Titre : Un chant de Noël – Une histoire de fantômes
Scénariste : José Luis Munuera (d’après le roman de Charles Dickens)
Dessinateur : José Luis Munuera
Édition : Dargaud (10/11/2022)
Résumé :
Londres, 1843.
Tous les habitants, les mieux lotis comme les plus démunis, s’apprêtent à fêter Noël.
Tous, à l’exception de Scrooge. Aux yeux de cette riche commerçante, insensible au malheur des autres comme à l’atmosphère de liesse qui baigne la cité, seuls le travail et l’argent ont de l’importance.
On la dit radine, égoïste et mesquine. Elle préfère considérer qu’elle a l’esprit pratique.
Et tandis que les festivités illuminent la ville et le coeur de ses habitants, Scrooge rumine sa misanthropie…
Une nuit, des esprits viennent lui rendre visite. Ils l’emmènent avec eux, à la rencontre de la jeune fille qu’elle était, quelques années plus tôt, lorsque la cupidité n’avait pas encore rongé son coeur. Mais aussi à la découverte de celle qu’elle aurait pu devenir si elle avait choisi la voie de la bonté…
Critique :
Ebenezer Scrooge est une femme ! Et quelle femme ! Capitaliste, sèche, froide, insensible, mesquine, radine, jolie, bien habillée, cynique, voilà le portrait de son pendant féminin : Elizabeth Scrooge.
Si je ne suis pas fan des récits ou romans ayant pour thème Noël, j’ai toujours adoré les ambiances miséreuses dans le roman de Charles Dickens (Un chant de Noël) ou à sa version animée, avec Picsou dans le rôle de Scrooge.
Là, au moins, nous étions avec les sans-dents, les miséreux, ceux qui n’ont pas d’argent pour fêter Noël, pour manger à leur faim, pour se chauffer… Ceux qui auraient voulu fêter dignement Noël, mais qui n’en avait pas les moyens. Les derniers de cordée, ceux qui n’ont rien trouvé en traversant la route. Comme il en existe toujours…
J’avais donc hâte de découvrir la version féminisée de Munuera. Mes premières impression sont bonnes, notamment avec les dessins, que j’apprécie. Le style de Munuera est reconnaissable, je le connais bien. Quant au personnage d’Elizabeth Scrooge, elle est magnifique de cynisme, d’égoïsme et ses réparties sont cinglantes.
Pour elle, les pauvres sont responsables de leur état, ils devraient faire moins de gosses et travailler. Ce qu’elle ne sait pas, c’est que la plupart travailler, mais ne gagnent pas assez pour faire vivre leur famille, tel Cratchit, son employé qui a 6 enfants.
Quelle est l’utilité de changer le vieux Scrooge en une jolie jeune femme ? Mais ça change tout, notamment en raison de la place des femmes dans la société anglaise des années 1830/1840. On le comprendra bien en voyant l’enfance d’Elizabeth, lorsqu’elle sera accompagnée de l’esprit des Noël passés.
Pour sortir du chemin tout tracé, elle a dû travailler plus dur, plus fort, avoir ce don avec les chiffres et ne rien laisser passer, alors qu’un homme, lui, aurait eu bien plus facile, juste parce qu’il a un truc qui pendouille entre les jambes.
Les femmes, elles, se devaient d’être des mères, des épouses dévouées, de prendre soin de leur mari, ou de leur père. Une femme soumise, rien de plus. Elle s’est battue et le résultat est cette personnalité aigrie. Elle avait le choix entre être une sainte ou une sorcière.
L’auteur fustige aussi la société anglaise, capitaliste, l’exploitation de l’Homme par l’Homme : quelque uns, super riches, sont responsables d’une multitude d’autres. Le pouvoir est détenu par les riches industriels et ils font la pluie et le beau temps, cherchant à engranger toujours plus de profit.
Scrooge aussi ne cherche qu’à augmenter sa fortune, mais ce n’est ni pour le bien d’autrui, ni pour son bien-être à elle.
La revisite de ce conte de Noël était une riche idée et elle est plus que réussie, parce que notre Elizabeth est bien plus cynique, plus têtue que le Scrooge masculin de Dickens. Elle n’a pas peur de dire qu’elle n’est pas responsable de la mort du petit Tiny Tim et d’accuser le Dieu auquel les gens croient.
Je ne spolierai pas la fin, qui n’est pas celle du roman, on ne change pas une telle personne aussi vite… ou alors juste un peu ?
Que l’on ne s’y trompe pas, dans cette magnifique histoire, il n’y a pas que les graphismes qui soient réussis !
Le scénario de Munuera est très bien trouvé et il a le mérite de nous faire réfléchir sur nous même, qui ne sommes guère différents de cette Elizabeth, qui porte des œillères et qui ne se préoccupe que d’elle-même, comme nous le faisons souvent.
Cet album dépasse le roman original, nous apportant un autre enseignement que celui de Dickens, où son Scrooge devenait un homme bon, en une seule nuit. La version de Munuera est plus réaliste, plus crédible, plus dans l’air du temps et son message n’est pas si misanthrope que cela.
Brillant !
Le Challenge « Les textes courts » chez Mes Promenades Culturelles II (Lydia B – 80 pages).