous ne sommes pas dans de la grande littérature policière, on a déjà connu mieux en matière d’intrigue, mais le récit est cohérent, amusant, rempli de fraîcheur et l’auteur ne se prive pas pour égratigner la diplomatie française, puisqu’il sait de quoi il parle.

C’est aussi une partie de la Guinée que nous visitons, sa société, que nous apprenons à connaître et même si le colonialisme est terminé, il y a toujours de la condescendance dans le ton employé par les français envers les guinéens.

Dupertuis aimait sincèrement l’Afrique et il entretenait de véritables amitiés avec ses collègues guinéens. On l’aurait beaucoup étonné en lui faisant remarquer qu’il parlait d’eux avec une condescendance qui n’était pas tout à fait sans évoquer la mentalité coloniale.

La plume de Ruffin est des plus agréable à suivre, elle est fluide, amusante, détaillée mais sans exagérer et mes yeux avançaient tout seuls sur le papier, dévorant le récit avec avidité tant il était rafraîchissant.

Un roman policier amusant de par son enquêteur atypique, ce consul que tout le monde prend pour un imbécile alors qu’il est loin d’en être un (faut juste apprendre à le connaître), un roman policier sérieux quand il parle de diplomatie ou de la société guinéenne, le tout étant parfaitement intégré dans le récit, sans que le ton soit moralisateur ou sentencieux.

Une vraie belle découverte, inattendue et qui m’a fait un bien fou avec pas grand-chose. Juste un enquêteur atypique, un hurluberlu qui ne paie pas de mine mais qui possède assez bien de qualités, bien camouflées.

Challenge Thrillers et Polars de Sharon (du 11 Juillet 2020 au 11 Juillet 2021) [Lecture N°24].

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