Titre : Fracture
Auteur : Eliza Griswold
Édition : Globe (23/09/2020)
Édition Originale : Amity and Prosperity : One Family and the Fracturing of America (2018)
Traduction : Séverine Weiss
Résumé :
Stacey rêve. Cette petite ferme de 3 hectares où vit sa famille depuis 150 ans, elle aimerait pouvoir la transmettre en bon état à ses deux enfants, avec toute la ménagerie, âne, chèvres, cochons, poules et lapins.
Pour réparer la grange branlante, son salaire d’infirmière divorcée ne suffit pas. Stacey espère. De nombreux habitants de la région dévastée des Appalaches se sont récemment enrichis en louant leurs terres aux entreprises d’extraction de gaz de schiste.
Après avoir fourni en abondance du pétrole et du charbon pour les aciéries, leur sous-sol n’a pas dit son dernier mot. Stacey relève la tête. Comme beaucoup d’Américains, elle en a marre de voir des jeunes partir faire la guerre en Irak pour le pétrole.
Et si l’indépendance énergétique de la patrie était pour demain ? Stacey signe, le 30 décembre 2008, un bail avec Range Resources, l’entreprise leader de fracture hydraulique.
Deux ans et demi plus tard, son fils de 15 ans pèse 57 kilos pour 1,85 m. On lui diagnostique un empoisonnement à l’arsenic. Stacey rencontre Eliza Griswold venue assister à une réunion d’agriculteurs inquiets.
Il faudra sept ans d’enquête patiente, acharnée et scrupuleuse à la journaliste pour poser toutes ses questions et établir non pas une, mais des vérités qui dérangent.
Critique :
L’Amérique rurale des Appalaches, qu’est-ce que je ne l’ai pas fréquentée !
Bien que cette population soit aux antipodes de nous (religion très présente, notamment), j’ai toujours du plaisir à retrouver ces pauvres gens, un peu comme si je retrouvais de vieilles connaissances trop longtemps oubliées.
Par contre, sur la fracturation hydraulique, c’était une première. Si, je sais ce que c’est, j’ai lu des articles dans les journaux et c’est dégueulasse, extrêmement polluant, ça fout des vies en l’air et la nature aussi. Bref, à éviter !!
Hélas, dans la course à l’énergie, dans cette volonté de ne plus dépendre des autres, les États-Unis, dont le sous-sol est riche en gaz de schiste, ne vont pas s’en priver, surtout qu’il y a moyen de se faire un max de pognon, si on est une société spécialisée dans le fracking.
Ce roman n’est pas une fiction, ni une dystopie, ni de la SF, c’est juste le récit de la triste réalité, celle de Stacey Hanley, infirmière qui élève seule deux enfants, qui participe à des foires agricoles et qui voulait juste avoir un peu d’argent pour réparer sa grande et qui a signé un contrat qui a tué ses animaux et sa famille à petit feu.
Elle possédait, comme bien des gens de sa région, un puit avec de l’eau potable et en quantité suffisante. Il fut pollué par la fracturation hydraulique.
La société qui exploite les sous-sols des petits propriétaires terriens va saloper tout l’environnement avec des produits hautement toxiques. Après avoir fissuré les maisons à force de passer avec leurs lourds camions, la société Range Resources va continuer de les en… de les empoisonner à petit feu (et aussi de les enculer à sec, comme le dira Stacey qui ne mâche pas ses mots).
Ce combat, c’est celui de David contre Goliath, mais contrairement au récit biblique, ce n’est pas le petit qui gagne, le petit, on le sprotche (on l’écrase) ! On le fait taire, on le bâillonne, on fait traîner les choses avec la justice, pour que ça lui coûte la peau des fesses et pour que l’opinion publique se retourne contre les gens comme Stacey, ceux qui empêchent les autres d’empocher les royalties avec leurs procès à la con.
Cette lecture est glaçante, tout simplement. Même Stephen King n’a pas réussi à me serrer les fesses aussi fort avec ces récits d’épouvante. Parce que chez lui, c’était de la fiction, ici, c’est un récit de vie, celui d’une femme qui n’avait pas beaucoup d’argent (comme le reste de la population des Appalaches) et qui a vu son fils dépérir, qui a vu ses bêtes mourir, sa voix ne pas être entendue, son combat mal vu.
Sa maison, elle a dû l’abandonner, ou alors, c’était eux qui allaient mourir à cause des produits toxique. Endettée jusqu’au dents, la pauvre Stacy ne voyait plus le bout du tunnel. Terrible, horrible. Les monstres n’étaient pas tapis sous le lit, mais bien dans les eaux usées, stockées dans un bassin trop petit, avec une simple bâche, le tout à découvert… Et j’en passe.
Dans les terrains, il y avait la fracturation, mais dans la ville, il y en a une fameuse aussi : un schisme entre ceux qui croyaient Stacey et ceux qui voyaient son combat d’un mauvais œil, pensant que son fils simulait.
Les propriétaires étaient contents de toucher l’argent de la société Range Resources. Oh, pas pour aller en vacances en Floride, non, juste pour moderniser leur maison, leur grange ou tout simplement pour se payer l’assurance santé… Dur, lorsque l’on ne court pas sur l’or, de refuser l’argent. On ferme les yeux et adviendra ce qu’il adviendra.
Ce récit est une véritable enquête, menée par Stacey, par des avocats, par d’autres personnes qui s’inquiètent des conséquences de la fracturation hydraulique. Les personnages sont saisissants, ils sont tels quels, bruts de décoffrage.
Les avocats de Range Ressources sont sournois, vénaux, mauvais comme des teignes… Des rouleaux compresseurs, aidés par des magouilles et des accointances avec l’Agence américaine de protection de l’environnement : ceux qui doivent protéger les américains sont de mèches avec les pollueurs.
Une enquête saisissante, effrayante, bien documentée et qui passera en revue tout ce qu’il s’est passé, du début jusqu’à l’après procès. Bref, presque un roman noir tant la dimension sociale des petits gens y est présente.
Une histoire glaçante, l’histoire d’une femme américaine qui croyait que son pays protégeait les habitants… Une femme qui croyait bien faire et qui a payé un prix bien trop fort pour une petit signature en bas d’un contrat, avec une société qui n’a rien respecté et qui a changé toutes les clauses, piégeant les pauvres gens.
Que de pollution pour de l’énergie, pour que les téléphones, les PC, les voitures et les trottinettes électriques se rechargent, que les frigos et les congélateurs fassent leur boulot de refroidir, que tout le monde puisse trouver du courant au bout de la prise… Mais à quel prix, putain ? Le prix n’est pas en argent, bien entendu…
Effrayant. Si cela pouvait nous faire réfléchir…
PS : cet ouvrage a reçu le « Prix Pulitzer Non-Fiction 2019 ».

Challenge Thrillers et Polars de Sharon (du 12 Juillet 2022 au 11 Juillet 2023) [Lecture N°44] et le Mois Américain (Non officiel) – Septembre 2022.

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