Cupidité – Benny Griessel 08 : Deon Meyer

Titre : Cupidité – Benny Griessel 08

Auteur : Deon Meyer
Édition : Gallimard La noire (06/10/2022)
Édition Originale : Donkerdrif (2020)
Traduction : Georges Lory

Résumé :
Benny Griessel et Vaughn Cupido, ravalés au rang d’enquêteurs de base pour avoir enfreint les ordres de leur hiérarchie, soupçonnent leur punition d’être liée au meurtre en plein jour d’un de leurs collègues et aux lettres anonymes qu’ils ont reçues récemment.

Mais ils n’ont pas le loisir d’approfondir la question, car on les charge d’élucider la disparition de Callie, brillant étudiant en informatique.

Dans le même temps, Jasper Boonstra, milliardaire et escroc notoire, confie à une agente immobilière accablée de dettes la vente de son prestigieux domaine viticole.

Conscient que la commission de trois millions de rands réglerait tous les problèmes de la jeune femme, l’homme d’affaires exerce sur elle un chantage qui la met au pied du mur.

A priori, il n’y a aucun lien entre les deux affaires, sauf le lieu, Stellenbosch, au cœur des vignobles du Cap. Mais lorsqu’elles convergent, la cupidité se révèle être leur moteur commun.

Critique :
Benny Griessel et Vaughn Cupido sont de retour et ils sont punis ! Les deux policiers, qui appartiennent aux Hawks, sont rétrogradés et envoyés dans un autre bled.

Pour Vaughn Cupido, c’est la honte de ne plus faire partie de l’élite. Heureusement, ils sont mutés à Stellenbosch, ça aurait pu être pire…

Un étudiant en informatique a disparu, et nos deux policiers sont chargés d’enquêter sur ce petit génie en informatique, ce programmateur brillant, mais solitaire.

D’un autre côté, nous faisons connaissance avec Sandra Steenberg, une agente immobilière qui court après l’argent depuis que toute la région a vécu une terrible récession lorsque l’économie s’est cassée la gueule.

Le rapport entre les deux affaires semble ne pas exister, tant elles sont diamétralement opposées et qu’il est presque impossible de les relier entre elles. Pourtant, autant la disparition que la vente d’un domaine viticole en secret seront importantes et auront des ramifications là où ne s’y attend pas.

Si je n’ai pas envie d’aller vivre en Afrique du Sud, j’adore y aller avec l’agence de voyage Deon Meyer, car j’ai la certitude qu’il ne me proposera pas un voyage digne d’une carte postale ou d’un joyeux Guide du Routard.

L’auteur nous fait entrer dans la corruption, dans la politique sale, dans les gans, dans les townships et si vous entrez dans une belle barraque, chez un plein de fric, croyez-moi que ce ne sera pas un gentil monsieur philanthrope. Mesdames, surveillez vos arrières.

Ses personnages sont réalistes et terriblement humains, que ce soient nos deux enquêteurs et leurs préoccupations (Benny a celle de ne plus boire, Vaughn de perdre du poids) ou les personnages secondaires, tous guidés par l’appât du gain, la cupidité, même si celle de Sandra, l’agente immobilière, est surtout pour payer ses dettes et faire vivre sa famille.

Il y a tant de choses qui nous divisent dans ce pays. Mais la cupidité nous unit, dira un personnage à un moment donné et il aura bien raison.

Les chapitres sont assez courts et bien que le roman fasse 570 pages et que le rythme ne soit pas celui d’un polar survolté, pas d’ennui à redouter à l’horizon. Les pages se tournent toutes seules et on avance d’un bon pas. Les deux enquêtes parallèles sont intrigantes et j’ai été surprise, agréablement surprise, je dois dire.

Un polar noir où la plume de l’auteur n’hésite pas à égratigner le pouvoir en place, ce gouvernement corrompu jusqu’à l’os, ce pays où les gens peuvent avoir peur de la police, qui ne sont pas à l’abri de la corruption et de l’avidité. Oups, de la cupidité !

Un voyage en Afrique du Sud, loin des paysages des cartes postales… Un roman qui se dévore assez vite et qui est très instructif sur la culture de ce pays lointain, où l’apartheid fut loi durant de trop nombreuses années.

Challenge Thrillers et Polars de Sharon (du 12 Juillet 2022 au 11 Juillet 2023) [Lecture N°162].

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Leur âme au diable : Marin Ledun

Titre : Leur âme au diable

Auteur : Marin Ledun
Édition : Gallimard Série noire (2021) / J’ai Lu Policier (2022)

Résumé :
L’histoire commence le 28 juillet 1986 par le braquage, au Havre, de deux camions-citernes remplis d’ammoniac liquide destiné à une usine de cigarettes. 24 000 litres envolés, sept cadavres, une jeune femme disparue.

Les OPJ Nora et Brun enquêtent. Vingt ans durant, des usines serbes aux travées de l’Assemblée nationale, des circuits mafieux italiens aux cabinets de consulting parisiens, ils vont traquer ceux dont le métier est de corrompre, manipuler, contourner les obstacles au fonctionnement de la machine à cash des cigarettiers.

David Bartels, le lobbyiste mégalomane qui intrigue pour amener politiques et hauts fonctionnaires à servir les intérêts de European G. Tobacco.

Anton Muller, son homme de main, exécuteur des basses œuvres. Sophie Calder, proxénète à la tête d’une société d’évènementiel sportif.

Ambition, corruption, violence. Sur la route de la nicotine, la guerre sera totale.

Critique :
J’ai arrêté avant même de commencer… Arrêté quoi ? Ben de fumer, pardi ! Je n’ai jamais commencé de ma vie.

Pourquoi ? Parce que fumer transformait vos vêtements en trucs puants (et vous avec) et que si j’avais acheté des clopes, j’aurais eu moins d’argent pour acheter des livres.

Beurk ça pue et en plus, ça coûte un bras, tout en vous transformant en addict, alors, j’ai envoyé tout ça au diable. Ce qui n’était pas facile car à l’époque (les années 80/90), fumer était signe de liberté, de coolitude, d’avoir du style…

Marin Ledun nous propose un polar hyper documenté sur l’industrie du tabac et toutes ses magouilles, ses dérives, ses plans marketing bien huilés, bien hypocrisies, ses bonnes idées pour que les gens fument encore plus, que les politiciens n’entravent pas trop le droit de fumer partout et de s’en mettre plein les fouilles.

L’industrie du tabac, dans ce roman, n’a rien à envier aux mafias : pots-de-vin, pressions, intimidations, cadeaux pour tenir certaines personnes dans sa poche, meurtres, contrebande organisée, détournements d’argent, arrosage des politiciens, des scientifiques ou menaces… Tout est bon pour se faire du pognon, quitte à mentir, à cacher, à jouer avec les mots. Fumer provoquerait des cancers ? Mheu non !

Oui, ce roman est documenté, à fond, l’industrie des clopes n’est pas une œuvre caritative, ni de bienfaisance, ni écologique. Quant aux ingrédients rajoutés en schmet (en douce) dans le tabac, nous avons de la réglisse, du sucre, du chocolat (jusque là, tout va bien) et d’autres plus que dégueu, notamment le carburant pour fusées, du mercure, du plomb, de l’arsenic et de l’ammoniac…

Vous ne mangeriez pas ce que vous fumez ! Mais maintenant, j’aurai une pensée émue pour les fumeurs lorsque je nettoierai mes carreaux, puisque j’utilise un peu d’ammoniac mélangée avec mon produit fait maison.

Hélas, là où le bât a blessé, c’est que le roman est trop long et que les personnages ne m’ont pas touché, même s’ils étaient magnifique d’hypocrisie, de cynisme, de désabusement,…

L’un d’eux a manqué de crédibilité : David Bartels, est déjà assez glaçant de par sa cupidité et l’auteur lui rajoute le plaisir d’avoir tué quelqu’un. C’est bon, fallait pas en jeter plus ! Son côté « lobbyiste prêt à tout » en faisait un vilain très crédible, là, on a surjoué en sucrant le sucre.

Si j’ai apprécié ce que j’ai appris dans ce roman (même si je n’avais jamais eu de doutes quant aux méfaits en tout genre des cigarettiers), à partir de la moitié du récit, j’ai eu l’impression que l’on s’enlisait dans de la mélasse, ce qui a rendu la seconde moitié plus longue à lire et moins passionnante.

Dommage, parce qu’il y avait tout les ingrédients pour faire de ce roman une lecture addictive, sans ajout de substances illicites ou cancérigènes. L’industrie des cigarettes est un rouleau compresseur prêt à tout pour vendre ces clopes et ça, le roman le démontre bien, d’une manière magistrale même. Hélas, à un moment donné, le récit tourne un peu en rond, ce qui a cassé le rythme.

Malgré tout, cette lecture restera marquante pour ce qu’elle explore à fond, sans concession, nous rappelant que l’on déforeste aussi pour planter plus de plants de tabac et que ça, ça ne se mange pas !

Challenge Thrillers et Polars de Sharon (du 12 Juillet 2022 au 11 Juillet 2023) [Lecture N°161].

Les Patriotes : Sana Krasikov

Titre : Les Patriotes

Auteur : Sana Krasikov
Édition : Albin Michel (21/08/2019)
Édition Originale : The Patriots (2018)
Traduction : Sarah Gurcel

Résumé :
Alors que les États-Unis sont frappés par la Grande Dépression, Florence Fein, à seulement 24 ans, quitte Brooklyn pour une ville industrielle de l’Oural, dans la toute jeune URSS.

Elle n’y trouvera pas ce qu’elle espérait : un idéal d’indépendance et de liberté. Comme de nombreux Refuzniks, son fils Julian, une fois adulte, émigre aux États-Unis. Des années plus tard, en apprenant l’ouverture des archives du KGB, il revient en Russie et découvre les zones d’ombre de la vie de sa mère.

Entremêlant époques et lieux, ce premier roman magistral de Sana Krasikov nous plonge au cœur de l’affrontement Est-Ouest en explorant, à travers le destin de trois générations d’une famille juive, l’histoire méconnue de milliers d’Américains abandonnés par leur pays en pleine terreur stalinienne, et les conséquences de nos choix individuels sur la vie de nos enfants.

Critique :
Les patriotes, c’est une grande fresque familiale qui va s’étaler sur plus de 70 ans (de 1934 à 2008) et nous faire faire un grand écart entre les États-Unis et l’URSS (sur une mappe monde, l’écart n’est pas énorme, mais prenez un planisphère et vous comprendrez).

Florence est comme bien des jeunes, elle a un idéal, a des objectifs nobles, elle veut être utile, a de grands idéaux. Bien souvent, les grands idéaux se terminent vite, une fois qu’on a compris que l’on est peu de choses.

Hélas Florence, est dans le déni et ne veut jamais comprendre que le communisme et l’URSS ne sont pas aussi beaux et grands qu’elle l’avait imaginé, qu’on lui avait vendu. Bien souvent, j’ai eu envie de lui renverser de l’eau sur le crâne, afin qu’elle se réveille.

Dans ce roman, l’autrice met en scène une vie ordinaire, celle de Florence, une immigré juive en provenance des États-Unis, parlant le russe, ainsi que celle d’autres personnages, qu’elle croisera au fil de sa vie dans cette URSS qui lui a tout volé, dans ce système sans logique, dans cette grande machine à broyer les êtres humains, afin de nourrir la grande machine bureaucratique du parti-État stalinien…

Si j’ai toujours été attirée par la Russie, l’URSS et son système totalitaire, celui mis en place par Staline, me donne toujours envie de vomir et de partir en courant. Dans le récit, l’illogisme des décisions est bien expliqué, il est implacable, vous faisant passer, en peu de temps, de héros à un traitre à la patrie.

Diviser pour régner, régner par la peur, par la force, par  les dénonciations, par les purges, pas les ordres implacables, sans logique. Vous contestez ? Paf, une balle. Vous vous plaignez ? Paf. Vous faites preuve de pas assez de zèle dans votre mission ? Paf aussi. Trop de zèle ? Paf, comme le chef du NKVD, Nikolaï Iejov, en fit l’expérience.

La paranoïa règne en maître et dans ce genre de régime, pas de place pour l’entre-deux. Leur vision est primaire, binaire. Vous êtes soit « avec eux » ou « contre eux ». Prosoviétiques ou antisoviétiques, cet état d’esprit primitif ne laisse aucune place à la neutralité. Avec eux, c’est l’enfer ou le paradis, pas de place pour le purgatoire, pas de place pour la neutralité, pour le « pas d’avis ».

Hélas, cet état d’esprit binaire n’est jamais loin de nous, on le revoit souvent remonter à la surface lors d’événements importants ou tragiques. La majorité attend de vous que vous suiviez la meute et son opinion générale. Elle n’admet pas que vous soyez le cul entre deux chaises, incapable d’émettre un jugement pour ou contre, alors que vous, vous voudriez juste avoir plus de données, plus de temps, moins d’émotions, pour émettre un avis.

Non, le système binaire n’admet comme réponse que oui ou non, que je suis avec vous ou contre vous, mais pas de « oui, mais… ». La diversité d’opinion, ce n’est pas bon, comme ce l’était du temps de l’autre moustachu parano, assassin de son peuple, qui continuait de le révérer, parce qu’il avait été endoctriné, le cerveau lessivé et parce que critiquer le système, le gouvernement, la machine implacable, c’était un aller-simple pour la mort ou pour un camp de travail.

J’ai beau avoir lu des récits des exactions cette grande machine à broyer les êtres humains, cela me glace toujours autant, surtout quand mon cerveau fait des connections avec notre époque actuelle, où, comme dans ce système totalitaire, des gens s’arrogent le droit de dire ce qu’il faut expurger de la littérature, en retirer ce qui n’est pas bon, pas propre, pas reluisant, comme des mots insultants (N word), ou en ôter les pages sombres de l’Histoire humaine. Réécrire les livres, les traduite autrement…

En URSS aussi, des gens disaient ce qu’on pouvait lire ou ne pas lire, de la littérature étrangère et attention, le vent tournait vite. Mais c’est bien connu, ce n’est pas la girouette qui tourne, c’est le vent. Et le système tourne très vite, faisant de vous un traître alors que vous n’avez fait que respecter les ordres donnés. Faisons gaffe de ne jamais faire revivre un tel système chez nous.

Si au départ, j’avais trouvé Florence un peu fade, rêveuse, engoncée dans le déni, à un moment du récit, elle m’a coupé les jambes lorsqu’elle dénoncera une personne, afin de sauver sa famille, parce qu’elle s’est fait un film dans sa tête, parce que le salopard en face d’elle a bien su jouer avec ses peurs primaires. C’est violent, on a envie de l’engueuler, de la clouer au pilori, et puis, vient la question horrible : qu’est-ce que j’aurais fait, moi ? Ce ne serait sans doute pas glorieux !

Dans ce gigantesque récit, il y a eu des passages qui m’ont ennuyés, qui étaient moins intéressants que d’autres, ce qui a rendu cette lecture un peu laborieuse. Nous sommes face à une brique de 608 pages et lorsque le récit n’avance plus, les pages se tournent plus lentement et on ne se voit pas avancer. J’ajouterai aussi que je n’ai eu que peu d’empathie pour les personnages…

Malgré ces bémols, cette lecture m’a remué les tripes, notamment lorsque j’ai encore relu les exactions du système stalinien, porté par toute une horde de sans grades, prêt à faire leur sale boulot et à appliquer les règles iniques, illogiques, pour ne pas perdre leur place, sans aucun doute et se retrouver du mauvais côté de la table. Certains y ont aussi pris goût, à ce petit pouvoir sur les autres…

La propagande du système m’a retourné l’estomac, surtout qu’elle a toujours lieu, et que j’ai vu des jeunes écolières écrire des lettres aux soldats russes qui font la guerre aux ukrainiens. Et il n’y a pas que là-bas que la propagande est toujours en place.

Mettre les pieds à Perm, dans un camps de prisonniers réduit à pire que des esclaves m’a aussi fait frémir, à nouveau. Dans ces camps, les morts ne comptaient pas, il y en avait plein d’autres pour les remplacer. En Russie communiste, la vie d’une personne ne valait rien.

Cette lecture me marquera durablement, comme l’ont toujours fait les romans (fiction ou autobiographique) qui parlent du système stalinien, des goulags, des interrogatoires où les agents du NKVD écrivait l’histoire eux-mêmes et vous extorquait une signature ensuite, sans vous laisser la possibilité de vous en sortir, puisque qu’elle que soit votre réponse, elle était mauvaise, ou alors, ils vous la retournaient dans la figure, transformée, et vous enfonçait encore plus dans l’absurde.

Un roman fort, une grande fresque, où j’ai apprécié les personnages sur la fin, quand je les ai mieux compris.

Challenge Thrillers et Polars de Sharon (du 12 Juillet 2022 au 11 Juillet 2023) [Lecture N°160] et Le Mois du Polar, chez Sharon – Février 2023 (N°43 – FIN).

Commissaire Llob – 02 – Morituri : Yasmina Khadra

Titre : Commissaire Llob – 02 – Morituri

Auteur : Yasmina Khadra
Édition : Folio Policier (1999 / 2008)

Résumé :
Au pays de l’impunité, les requins mettent les bouchées doubles. Dans Alger la délétère où règnent le totalitarisme religieux, les dignitaires véreux et les néo-beys aux mains sales, le commissaire Llob est un idéaliste qui s’obstine à rester intègre et s’oppose à la barbarie. Ce n’est pourtant pas une époque à mettre un flic dehors…

D’une désespérante noirceur, Morituri dénonce l’intégrisme, ses prêches d’une virulence absolue et son implacable haine à l’encontre du monde entier, mais aussi la corruption omniprésente et le danger d’un pays où les intellectuels et les opposants sont exécutés sans préavis.

“Plus rien ne sera comme avant. Les chansons qui m’emballaient ne m’atteindront plus. La brise musardant dans les échancrures de la nuit ne bercera plus mes rêveries. Rien n’égaiera l’éclaircie de mes rares instants d’oubli car jamais plus je ne serai un homme heureux après ce que j’ai vu.

Critique :
Dans ce roman noir, nous allons voyager dans une Algérie bien trouble : les barbus sont là, l’islamisme et l’intégrisme règnent, tout le monde a peur, des intellectuels et d’autres se font assassiner…

Bref, pour ceux qui sont honnêtes, qui ne veulent pas manger de ce pain là, qui n’ont pas soif de pouvoir, de fric, de sang, les temps sont durs.

Le commissaire Llob fait partie de ceux qui regrettent la splendeur de l’Algérie d’avant, sa fierté, sa douceur de vivre et qui maintenant, marchent en vérifiant qu’il n’y a personne dans leur dos. Lui est honnête et intègre.

La première chose que j’ai apprécié, dans ce polar noir, c’est la plume de l’auteur, que je ne connaissais pas : acide, cynique, peuplée de métaphores bien tournées qui m’ont données l’impression de lire du Frédéric Dard, les allusions sexuelles en moins (même s’il y en aura, mais c’est minime) et la recherche des tournures de phrases en plus.

Le récit est trash et sans détours. L’auteur ne s’embarrasse du politiquement correct et son commissaire n’en a rien à foutre de ce qu’on pense de lui. Il est désabusé et ne se prive pas pour lancer des piques ou des réponses assez froides à ses interlocuteurs.

L’affaire, au départ, semble assez simple et basique : le commissaire Llob est engagé par Ghoul Malek, un ancien homme politique pour mener l’enquête sur la disparition de sa fille pourrie gâtée de seize ans. Raté, c’est dans un sacré nids de vipère que le commissaire va mettre les pieds, le tout dans un pays ravagé par la violence, la corruption, les magouilles en tout genre.

Si au départ, j’ai été enchantée de ma lecture, arrivé à un moment, j’ai eu l’impression que le récit n’avançait plus et que l’auteur en profitait pour critiquer le régime de ces années noires. Il a raison, je ne lui donne pas tort, l’enquête n’étant là que pour nous plonger dans ces horreurs, tout au long du récit.

Oui, mais, à un moment donné, je me suis perdue, tellement c’était décousu et près avoir décroché durant quelques chapitres, j’ai réussi à raccrocher les wagons sur la fin.

Il faut donc savoir que ce roman noir n’est pas un roman avec une enquête ciselée, comme un polar ordinaire, mais juste une enquête pour que l’auteur puisse critiquer le régime, tout en contournant la censure.

Durant ses pérégrinations, notre commissaire nous promènera dans le haut de la société, où l’on fait des fêtes, où l’argent coule à flot, avant de nous expédier dans les bas-fonds où règnent les drogues, la misère, la pauvreté et où les ruelles sont de véritables coupe-gorges. Bref, des endroits loin des cartes postales touristiques !

Malgré le fait que je me sois perdue à un moment donné, cette lecture ne fut pas un fiasco et je ne regrette pas d’avoir découvert ce roman : j’ai aimé sa plume, ses expressions, son commissaire désabusé, le côté politique et le grand écart entre les soirées huppées et les ruelles pauvres (mais les deux sont fréquentées par des requins et des voleurs).

Challenge Thrillers et Polars de Sharon (du 12 Juillet 2022 au 11 Juillet 2023) [Lecture N°123], Le Mois du Polar, chez Sharon – Février 2023 (N°06) et Le Challenge « Le tour du monde en 80 livres chez Bidb » (Algérie).

Ikigami – Préavis de mort (Double) – Tome 1 : Motorô Mase

Titre : Ikigami – Préavis de mort (Double)

Scénariste : Motorô Mase
Dessinateur : Motorô Mase

Édition : Kazé Seinen (2015)

Résumé :
Dans ce pays, une loi entend assurer la prospérité de la nation en rappelant à tous la valeur de la vie. Pour ce faire, un jeune sur mille entre 18 et 24 ans est arbitrairement condamné à mort par une micro-capsule injectée lors de l’entrée à l’école.

Lorsqu’on reçoit l’ikigami, c’est qu’il ne nous reste plus que 24h à vivre. Mais à quoi passer cette dernière journée, lorsqu’on n’a pas eu le temps de faire sa vie ?

Critique :
La vie n’a pas de prix, mais bien souvent, nous l’oublions, il faut que nous manquions de mourir pour s’en rappeler, ou que nous voyons partir des plus jeunes que nous…

Alors, pour bien faire comprendre à toute la population la valeur de la vie, un pays, totalitaire, inocule une capsule dans les vaccins que sont obligés de recevoir les élèves. Un sur les mille mourra entre ses 18 et 24 ans, de manière arbitraire.

Sont préavis, il le recevra 24h avant sa mort… C’est un ikigami et c’est pour assurer la prospérité de la nation.

Prospérité ? J’t’en foutrai, moi, de ta prospérité. Depuis quand la mort d’un jeune assure-t-elle la prospérité de la nation ? C’est un devoir ? Ben merde alors… Mais bon, je n’ai jamais été atteinte de patriotisme non plus… Défendre mes proches, oui, mais sacrifier ma vie pour le pays qui se fout bien de moi, je ne suis pas encore prête.

Dans ce premier tome, nous assisterons à plusieurs réactions, suite à la réception du préavis de mort. Au moins, aucun des personnages ne réagira de la même manière et j’ai apprécié les questionnements que se pose Fujimoto, qui est un livreur d’ikigami, même si je trouve qu’ils arrivent fort rapidement, comme s’il mettait déjà le système en doute.

Fujimoto a raison, le système est arbitraire et débile, puisqu’on ne sait pas à quoi cela sert d’éliminer une personne sur mille. C’est même totalement absurde ! Mais si les régimes totalitaires ne l’étaient pas, cela se saurait !

La menace n’empêche pas les jeunes de se comporter comme des salopards, comme la bande de harceleurs et les sanctions qui pèsent sur les familles, si jamais le futur mort semait des troubles, n’a pas empêché l’un des personnages à se venger avant de mourir.

La lecture est intéressante parce qu’elle permet de se poser une question terrible, à laquelle nous n’avons pas toujours de réponse : qu’aurais-je fait à la place de ? Que ce soit à la place du fonctionnaire qui fait son job et délivre ses ikigamis ou à la place des personnes qui apprennent qu’il leur reste 24h avant de mourir.

Malgré tout, je suis restée sur ma faim… Fujimoto n’a pas beaucoup de place pour la rébellion, ni pour poser trop de questions. Quant aux chapitres consacrés à ceux qui allaient mourir, s’ils étaient intéressants, je n’ai pas envie que toute la série se déroule de la même manière, cela deviendrait redondant.

Un manga qui oscille entre thriller et dystopie, qui instaure un climat de malaise face à ces crimes institutionnalisés, réglés comme du papier millimétré et dont les fonctionnaires sont très fiers de cette « Loi pour la prospérité nationale » et du système mis en place pour que personne ne sache à l’avance dans quel vaccin la puce mortelle va être insérée (ni dans quel élève).

Ma foi, j’ai beau être restée sur ma faim, je vais tout de même lire le deuxième opus afin de voir si l’histoire bouge où si elle reste statique.

Challenge Thrillers et Polars de Sharon (du 12 Juillet 2022 au 11 Juillet 2023) [Lecture N°121] et Le Mois du Polar, chez Sharon – Février 2023 (N°04).

Les Chiens de Pasvik – Les enquêtes de la police des rennes 04 : Olivier Truc

Titre : Les Chiens de Pasvik – Les enquêtes de la police des rennes 04

Auteur : Olivier Truc
Édition : Métailié Noir (2021) / Point Policier (2022)

Résumé :
Ruoššabáhkat, « chaleur russe », c’est comme ça qu’on appelait ce vent-là. Ruoššabáhkat, c’est un peu l’histoire de la vie de Piera, éleveur de rennes sami dans la vallée de Pasvik, sur les rives de l’océan Arctique.

Mystérieuse langue de terre qui s’écoule le long de la rivière frontière, entre Norvège et Russie. Deux mondes s’y sont affrontés dans la guerre, maintenant ils s’observent, s’épient.

La frontière ? Une invention d’humains.

Des rennes norvégiens passent côté russe. C’est l’incident diplomatique. Police des rennes, gardes-frontières du FSB, le grand jeu. Qui dérape. Alors surgissent les chiens de Pasvik.

Mafieux russes, petits trafiquants, douaniers suspects, éleveurs sami nostalgiques, politiciens sans scrupules, adolescentes insupportables et chiens perdus se croisent dans cette quatrième enquête de la police des rennes.

Elle marque les retrouvailles – mouvementées – de Klemet et Nina aux confins de la Laponie, là où l’odeur des pâturages perdus donne le vertige.

Olivier Truc nous raconte le pays sami avec un talent irrésistible. Il sait nous séduire avec ses personnages complexes et sympathiques.

Et, comme dans Le Dernier Lapon et La Montagne rouge, il nous emmène à travers des paysages somptueusement glacés.

Critique :
Le Pasvik du titre n’est pas un être humain qui posséderait des chiens… Non, Pasvik, c’est une réserve naturelle, à cheval sur la Norvège et la Russie.

C’est aussi le nom de la rivière qui sépare la Norvège, la Finlande et la Russie, en pleine Laponie, dans le Nord !

Ah, cette foutue frontière… Lorsque les rennes la franchissent, c’est l’incident diplomatique, comme si des animaux pouvaient connaître une invention humaine, qui n’a de sens que pour nous (et encore, les frontières bougent au gré des conflits).

Ensuite, ce sont des chiens errants, en provenance de Russie, qui franchissent la frontière. Ils sont soupçonnés d’être porteurs de la rage et les voilà entrés en Norvège. My god, on a déclenché des guerres pour moins que ça. Il va falloir faire preuve de diplomatie, car les relations entre les deux pays sont plus tendues que la corde d’un string.

Le Grand Nord, le froid polaire, les rennes, la culture sami, les policiers Klemet et Nina, de la culture, de la politique, les us et coutumes, les jours faibles en lumière, la Laponie, la Russie, les vieilles querelles, rancœurs,…

Bref, j’étais contente de retrouver ce qui m’avait enchanté dans les trois précédents romans, me délectant à l’avance du fait que j’irais me coucher moins bête après cette lecture.

Et effectivement, j’ai appris des choses sur la politique, sur les corruptions, ordinaires ou grandes, j’ai remis à jour mes connaissances sur la culture sami, l’élevage des rennes, la difficulté qu’à le peuple Sami pour survivre, puisqu’ils ont de moins en moins de pâturages pour leurs bêtes.

Malheureusement, il faut attendre près de la moitié du roman pour que cela commence à bouger et que l’enquête débute vraiment. Klemet et Nina ne font plus équipe, Klemet semble encore plus paumé qu’avant, comme s’il n’était pas vraiment là.

De plus, l’auteur se répète souvent, notamment avec Klemet et ses problèmes d’ombre, sur le fait que dans le tome précédent, Nina, sa collègue, l’avait surprise en train de se mesurer le crâne… La répétition, ce n’est pas bon.

Les personnages qui gravitent autour de Klemet et de Nina sont bien campés, sans manichéisme, avec de la profondeur, des contradictions, des blessures profondes et hormis le vrai méchant, ses sbires pouvaient être touchants. Oui, un comble, mais c’est ce que j’apprécie dans les personnages.

Ce polar du Nord (bien qu’écrit par un français) est comme tous les polars nordique : il prend son temps. En fait, l’enquête policière ne commencera qu’après une bonne moitié du récit et ne sera pas tout à fait conventionnelle.

D’ailleurs, cette enquête n’est là que pour permettre à l’auteur de parler de géopolitique, de politique, de l’Histoire entre les pays du Grand Nord, de la Russie, des problèmes des éleveurs Sami, du communisme et de quelques unes de ses dérives, des territoires qui ont appartenu un jour, aux Samis et où leurs rennes broutaient, avant qu’on ne les foute plus loin, comme s’ils n’étaient que des fétus de paille qui dérangeaient.

Les conflits, la collaboration avec les Allemands, les traités, les vainqueurs, ont retracé les frontières, sans prendre en compte les gens qui vivaient sur ces territoires.

La Guerre Froide est terminée depuis longtemps, mais dans ce roman, dans ces territoires, des remugles en provenance de l’Histoire s’échappent encore et toujours. Durant ma lecture, j’ai souvent eu l’impression d’être toujours dans cette période, tant ça y puait.

Un polar nordique qui s’attache plus à la politique, aux différentes populations, à la cohabitation difficile entre tous ces peuples, de culture Sami, à la difficulté de vivre de l’élevage des rennes, sur la recherche de son identité, sur le patriotisme exacerbé, sur le fait qu’une partie du peuple russe vit dans la pauvreté, tout en continuant de porter son pays aux nues.

C’est très documenté, très approfondi, les paysages sont bien décrits, on ressent bien le froid et le fait que tout le monde se retrouve le cul entre deux chaises, dans ces confins glacés où le soleil est soit ultra-présent ou soit au minimum syndical.

Malgré tout cela, la première partie a été assez longue à lire et contrairement aux précédents romans, ce ne fut pas le coup de coeur, sans doute dû au fait que Klemet et Nina n’enquêtent plus ensemble et qu’ils m’ont semblé un peu pâlot, comme effacé, dans ce roman.

Cela ne m’empêchera pas de lire la suite, si suite il y a un jour…

Challenge Thrillers et Polars de Sharon (du 12 Juillet 2022 au 11 Juillet 2023) [Lecture N°118] & et Le Mois du Polar, chez Sharon – Février 2023 (N°01).

Le palais des mille vents – 01 – L’héritage des steppes : Kate McAlistair [LC avec Bianca]

Titre : Le palais des mille vents – 01 – L’héritage des steppes

Auteur : Kate McAlistair
Édition : L’Archipel (14/10/2021)

Résumé :
Lahore, 1838. Adolescent, Morgan vit sous le joug de son père, un mercenaire aussi cruel qu’ivrogne. Il tombe amoureux de Chali, une jeune princesse mongole, mais celle-ci doit épouser le petit-fils de l’empereur du Pendjab.

Morgan s’efforce de l’oublier en prenant sous son aile Maura, une fillette venue rejoindre son père, le colonel Fleming, redoutable chef de la police de l’empereur.

Un jour, c’est le drame : alors que Morgan tente de s’opposer à son père ivre, ce dernier tombe du balcon et se tue. Fleming l’accuse de meurtre. Le jeune garçon parvient à lui échapper et s’enfuit dans l’Himalaya.

Dix ans ont passé. Maura est mariée à un botaniste britannique qui œuvre dans le renseignement. Au cours d’une réception au Palais des mille vents, en Russie, elle reconnaît Morgan. À nouveau sous son charme, elle manœuvre pour qu’il devienne le guide de l’expédition de son mari. Attiré par Maura, Morgan refuse tout d’abord.

Mais lorsqu’il comprend que cette expédition est en réalité une mission de sauvetage de la princesse Chali, à présent veuve et pourchassée par des tueurs, il n’a plus qu’un désir : venir en aide à celle qu’il n’a jamais pu oublier…

Critique :
Pour qui veut voyager sans bouger de son canapé, ce roman est parfait, puisque, en plus de vous faire voyager sur la carte de l’Asie et de la Russie, il vous offrira aussi une plongée dans le temps, puisque l’histoire commence en 1838.

Au Pendjab, Morgan vit dans un élevage de chevaux, avec sa mère, d’origine Hindoue et son père, un anglais violent, alcoolique et tout basculera lorsque ce crétin à la main lourde, qui passe ses rages sur son épouse, chutera de son balcon… Oui, bien fait pour sa gueule, mais Fleming, le redoutable chef de la police de l’empereur, l’accusera et le poursuivra jusque dans les montagnes.

Si vous cherchez un roman qui dépote avec de l’action à tous les chapitres, il faudra laisser ce roman de côté, car lui, il s’attache plus aux us et coutumes des pays, des époques et est très descriptif dans les lieux, les paysages. Sans rire, j’ai été transportée du Pendjab à la Russie, les steppes, je les ai bien visualisées et je dois dire que c’est ce qui a fait que je me suis attachée à ce roman.

L’histoire est des plus conventionnelles, le plaisir étant dans la manière dont l’autrice nous la conte. Là où le bât blesse un peu (un comble, lorsque l’on voyage dans une caravane), c’est dans l’histoire d’amour et dans les personnages principaux.

Morgan est un jeune garçon sympathique, qui crève de trouille devant son père. Dix ans plus tard, le voici paré de toutes les qualités (beau, intelligent, parfait cavalier, il sait se battre, il est gentil,…). Fleming est le grand méchant, mais on ne sait pourquoi il voue une telle haine au jeune Morgan, qui ne lui a jamais rien fait. Pas de nuances dans les portraits des personnages, ce qui est dommage.

L’histoire d’amour est un peu bateau, à mon sens, dû au fait que Morgan, à 15 ans, est tombé amoureux de Chali (dernière descendante du célèbre Gengis Khan), avec qui il n’a échangé quelques mots, bien qu’il ait passé du temps avec elle (barrière de la langue). En même temps, il aime bien aussi Maura (par amour du goût ?), 12 ans, qui lui offrira un baiser avant qu’il ne s’enfuie.

Ce sont des gosses, des ados, des amourettes de jeunesse, à laquelle, en principe, on ne donnera jamais suite. Bingo, 10 ans après, Morgan croise à nouveau la route de Maura, mariée : son comportement sera un peu aberrant, jouant un jeu de séduction dangereux, bien que Morgan la repousse.

Rien n’est logique dans le comportement de Maura qui reveut un baiser, afin d’être sûre qu’elle aime son mari et non Morgan (comme si c’étaient des mets à goûter). Elle m’a fait penser à une gamine et non à une femme de 22 ans (à cette époque, on était mûre plus tôt). Morgan, lui, aime toujours sa princesse, mais peut-être aussi Maura, il ne sait pas…

Je n’ai rien contre les histoires d’amour dans les romans, mais j’apprécie tout de même qu’elles n’aient rien à voir avec du Harlequin. Morgan aime le souvenir de Chali, il l’idéalise et Maura fait pareil avec lui.

Bref, on perd du temps avec leurs chipoteries et autant ou j’avais apprécié Maura jeune, autant où elle m’a un peu exaspéré adulte. Rien de grave, mais j’ai eu l’impression d’un « tout ça pour ça ? ».

Malgré tout, cela ne m’a pas empêché de déguster le récit du voyage de la caravane de chevaux et de chameaux, dans les steppes kirghizes, chevauchant durant des heures, chassant avec un aigle, vivant à la dure, toujours à la merci de pillards. Les descriptions sont précises, très vivantes, belles et c’est ce qui m’a fait le plus vibrer dans ce roman.

Un roman à l’histoire ultra classique, mais racontée autrement, avec beaucoup de précisions dans les us et coutumes des différentes cultures abordées, de détails dans les paysages traversés, le climat, la nature, afin d’y immerger le lecteur pour qu’il se sente plus proche de ce que vivent les personnages, que ce soit dans la chaleur du Pendjab ou dans la froide Russie.

C’est grâce à ma copinaute Bianca que j’ai lu ce roman avec elle. Une LC réussie ! Comme il est à suivre, nous avons décidé de poursuivre le voyage. Tout comme moi, Bianca a apprécié le voyage. Suivez le lien et vous saurez tout !

Le bateau-usine : Takiji Kobayashi et Gô Fujio

Titre : Le bateau-usine

Scénaristes : Takiji Kobayashi et Gô Fujio
Dessinateur : Gô Fujio

Édition : Akata (2016)
Édition Originale : Kanikôsen (2006)
Traduction :

Résumé :
Dans les années 20, au Japon… L’industrialisation du pays fait rage, tandis qu’en Russie, la Révolution vient de s’achever.

Au port de Hakodate, c’est l’effervescence : le bateau-usine s’apprête à partir en mer, pour pêcher des crabes qui seront revendus à prix d’or. Mais les ouvriers-pécheurs ne se doutent pas encore du destin qui les attend…

Exploités, battus et spoliés par Asakawa, l’intendant du navire qui ne pense qu’aux bénéfices de l’entreprise qu’il représente, ils vivront un véritable enfer quotidien.

Pourtant, quand le bateau échappe au naufrage, grâce à l’aide d’un chalutier russe, les esprits commencent à s’échauffer.

Un jeune étudiant, influencé par les romans de Dostoïevski, décide de prendre la tête d’un mouvement de rébellion… La grève est ouverte !

Critique :
La littérature engagée, j’aime ça. Quelque soit son support. Ici, c’est roman issu de la littérature japonaise, publié en 1929 (et interdit ensuite), qui est adapté en manga.

L’auteur du roman original est décédé en 1933, d’une crise cardiaque, soi-disant, mais les marques sur son cadavre font tout de suite penser à ses proches qu’il est mort de la torture… Ambiance.

Ce manga parle du capitalisme dans ce qu’il a de plus extrême : pour que les actionnaires gagnent plein de pognon, il faut que des pauvres types crèvent en travaillant dans des conditions épouvantables.

Le rendement, quoiqu’il en coûte ! Voilà le maître mot d’Asakawa, l’intendant du bateau-usine qui pêche des crabes sur la mer du Kamtchtka, rivalisant avec les Russes. Pour l’intendant, c’est une guerre économique contre les Russes.

[…] c’est un duel entre le peuple de l’empire du Japon et les Russkofs… si jamais on perdait, alors les jeunes Japonais que vous êtes, avec vos couilles ballantes, vous n’auriez plus qu’a vous ouvrir le ventre et vous jeter dans la mer du Kamtchatka.

Coups, menaces, privations, travail dans des conditions terribles, pire qu’au goulag (ou « aussi pire »), malades obligés de bosser, bouffe infâme, pendant que le capitaine, l’intendant et les autres, se goinfrent de mets succulents, pour aller les vomir ensuite, vu que la mer, parfois, est démontée…

Même les ouvriers, dans leur trou à merde, au fond de la cale, on bien du mal à garder leur bol de riz dans l’estomac.

Dans ce manga, aucun personnage n’est plus mis en avant qu’un autre. Pas un héros, mais des ouvriers pauvres, qui n’ont pas le choix que de bosser sur ce navire, des hommes qui vont se révolter, tenter de se serrer les coudes pour mettre fin à cette tyrannie.

L’union fait la force, c’est bien connu, mais avant d’y arriver, à cette union, il faudra bien des brimades, bien des coups, bien des morts… avant que les 400 marins ne se rendent compte qu’ils sont bien plus nombreux que l’intendant.

Unir les gens est la chose la plus difficile qui soit, tandis que les désunir est si facile, comme le fera l’intendant, en mettant les pêcheurs et les ouvriers chargés de mettre les crabes en boîte en compétition. Et ça marche toujours !

Les seules choses qui aient un prix, sur ce bateau-usine, ce sont les boîtes de crabes, destinées à l’élite, certaines à l’empereur. Dans ces boites de crabes, il y a surtout le sang, la sueur et les morts des ouvriers, des pêcheurs.

L’autre chose qui a de la valeur, c’est le rafiot sur lequel ils naviguent : ce dernier est assuré pour une somme plus élevée que sa valeur. Autrement dit, il rapportera plus d’argent en faisant naufrage qu’en naviguant. Le ton est donné.

Récit d’une descente aux enfers où les pauvres gars embarqués sur cette galère se demanderont, à un moment, s’il n’aurait pas mieux valu mourir au départ. Les conditions de travail vont devenir de plus en plus dures, laissant les ouvriers épuisés, à tel point que les accidents de travail augmentent.

Un manga dont la lecture ne laissera personne indifférent, sauf peut-être les gros actionnaires (hommes ou femmes), qui ne s’enrichissent que sur le dos des autres, tels des tiques sur le dos d’un chien.

Il est à souligner que dans ces bateaux-usines, les intendants étaient des Japonais, qui se comportaient en esclavagiste envers d’autres Japonais, le tout pour le bien du pays. Ce n’était pas le fait d’étrangers donc !

Juste pour rappeler que bien souvent, le Mal vient de ses propres dirigeants, de ses propres intendants, patrons…. et qu’ils sont de la même nationalité que ceux qu’ils exploitent. Le véritable ennemi, ici, c’est le capitalisme et les étrangers ne sont pas responsables.

Diviser pour mieux régner, c’est un classique qui marche toujours. Exploiter les plus pauvres, ceux qui n’ont pas le choix, et les dresser l’un contre l’autre, c’est le combo gagnant pour cet intendant et pour tous les exploiteurs.

Un excellent manga, qui prouve, une fois de plus, que les mangas, ce ne sont pas que pour les ados et que ce ne sont pas des « trucs avec des mecs bourrins dedans ». Non, ici, c’est juste la mise en image d’un roman qui était lui même la mise en phrase des horreurs qui avaient lieu dans les bateaux-usines.

Le pire est que ces pratiques ont toujours lieu, quelque part dans le monde, dans d’autres pays, pour que des sociétés fassent de superprofits sur des vêtements, de l’alimentation, le tout, au détriment de gens qu’elles exploitent et de la Nature qu’elles foutent en l’air.

Pas de soucis, tout va très bien, madame la marquise !

Erectus – 03 – Le dernier hiver : Xavier Müller [LC avec Bianca]

Titre : Erectus – 03 – Le dernier hiver

Auteur : Xavier Müller
Édition : XO (03/11/2022)

Résumé :
Et si le passé, le présent et le futur n’étaient qu’illusion ?

Vous êtes là, deux amoureux à admirer l’extraordinaire météorite qui illumine le ciel, lançant autour d’elle des pépites dorées. Puis la personne que vous aimez, tout à coup, s’endort. Et quand elle se réveille, elle n’est plus la même. Elle vous considère comme son ennemi. Pire : comme sa proie !

Paris, Rome, New York, Tahiti… le cataclysme foudroie la planète, inversant le temps, remontant aux origines, effaçant l’évolution. C’est la superrégression. Un cauchemar. Et le spectre du dernier hiver pour l’humanité…

Critique :
Le premier tomes d’Erectus m’avait emballé, le deuxième avait eu un début un peu plus lent (avant de se poursuivre superbement ensuite), j’attendais donc le dernier avec une impatience mêlée de crainte…

Le risque, avec des suites, c’est qu’il y ait une régression scénaristique ou que l’auteur se prenne les pieds dans le tapis en voulant faire mieux (ou aussi bien) et que le final ne soit pas à la hauteur des attentes. Ce qui fout en l’air tout ce qui a précédé.

Alors, verdict ? Pas de crainte à avoir, si les Humains, les animaux et les plantes vont subir des régressions, le scénario, lui, va encore évoluer !

L’auteur a fait encore plus fort, plus fort que le Roquefort, plus fort que les deux précédents, le tout, sans perte de qualité scénaristique, que du contraire ! Son récit m’a emporté, m’a balayée, tout en restant réaliste, scientifique et sans jamais lasser. Pire, son livre, je l’ai bouffé sur une seule journée, affamée que j’étais. Ou contaminée !

Dans ce dernier tome, il a poussé les curseurs encore plus loin… J’ai frémi, tant tout était réaliste et j’espère que cette trilogie restera dans le domaine de la SF, car c’est trop flippant de penser que ceci pourrait, un jour lointain (ou proche), arriver.

Je ne vous dirai pas ce qu’il se passe dans ce dernier tome, il vaut mieux être vierge de tout résumé afin d’en profiter un maximum, d’avoir l’effet de surprise, de se prendre les révélations en pleine tronche et d’admirer le talent de l’auteur pour que, tout ce qu’il a mis en place, se tienne.

Il ne suffit pas de jouer avec la science, avec les lois de la physique ou bien le temps, il faut aussi que le récit reste cohérent, que l’auteur aille au bout de son idée, sans que son imagination débordante ne perde les lecteurs en route. L’équilibre doit toujours être assuré afin de ne pas se gameller.

Ce que Xavier Müller a réussi avec brio : cohérence et réalisme étant les maîtres mots de ce dernier tome, qui est brillant (au cas où certains ne l’auraient pas compris), vertigineux, qui donne le tournis et ne vous laissera que peu de répit, sans pour autant virer au thriller survitaminé qui perdrait de sa cohérence.

L’élément fantastique qui s’ajoute ne perturbe en rien le scénario, que du contraire. Vu ce qu’il se passe, cela reste cohérent et on se laisse embarquer pour un voyage des plus fous en Normandie et ailleurs.

Le seul léger bémol, c’est qu’il y a un peu de manichéisme dans les personnages. Les Gentils sont honnêtes, corrects, droits, justes, non vénaux et leurs défauts ne sont pas énormes, ce sont des gens dont on aimerait qu’ils soient nos collègues, nos voisins, nos amis, de notre famille.

Le Méchant, lui, est intelligent, profiteur, opportuniste, bref, réaliste. Heureusement, il échappe aux clichés que l’on retrouve chez certains auteurs (Ken Follet, entre autre) où les méchants sont stéréotypés à mourir. Celui du tome 2 faisait plus méchant d’opérette, pas ici.

Le manichéisme est ténu, à tel point que je ne l’ai pas ressenti durant ma lecture et ce fut au moment d’écrire ma chronique que je m’en suis rendue compte. Pas de panique, ce léger manque de défauts chez les Gentils ne pose aucun problème durant la lecture. C’est vraiment un point de détail, tant le reste est excellent.

Oserais-je dire que la saga Erectus est bandante ?? Oui, j’ose !

Ce thriller se révèle être une lecture virale, à laquelle il n’existe aucun antidote, si ce n’est aller jusqu’au bout de sa lecture. Après, un sentiment de manque se fait ressentir. Hé oui, la trilogie est terminée, il faut reprendre une vie normale.

La lecture suivante risque de me paraître fadasse, après un tel cocktail détonnant !

Une lecture addictive pour Bianca et moi, la preuve dans sa chronique ! Une manière de bien commencer l’année avec des bons romans qui donnent des LC réussies !

PS : bonne idée que l’auteur a eue, d’insérer un rapide résumé des tomes précédents, car les ayant lus à leur sortie, ma mémoire n’avait gardé que les faits les plus marquants et j’ai eu un peu de mal à remettre les personnages, ma mémoire les ayant un peu mélangé.

Challenge Thrillers et Polars de Sharon (du 12 Juillet 2022 au 11 Juillet 2023) [Lecture N°112].

Le carré des indigents‭ : ‬Hugues Pagan

Titre : Le carré des indigents

Auteur : Hugues Pagan
Édition : Rivages Noir (05/01/2022)

Résumé :
L’inspecteur principal Claude Schneider, fraîchement muté dans une ville moyenne de l’est de la France, reçoit comme première affaire celle de la disparition d’une jeune fille sans histoire.

Son père a signalé son absence alors qu’elle n’est pas rentrée de la bibliothèque. Finalement, le cadavre de Betty est retrouvé peu après, atrocement mutilé à la gorge.

Critique :
La prochaine fois qu’un scrogneugneu me balancera, d’un air infatué (ou moqueur), que « les romans policiers, ce n’est pas de la littérature, que je ferais bien de lire des vrais livres », je pense qu’il serait de bonne guerre que je lui balance ce polar noir dans la gueule, afin qu’il constatât que cela fait moult années que le polar n’est plus un roman de gare.

N’espérez pas lire ce polar noir en vitesse, il faut être concentré sur sa lecture, l’auteur utilisant des phrases bien plus complexes que le traditionnel « Sujet – Verbe – Complément ». Ses constructions de phrases sont belles, brillantes, recherchée. Mais c’est une lecture plus exigeante, il est déconseillé de rêvasser en lisant.

La société des années 70 que nous brosse l’auteur n’est pas brillante. Non, ce n’était pas mieux avant. Dans ses pages, c’est sombre et ce sont les petites gens qui sont mises à l’honneur, ainsi que les membres d’un commissariat, un peu à la manière de la série du 87è district (Ed McBain).

L’inspecteur principal Schneider est un homme taciturne, il a fait la guerre d’Algérie, est revenu avec des blessures à l’âme et au cœur, mais son personnage sort tout de même des sempiternels flics bourrus alcoolos. Mais que ça fait du bien d’avoir un enquêteur qui sort des portraits habituels, qui a du répondant (avec peu de mots, mais souvent cinglants) et qui se fout de tout, sauf de ses enquêtes (il ne fait pas de la lèche).

Hugues Pagan a une plume incisive, cynique, caustique, mâtinée de termes argotique, de langage un peu cru, sans être vulgaire. Du langage de flics des années 70, de celui des gens d’en bas. Un langage qui colle parfaitement bien à l’atmosphère de ce roman noir, qui est parfaitement dans le ton des années 70 et qui lui donne un petit truc en plus.

L’enquête ne sera pas facile : pas de témoins de la mort d’une jeune fille qui rentrait chez elle à bicyclette et que l’on retrouvera morte. Schneider mène l’enquête, boit beaucoup, fume comme un dragon, se moque des colère de celui que l’on surnomme Dieu (le chef du commissariat), ne trempe pas dans les magouilles des ripoux et tente de faire la lumière sur ce crime banal mais terriblement dégueulasse.

Un roman noir, social, terriblement sombre, rempli de désespoir, de tristesse, aux atmosphères poisseuses, peuplé de personnages forts, qui dégagent une présence qui restera, même après la fermeture de ce roman.

Un roman que j’ai refermé avec une pointe de tristesse, avec la sensation que je quittais une épique de flics que j’avais apprécié, qui m’avaient marqué, notamment Schneider. Un roman noir qui va à son rythme, qui ne fait pas dans la surenchère ou la vitesse, mais qui marque tout de même.

PS : merci au Top 10 (chez Collectif Polar) de la flingueuse Chantal qui m’a donné envie de lire ce roman noir ! C’est mauvais pour la PAL, ces top, mais on y trouve parfois des pépites cachées qui méritent d’être mises en avant !

Challenge Thrillers et Polars de Sharon (du 12 Juillet 2022 au 11 Juillet 2023) [Lecture N°107].