Titre : Les Patriotes
Auteur : Sana Krasikov
Édition : Albin Michel (21/08/2019)
Édition Originale : The Patriots (2018)
Traduction : Sarah Gurcel
Résumé :
Alors que les États-Unis sont frappés par la Grande Dépression, Florence Fein, à seulement 24 ans, quitte Brooklyn pour une ville industrielle de l’Oural, dans la toute jeune URSS.
Elle n’y trouvera pas ce qu’elle espérait : un idéal d’indépendance et de liberté. Comme de nombreux Refuzniks, son fils Julian, une fois adulte, émigre aux États-Unis. Des années plus tard, en apprenant l’ouverture des archives du KGB, il revient en Russie et découvre les zones d’ombre de la vie de sa mère.
Entremêlant époques et lieux, ce premier roman magistral de Sana Krasikov nous plonge au cœur de l’affrontement Est-Ouest en explorant, à travers le destin de trois générations d’une famille juive, l’histoire méconnue de milliers d’Américains abandonnés par leur pays en pleine terreur stalinienne, et les conséquences de nos choix individuels sur la vie de nos enfants.
Critique :
Les patriotes, c’est une grande fresque familiale qui va s’étaler sur plus de 70 ans (de 1934 à 2008) et nous faire faire un grand écart entre les États-Unis et l’URSS (sur une mappe monde, l’écart n’est pas énorme, mais prenez un planisphère et vous comprendrez).
Florence est comme bien des jeunes, elle a un idéal, a des objectifs nobles, elle veut être utile, a de grands idéaux. Bien souvent, les grands idéaux se terminent vite, une fois qu’on a compris que l’on est peu de choses.
Hélas Florence, est dans le déni et ne veut jamais comprendre que le communisme et l’URSS ne sont pas aussi beaux et grands qu’elle l’avait imaginé, qu’on lui avait vendu. Bien souvent, j’ai eu envie de lui renverser de l’eau sur le crâne, afin qu’elle se réveille.
Dans ce roman, l’autrice met en scène une vie ordinaire, celle de Florence, une immigré juive en provenance des États-Unis, parlant le russe, ainsi que celle d’autres personnages, qu’elle croisera au fil de sa vie dans cette URSS qui lui a tout volé, dans ce système sans logique, dans cette grande machine à broyer les êtres humains, afin de nourrir la grande machine bureaucratique du parti-État stalinien…
Si j’ai toujours été attirée par la Russie, l’URSS et son système totalitaire, celui mis en place par Staline, me donne toujours envie de vomir et de partir en courant. Dans le récit, l’illogisme des décisions est bien expliqué, il est implacable, vous faisant passer, en peu de temps, de héros à un traitre à la patrie.
Diviser pour régner, régner par la peur, par la force, par les dénonciations, par les purges, pas les ordres implacables, sans logique. Vous contestez ? Paf, une balle. Vous vous plaignez ? Paf. Vous faites preuve de pas assez de zèle dans votre mission ? Paf aussi. Trop de zèle ? Paf, comme le chef du NKVD, Nikolaï Iejov, en fit l’expérience.
La paranoïa règne en maître et dans ce genre de régime, pas de place pour l’entre-deux. Leur vision est primaire, binaire. Vous êtes soit « avec eux » ou « contre eux ». Prosoviétiques ou antisoviétiques, cet état d’esprit primitif ne laisse aucune place à la neutralité. Avec eux, c’est l’enfer ou le paradis, pas de place pour le purgatoire, pas de place pour la neutralité, pour le « pas d’avis ».
Hélas, cet état d’esprit binaire n’est jamais loin de nous, on le revoit souvent remonter à la surface lors d’événements importants ou tragiques. La majorité attend de vous que vous suiviez la meute et son opinion générale. Elle n’admet pas que vous soyez le cul entre deux chaises, incapable d’émettre un jugement pour ou contre, alors que vous, vous voudriez juste avoir plus de données, plus de temps, moins d’émotions, pour émettre un avis.
Non, le système binaire n’admet comme réponse que oui ou non, que je suis avec vous ou contre vous, mais pas de « oui, mais… ». La diversité d’opinion, ce n’est pas bon, comme ce l’était du temps de l’autre moustachu parano, assassin de son peuple, qui continuait de le révérer, parce qu’il avait été endoctriné, le cerveau lessivé et parce que critiquer le système, le gouvernement, la machine implacable, c’était un aller-simple pour la mort ou pour un camp de travail.
J’ai beau avoir lu des récits des exactions cette grande machine à broyer les êtres humains, cela me glace toujours autant, surtout quand mon cerveau fait des connections avec notre époque actuelle, où, comme dans ce système totalitaire, des gens s’arrogent le droit de dire ce qu’il faut expurger de la littérature, en retirer ce qui n’est pas bon, pas propre, pas reluisant, comme des mots insultants (N word), ou en ôter les pages sombres de l’Histoire humaine. Réécrire les livres, les traduite autrement…
En URSS aussi, des gens disaient ce qu’on pouvait lire ou ne pas lire, de la littérature étrangère et attention, le vent tournait vite. Mais c’est bien connu, ce n’est pas la girouette qui tourne, c’est le vent. Et le système tourne très vite, faisant de vous un traître alors que vous n’avez fait que respecter les ordres donnés. Faisons gaffe de ne jamais faire revivre un tel système chez nous.
Si au départ, j’avais trouvé Florence un peu fade, rêveuse, engoncée dans le déni, à un moment du récit, elle m’a coupé les jambes lorsqu’elle dénoncera une personne, afin de sauver sa famille, parce qu’elle s’est fait un film dans sa tête, parce que le salopard en face d’elle a bien su jouer avec ses peurs primaires. C’est violent, on a envie de l’engueuler, de la clouer au pilori, et puis, vient la question horrible : qu’est-ce que j’aurais fait, moi ? Ce ne serait sans doute pas glorieux !
Dans ce gigantesque récit, il y a eu des passages qui m’ont ennuyés, qui étaient moins intéressants que d’autres, ce qui a rendu cette lecture un peu laborieuse. Nous sommes face à une brique de 608 pages et lorsque le récit n’avance plus, les pages se tournent plus lentement et on ne se voit pas avancer. J’ajouterai aussi que je n’ai eu que peu d’empathie pour les personnages…
Malgré ces bémols, cette lecture m’a remué les tripes, notamment lorsque j’ai encore relu les exactions du système stalinien, porté par toute une horde de sans grades, prêt à faire leur sale boulot et à appliquer les règles iniques, illogiques, pour ne pas perdre leur place, sans aucun doute et se retrouver du mauvais côté de la table. Certains y ont aussi pris goût, à ce petit pouvoir sur les autres…
La propagande du système m’a retourné l’estomac, surtout qu’elle a toujours lieu, et que j’ai vu des jeunes écolières écrire des lettres aux soldats russes qui font la guerre aux ukrainiens. Et il n’y a pas que là-bas que la propagande est toujours en place.
Mettre les pieds à Perm, dans un camps de prisonniers réduit à pire que des esclaves m’a aussi fait frémir, à nouveau. Dans ces camps, les morts ne comptaient pas, il y en avait plein d’autres pour les remplacer. En Russie communiste, la vie d’une personne ne valait rien.
Cette lecture me marquera durablement, comme l’ont toujours fait les romans (fiction ou autobiographique) qui parlent du système stalinien, des goulags, des interrogatoires où les agents du NKVD écrivait l’histoire eux-mêmes et vous extorquait une signature ensuite, sans vous laisser la possibilité de vous en sortir, puisque qu’elle que soit votre réponse, elle était mauvaise, ou alors, ils vous la retournaient dans la figure, transformée, et vous enfonçait encore plus dans l’absurde.
Un roman fort, une grande fresque, où j’ai apprécié les personnages sur la fin, quand je les ai mieux compris.
Challenge Thrillers et Polars de Sharon (du 12 Juillet 2022 au 11 Juillet 2023) [Lecture N°160] et Le Mois du Polar, chez Sharon – Février 2023 (N°43 – FIN).
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Intéressant ! Je note !
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Brave fille ! 🙂
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😆
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Le sujet m’intéresse. Je note.
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Bien vu ! 🙂
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Et bin tu en as sur ton coeur didonc….oui cela reste un pan horrible de l’Histoire….detruire toute opposition….en tout cas tout un livre….
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Oui, j’ai plus vidé mon sac que de causer du roman, mais il m’a fait cet effet là, ils me font tous le même effet : dégoût, horreur, colère, peur,…
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Tout a fait….c’est pour cela que j’evite de les lire…;)
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Et que moi, je continue de les lire :p
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L’ex-URSS, le communisme ont fait tellement de « bien » à la Pologne que mon grand-père, en 1945, a choisi de ne surtout pas retourner dans son pays de naissance, après trois années en Allemagne. Cap à l’ouest !
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La Pologne, après avoir eu les nazis, elle s’est tapée les communistes…. le pays a trinqué et les habitants encore plus
Je pense que j’aurais fuis à toute jambe aussi !
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C’est exactement ce qu’ils (=mes grands-parents) ont fait, et ils ne voulaient surtout plus entendre parler du communisme !!!!
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Communisme, fascisme, mêmes horreurs
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Tu nous avais présenté il y a quelques temps un bouquin ou des gens de l’ouest partaient vivre en URSS, patrie des idéaux généreux pour descendre de leur carrosse et se vautrer dans une dictature en pénurie ! Décidément les témoignages se rejoignent… quelle surprise ! 😂
Les états totalitaires c’est toujours binaire. CQFD!
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Oui, c’était un roman de Antonio Garrido : Le dernier paradis !
Et pareil dans « Le Chant d’Haïganouch » de Ian Manook.
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