Le manuscrit de Birkenau – Auschwitz 02 : José Rodrigues dos Santos

Titre : Le manuscrit de Birkenau – Auschwitz 02

Auteur : José Rodrigues dos Santos 🇵🇹
Édition : HC (2021) / Pocket (06/10/2022)
Édition Originale : O Manuscrito de Birkenau (2020)
Traduction : Adelino Pereira

Résumé :
Une approche totalement nouvelle de l’Holocauste où J.R. dos Santos donne la parole à ceux qui l’ont perdue.

Le grand magicien Herbert Levin, sa femme et son fils ont été déportés à Auschwitz où ils tentent de survivre. Le soldat Francisco Latino a réussi à se faire engager dans l’armée SS pour tenter de retrouver sa fiancée russe enfermée, elle aussi, dans les camps de la mort.

Ils ne savent pas encore qu’ils vont devoir coopérer pour survivre. Et les choses se compliquent lorsque les prisonniers du Sonderkommando commencent à préparer un soulèvement majeur et que Levin se retrouve au cœur de la révolte.

Critique :
Ce roman est la suite du Magicien d’Auschwitz, que j’avais déjà apprécié, mais ce second tome est bien plus oppressant que le premier puisqu’il se déroule intégralement dans le camp de concentration de Birkenau.

Comment écrire un roman historique, tout en étant dans le fictionnel, sans trahir la mémoire des personnes qui ont été assassinées en masse dans ce camp ?

Comment décrire l’indicible, sans que le récit ne devienne si horrible que l’on répugnerait à le lire ? Faut-il édulcorer la vérité ou pas ? Pour moi, il me semble que non… Sinon, à quoi bon écrire un livre sur le sujet des camps d’extermination…

L’auteur a donc réussi ce subtil équilibre d’un récit qui en dit beaucoup, qui entre dans l’indicible, sans édulcorer, sans toutefois en arriver à trop de détails horrible qui donnerait envie au lecteur d’arrêter sa lecture et de placer ce livre dans le freezer, tel Joey (Freinds) avec les romans éprouvants. J’ai déjà fait de même (au sens figuré, bien entendu).

Pourtant, après que notre magicien, Herbert Levin, fut placé dans l’unité des Sonderkommando, je vous avoue sans honte que j’ai stoppé ma lecture afin de regarder une série policière légère (mais pas trop) avant d’aller dormir.

C’était effroyable, ce passage où Herbert découvre les milliers de cops morts dans la chambre à gaz, ainsi que le moment où il faut y faire entrer les nouveaux arrivants…

Pour assassiner à grande échelle (industriellement) tout un peuple (et d’autres), il faut déjà faire preuve d’une froideur sans nom, mais y impliquer les personnes que l’on génocide aussi, là, il faut être d’un sadisme sans nom… Et si au départ Levin est sonné, horrifié et tout ce que vous voulez, ensuite, au bout de quelques jours, comme les autres, il agit mécaniquement, sans réfléchir.

Dans ce poste barbare, soit la personne bugue et on l’assassine froidement, soit elle survit en fermant les yeux et en travaillant mécaniquement, en fermant son esprit, son cœur et en agissant comme un robot.

Il n’y aura pas que ces passages qui seront éprouvants, mon coeur s’est serré aussi lorsque l’on annonce aux prisonniers du camp des familles qu’ils vont y passer aussi, alors que eux, après 6 mois de présence à Birkenau, avaient très bien compris où partaient tous les nouveaux arrivants… Des femmes, des enfants, soi-disant des ennemis du peuple allemand… Je n’ai pas encore compris.

La force de ce roman, c’est qu’il est basé sur des faits réels, sur des témoignages historiques, que la plupart des personnages, y compris Herbert Levin, ont existé. La seul entorse est que Levin n’a pas été affecté aux Sonderkommando et qu’il n’a pas donné de spectacle de magie devant des dignitaires du camp. Francisco Latino,  croisé dans le premier tome, n’a pas existé, mais est inspiré d’autres personnages.

Son autre force c’est que jamais il ne sombre dans le manichéisme, alors que cela aurait été si facile de faire des nazis des vilains méchants pas beaux, sadiques de la pire espèce.

Alors oui, le personnage du Malakh HaMavet (Otto Moll) est un salopard, il était ainsi, on n’allait pas le changer, mais les autres sont plus en nuance et l’on voit des soldats nazis avoir du mal à envoyer les enfants du camp des famille dans la chambre à gaz… Attention, ce moment d’humanité n’exonère pas leurs crimes, loin de là, mais au moins, ce n’étaient pas tous des machines à assassiner.

Oui, ce roman m’a mis le coeur en vrac, plusieurs fois, mais une fois la pause faite, je n’ai plus lâché le récit, il me fallait aller jusqu’au bout et découvrir l’horreur, une fois encore. Je suis plus chanceuse que celles et ceux qui s’y trouvaient, je n’allais donc pas faire ma petite nature, même si j’ai trinqué, notamment lors du dernier morceau du roman… Terrible. Le choc…

Les témoignages sur cette période sombre, il en existe beaucoup, mais seuls les survivants ont pu témoigner (et encore, tous et toutes ne l’ont pas fait). Les morts ne parlent pas, ne témoignent pas. Ils sont silencieux pour l’éternité.

Hors, seuls ceux et celles qui ont vécu la shoah jusqu’au bout auraient pu témoigner de l’horreur de la chambre à gaz, de ces milliers corps qui se bousculent, qui s’écrasent, qui cherchent de l’air…

Idem dans les Sonderkommando, qui étaient des témoins qu’il fallait éliminer et hélas, les survivants n’ont pas été nombreux à parler, trop honteux de ce qu’ils avaient dû faire. Le pire du pire n’a pas laissé de témoins, juste quelques testaments enterrés dans le camp.

Cette lecture est d’utilité publique, même si elle ne fera pas changer d’avis les négationnistes ou les nouveaux nazis de notre époque.

Un roman fort, terrible, sans concession, qui mordra dans vos chairs, dans votre âme et qui relate, avec pudeur, avec émotion, la dure réalité des camps de concentration, d’extermination et de ce génocide industriel, accompli par des êtres humains.

Maintenant, j’ai deux envies : la première étant d’en apprendre un peu plus sur les Sonderkommando et la seconde, c’est de lire de la littérature jeunesse légère pour me remettre de mes émotions…

Un puissant sentiment de culpabilité et de honte s’était emparé de Levin, et certainement aussi de ses compagnons. Ils évitaient les regards des autres. Ils avaient collaboré à la mort de ces gens. Leur propre peuple. Ils étaient complices. Et en échange de quoi ? D’une journée supplémentaire de vie, dans le confort du Block 13, d’une douche chaude, d’un estomac bien rempli et de quelques gorgées de pálinka volée.

Culpabilité et honte. Comment lui, Levin, qui se considérait intègre et équilibré, qui respectait tout le monde et qui avait passé une grande partie de sa vie à faire sourire et à émerveiller les gens, avait-il pu emmener des cadavres de bébés jusqu’à un four en échange de ce confort ? Il avait vu dans cette salle des femmes semblables à sa Gerda et des enfants comme son Peter ! Et qu’avait-il fait ? Ce que les Allemands lui avaient ordonné. Culpabilité et honte.

« Je pense que nous ne devrions lire que les livres qui nous mordent et qui nous transpercent, a écrit Franz Kafka. Si le livre que nous lisons ne nous secoue pas, ne nous réveille pas d’un coup de poing sur le crâne, à quoi bon le lire ? […] Un livre doit être une hache qui brise la mer gelée qui est en nous. » C’est à ça que servent les romans, c’est pour ça que j’en écris, et c’est pour ça que j’ai écrit celui-ci, et que je l’ai fait de cette façon.

Le Mois Espagnol et Sud Américain – Mai 2023 – Chez Sharon [Fiche N°11].

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Le soldat désaccordé : Gilles Marchand

Titre : Le soldat désaccordé

Auteur : Gilles Marchand
Édition : Aux Forges de Vulcain (1/08/2022)

Résumé :
Paris, années 20, un ancien combattant est chargé de retrouver un soldat disparu en 1917. Arpentant les champs de bataille, interrogeant témoins et soldats, il va découvrir, au milieu de mille histoires plus incroyables les unes que les autres, la folle histoire d’amour que le jeune homme a vécu au milieu de l’enfer.

Alors que l’enquête progresse, la France se rapproche d’une nouvelle guerre et notre héros se jette à corps perdu dans cette mission désespérée, devenue sa seule source d’espoir dans un monde qui s’effondre.

Critique :
Un ancien Poilu qui enquête pour retrouver un disparu durant la Der des Der, c’est un peu comme dans « Gueules d’ombre » de Lionel Destremau, mais contrairement à ce roman, celui-ci, je l’ai adoré !

Sa mission ? Retrouver, pour le compte de Mme Joplain, son fils Émile, qui n’est jamais revenu de la guerre… Oui, mais, nous sommes en 1925, un peu tard, non ?

Le nom de notre ancien Poilu, qui a perdu sa main gauche durant le conflit, nous ne le connaîtrons jamais, mais cela ne m’a posé aucun problème.

Son enquête, minutieuse, va le mener de piste en souvenirs des uns et des autres et après moult interrogations, il va entendre des récits du front, les anciens se livrant facilement à cet enquêteur, lui qui a connu les tranchées comme eux et qui en est revenu mutilé.

Durant son enquête, notre mutilé sans nom, va comprendre que la mère a caché l’existence d’une femme qu’il aimait et il se rendra compte aussi que cette affaire va lui permettre de passer en revue ses souvenirs de guerre, guerre dont il n’est jamais vraiment sorti, lui qui voulait faire son devoir, à tel point qu’il refusa les permissions…

Un roman sur la Première Guerre Mondiale, mais aussi un roman d’amour, une belle histoire qui prend encore plus de d’ampleur lorsque l’on est sur un champ de bataille ou sur le No Man’s Land, sous les obus, la mitraille…

Dans ce roman de 200 pages, on va à l’essentiel, mais l’auteur n’hésite pas à donner de l’épaisseur aux personnages secondaires, à tel point qu’on les voit, qu’on les entend nous raconter leurs souvenirs. Ils ont pris corps, ils sont réalistes. Tout, d’ailleurs, dans ce roman, est d’un réalisme à couper le souffle et jamais l’histoire d’amour ne deviendra guimauve.

L’écriture de l’auteur est belle, agréable à lire et certains néologismes m’ont fait penser à Frédéric Dard, auteur qui avait pour habitude de créer des verbes à partir de mots (comme « Pompefunébrer »).

En 1925, la France fêtait sa victoire depuis sept ans. Ça swinguait, ça électroménageait, ça jazzait, ça cinématographiait, ça mistinguait. L’Art déco flamboyait, Paris s’amusait et s’insouciait. Coco Chanélait, André Bretonnait, Maurice Chevaliait.

Un roman qui se lit trop vite, qui se termine trop rapidement, tant j’aurais encore bien passé du temps avec le mutilé sans nom, ses souvenirs, ses pensées un peu naïves, mais jamais imbéciles, ses anecdotes sur l’après guerre, où l’on apprendra que des villages se sont battus pour récupérer des morts afin de pouvoir les noter sur leur monument…

Si on avait su qu’un boche c’était rien qu’un Français qui parle allemand, on aurait eu du mal à continuer à leur tirer dessus.

Des blessés, c’était pas ce qui manquait, il y en avait partout. C’est même ce qu’on faisait de mieux à l’époque : les estropiés et les morts.

On voulait des lions, on a eu des rats.
On voulait le sable, on a eu la boue.
On voulait le paradis, on a eu l’enfer.
On voulait l’amour, on a eu la mort.
Il ne restait qu’un accordéon. Désaccordé. Et lui aussi va nous quitter.

Un roman court, mais intense, beau, lucide, poétique, bref, on en redemande ! Et je le recommande.

Wake up America – Tome 1 – 1940-1960 : John Lewis, Andrew Aydin et Nate Powell

Titre : Wake up America – Tome 1 – 1940-1960

Scénaristes : John Lewis & Andrew Aydin
Dessinateur : Nate Powell

Édition : Rue de Sèvres (08/01/2014)
Édition Originale : Wake Up America
Traduction : Basile Béguerie

Résumé :
Une peinture de la société américaine des années 60, racontée à partir de la vie de John Lewis, démocrate, icône américaine, le seul encore vivant du groupe des Big Six dont faisait partie Martin Luther King.

Ce premier tome retrace le début des sits in et la mise en pratique de la politique de non violence.

Critique :
Cette série, en 3 albums, est l’autobiographie romancée du militant et député noir américain John Lewis.

Le premier volume est consacré à sa jeunesse dans l’Alabama. La ségrégation n’a plus lieu d’être, mais dans les états du Sud, c’est une seconde nature et les Blancs la pratiquent encore et toujours.

Le récit commence avec l’arrivée au pouvoir de Barak Obama et le sénateur John Lewis qui reçoit des jeunes enfants dans son bureau. Il va alors replonger dans ses souvenirs.

Au départ, l’histoire ne manque pas d’humour, avec le jeune John qui, voulant être prédicateur, se livrait à des sermons devant une congrégation des plus improbable : les poulets de la famille.

Cet album retrace une partie des combats livrés par les Afro-américains pour tenter de faire respecter leurs droits, notamment en faisant des sitin dans des cafés où l’on refusait de les servir, en boudant les bus et les commerces.

Les dessins, noir et blanc, sont réalistes et vont droit au but. Il y a une belle maîtrise graphique et j’ai adoré.

Alors non, je n’ai rien appris de neuf sur la lutte des Noirs pour obtenir des droits. J’avais déjà appris bien des choses dans le roman Power de Michaël Mention et dans Harlem Shuffle de Colson Whitehead.

Malgré tout, il n’est jamais mauvais de se les remettre en mémoire, afin de ne pas oublier les saloperies de l’Histoire (enfin, des Hommes, l’Histoire, elle, elle se laisse écrire) et de se dire que rien n’est jamais gagné pour les minorités, quand bien même une minorité est la moitié de l’humanité (les femmes), qu’il faut toujours se battre, être vigilant et que oui, à la fin, on s’épuise…

Si les droits civiques des Afro-Américains ont changé ensuite, eux aussi doivent rester éveillés et sur le qui-vive, car l’Amérique fait des bonds en arrière en matière de droits et de libertés, tout comme chez nous, en Europe.

Un comics riche en émotions, en Histoire, en combats. Un récit qu’il faudrait faire lire aux plus jeunes, qui ne savent pas ou à toutes celles et ceux qui ont la mémoire courte, sélective, qui sont dans le déni, le négationnisme, la ségrégation, la suprématie. Bien que je me demande si un jour ils changeront, ces racistes… Pas sûr, malgré tous les récits du monde.

Un comics dont j’ai hâte de lire la suite.

 

Le bateau-usine : Takiji Kobayashi et Gô Fujio

Titre : Le bateau-usine

Scénaristes : Takiji Kobayashi et Gô Fujio
Dessinateur : Gô Fujio

Édition : Akata (2016)
Édition Originale : Kanikôsen (2006)
Traduction :

Résumé :
Dans les années 20, au Japon… L’industrialisation du pays fait rage, tandis qu’en Russie, la Révolution vient de s’achever.

Au port de Hakodate, c’est l’effervescence : le bateau-usine s’apprête à partir en mer, pour pêcher des crabes qui seront revendus à prix d’or. Mais les ouvriers-pécheurs ne se doutent pas encore du destin qui les attend…

Exploités, battus et spoliés par Asakawa, l’intendant du navire qui ne pense qu’aux bénéfices de l’entreprise qu’il représente, ils vivront un véritable enfer quotidien.

Pourtant, quand le bateau échappe au naufrage, grâce à l’aide d’un chalutier russe, les esprits commencent à s’échauffer.

Un jeune étudiant, influencé par les romans de Dostoïevski, décide de prendre la tête d’un mouvement de rébellion… La grève est ouverte !

Critique :
La littérature engagée, j’aime ça. Quelque soit son support. Ici, c’est roman issu de la littérature japonaise, publié en 1929 (et interdit ensuite), qui est adapté en manga.

L’auteur du roman original est décédé en 1933, d’une crise cardiaque, soi-disant, mais les marques sur son cadavre font tout de suite penser à ses proches qu’il est mort de la torture… Ambiance.

Ce manga parle du capitalisme dans ce qu’il a de plus extrême : pour que les actionnaires gagnent plein de pognon, il faut que des pauvres types crèvent en travaillant dans des conditions épouvantables.

Le rendement, quoiqu’il en coûte ! Voilà le maître mot d’Asakawa, l’intendant du bateau-usine qui pêche des crabes sur la mer du Kamtchtka, rivalisant avec les Russes. Pour l’intendant, c’est une guerre économique contre les Russes.

[…] c’est un duel entre le peuple de l’empire du Japon et les Russkofs… si jamais on perdait, alors les jeunes Japonais que vous êtes, avec vos couilles ballantes, vous n’auriez plus qu’a vous ouvrir le ventre et vous jeter dans la mer du Kamtchatka.

Coups, menaces, privations, travail dans des conditions terribles, pire qu’au goulag (ou « aussi pire »), malades obligés de bosser, bouffe infâme, pendant que le capitaine, l’intendant et les autres, se goinfrent de mets succulents, pour aller les vomir ensuite, vu que la mer, parfois, est démontée…

Même les ouvriers, dans leur trou à merde, au fond de la cale, on bien du mal à garder leur bol de riz dans l’estomac.

Dans ce manga, aucun personnage n’est plus mis en avant qu’un autre. Pas un héros, mais des ouvriers pauvres, qui n’ont pas le choix que de bosser sur ce navire, des hommes qui vont se révolter, tenter de se serrer les coudes pour mettre fin à cette tyrannie.

L’union fait la force, c’est bien connu, mais avant d’y arriver, à cette union, il faudra bien des brimades, bien des coups, bien des morts… avant que les 400 marins ne se rendent compte qu’ils sont bien plus nombreux que l’intendant.

Unir les gens est la chose la plus difficile qui soit, tandis que les désunir est si facile, comme le fera l’intendant, en mettant les pêcheurs et les ouvriers chargés de mettre les crabes en boîte en compétition. Et ça marche toujours !

Les seules choses qui aient un prix, sur ce bateau-usine, ce sont les boîtes de crabes, destinées à l’élite, certaines à l’empereur. Dans ces boites de crabes, il y a surtout le sang, la sueur et les morts des ouvriers, des pêcheurs.

L’autre chose qui a de la valeur, c’est le rafiot sur lequel ils naviguent : ce dernier est assuré pour une somme plus élevée que sa valeur. Autrement dit, il rapportera plus d’argent en faisant naufrage qu’en naviguant. Le ton est donné.

Récit d’une descente aux enfers où les pauvres gars embarqués sur cette galère se demanderont, à un moment, s’il n’aurait pas mieux valu mourir au départ. Les conditions de travail vont devenir de plus en plus dures, laissant les ouvriers épuisés, à tel point que les accidents de travail augmentent.

Un manga dont la lecture ne laissera personne indifférent, sauf peut-être les gros actionnaires (hommes ou femmes), qui ne s’enrichissent que sur le dos des autres, tels des tiques sur le dos d’un chien.

Il est à souligner que dans ces bateaux-usines, les intendants étaient des Japonais, qui se comportaient en esclavagiste envers d’autres Japonais, le tout pour le bien du pays. Ce n’était pas le fait d’étrangers donc !

Juste pour rappeler que bien souvent, le Mal vient de ses propres dirigeants, de ses propres intendants, patrons…. et qu’ils sont de la même nationalité que ceux qu’ils exploitent. Le véritable ennemi, ici, c’est le capitalisme et les étrangers ne sont pas responsables.

Diviser pour mieux régner, c’est un classique qui marche toujours. Exploiter les plus pauvres, ceux qui n’ont pas le choix, et les dresser l’un contre l’autre, c’est le combo gagnant pour cet intendant et pour tous les exploiteurs.

Un excellent manga, qui prouve, une fois de plus, que les mangas, ce ne sont pas que pour les ados et que ce ne sont pas des « trucs avec des mecs bourrins dedans ». Non, ici, c’est juste la mise en image d’un roman qui était lui même la mise en phrase des horreurs qui avaient lieu dans les bateaux-usines.

Le pire est que ces pratiques ont toujours lieu, quelque part dans le monde, dans d’autres pays, pour que des sociétés fassent de superprofits sur des vêtements, de l’alimentation, le tout, au détriment de gens qu’elles exploitent et de la Nature qu’elles foutent en l’air.

Pas de soucis, tout va très bien, madame la marquise !

Un chant de Noël – Une histoire de fantômes : José Luis Munuera

Titre : Un chant de Noël – Une histoire de fantômes

Scénariste : José Luis Munuera (d’après le roman de Charles Dickens)
Dessinateur : José Luis Munuera

Édition : Dargaud (10/11/2022)

Résumé :
Londres, 1843.
Tous les habitants, les mieux lotis comme les plus démunis, s’apprêtent à fêter Noël.

Tous, à l’exception de Scrooge. Aux yeux de cette riche commerçante, insensible au malheur des autres comme à l’atmosphère de liesse qui baigne la cité, seuls le travail et l’argent ont de l’importance.

On la dit radine, égoïste et mesquine. Elle préfère considérer qu’elle a l’esprit pratique.

Et tandis que les festivités illuminent la ville et le coeur de ses habitants, Scrooge rumine sa misanthropie…

Une nuit, des esprits viennent lui rendre visite. Ils l’emmènent avec eux, à la rencontre de la jeune fille qu’elle était, quelques années plus tôt, lorsque la cupidité n’avait pas encore rongé son coeur. Mais aussi à la découverte de celle qu’elle aurait pu devenir si elle avait choisi la voie de la bonté…

Critique :
Ebenezer Scrooge est une femme ! Et quelle femme ! Capitaliste, sèche, froide, insensible, mesquine, radine, jolie, bien habillée, cynique, voilà le portrait de son pendant féminin : Elizabeth Scrooge.

Si je ne suis pas fan des récits ou romans ayant pour thème Noël, j’ai toujours adoré les ambiances miséreuses dans le roman de Charles Dickens (Un chant de Noël) ou à sa version animée, avec Picsou dans le rôle de Scrooge.

Là, au moins, nous étions avec les sans-dents, les miséreux, ceux qui n’ont pas d’argent pour fêter Noël, pour manger à leur faim, pour se chauffer… Ceux qui auraient voulu fêter dignement Noël, mais qui n’en avait pas les moyens. Les derniers de cordée, ceux qui n’ont rien trouvé en traversant la route. Comme il en existe toujours…

J’avais donc hâte de découvrir la version féminisée de Munuera. Mes premières impression sont bonnes, notamment avec les dessins, que j’apprécie. Le style de Munuera est reconnaissable, je le connais bien. Quant au personnage d’Elizabeth Scrooge, elle est magnifique de cynisme, d’égoïsme et ses réparties sont cinglantes.

Pour elle, les pauvres sont responsables de leur état, ils devraient faire moins de gosses et travailler. Ce qu’elle ne sait pas, c’est que la plupart travailler, mais ne gagnent pas assez pour faire vivre leur famille, tel Cratchit, son employé qui a 6 enfants.

Quelle est l’utilité de changer le vieux Scrooge en une jolie jeune femme ? Mais ça change tout, notamment en raison de la place des femmes dans la société anglaise des années 1830/1840. On le comprendra bien en voyant l’enfance d’Elizabeth, lorsqu’elle sera accompagnée de l’esprit des Noël passés.

Pour sortir du chemin tout tracé, elle a dû travailler plus dur, plus fort, avoir ce don avec les chiffres et ne rien laisser passer, alors qu’un homme, lui, aurait eu bien plus facile, juste parce qu’il a un truc qui pendouille entre les jambes.

Les femmes, elles, se devaient d’être des mères, des épouses dévouées, de prendre soin de leur mari, ou de leur père. Une femme soumise, rien de plus. Elle s’est battue et le résultat est cette personnalité aigrie. Elle avait le choix entre être une sainte ou une sorcière.

L’auteur fustige aussi la société anglaise, capitaliste, l’exploitation de l’Homme par l’Homme : quelque uns, super riches, sont responsables d’une multitude d’autres. Le pouvoir est détenu par les riches industriels et ils font la pluie et le beau temps, cherchant à engranger toujours plus de profit.

Scrooge aussi ne cherche qu’à augmenter sa fortune, mais ce n’est ni pour le bien d’autrui, ni pour son bien-être à elle.

La revisite de ce conte de Noël était une riche idée et elle est plus que réussie, parce que notre Elizabeth est bien plus cynique, plus têtue que le Scrooge masculin de Dickens. Elle n’a pas peur de dire qu’elle n’est pas responsable de la mort du petit Tiny Tim et d’accuser le Dieu auquel les gens croient.

Je ne spolierai pas la fin, qui n’est pas celle du roman, on ne change pas une telle personne aussi vite… ou alors juste un peu ?

Que l’on ne s’y trompe pas, dans cette magnifique histoire, il n’y a pas que les graphismes qui soient réussis !

Le scénario de Munuera est très bien trouvé et il a le mérite de nous faire réfléchir sur nous même, qui ne sommes guère différents de cette Elizabeth, qui porte des œillères et qui ne se préoccupe que d’elle-même, comme nous le faisons souvent.

Cet album dépasse le roman original, nous apportant un autre enseignement que celui de Dickens, où son Scrooge devenait un homme bon, en une seule nuit. La version de Munuera est plus réaliste, plus crédible, plus dans l’air du temps et son message n’est pas si misanthrope que cela.

Brillant !

Le Challenge « Les textes courts » chez Mes Promenades Culturelles II (Lydia B – 80 pages).

Les silences d’Ogliano : Eléna Piacentini

Titre : Les silences d’Ogliano

Auteur : Eléna Piacentini
Édition : Actes Sud (05/01/2022)

Résumé :
La fête bat son plein à la Villa rose pour la célébration de fin d’études de Raffaele, héritier de la riche famille des Delezio.

Tout le village est réuni pour l’occasion : le baron Delezio bien sûr ; sa femme, la jeune et divine Tessa, vers laquelle tous les regards sont tournés ; César, ancien carabinier devenu bijoutier, qui est comme un père pour le jeune Libero ; et bien d’autres.

Pourtant les festivités sont interrompues par un drame. Au petit matin, les événements s’enchaînent. Ils conduisent Libero sur les hauteurs de l’Argentu au péril de sa vie.

Critique :
Voilà un petit roman qui sentait bon le Sud, qu’il soit de l’Italie, de Sicile ou de Corse…

Le déroulement de ce récit pourrait se passer dans l’une où l’autre de ces contrées, bien que puisque l’on parle de mafia, je le situerai plus dans l’Italie du Sud ou en Sicile, celles des montagnes et des petits villages perdus où il n’y a même pas de médecin.

N’espérez pas vous la couler douce, dans ce roman, ni rester alangui sur une chaise longue, car nous sommes dans un drame et l’on va encore crapahuter dans les montagnes (on m’en veut, ces derniers temps !!!).

À Ogliano, c’est calme, le baron vient durant les vacances d’été, il est riche, blindé du fric de ses métayers et de celui que ses ancêtres ont amassé au fil des années. On se doit de le saluer, de courber l’échine, comme au temps des seigneurs médiévaux.

Le récit commence par un enterrement, celui d’un salopard, avec tout le village qui vient rendre hommage ou alors, qui vient vérifier qu’il est bien crevé, allez savoir. La bigoterie est de mise, on se doit d’aller à l’église. Le baron arrive, donne une fête pour le baccalauréat de son fils…

Bref, le récit commence gentiment, lentement. L’écriture de l’autrice était éloquente et puissante. On se doutait que sous ces belles phrases, couvait un futur drame. Un drame dont nous savions pas encore la teneur, mais qui, comme les secrets gardés par les villageois, la fameuse omerta, n’allait pas tarder à tonner, tel un coup de feu.

Oui, le récit commençait gentiment, avant de prendre un tour inattendu et de nous entraîner dans les montagnes, puis d’y subir un orage et un coup de foudre… Oui, j’ai adoré ce roman, j’ai eu le coup de foudre, le coup au cœur.

Il n’y a pas que l’écriture qui est travaillée, ciselée, dans ce roman. Les différents portraits sont passé sur l’établi de l’orfèvre, ils ont été tordus, afin de nous donner des personnages réalistes, non manichéens, torturés, se posant des questions ou enviant l’autre de ce qu’il possède (et pas toujours au niveau matériel, juste parce que l’un a un père et pas l’autre).

Chacun a son secret, ses doutes, ses blessures et elles nous seront racontées par ces personnages mêmes, dans ces chapitres qui seront consacrés à leur confession. Grâce à eux, on comprendra mieux leur psychologie, leurs regrets, leurs envies, leurs secrets, ce qu’ils ont tus et cela donnera des nuances de gris à ceux que l’on aurait bien jugé tout noirs ou tout blancs. Mais il n’en est rien…

Antigone, le roman de Sophocle, est en arrière-fond, mais il n’y joue pas un rôle de figurant, il est important dans ce récit, et c’est au fil de l’histoire que l’on comprendra ce qui lie les personnages avec ceux de celui de Sophocle.

L’épisode dans la montagne, dans l’Argentu, sera le point culminant de ce roman, m’apportant moult émotions différentes, me faisant passer de la peur ou bonheur, de l’angoisse à l’espoir, de la haine aux questionnements : et moi, qu’aurais-je fait ? Comment aurais-je réagi ? Et dans ce village, est-ce que moi aussi j’aurais fermé ma gueule contre de l’argent ? Bonnes questions…

Si Libero, jeune homme de 18 ans, personnage principal, est un personnage réaliste et sympathique, l’on ne peut qu’aimer Raffaele, le fils du baron, qui n’a rien de son père, qui parle de pardon et qui est tout aussi tourmenté que son ami d’enfance. Ils m’ont donné bien des émotions, ces deux gamins, et des plus belles.

Ce roman, je pense que je l’avais acheté à cause d’une chronique publiée sur le blog Black Novel (merci, Pierre !) et puis, je l’avais oublié. C’est grâce à une modération de chronique sur Livraddict que j’ai repensé à ce roman et que je l’ai sorti du tas… Quelle imbécile j’ai été de ne pas le sortir plus tôt, moi qui cherchais des coups de coeur, j’en avais un à portée de main.

Un roman magnifique, des personnages marquants, avec qui l’on aurait aimé se promener en montagne, juste pour le plaisir de passer du temps avec eux. Hélas, j’ai dû les laisser, le cœur brisé de devoir refermer ce roman lumineux et sombre à la fois, mais où la lumière est plus forte que l’ombre.

 

Duchess : Chris Whitaker

Titre : Duchess

Auteur : Chris Whitaker
Édition : Sonatine Thriller/Policier (05/05/2022)
Édition Originale : We Begin at the End (2020)
Traduction : Julie Sibony

Résumé :
Duchess a 13 ans, pas de père, et une mère à la dérive. Dans les rues de Cape Haven, petite ville côtière de Californie, elle ne souffre ni pitié ni compromis.

Face à un monde d’adultes défaillants, elle relève la tête et fait front, tout en veillant sur son petit frère, Robin.

Mais Vincent King, le responsable du naufrage de sa mère, vient de sortir de prison. Et son retour à Cape Haven ravive les tumultes du passé.

Quand cette menace se précise, Duchess n’a plus le choix : il va lui falloir engager la lutte pour sauver ce qui peut l’être, et protéger les siens.

Critique :
Cette année avait été assez pauvre en coup de cœur et septembre m’en offre un superbe avec ce roman sombre, violent, ce drame terrible.

Une tragédie comme savent nous offrir certains auteurs, même si l’action se déroule dans un coin de paradis californien (Cape Haeven).

Comment toute cette merde est-elle arrivée ? Pourquoi, un jour, la roue du destin s’est-elle arrêtée sur une case rouge, synonyme d’emmerdes puissance 100 à venir ? Pourquoi ce putain de hasard n’a-t-il pas été un peu plus sympa avec ces personnages qui n’avaient rien demandé à personne ?

La faute à pas de chance ? La faute à trop de facteurs ? Parce que si  Duchess n’avait pas allumé le feu, rien de tout cela ne se serait passé… Une terrible erreur qu’elle paiera au prix fort, trop fort… Mais est-elle vraiment responsable ?

Si sa mère, Star, n’avait pas été aux abonnés absents, dans l’éducation de ses enfants, si elle s’était occupée d’eux correctement, si elle avait enfin arrêté de promettre qu’elle allait changer et qu’elle l’avait fait réellement, on n’en serait pas arrivé à l’incendie.

Oui, mais si la petite sœur de Star, Sissy, n’avait pas été tuée, toute jeune, renversée par une voiture, sa famille n’aurait pas explosé… Et si Vincent King n’avait pas conduit une voiture, sans permis, sans faire attention à ce qu’il faisait, jamais il n’aurait renversé la gamine (Sissy)… Et si Star avait surveillé sa petite sœur, au lieu de courir ailleurs, rien de catastrophique n’aurait eu lieu.

Et si un jour lointain, un homme n’avait pas eu un accident de voiture, tuant son épouse et laissant sa gamine dans un état nécessitant l’utilisation d’une machine pour la garder en vie, ainsi que des soins coûteux, est-ce qu’on en serait arrivé à ces extrémités là ? Non, jamais…

Les responsables sont nombreux, bien souvent sans l’avoir voulu : un domino tombe et entraîne tout les autres. Personne ne s’en relève vraiment tout à fait, leur vie sombre dans le chaos et ce ne sont pas les quelques bouées de sauvetage que certains leur lanceront qui les aideront à ne pas boire la tasse, à respirer. Putain de destin !

Ce roman m’a entraîné dans un scénario inattendu, qui m’a emporté du soleil de la Californie au étendue du Montana et à sa neige froide. Un scénario fort sombre, comme je vous le disais. À se demander même s’il était possible d’avoir une lueur d’espoir.

Les personnages sont tous bien travaillés : si Duchess et son petit frère Robin sont les protagonistes centraux, l’auteur n’a pas oublié de donner de la profondeur aux autres. Duchess est une mère pour son petit frère, elle le protège, mais elle n’est pas la seule à protéger une personne qu’elle aime et à se dévouer entièrement.

Walker, le policier de Cape Haeven, les aide aussi, il tentera même d’aider son ami, Vincent King. Lui-même est énigmatique, suspect, j’ai mis du temps à le cerner. Il m’a bien étonnée.

Dolly, la vieille dame dans le Montana, est un personnage flamboyant, en deux phrases, elle s’impose, elle est lumineuse, on aimerait la rencontrer en vrai. Thomas Noble, le jeune voisin de Hal est lui aussi un personnage que l’on a envie de croiser dans sa vie. Un gamin peureux qui osera redresser les épaules. Et Hal, lui aussi a souffert, lui aussi est une victime, lui restera inoubliable…

Les méchants évitent le côté manichéen. Que ce soient les deux voisins de Star, vachement zarbi (et chelous), le genre qu’on n’a pas envie d’avoir pour amis ou voisins. Ils possèdent eux-aussi des failles, des blessures et ils se défendent comme ils peuvent. Sans oublier deux femmes de la communauté, qui poseront des actes terribles, mais toujours dans le but de sauver leur ménage, leur enfants, leur vie,… Tous et toutes sont victimes des circonstances.

Même Darke, le méchant méchant, a un portrait nuancé. Ni tout blanc, ni tout noir, avec de belles nuances de gris.

Oui, tout est bien mis en scène pour donner une tragédie parfaite, le genre qui a des ramifications tellement lointaines, tellement nombreuses, qu’on ne saurait plus vraiment dire quand et à cause de qui (ou de quoi) tout cela a commencé.

Quant à Duchess, elle fait déjà partie de ces grandes héroïnes que l’on oubliera jamais, telles Turtle (My absolute Darling), Kya (Là où chantent les écrivisses) ou Harley McKenna (Mon territoire).

Le final de ce roman est bouleversant et flamboyant. Triste et heureux à la fois. Il est terriblement déchirant et tellement magnifique. Sombre, mais lumineux. Explosif et doux. Un mélange d’amertume et de sucre des plus réussis.

Il arrive à manier ce subtil équilibre entre les rires de joie et les larmes de tristesse. Quoi que vous fassiez, elles couleront, vos larmes, de joie ou de peine, ou des deux à la fois.

Bien qu’il restera des zones d’ombre dans la vie future de Duchess et de Robin, l’espoir est permis, ils le toucheront, ils le prendront en main. Putain, ils le méritent !

Merci à l’auteur de m’avoir offert ce coup de cœur magnifique, ce roman qui marque durablement, qui reste dans la mémoire et auquel on pense avec une note de chagrin (ben oui, on l’a fini) et un sourire béat parce que l’on a rencontré des personnages marquants à vie.

PS : mon seul bémol sera pour le fait que le roman ne fasse que 528 pages ! Mince alors, 12 pages de plus et il pouvait entrer dans le challenge du Pavé de l’été. Tiens, si je gribouille 12 pages de plus et que je les insère dans le livre, peut-être que Brize n’y verra que du feu ! Chiche !

Challenge Thrillers et Polars de Sharon (du 12 Juillet 2022 au 11 Juillet 2023) [Lecture N°38] et le Mois Américain (Non officiel) – Septembre 2022.

La bombe : Alcante, Laurent-Frédéric Bollée et Denis Rodier

Titre : La bombe

Scénaristes : Alcante & Laurent-Frédéric Bollée
Dessinateur : Denis Rodier

Édition : Glénat 1000 feuilles (04/03/2020) – 459 pages

Résumé :
L’incroyable histoire vraie de l’arme la plus effroyable jamais créée.

Le 6 août 1945, une bombe atomique ravage Hiroshima. Des dizaines de milliers de personnes sont instantanément pulvérisées. Et le monde entier découvre, horrifié, l’existence de la bombe atomique, première arme de destruction massive. Mais dans quel contexte, comment et par qui cet instrument de mort a-t-il pu être développé ?

Véritable saga de 450 pages, ce roman graphique raconte les coulisses et les personnages-clés de cet événement historique qui, en 2020, commémore son 75e anniversaire. Des mines d’uranium du Katanga jusqu’au Japon, en passant par l’Allemagne, la Norvège, l’URSS et le Nouveau-Mexique, c’est une succession de faits incroyables mais vrais qui se sont ainsi déroulés.

Tous ceux-ci sont ici racontés à hauteur d’hommes : qu’ils soient décideurs politiques (Roosevelt, Truman), scientifiques passés à la postérité (Einstein, Oppenheimer, Fermi…) ou acteurs majeurs demeurés méconnus, tels Leó Szilàrd (le personnage principal de cet album, un scientifique qui remua ciel et terre pour que les USA développent la bombe, puis fit l’impossible pour qu’ils ne l’utilisent jamais), Ebb Cade (un ouvrier afro-américain auquel on injecta à son insu du plutonium pour en étudier l’effet sur la santé) ou Leslie Groves (le général qui dirigea d’une main de fer le Projet Manhattan) – sans oublier, bien sûr, les habitants et la ville d’Hiroshima, reconstituée dans La Bombe de manière authentique.

Extrêmement documenté mais avant tout passionnant, comparable en cela à la série TV Chernobyl, cet ouvrage s’impose déjà comme le livre de référence sur l’histoire de la bombe atomique.

Critique :
J’ai beau savoir comment cela s’est terminé, j’avais envie d’apprendre comment tout cela avait commencé : La bombe atomique.

Celle qui laisse peu de survivant lorsqu’elle explose et qui en fait encore d’autres longtemps après. Les Japonais vous le dirons.

La bombe atomique, nous en avons souvent entendu parler, un chtarbé a même menacé de nous en lancer une sur le coin de la gueule…

Mais que sait-on exactement de son histoire, de la genèse de sa fabrication, des scientifiques qui ont travaillés dessus ?

Peu de choses, mais grâce à cette bédé de 450 pages, très documentée, remplie de détails et très précise, vous serez incollable sur le sujet (à condition de tout retenir, bien entendu).

Les dessins sont en noir et blancs, d’un réalisme saisissant et vont s’attacher à suivre quantité de personnages réels. Les seuls personnages qui ont été inventés, ce sont les quelques Japonais afin de symboliser le peuple qui a eu la désagréable malchance d’en recevoir deux et d’en tester les ravages.

Comme des Américains eurent la malchance de servir de cobaye, à leur insu, pour des injections de plutonium…

On a beau être dans un récit qui laisse la place à la science, il ne faut pas croire que vous aller avoir l’impression de vous retrouver sur les bancs d’un université à écouter un cours de physique. Les auteurs ont réussi à rendre leur récit compréhensible, même pour le cancre de la classe et il n’y a pas que la conception de la bombe, dans ce récit.

C’est prenant, une fois commencé, on a envie de tout dévorer d’un coup, mais je me suis accordée des pauses dans la lecture, vu le poids de la bédé et vu le sujet traité.

Les auteurs ne se sont pas contentés d’illustrer un seul point de vue, mais plusieurs, allant des scientifiques aux militaires, au président des États-Unis, de Staline, des Allemands, des Japonais, des pilotes d’avion…

Ce donne du corps au récit et une vision plus globale, notamment avec des scientifiques qui ont compris le danger d’utiliser la bombe, là où les militaires et les politiques croyaient dur comme fer que posséder une telle arme mettrai fin à tous les conflits.

Il est facile de dire, en 2022, qu’ils se sont fourrés le doigt dans l’œil, et ce, jusqu’au coude (pour rester polie), parce que l’utilisation de la bombe n’a pas fait cesser toutes les guerres. Maintenant, d’autres pays la possèdent et le premier qui l’utilisera, anéantira totalement les autres…

Le point d’orgue est bien entendu le largage de Little Boy sur Hiroshima (avant Fat Man sur Nagasaki)… Ces quelques pages seront les plus émouvantes du récit. Les pires, aussi. Sans entrer dans le voyeurisme, le dessinateur, en quelques cases, est parvenu à rendre tout l’horreur de la chose. J’ai beau connaître l’Histoire, revoir cet épisode, même en dessins, ça m’a foutu les chocottes et noué les tripes.

Anybref, au lieu de lire ma chronique qui n’arrivera pas à rendre justice à cette bédé, ni à dire tout le bien qu’elle a pensé de cette lecture, filez l’acheter chez votre dealer de bédés ou la louer à biblio/médiathèque, et découvrez-là, elle en vaut plus que la peine.

Ne fut-ce que pour savoir… que pour comprendre… que pour se dire que rien ne valait qu’on utilise cette horreur ! Et si en 1945, elle était déjà terrible, cette bombe, imaginez la puissance de celles de notre époque…

Une bédé qui pèse son poids, au sens propre comme au figuré. Une bédé extrêmement bien documentée, où le narrateur sera parfois l’uranium, lui même. Une bédé où tout est vrai, hélas, ce qui la rend d’autant plus glaçante.

À gauche: à Hiroshima, une montre au milieu des décombres est arrêtée sur 8h15 du matin, le moment de la détonation atomique. À droite: à Hiroshima, l’ombre d’une silhouette humaine a laissé sa trace sur les marches d’une banque, gravée dessus par la chaleur extrême de l’explosion (Getty Images)

 

S’adapter : Clara Dupont-Monod

Titre : S’adapter

Auteur : Clara Dupont-Monod
Édition : Stock (25/08/2021)

Résumé :
C’est l’histoire d’un enfant aux yeux noirs qui flottent, et s’échappent dans le vague, un enfant toujours allongé, aux joues douces et rebondies, aux jambes translucides et veinées de bleu, au filet de voix haut, aux pieds recourbés et au palais creux, un bébé éternel, un enfant inadapté qui trace une frontière invisible entre sa famille et les autres.

C’est l’histoire de sa place dans la maison cévenole où il naît, au milieu de la nature puissante et des montagnes protectrices ; de sa place dans la fratrie et dans les enfances bouleversées.

Celle de l’aîné qui fusionne avec l’enfant, qui, joue contre joue, attentionné et presque siamois, s’y attache, s’y abandonne et s’y perd.

Celle de la cadette, en qui s’implante le dégoût et la colère, le rejet de l’enfant qui aspire la joie de ses parents et l’énergie de l’aîné.

Celle du petit dernier qui vit dans l’ombre des fantômes familiaux tout en portant la renaissance d’un présent hors de la mémoire.

Critique :
Il est dit que l’on ne peut pas faire saigner des pierres, mais on peut les faire parler et il aurait été dommage de ne pas les écouter nous raconter cette histoire remplie d’émotions d’une fratrie dans les Cévennes.

Dans notre société actuelle, il faut être souple, polyvalent, s’adapter à toutes les situations. Ce n’est déjà pas facile à réaliser en temps normal, alors, lorsque l’on nait avec un lourd handicap, il est impossible de trouver sa place et encore plus difficile pour la famille de s’en sortir, face aux administrations et autres services sociaux.

Une telle naissance met à mal une famille, autant les parents, débordés, ne sachant plus à quel saint se vouer, que les deux enfants déjà présent.

L’aîné, qui se verra conter son histoire en premier, sera celui qui prendra son rôle de grand frère le plus à cœur, protégeant et aimant plus que tout son petit frère qui est incapable de parler, de marcher, de saisir… Bref, un petit frère inadapté, en quelque sorte.

La cadette, elle, évitera tant que possible cet enfant qui lui a ravi son grand frère et l’attention de ses parents. Elle est là, mais est invisible, quasi. Tous les regards sont tournés vers l’enfant inadapté et elle n’existe plus aux yeux des autres. Terrible aussi.

L’émotion se trouvera au fil des pages, à différents moments du récit, autant avec celui consacré à l’aîné, qu’à la cadette et qu’au tout dernier, celui venu après. Chacun avait des choses à raconter, même si ce sont les pierres de la maison qui vont tout nous raconter, elles qui furent les témoins de plusieurs générations.

De cet enfant inadapté, inachevé, nous ne connaîtrons jamais le prénom (ni ceux des autres), il n’a que peu d’action, vu qu’il est limité en tout et pourtant, sa présence pèsera sur le roman, lui donnera une force, une épaisseur, car ce personnage à part entière a un poids énorme dans le récit, c’est lui qui lui donnera toute sa puissance, aidé par son aîné et sa sœur, même si elle ne le regardera presque jamais.

Des dialogues, il y en a peu, très très peu, et pourtant, cela ne gêne en rien le récit, cette absence. Pas de prénoms, pas de dialogues, et une puissance narrative qui m’a emporté, m’a souvent mis les larmes aux yeux, sans que jamais l’autrice ne sombre dans le pathos ou le larmoyant.

Un récit tout en finesse, tout en émotions, tout en puissance, tout en douceur et en violence (putain, les administrations !!). Une naissance qui a marqué durablement une famille et qui a laissé des traces dans les différentes personnes qui la composent.

Un roman coup de cœur…

À l’ombre du convoi – Tome 2 – L’espoir d’un lendemain : Kid Toussaint et José-Maria Beroy

Titre : À l’ombre du convoi – Tome 2 – L’espoir d’un lendemain

Scénariste : Kid Toussaint
Dessinateur : José-Maria Beroy

Édition : Casterman – Univers d’auteurs (2013)

Résumé :
Destins croisés d’un membre de la Schutzpolizei, de la résistance belge et d’une déportée juive allemande qui se retrouvent tous les trois au même endroit la nuit du 12 au 13 novembre 1943 : une voie ferrée entre Malines et Louvain sur laquelle se trouve un convoi de déportés bientôt attaqué par trois jeunes audacieux.

Critique :
Dans ce dernier album, on va en apprendre un peu plus sur Théo, celui qui avait séduit Olya dans le premier tome.

Il ne m’avait pas laissé une bonne impression, en apprendre un peu plus sur sa jeunesse et sur la participation de son père à la Première Guerre Mondiale allait peut-être éclairer un peu plus ce personnage.

Effectivement, dans cet album, on comprend que tous les personnages ont leur destin lié, que ce soit dans les années 30 et 40, ou bien durant la Première Guerre Mondiale. Tout se tient, tout est relié.

Le scénariste continuera aussi de nous donner un cours accéléré sur ce qui précéda la Seconde Guerre Mondiale, notamment avec la guerre civile en Espagne, le bombardement de Guernica par des avions allemands (Hitler voulait tester ses nouvelles armes), ainsi que sur ce que fit le moustachu après son accession au trône, dont la Shoah par balle et ensuite, les camps…

Une fois de plus, c’est un bref résumé, juste les grandes lignes et, pour plagier le slogan d’un grand hebdomadaire français : « le poids des mots et le chocs des dessins ». Comme quoi, avec peu de mots et quelques dessins, on peut faire passer plus qu’avec de grands discours.

Cet album prend aux tripes aussi. On a beau ne donner que les grandes lignes, elles font mal au coeur, elles sont meurtrières, assassines, génocidaires, ces putains de grandes lignes… Hélas, elles ne toucheront jamais le coeur ou le cerveau de ceux qui pratiquent le négationnisme.

Lorsque je lis une bande dessinée, j’apprécie toujours de voir comment était Bruxelles dans le temps, mais ici, voir la Grand Place envahie de casques allemands et leurs drapeaux au mur de l’hôtel de ville, ça la fout mal. Bravo à Jean de Selys Longchamps qui mitrailla, avenue Louise, l’immeuble de la Gestapo (c’était l’oncle paternel de Sybille, la maman de Delphine – les Belges comprendront).

Je suis contente d’avoir découvert (tardivement), ce diptyque consacré à la Seconde Guerre Mondiale et aux déportations. Il y a toujours à apprendre, afin de ne pas refaire les mêmes horreurs (l’Homme apprend-t-il vraiment de ses erreurs ? J’ai un gros doute). Le personnage de Théo est vu sous un autre éclairage et je suis contente que les auteurs aient répondu aux questions muettes que je me posais.

C’est le coeur en vrac que je termine ce dernier album qui était d’une grande intensité et qui a bouclé la boucle de manière fort tragique.

Ce diptyque va directement dans mes coups de coeur.

Le Challenge « Les textes courts » chez Mes Promenades Culturelles II (Lydia B – 48 pages) et Le Mois Espagnol (et Sud-Américain) chez Sharon – Mai 2022 (Fiche N°32).