Lagos lady – Amaka Thriller 01 : Leye Adenle

Titre : Lagos lady – Amaka Thriller 01

Auteur : Leye Adenle
Édition : Métailié Noir (2016) / Points Policiers (2017)
Édition Originale : Easy Motion Tourist (2016)
Traduction : David Fauquemberg

Résumé :
Mauvaise idée de sortir seul quand on est blanc et qu’on ne connaît rien ni personne à Lagos; Guy Collins l’apprend à ses dépens, juste devant le Ronnie’s, où il découvre avec la foule effarée le corps d’une prostituée aux seins coupés.

En bon journaliste, il aime les scoops, mais celui-là risque bien de lui coûter cher : la police l’embarque et le boucle dans une cellule surpeuplée, en attendant de statuer sur son sort. Le sort, c’est Amaka, une splendide Nigériane, ange gardien des filles de la rue, qui, le prenant pour un reporter de la BBC, lui sauve la mise, à condition qu’il enquête sur cette vague d’assassinats.

Entraîné dans une sombre histoire de juju, la sorcellerie du cru, notre journaliste à la manque se demande ce qu’il est venu faire dans cette galère, tandis qu’Amaka mène la danse en tant qu’épatante femme d’action au milieu des notables pervers.

Hôtels chics, bars de seconde zone, jungle, bordels, embouteillages et planques en tout genre, Lagos bouillonne nuit et jour dans la frénésie highlife; les riches font tinter des coupes de champagne sur Victoria Island pendant que les pauvres s’entretuent à l’arme lourde dans les bas quartiers.

Critique :
« Rythme d’enfer avec des personnages impeccablement brossés », disait le bandeau-titre à l’arrière de la version poche.

Le rythme n’était pas d’enfer, d’ailleurs, un rythme trop élevé aurait nuit au récit. Un roman noir, ça se savoure, ça se déguste lentement. Attention, le récit ne manquait pas de rythme, loin de là, mais il était équilibré : ni trop rapide, ni trop lent.

Dans ce genre de roman, il ne faut pas bâcler les préliminaires, les lecteurs doivent avoir le temps de s’imprégner des atmosphères de la ville de Lagos, de ses quartiers miséreux où règnent la violence, sans oublier ses quartiers riches où vivent des gens qui s’en sont mis plein les fouilles grâce à la corruption ou autres trafics pas nets.

Quant aux personnages, en effet, ils étaient bien brossés, même si le journaliste anglais était un peu mou du genou, un peu crétin aussi, tandis que la jolie Amaka avait des couilles pour trois. Je me demande même si elle n’en avait pas pour plus que 3…

Mais au moins, les méchants n’étaient pas de ceux d’opérette, ils n’avaient rien de risibles, c’étaient des truands, ordinaires ou sadiques, devenu tels quels parce qu’ils n’ont pas eu le choix pour survivre ou parce que c’était le plus facile comme job, même si l’on ne fait pas vieux os et que la retraite, c’est souvent une balle que l’on se prend dans le buffet (et avant 64 ans).

M’est avis que le syndicat d’initiative ne sera pas content de la mauvaise pub que ce roman fait au pays : le Nigéria n’était pas dans mon top ten des destinations de rêves et il ne le sera jamais (surtout après cette lecture).

Ici, même si notre journaliste crèche dans un bel hôtel, ce que l’auteur nous montre, c’est ce que vous ne verrez jamais sur une carte postale ou dans un reportage d’échappées belles.

Ce que l’on voit a plus sa place dans une émission de reportage d’investigation où l’on dénonce la corruption, la violence, la politique pourrie (pléonasme, pardon), les flics véreux (on n’a pas envie de se faire arrêter par eux), le fétichisme, les croyances, la sorcellerie, la misère dans laquelle on a poussé des gens, obligeant les femmes à se prostituer pour payer des frais d’hospitalisation, pour pouvoir manger, se payer des études…

Notre journaliste n’avait pas l’intention d’enquêter sur les trafics du pays, ni sur les crimes rituels, ni sur les pratiques des policiers : il s’est juste trouvé au mauvais endroit, au mauvais moment. C’est la belle Amaka, qui, en le sortant de ce mauvais pas, va lui raconter ce qu’elle fait, ce qui se passe dans son pays et lui proposer d’écrire un article sur le sujet.

Ce roman noir, sombre, n’est pas difficile à lire, l’écriture de l’auteur va au plus simple, directement, sans fioritures, sans mettre des gants, avec de temps en temps une touche d’humour, d’ironie. Les phrases se lisent toutes seules et ce roman a été lu en deux petits jours à peine, tellement il prenait aux tripes.

Malheureusement, il a manqué des émotions. Malgré le côté badass d’Amaka (ou à cause de ça ?), je suis restée en retrait par rapport aux personnages et je n’ai pas vraiment su m’attacher à eux.

Ceci ne m’a pas empêché de profiter de ma lecture et de mon incursion en territoire Africain. J’ai apprécié le voyage, en sécurité dans mon canapé. Au moins, l’auteur ne sombre jamais dans le pathos.

Un premier roman qui laisse augurer que le suivant puisse être meilleur… Ah oui, c’est un problème : la suite au prochain épisode ! Là, j’ai moins aimé, car le lecteur n’est pas prévenu au départ. Oui, je savais qu’il y avait deux tomes avec Amaka, mais pas qu’il faudrait lire le deuxième pour savoir ce qu’il en sera de son combat contre un certain Malik…

Un roman noir où la vérité est bien cachée, ou tout le monde porte un masque, où les allégeances changent plus vite que le vent, où les balles sifflent et où les flics sont aussi terribles que les truands (si pas plus terribles).

Challenge Thrillers et Polars de Sharon (du 12 Juillet 2022 au 11 Juillet 2023) [Lecture N°XXX] et Le Mois du Polar, chez Sharon – Février 2023 (N°1X).

Publicité

Les Sept crimes de Rome : Guillaume Prévost

Titre : Les Sept crimes de Rome

Auteur : Guillaume Prévost
Édition : 10-18 (2006)

Résumé :
Rome, décembre 1514. A quelques jours de Noël, un jeune homme décapité est découvert sur la statue de Marc Aurèle. Une inscription au sang signe le crime : « Eum qui peccat… », « Celui qui pèche… ».

Peu après, c’est un vieillard qui est retrouvé sur le Forum, nu, mort et attaché à une échelle. La colonne de Trajan dévoile son funèbre secret, et la fin de la sentence : « … Deus castigat », « … Dieu le punit ». La sanglante mise en scène ne fait que commencer…

Installé au Vatican depuis peu, occupé à ses travaux d’anatomie, de peinture ou d’optique, Léonard de Vinci se passionne pour l’affaire.

Avec l’aide de Guido, un jeune étudiant en médecine, le peintre tente de démasquer un assassin qui montre autant d’intelligence à égarer les soupçons que de cruauté à exécuter ses victimes.

Un policier machiavélique qui, des mystères de la bibliothèque Vaticane aux secrets des ruines antiques, nous entraîne dans un jeu de piste haletant, savant et macabre.

Critique :
1514… Non, ce n’est pas la date où ce polar historique est entré dans ma biblio, même si ça faisait bien 500 ans qu’il y prenait les poussières…

Nous sommes en décembre 1514, à Rome et des crimes horribles ont lieu dans la ville où le pape siège. On a retrouvé un homme décapité, mais pas sa tête… Puis d’autres crimes suivront, tous violents.

Ne me demandez pas pourquoi je n’ai pas lu ce roman plus tôt… Ni pourquoi il a fini dans une caisse. Le hasard m’a fait retomber dessus et j’en ai profité pour le lire.

Alors que je m’attendais à une lecture lente et ennuyeuse (me demandez pas pourquoi cet apriori), c’est tout le contraire qui est arrivé et les 280 pages sont passées assez vite, sans que jamais je ne piquasse du nez dessus.

Cette enquête, si elle ne va pas à l’allure d’un cheval au galop comme pour un thriller, elle se déroule tout de même à une allure de marche rapide, sans qu’il y ait trop de temps mort.

L’écriture de l’auteur est simple, sans être simpliste et il a réussi le subtil équilibre entre polar et histoire. Pas de doute, nous sommes à Rome en 1514, on le ressent bien dans le récit, mais sans que cela vienne polluer l’enquête.

Les personnages sont bien faits aussi : Guido Sinibaldi, le jeune étudiant en médecine n’est pas un branquignole, même s’il fait ses débuts en tant qu’enquêteur, quant à Leonard de Vinci, ce fut un véritable plaisir de le côtoyer (pour du faux, je ne suis pas contemporaine de son époque).

D’ailleurs, par bien des aspects (déguisements, enquête, recherche des indices, bluff), il m’a fait penser à un Sherlock Holmes, le talent pour la peinture en plus.

Le suspense est bien maîtrisé, l’enquête avance d’un bon pas, mais sans aller trop vite (là aussi, il faut savoir équilibrer) et l’explication finale arrivera avant la dernière page, afin que l’on puisse recevoir les explications et courir un peu à la poursuite de la personne coupable (que je n’avais pas vu venir).

Si le mobile est classique (ils ne sont pas légion non plus), la mise en scène était recherchée. Les crimes, en plus de ne pas être banals, avaient de la logique et de la recherche. Il y en avait aussi dans la manière qu’a eue l’auteur pour nous raconter tout cela.

Le petit incident qui arrive à la fin m’a fait rire, je l’avoue… Limite si je me suis pas esclaffée. Le Vatican m’excommuniera pour cela, mais je m’en tape ! Bravo, Leonard !

Par contre, je mérite d’aller au coin pour avoir laissé ce chouette polar historique croupir dans mes étagères avant d’aller dans une caisse de rangement. Là, honte à moi.

Challenge Thrillers et Polars de Sharon (du 12 Juillet 2022 au 11 Juillet 2023) [Lecture N°131], Le Mois du Polar, chez Sharon – Février 2023 (N°14) et Le Challenge « Le tour du monde en 80 livres chez Bidb » (Madagascar).

Commissaire Llob – 02 – Morituri : Yasmina Khadra

Titre : Commissaire Llob – 02 – Morituri

Auteur : Yasmina Khadra
Édition : Folio Policier (1999 / 2008)

Résumé :
Au pays de l’impunité, les requins mettent les bouchées doubles. Dans Alger la délétère où règnent le totalitarisme religieux, les dignitaires véreux et les néo-beys aux mains sales, le commissaire Llob est un idéaliste qui s’obstine à rester intègre et s’oppose à la barbarie. Ce n’est pourtant pas une époque à mettre un flic dehors…

D’une désespérante noirceur, Morituri dénonce l’intégrisme, ses prêches d’une virulence absolue et son implacable haine à l’encontre du monde entier, mais aussi la corruption omniprésente et le danger d’un pays où les intellectuels et les opposants sont exécutés sans préavis.

“Plus rien ne sera comme avant. Les chansons qui m’emballaient ne m’atteindront plus. La brise musardant dans les échancrures de la nuit ne bercera plus mes rêveries. Rien n’égaiera l’éclaircie de mes rares instants d’oubli car jamais plus je ne serai un homme heureux après ce que j’ai vu.

Critique :
Dans ce roman noir, nous allons voyager dans une Algérie bien trouble : les barbus sont là, l’islamisme et l’intégrisme règnent, tout le monde a peur, des intellectuels et d’autres se font assassiner…

Bref, pour ceux qui sont honnêtes, qui ne veulent pas manger de ce pain là, qui n’ont pas soif de pouvoir, de fric, de sang, les temps sont durs.

Le commissaire Llob fait partie de ceux qui regrettent la splendeur de l’Algérie d’avant, sa fierté, sa douceur de vivre et qui maintenant, marchent en vérifiant qu’il n’y a personne dans leur dos. Lui est honnête et intègre.

La première chose que j’ai apprécié, dans ce polar noir, c’est la plume de l’auteur, que je ne connaissais pas : acide, cynique, peuplée de métaphores bien tournées qui m’ont données l’impression de lire du Frédéric Dard, les allusions sexuelles en moins (même s’il y en aura, mais c’est minime) et la recherche des tournures de phrases en plus.

Le récit est trash et sans détours. L’auteur ne s’embarrasse du politiquement correct et son commissaire n’en a rien à foutre de ce qu’on pense de lui. Il est désabusé et ne se prive pas pour lancer des piques ou des réponses assez froides à ses interlocuteurs.

L’affaire, au départ, semble assez simple et basique : le commissaire Llob est engagé par Ghoul Malek, un ancien homme politique pour mener l’enquête sur la disparition de sa fille pourrie gâtée de seize ans. Raté, c’est dans un sacré nids de vipère que le commissaire va mettre les pieds, le tout dans un pays ravagé par la violence, la corruption, les magouilles en tout genre.

Si au départ, j’ai été enchantée de ma lecture, arrivé à un moment, j’ai eu l’impression que le récit n’avançait plus et que l’auteur en profitait pour critiquer le régime de ces années noires. Il a raison, je ne lui donne pas tort, l’enquête n’étant là que pour nous plonger dans ces horreurs, tout au long du récit.

Oui, mais, à un moment donné, je me suis perdue, tellement c’était décousu et près avoir décroché durant quelques chapitres, j’ai réussi à raccrocher les wagons sur la fin.

Il faut donc savoir que ce roman noir n’est pas un roman avec une enquête ciselée, comme un polar ordinaire, mais juste une enquête pour que l’auteur puisse critiquer le régime, tout en contournant la censure.

Durant ses pérégrinations, notre commissaire nous promènera dans le haut de la société, où l’on fait des fêtes, où l’argent coule à flot, avant de nous expédier dans les bas-fonds où règnent les drogues, la misère, la pauvreté et où les ruelles sont de véritables coupe-gorges. Bref, des endroits loin des cartes postales touristiques !

Malgré le fait que je me sois perdue à un moment donné, cette lecture ne fut pas un fiasco et je ne regrette pas d’avoir découvert ce roman : j’ai aimé sa plume, ses expressions, son commissaire désabusé, le côté politique et le grand écart entre les soirées huppées et les ruelles pauvres (mais les deux sont fréquentées par des requins et des voleurs).

Challenge Thrillers et Polars de Sharon (du 12 Juillet 2022 au 11 Juillet 2023) [Lecture N°123], Le Mois du Polar, chez Sharon – Février 2023 (N°06) et Le Challenge « Le tour du monde en 80 livres chez Bidb » (Algérie).

Mystere Sankolo : Mamady Koulibaly

Titre : Mystere Sankolo

Auteur : Mamady Koulibaly
Édition : L’Harmattan (2010)

Résumé :
Qui a pu commettre l’assassinat de Mme Sokokamis? Comment a-t-il opéré? Et pour quel mobile? Sankolo est surpris avec un couteau dans la chambre de Mme Sokokamis.

Mais l’homme, qui a séjourné dans maints asiles d’aliénés et cases de guérisseurs, se dit innocent…

Critique :
Comme je lis peu de littérature africaine (on ne peut pas tout lire), dès que l’occasion se présente, j’essaie de récupérer cette lacune. Ici, c’était avec un roman policier comportant moins de 100 pages (quasi une nouvelle).

L’auteur explique, en préface, que deux lecteurs de son précédent roman (La cavale du marabout) lui avait fait remarquer que le coupable n’avait pas vraiment été identifié, que ce n’était pas parce qu’on avait retrouvé Sankolo, le fils de la victime, avec un couteau ensanglanté en main, qu’il était le véritable coupable.

L’auteur a donc décidé de donner une suite à son roman et l’inspecteur va interroger tout le monde, mener ses investigations, tout en s’occupant d’une affaire de vols d’un autre côté.

L’auteur a beau dire, dans sa préface, qu’il s’est nourri de romans policiers, qu’il a regardé les séries de l’Inspecteur Derrick et du lieutenant Columbo, cela n’en fait pas pour autant un professionnel du polar… Sinon, ce serait trop facile : avec ce que j’ai biberonné comme polars en tout genre, je serais la reine.

Oui, mais voilà, il faut savoir les écrire, les romans policiers ! Donner du souffle à l’enquête, aux personnages, faire du pays (la Guinée) ou de la ville (village) un protagoniste à part entière.

Hélas, durant ma lecture, j’ai eu l’impression de lire une nouvelle policière non aboutie en matière d’écriture, de scénario, de gestion du suspense et de construction de personnages. Les dialogues n’étaient déjà pas folichons, quant aux personnages, ils étaient fadasses, sans profondeur, sans épaisseur.

Tout le roman manquait de sel, de sucre, de gras, d’épices… Heureusement qu’il n’était pas long, sinon, j’aurais abandonné ma lecture bien avant la fin.

Bon, une lecture non concluante et décevante. Pas grave, il me reste d’autres auteurs africains à découvrir.

Challenge Thrillers et Polars de Sharon (du 12 Juillet 2022 au 11 Juillet 2023) [Lecture N°120], Le Mois du Polar, chez Sharon – Février 2023 (N°03) et Le Challenge « Le tour du monde en 80 livres chez Bidb » (Guinée).

Le bateau-usine : Takiji Kobayashi et Gô Fujio

Titre : Le bateau-usine

Scénaristes : Takiji Kobayashi et Gô Fujio
Dessinateur : Gô Fujio

Édition : Akata (2016)
Édition Originale : Kanikôsen (2006)
Traduction :

Résumé :
Dans les années 20, au Japon… L’industrialisation du pays fait rage, tandis qu’en Russie, la Révolution vient de s’achever.

Au port de Hakodate, c’est l’effervescence : le bateau-usine s’apprête à partir en mer, pour pêcher des crabes qui seront revendus à prix d’or. Mais les ouvriers-pécheurs ne se doutent pas encore du destin qui les attend…

Exploités, battus et spoliés par Asakawa, l’intendant du navire qui ne pense qu’aux bénéfices de l’entreprise qu’il représente, ils vivront un véritable enfer quotidien.

Pourtant, quand le bateau échappe au naufrage, grâce à l’aide d’un chalutier russe, les esprits commencent à s’échauffer.

Un jeune étudiant, influencé par les romans de Dostoïevski, décide de prendre la tête d’un mouvement de rébellion… La grève est ouverte !

Critique :
La littérature engagée, j’aime ça. Quelque soit son support. Ici, c’est roman issu de la littérature japonaise, publié en 1929 (et interdit ensuite), qui est adapté en manga.

L’auteur du roman original est décédé en 1933, d’une crise cardiaque, soi-disant, mais les marques sur son cadavre font tout de suite penser à ses proches qu’il est mort de la torture… Ambiance.

Ce manga parle du capitalisme dans ce qu’il a de plus extrême : pour que les actionnaires gagnent plein de pognon, il faut que des pauvres types crèvent en travaillant dans des conditions épouvantables.

Le rendement, quoiqu’il en coûte ! Voilà le maître mot d’Asakawa, l’intendant du bateau-usine qui pêche des crabes sur la mer du Kamtchtka, rivalisant avec les Russes. Pour l’intendant, c’est une guerre économique contre les Russes.

[…] c’est un duel entre le peuple de l’empire du Japon et les Russkofs… si jamais on perdait, alors les jeunes Japonais que vous êtes, avec vos couilles ballantes, vous n’auriez plus qu’a vous ouvrir le ventre et vous jeter dans la mer du Kamtchatka.

Coups, menaces, privations, travail dans des conditions terribles, pire qu’au goulag (ou « aussi pire »), malades obligés de bosser, bouffe infâme, pendant que le capitaine, l’intendant et les autres, se goinfrent de mets succulents, pour aller les vomir ensuite, vu que la mer, parfois, est démontée…

Même les ouvriers, dans leur trou à merde, au fond de la cale, on bien du mal à garder leur bol de riz dans l’estomac.

Dans ce manga, aucun personnage n’est plus mis en avant qu’un autre. Pas un héros, mais des ouvriers pauvres, qui n’ont pas le choix que de bosser sur ce navire, des hommes qui vont se révolter, tenter de se serrer les coudes pour mettre fin à cette tyrannie.

L’union fait la force, c’est bien connu, mais avant d’y arriver, à cette union, il faudra bien des brimades, bien des coups, bien des morts… avant que les 400 marins ne se rendent compte qu’ils sont bien plus nombreux que l’intendant.

Unir les gens est la chose la plus difficile qui soit, tandis que les désunir est si facile, comme le fera l’intendant, en mettant les pêcheurs et les ouvriers chargés de mettre les crabes en boîte en compétition. Et ça marche toujours !

Les seules choses qui aient un prix, sur ce bateau-usine, ce sont les boîtes de crabes, destinées à l’élite, certaines à l’empereur. Dans ces boites de crabes, il y a surtout le sang, la sueur et les morts des ouvriers, des pêcheurs.

L’autre chose qui a de la valeur, c’est le rafiot sur lequel ils naviguent : ce dernier est assuré pour une somme plus élevée que sa valeur. Autrement dit, il rapportera plus d’argent en faisant naufrage qu’en naviguant. Le ton est donné.

Récit d’une descente aux enfers où les pauvres gars embarqués sur cette galère se demanderont, à un moment, s’il n’aurait pas mieux valu mourir au départ. Les conditions de travail vont devenir de plus en plus dures, laissant les ouvriers épuisés, à tel point que les accidents de travail augmentent.

Un manga dont la lecture ne laissera personne indifférent, sauf peut-être les gros actionnaires (hommes ou femmes), qui ne s’enrichissent que sur le dos des autres, tels des tiques sur le dos d’un chien.

Il est à souligner que dans ces bateaux-usines, les intendants étaient des Japonais, qui se comportaient en esclavagiste envers d’autres Japonais, le tout pour le bien du pays. Ce n’était pas le fait d’étrangers donc !

Juste pour rappeler que bien souvent, le Mal vient de ses propres dirigeants, de ses propres intendants, patrons…. et qu’ils sont de la même nationalité que ceux qu’ils exploitent. Le véritable ennemi, ici, c’est le capitalisme et les étrangers ne sont pas responsables.

Diviser pour mieux régner, c’est un classique qui marche toujours. Exploiter les plus pauvres, ceux qui n’ont pas le choix, et les dresser l’un contre l’autre, c’est le combo gagnant pour cet intendant et pour tous les exploiteurs.

Un excellent manga, qui prouve, une fois de plus, que les mangas, ce ne sont pas que pour les ados et que ce ne sont pas des « trucs avec des mecs bourrins dedans ». Non, ici, c’est juste la mise en image d’un roman qui était lui même la mise en phrase des horreurs qui avaient lieu dans les bateaux-usines.

Le pire est que ces pratiques ont toujours lieu, quelque part dans le monde, dans d’autres pays, pour que des sociétés fassent de superprofits sur des vêtements, de l’alimentation, le tout, au détriment de gens qu’elles exploitent et de la Nature qu’elles foutent en l’air.

Pas de soucis, tout va très bien, madame la marquise !

Je m’appelle Livre et je vais vous raconter mon histoire : John Agard

Titre : Je m’appelle Livre et je vais vous raconter mon histoire

Auteur : John Agard
Édition : Nathan (2014)
Édition Originale : My Name is Book
Traduction : Rose-Marie Vassallo

Résumé :
Des tablettes sumériennes à l’arrivée de l’e-book, Livre présente avec beaucoup d’humour son autobiographie. Et sa vie se lit comme un roman !

Les 20 petits chapitres se savourent comme des friandises : Livre nous apprend qu’il a eu sa période rock and roll pendant des siècles, que grâce aux Romains il a eu un dos en bois, que les moines l’ont enluminé au Moyen Âge, qu’il a un faible pour la lettre « P » – celle qui « évoque tant de bons moments de sa vie » : papyrus, parchemin, papier, presse d’imprimerie, poche, publication. et aussi qu’il a une capacité de résistance et un vrai sens de la famille avec son frère, e-book !

Critique :
Nous en possédons des tas dans nos bibliothèques, les librairies en regorgent, les bibliothèques publiques aussi, mais sait-on vraiment d’où vient le livre ?

Non, il ne vient pas que de la librairie ou de chez l’imprimeur… Là, on vous parle de son histoire, de son origine, de son évolution.

Imaginez qu’il a commencé par être en argile, avec quelques signes gravés dessus et qu’il est maintenant au stade numérique. Si ce n’est pas une évolution, ça !

Ce petit livre à la couverture rigide se lit tout seul, facilement, il est plus à destination des enfants (12 ans et plus, et même un peu moins) que pour les adultes, mais je vous assure que malgré mes 4 fois 10 ans, j’ai pris plaisir à le lire et à découvrir l’évolution du livre.

Oh, je savais certaines choses, certains détails, mais ma mémoire en avait oublié et une petite mise à jour ne fait jamais de mal à personne.

C’est le livre lui-même, qui se fait le narrateur de son histoire et il nous la conte de manière agréable, sans s’attarder sur des détails, nous racontant son évolution en allant au plus juste, sans pour autant lui retirer toute sa substance.

L’écriture est simple, elle est destinée pour les plus jeunes, avant tout, sans pour autant être simpliste ou gnangnante. On s’adresse tout de même à des enfants qui ont un cerveau et qui veulent le développer, pas en nivelant par le bas.

Les illustrations sont jolies, simples et quelques citations émaille les pages, qui se tournent très vite. Oh, nous voici déjà avec la confrontation entre le livre papier et sa version e-book. Là, j’ai souri parce que le dialogue entre eux était des plus réaliste, mais aussi des plus drôles.

Mélange de documentaire, d’essai, d’histoire et de conte, ce petit livre est un bonbon que l’on suce avec plaisir et qui se termine trop vite.

C’est le genre de livre que l’on a envie de lire à voix haute, à des enfants, pour leur expliquer l’Histoire du livre, pour leur montrer tout la chance qu’ils ont de pouvoir en trouver à tous les coins de rue, disponibles pour toutes les bourses, même les moins nanties, puisque des biblios publiques existent (l’horreur lorsqu’on les ferme).

De leur dire aussi qu’ils vivent dans une époque pas encore trop trouble, même si l’on entend encore que l’on brûle des livres, qu’on les met à l’index parce qu’ils parlent de faits que certains voudraient oublier, ou qu’on n’en parle plus, ou qu’ils jugent le récit trop dur pour leurs chérubins, les pauvres bambins ado qui ne peuvent pas connaître toute la noirceur du Monde, des humains.

Ou tout simplement se détendre en lisant un bon livre, sans se prendre la tête…

Un livre à lire, à se prêter, à lire à voix haute, à faire passer.

Le Challenge « Le tour du monde en 80 livres chez Bidb » (Gyana).

L’hibiscus pourpre : Chimamanda Ngozi Adichie

Titre : L’hibiscus pourpre

Auteur : Chimamanda Ngozi Adichie
Édition : Folio (2016)
Édition Originale : Purple Hibiscus (2003)
Traduction : Mona de Pracontal

Résumé :
Kambili a quinze ans. Elle vit à Enugu, au Nigeria, avec ses parents et son frère Jaja.

Son père, Eugene, est un riche notable qui régit son foyer selon des principes d’une rigueur implacable. Sa générosité et son courage politique en font un véritable héros de sa communauté.

Mais Eugene est aussi un fondamentaliste catholique, qui conçoit l’éducation de ses enfants comme une chasse au péché. Quand un coup d’Etat vient secouer le Nigeria, Eugene, très impliqué dans cette crise, est obligé d’envoyer Kambili et Jaja chez leur tante.

Les deux adolescents y découvrent un foyer bruyant, plein de rires et de musique. Ils prennent goût à une vie simple, et ouvrent les yeux sur la nature tyrannique de leur père. Lorsque Kambili et son frère reviennent sous le toit paternel, le conflit est inévitable…

Critique :
Kambili, 15 ans, est une jeune fille avec laquelle il est difficile de se lier d’amitié : elle parle peu, s’enfuit en courant une fois que la cloche de l’école à sonnée et semble être un fantôme, comme si elle n’existait pas.

Il me fut difficile de m’attacher à elle, alors que son frère, Jaja, est plus présent, bien que ce ne soit pas lui que l’on suive dans ce roman. Quant à leur Tatie Ifeoma, elle, c’est un personnage marquant, flamboyant.

L’intégrisme religieux chez les catho dans une société africaine… Voilà comment on aurait pu nommer ce roman.

Eugène, le père de nos deux personnages, est plus catholique que le pape, plus catholique que Saint-Antoine et d’une rigidité exacerbée. Benoît XVI est moins rigide que lui, je parie ! On aurait d’ailleurs plus de chance de croiser le Benoît en tutu rose, faisant des entrechats sur la place Saint-Pierre que de voir l’Eugène sourire (ou même rire).

Le péché est son cheval de bataille. Il le traque partout, surtout chez lui. Ils ont la parabole pour la télé, mais ne la regarde jamais. Sans doute n’était-ce pas la bonne parabole (oups, un péché, j’ai fait de l’humour).

La musique ? Oui, dans la voiture, on écoute l’Ave Maria. Et puis de temps en temps, l’Ave Maria et, coup de folie ultime, l’Ave Maria (et non Lavez Maria, oups, encore un péché). Les mecs, ne vous branlez pas, sinon, vous finirez avec les deux mains dans un bol d’eau trèèèès chaude.

Bref, le père de ces enfants est un homme intransigeant. Il a la main lourde et je peux vous assurer que certains passages sont plus glaçants qu’une nouvelle d’épouvante de Stephen King ! Et son épouse qui fait comme si de rien n’était. Terrible. Sans jamais sombrer dans le pathos.

Dans la patois wallon, il existe une expression pour désigner les gens tels que lui, qui d’un côté son pieu et de l’autre, violent. On dit que ce sont des mangeurs de Bon Dieu et des chieur de Diable (Mougneû d’bon Dieu èt dès tchiyeu d’jiale – impossible à écrire sans google et ce n’est pas vraiment le patois de mon bled).

Anybref, vous l’aurez compris, dans ce roman, il est beaucoup question de religion catholique, Eugène étant un peu produit du colonialisme, reniant même son père païen, baisant les pieds des missionnaires et s’étant fait tout seul. Il est riche.

Il est aussi question d’émancipation, d’ouverture d’esprit et de décalage entre Kambili et ses cousins, lorsqu’elle ira chez sa tante Ifeoma (pauvre), où l’on rit, sourit, où on écoute de la musique, où les prières avant de manger ne durent que quelques instants (et pas 30 minutes). Le décalage entre les deux mondes est énorme pour Kambili et son frère, qui s’adaptera plus vite qu’elle.

C’est aussi une page sur la culture nigériane, sur la cuisine, sur les mœurs et sur l’aspect politique. Le Nigéria est en pleine révolution estudiantine, il est aussi question des riches qui ont la possibilité de fuir le pays, laissant là les autres, les pauvres. De savoir s’il faut se battre et risquer de perdre le peu que l’on a, ou continuer de courber l’échine et de tenter de passer entre les gouttes.

N’allez pas croire que les choix sont faciles, que du contraire. Partir est aussi un acte difficile, car on abandonne sa culture, ses amis, sa famille.

Les points faibles de ce roman, ce sont l’écriture assez froide et la lenteur du récit qui va sans se presser. C’est plus réaliste, je sais, plus naturel que les choses prennent le temps de bouger, mais il n’aurait pas fallu 100 pages de plus, sinon, c’était l’enlisement.

Les quelques coups de fouet qui claquent (au sens figuré) ne sont pas assez nombreux pour donner du rythme à l’ensemble et le récit retombe ensuite dans l’apathie.

Dommage, parce qu’avec un peu plus de rythme et n style moins froid, ce roman aurait une claque plus forte. Il l’est déjà de par ce qu’il nous raconte, cette plongée dans un pays dont nous ne connaissons que peu de choses (si pas « rien ») et au cœur d’une famille où le père est un tyran qui lit la Bible (et vous frappe avec).

En fait, ce qui tire le récit vers le haut, c’est Tatie Ifeoma et ses enfants. Eux, ils m’ont marqué et je leur réserve une petite place dans ma mémoire.

Malgré ma mini déception, cette lecture n’est pas un foirage, que du contraire. C’est une réussite puisque je suis sortie de mes sentiers littéraires habituels, que j’ai découvert un autre pays, une autre culture et que cela m’a donné envie de lire d’autres romans de l’autrice.

Le Challenge « Le tour du monde en 80 livres chez Bidb » (Nigéria).

Karoo boy : Troy Blacklaws

Titre : Karoo boy

Auteur : Troy Blacklaws
Édition : Points (2008)
Édition Originale : Karoo boy (2004)
Traduction : Pierre Guglielmina

Résumé :
Noël 1976. Le frère jumeau de Douglas meurt accidentellement. Fils désormais unique d’une famille blanche et aisée, Douglas doit quitter le paradis du Cap pour s’installer avec sa mère dans la région aride de Karoo.

Il se retrouve brutalement plongé dans une communauté où l’apartheid est présent au quotidien. Au cœur des ténèbres, il trouvera pourtant un peu de réconfort entre la radieuse Marika et le vieux Moses, un Noir qui rêve de terre promise…

Critique :
Puisque j’avais bouffé de la ségrégation à la sauce américaine, je me suis dit qu’il était temps de prendre l’air et d’aller faire un tour ailleurs, en Afrique du Sud, là où l’apartheid règne encore et toujours (nous sommes en 1976).

Le Cap. Là où vivent les jumeaux, Douglas et Marsden, c’est la belle vie : plages, océan, écoles privées, quartiers résidentiels et personnel Noir pour faire les sales besognes.

Leur plage est White Only, bien entendu. Les enfants n’en ont pas vraiment conscience. Leur père n’est pas un raciste pourtant, il a même donné une trempe à ses gamins qui s’étaient moqué de leur jardinier Noir. Mais ils sont les complices de ce système.

Un accident, une perte terrible, va faire basculer la famille, la faire exploser de l’intérieur et Douglas va se retrouver, avec sa mère et leur bonne, dans le quartier de Karoo, loin du Cap et de ses plages, dans une région aride de l’Afrique du sud profonde, là où l’apartheid est bien plus visible.

C’est un roman sur l’apprentissage, sur le deuil impossible à faire : des parents qui perdent un enfant, un enfant qui perd son jumeau, une partie entière de lui-même.

C’est aussi l’apprentissage de la vie dans un autre quartier, où l’on devient tête de Turc des autres, parce que l’on vient d’une belle ville, qu’on était surfeur. Pour les gamins de son école, il est une tapette, un pédé. Pour les profs, il faut être capable de tuer des animaux, de les disséquer, sinon, vous deviendrez une femmelette, un pédé, de nouveau.

C’est aussi l’apprentissage, pour Douglas, de ce qu’est le racisme, l’apartheid et c’est violent. Dans son quartier, il ne s’en rendait pas vraiment compte, là, il se heurte à ces non-droit pour les Noirs, en devenant copain avec un vieux pompiste.

Je m’attendais à un roman encore plus sombre, encore plus violent, vu les sujets traités. N’allez pas croire que c’est gentillet, non, non, loin de là, mais cela aurait pu être encore plus sombre dans le récit.

Hélas, il a manquer des émotions dans l’écriture. Nous sommes tout de même face à la perte accidentelle d’un enfant de 14 ans et d’un frère jumeau, je m’attendais donc à avoir les larmes aux yeux à un moment donné. Ben non.

Ce récit est émaillé de multiples mots en afrikaner et en xhosa, et au lieu d’en avoir la traduction en bas de page, il faut se reporter sans cesse au glossaire de fin d’ouvrage, ce qui n’est pas pratique du tout. Pas rédhibitoire, mais plus ennuyeux.

Dans l’ensemble, ma lecture fut agréable et ce roman s’est terminé trop vite, sans pour autant se terminer mal. Il permet avant tout de se faire une idée de ce qu’il se passait en Afrique du Sud à la fin des années 70, quand l’apartheid était toujours présent, mais que les Noirs commençaient à en avoir plus qu’assez des dénigrements des Blancs, d’être leurs larbins et de ne pas pouvoir se déplacer sans laisser-passer.

On sent qu’une page est en train de se tourner, qu’elle prendra du temps, mais que la révolte gronde…

Une écriture sans artifices, sans pathos, sans fioritures, sans effet de manche. Parfois, j’ai trouvé le ton assez froid, mais dans l’ensemble, ce fut une belle découverte.

Le Challenge « Le tour du monde en 80 livres chez Bidb » (Afrique du Sud).

Un Afghan à Paris : Mahmud Nasimi

Titre : Un Afghan à Paris

Auteur : Mahmud Nasimi
Édition : Les Editions du Palais (17/04/2021)

Résumé :
Mahmud Nasimi a quitté l’Afghanistan en 2013 laissant derrière lui un pays en guerre, son pays, sa famille et ses amis. Arrivé à Paris en 2017, il a dû affronter à nouveau la vie de « réfugié », les nuits dans la rue, la solitude, le désespoir.

Il ne parlait pas le français, ou si peu, et un jour ses pas l’ont porté au cimetière du Père Lachaise. Là, « il a fait connaissance avec un glorieux peuple de l’ombre », il s’est fait des amis, Balzac, Proust, Eluard… Il a feuilleté leurs romans, leurs poèmes, en a recopié des phrases, en a appris d’autres par cœur.

Dans cette langue qu’il a faite sienne, il a bâti ce récit où s’entremêlent bonheur et douleur, où il évoque les meurtrissures d’une vie, ses rêves et ses espoirs, dans une langue poétique aux images venues d’ailleurs.

Critique :
Lorsque j’avais écouté l’auteur à La Grande Librairie, son histoire m’avait touchée.

Voilà un homme qui avait dû fuir son pays, l’Afghanistan, laisser toute sa famille sur place, ses amis, pour faire un voyage qui n’a rien d’une partie de plaisir et aboutir en France, avec le statut de réfugiés et dormir sur les trottoirs.

Une de mes plus grandes craintes serait de me retrouver sur les chemins de l’exil, de quitter mon pays pour chercher refuge ailleurs, dans un pays dont je ne parle pas la langue.

De son voyage, l’auteur en parlera peu, se focalisant plus sur ses souvenirs d’enfant heureux qui n’aimait pas l’école, sa vie auprès de sa grand-mère qui l’aimait et de son oncle qui avait la main lourde, sans oublier ses quelques galères en France.

Ce qui m’avait le plus ému, sur le plateau de La Grande Librairie, c’était que cet homme, qui ne parlait pas un mot de français (et qui n’aimait pas lire), ait commencé à s’intéresser à la littérature après avoir vu un buste de Balzac, au Père-Lachaise.

Aidé d’un traducteur sur son téléphone, il va commencer à lire sur la vies des grands auteurs enterrés là-bas, à Brel, ainsi qu’à leurs romans ou les chansons du Grand Jacques. Je veux bien parier qu’il a lu plus d’auteurs classiques que moi ! De plus, il était capable de réciter de belles poésies, là où ma mémoire plante royalement.

Hélas, je n’ai pas retrouvé ces émotions dans son récit autobiographique. Il me semble même qu’il en a raconté plus sur le plateau de l’émission que dans son roman (qu’il a écrit en français, je lui tire mon chapeau). Mince alors, c’est un comble.

Malgré tout, je retiendrai cette belle leçon de vie que l’auteur nous offre, ça capacité à ne pas baisser les bras, face aux administrations lentes, très lentes et inhumaines.

Putain, c’est déjà une galère quand, belge dans ton pays, parlant la langue, tu as besoin de renouveler ta carte d’identité ou d’obtenir une prime pour des travaux…. La lenteur est exaspérante et parfois, on se croirait dans un Astérix, où les fonctionnaires romains l’envoyaient d’Hérode à Pilate…

Là où moi je perds patience et tout optimisme, lui a gardé le sien (comment il a fait ??), célébrant le pays qui l’a accueilli, même s’il a dû dormir par terre, dans des conditions qu’on ne souhaiterait même pas à un chien. Effectivement, lorsqu’ensuite on s’en sort, tout est bien qui fini bien, mais ce n’est pas toujours le cas pour les autres.

Ce récit autobiographique d’un homme pour sa nouvelle terre d’accueil fut une belle lecture, malgré mes émotions que je n’ai pas retrouvées, et très intéressante. Le préfacier avait raison, ce n’est pas un simple écrit d’un réfugié, c’est plus que ça.

C’est un récit qui permet de relativiser nos petits malheurs, d’ouvrir une belle page sur les bienfaits des lectures, de la culture, du partage, un cri d’amour pour la France et la Belgique, sur les bienfaits de l’amitié, sur l’exil qui n’est jamais facile, sur sa famille qui lui manque…

C’est aussi le récit d’un homme qui s’est pris en main, qui a compris les bienfaits des études, de l’apprentissage et qui s’est tenu droit, là où les autres se courbaient.

Le Challenge « Le tour du monde en 80 livres chez Bidb » (Afghanistan).

Voyage au bout de l’enfance : Rachid Benzine

Titre : Voyage au bout de l’enfance

Auteur : Rachid Benzine
Édition : Seuil Cadre rouge (07/01/2022)

Résumé :
Fabien est un petit garçon heureux qui aime, le football, la poésie et ses copains, jusqu’au jour où ses parents rejoignent la Syrie.

Ce roman poignant et d’une grande humanité raconte le cauchemar éveillé d’un enfant lucide, courageux et aimant qui va affronter l’horreur.

Critique :
C’est ce qu’on peut appeler une lecture bouleversante, bourrée d’émotions fortes et remplie de tristesse.

Comme quoi, on peut faire un roman court, mais intense. Comme quoi on peut, en 96 pages, nous montrer une partie de l’horreur du régime islamique de Daesh, ainsi que l’inhumanité des camps de réfugiés.

Sans trop de préambules, l’auteur nous plonge directement dans la vie d’un couple de français qui se sont convertis à l’Islam et sont ensuite parti en Syrie, combattre pour Daesh et pour vivre dans ce qu’ils pensent être le paradis sur Terre pour les musulmans.

Las, je pense que même l’Enfer est mieux que ce qu’ils découvrent au fur et à mesure. Le problème est qu’ils ont un enfant, Fabien, devenu Farid, qui lui, n’a rien demandé. Notre garçon aime le foot et surtout la poésie. Lui, tout ce qu’il voudrait, c’est revenir en France, retrouver ses grands-parents, ses copains et son prof, Monsieur Tannier.

Hélas, l’État Islamique veut faire de lui un assassin, un enfant soldat, un égorgeur, un tueur, un parfait soldat du Djihad et au pire, un martyr qui se fera sauter avec une ceinture d’explosifs.

Ce court roman montre combien il est facile d’embrigader les gens, de leur mentir, ou tout simplement de leur laisser se faire un film tout seuls, pensant dur comme fer que là où il vont aller, ils seront mieux, qu’ils seront respectés, compris, qu’ils pourront vivre leur nouvelle foi de la meilleure manière qu’il soit.

Faux et archi faux, sauf si vous avez vraiment l’âme d’un assassin et que cela vous fait kiffer d’égorger du mécréant, de les assassiner, de les torturer…

Raconté du point de vue du petit Fabien/Farid, qui va passer quelques années chez les fous furieux de Daesh et ensuite, finir dans un camp de réfugiés, ce petit roman est encore plus intense, puisque raconté à hauteur des yeux d’un enfant qui ne comprend pas ce qui lui arrive et qui se raccroche à la poésie pour ne pas sombrer.

Si les passages chez Daesh sont violents, horribles et inhumains, l’auteur fait en sorte de ne pas sombrer dans le pathos inutile, racontant simplement ce qu’il en est chez eux, le traitement réservé aux femmes devenues veuves et aux enfants, que l’on endoctrine.

Les passages consacré à la vie dans un camp de réfugiés sont tout aussi violents, rempli d’inhumanité, de délations, de privations, de manque d’hygiène, de tortures, mais jamais l’auteur ne fait l’erreur de surdoser l’indicible, sans pour autant nous édulcorer ses propos.

L’équilibre est parfait, ni trop, ni trop peu. Le résultat est que votre âme se liquéfie, que votre coeur se brise en pensant à tous ces enfants de nos pays qui sont toujours enfermés là-bas, nos populations (et nos dirigeants), ne voulant pas qu’ils reviennent, puisqu’ils sont partis.

Oui, mais ce sont des enfants, personne ne leur a demandé leur avis, personne ne s’est soucié d’eux. Les laisser mariner dans de telles conditions, dans de tels endroits, les abandonnant à leur triste sort, c’est peut-être prendre le risque que leurs convictions, celles qu’on leur a enfoncé de force dans le crâne, ne s’ancrent un peu plus, faisant d’eux, ensuite, des parfaits petits terroristes, ivres de vengeance.

Un roman poignant, court et intense. On pourrait trouver qu’il est trop court, j’aurais aimé en apprendre plus, surtout avec la plume de cet auteur qui est allé visiter des camps, qui sait de quoi il parle.

Un petit concentré d’émotions fortes qui m’a brouillé la vue à bien des moments.