Verdun – 02 – L’agonie du fort de Vaux : Jean-Yves Le Naour et Iñaki Holgado

Titre : Verdun – 02 – L’agonie du fort de Vaux

Scénariste : Jean-Yves Le Naour
Dessinateur : Iñaki Holgado

Édition : Bamboo Grand angle (2017)

Résumé :
Juin 1916 – Le commandant Raynal, un officier blessé, se porte volontaire pour une mission désespérée : prendre le commandement du fort de Vaux, aux avant-postes des lignes françaises et tenir tête à l’offensive allemande qui avance.

Sans moyens et dans des conditions épouvantables, Raynal et ses hommes vont pourtant se battre avec acharnement, assoiffés et ne tenant que grâce au maigre espoir de l’arrivée de renforts ou d’une contre-offensive salvatrice…

Critique :
Verdun, mai 1916… Le temps est horrible sur Verdun, il pleut des bombes !

Le commandant Raynal s’est porté volontaire pour prendre le commandement du fort de Vaux et tenir la place, afin que les casques à pointes ne le prennent pas. Une mission suicide.

Mais avant d’arriver au fort, il faut traverser un paysage infernal, un paysage qui, à force de se prendre des bombes, ne ressemble plus à rien.

Une fois de plus, les dessins en disent beaucoup, pas besoin de faire de longues descriptions, on comprend toute de suite que l’armée française s’est prise un déluge de feu sur la tête.

Raynal, ce n’est pas un comique, il veut de l’ordre, il veut de la discipline, il ne veut pas que le fort ressemble à un foutoir et les hommes comprennent que ce ne sera pas un marrant.

Ni un marrant, ni un vétéran, car il ose demander à ses soldats s’ils ont été sévèrement bombardé… Déjà qu’il s’était demandé, lors de son voyage vers le fort, ce qu’était ce bruit (les bombes qui tombaient). Hé oui, première fois à Verdun. Il va vite comprendre.

Bon, entre nous, il faut sans doute l’avoir vécu pour le comprendre. Nous savons ce qu’il s’est passé, mais sans y être, nous ne pourrions pas dire ce que l’on pouvait ressentir là-bas.

Les combats sont terribles, les hommes, réfugiés dans le fort, subiront le feu roulant de l’ennemi, des attaques de toutes parts, et eux, ils doivent résister avec peu de matériel, puisqu’ils n’ont même pas de canon de 75 dans les tourelles du fort.

Pourtant, ils résistent, encore et toujours. Ailleurs, les propagandes vont bon train. On loue le courage des français, pour redonner le moral à la France et l’Allemagne loue aussi la résistance de ces hommes, entassés dans le fort, afin d’avoir un plus grand mérite lorsqu’ils les auront vaincus… Oui, la propagande, c’est un métier !

[Aide de camp] — Puisque les Français se passionnent pour le siège de Vaux, alors nous devons nous aussi dramatiser l’enjeu. Ainsi, quand la forteresse tombera, nous serons d’autant plus grands que nous aurons triomphé de formidables héros.
[Kronprinz] — Quelle bonne idée! Faites donner la presse! Vantez le courage des Français, ensevelissez-les sous les fleurs avant de les gazer dans leur terrier comme de la vermine !

C’est la chronique de leur mort annoncée, que met en image cette bédé. Ils doivent tenir, sans eau, sans secours, avec juste leur courage. Et le billet de félicitation du général Joffre pour s’être défendu devant les assauts répétés des allemands… Personne ne lui a fait bouffer, à Joffre, son putain de message ?

Le commandant Raynal n’était pas un marrant, mais il savait commander, soutenir ses hommes, prendre des décisions. Et puis, lui, contrairement à d’autres, n’était pas planqué dans une belle maison, dans le confort et la sécurité.

Un album rempli d’émotions, surtout à la fin, dans les dernières pages.

Il y avait des hommes courageux et ce sont eux qui devraient recevoir les mérites, les honneurs, les noms de rues. Pas les généraux d’opérette planqués à l’abri.

Un deuxième album magnifique, qui montre toute l’horreur de cette guerre, de ces combats, de ces morts. Un album qui rend hommage à ces héros de l’ombre, ceux dont on ne parle jamais. À tort !

— Et qu’est-ce que vous allez faire ?
— Je vais faire citer à l’ordre de l’armée ce brave pigeon qui est mort au colombier après avoir fait son devoir.
— Euh… et pour le fort et mes camarades ? C’est que nous n’avons plus une goutte d’eau et nous sommes enfumés comme des renards.
— J’ignorais que la situation était si grave.

Le Mois Espagnol et Sud Américain – Mai 2023 – Chez Sharon [Fiche N°51].

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Verdun – Tome 01 – Avant l’orage : Jean-Yves Le Naour et Iñaki Holgado

Titre : Verdun – Tome 01 – Avant l’orage

Scénariste : Jean-Yves Le Naour
Dessinateur : Iñaki Holgado

Édition : Bamboo Grand angle (2016)

Résumé :
Décembre 1915 : les Allemands semblent préparer une attaque d’envergure sur l’un des points stratégiques de la ligne de défense française. Si Verdun tombe, la guerre pourrait définitivement basculer en faveur de l’Allemagne.

Malgré les nombreuses mises en garde, le général Joffre, commandant en chef des forces françaises, se refuse à renforcer la zone, persuadé que la vraie bataille se jouera en Champagne.

Quand en janvier 1916 l’attaque ne fait plus le moindre doute, il semble bien tard pour réagir. Seul un miracle pourrait sauver Verdun.

Critique :
Verdun, 1916. La grande boucherie n’a pas encore commencé, mais elle se prépare, dans les rangs allemands et le grand général Joffre ne veut pas écouter les alarmistes qui lui certifient que l’offensive va se faire à Verdun.

Le grand général, bien au chaud et à l’abri dans une belle maison, se bâfrant, se croit le plus intelligent et lorsqu’il se rend compte que les autres ont raison, il est trop tard.

Joffre est rhabillé pour l’hiver, dans cette bédé. Fini d’aduler les généraux s’ils ne le méritent pas. Rendons à César ce qui est à César.

Dire au général qui se trouve à Verdun, que les renforts arriveront d’ici trois ou quatre jour, quand les obus comme une pluie drue, c’est culotté de la part du généralissime. Si Joffre avait été dans les tranchées, il aurait compris l’imbécilité d’une telle déclaration.

Avec des dessins réalistes, bien esquissés et différents arcs narratifs, le scénariste nous fait vivre Verdun au cœur de la bataille.

21 février 1916, Bois des Caures, 07:15, le bombardement commence tout proche de Verdun.

Si vous ne vous prendrez pas le million d’obus sur la tronche, comme les soldats français de l’époque, croyez-moi, en peu d’images, le dessinateur arrivera très bien à vous montrer l’enfer que ce fut. Personne n’a envie de se trouver sous ce déluge de bombes. Ni après, sous les balles ennemies.

De l’autre côté, chez les allemands, on a envoyé un million d’obus, on pense arriver les mains dans les poches, dans les tranchées française, sans tirer un coup de feu… Il y en a qui vont être surpris : les soldats français sont encore vivants et ils ripostent !

Dans cette bédé, nous sommes au cœur de la Première Guerre Mondiale, dans les tranchées, mais surtout dans les salons feutrés, là où se prennent les décisions (se prennent mal ?), là où des généraux qui ne sont pas sur le champ de bataille, décident ou pas, d’envoyer des renforts, ce ne sont pas eux qui mourront, de toute façon.

Là où des gens du gouvernement ont peur d’une catastrophe parlementaire, si Verdun est prise par les allemands. Les députés font sans aucun plus peur que l’ennemi Teuton… Une guerre d’égo, en quelque sorte. Facile quand on ne risque pas sa peau dans une tranchée.

Une bédé qui touche en plein coeur, qui vous souffle, qui vous glace les sangs. Et Pétain, appelé en renfort, pour sauver le bazar, et qui, malade, doit garder le lit pendant que son aide de camp fait tout le boulot. Mais qui a eu les lauriers, au fait ?

Une bédé à découvrir, pour en savoir plus sur Verdun.

Ils étaient 1200 sacrifiés au bois des Caures sous les ordres de Driant.
Ils étaient 1200. Ils se sont battus sans manger ni boire, avec juste un peu de neige à sucer pour étancher leur soif.
Ils étaient 1200.
Ils ont tenu face à 10.000 Allemands et sont morts les uns après les autres.

Le Mois Espagnol et Sud Américain – Mai 2023 – Chez Sharon [Fiche N°50].

Le soldat désaccordé : Gilles Marchand

Titre : Le soldat désaccordé

Auteur : Gilles Marchand
Édition : Aux Forges de Vulcain (1/08/2022)

Résumé :
Paris, années 20, un ancien combattant est chargé de retrouver un soldat disparu en 1917. Arpentant les champs de bataille, interrogeant témoins et soldats, il va découvrir, au milieu de mille histoires plus incroyables les unes que les autres, la folle histoire d’amour que le jeune homme a vécu au milieu de l’enfer.

Alors que l’enquête progresse, la France se rapproche d’une nouvelle guerre et notre héros se jette à corps perdu dans cette mission désespérée, devenue sa seule source d’espoir dans un monde qui s’effondre.

Critique :
Un ancien Poilu qui enquête pour retrouver un disparu durant la Der des Der, c’est un peu comme dans « Gueules d’ombre » de Lionel Destremau, mais contrairement à ce roman, celui-ci, je l’ai adoré !

Sa mission ? Retrouver, pour le compte de Mme Joplain, son fils Émile, qui n’est jamais revenu de la guerre… Oui, mais, nous sommes en 1925, un peu tard, non ?

Le nom de notre ancien Poilu, qui a perdu sa main gauche durant le conflit, nous ne le connaîtrons jamais, mais cela ne m’a posé aucun problème.

Son enquête, minutieuse, va le mener de piste en souvenirs des uns et des autres et après moult interrogations, il va entendre des récits du front, les anciens se livrant facilement à cet enquêteur, lui qui a connu les tranchées comme eux et qui en est revenu mutilé.

Durant son enquête, notre mutilé sans nom, va comprendre que la mère a caché l’existence d’une femme qu’il aimait et il se rendra compte aussi que cette affaire va lui permettre de passer en revue ses souvenirs de guerre, guerre dont il n’est jamais vraiment sorti, lui qui voulait faire son devoir, à tel point qu’il refusa les permissions…

Un roman sur la Première Guerre Mondiale, mais aussi un roman d’amour, une belle histoire qui prend encore plus de d’ampleur lorsque l’on est sur un champ de bataille ou sur le No Man’s Land, sous les obus, la mitraille…

Dans ce roman de 200 pages, on va à l’essentiel, mais l’auteur n’hésite pas à donner de l’épaisseur aux personnages secondaires, à tel point qu’on les voit, qu’on les entend nous raconter leurs souvenirs. Ils ont pris corps, ils sont réalistes. Tout, d’ailleurs, dans ce roman, est d’un réalisme à couper le souffle et jamais l’histoire d’amour ne deviendra guimauve.

L’écriture de l’auteur est belle, agréable à lire et certains néologismes m’ont fait penser à Frédéric Dard, auteur qui avait pour habitude de créer des verbes à partir de mots (comme « Pompefunébrer »).

En 1925, la France fêtait sa victoire depuis sept ans. Ça swinguait, ça électroménageait, ça jazzait, ça cinématographiait, ça mistinguait. L’Art déco flamboyait, Paris s’amusait et s’insouciait. Coco Chanélait, André Bretonnait, Maurice Chevaliait.

Un roman qui se lit trop vite, qui se termine trop rapidement, tant j’aurais encore bien passé du temps avec le mutilé sans nom, ses souvenirs, ses pensées un peu naïves, mais jamais imbéciles, ses anecdotes sur l’après guerre, où l’on apprendra que des villages se sont battus pour récupérer des morts afin de pouvoir les noter sur leur monument…

Si on avait su qu’un boche c’était rien qu’un Français qui parle allemand, on aurait eu du mal à continuer à leur tirer dessus.

Des blessés, c’était pas ce qui manquait, il y en avait partout. C’est même ce qu’on faisait de mieux à l’époque : les estropiés et les morts.

On voulait des lions, on a eu des rats.
On voulait le sable, on a eu la boue.
On voulait le paradis, on a eu l’enfer.
On voulait l’amour, on a eu la mort.
Il ne restait qu’un accordéon. Désaccordé. Et lui aussi va nous quitter.

Un roman court, mais intense, beau, lucide, poétique, bref, on en redemande ! Et je le recommande.

Les malvenus : Audrey Brière

Titre : Les malvenus

Auteur : Audrey Brière
Édition : Seuil – Cadre noir (02/02/2023)

Résumé :
1917. Alors que la Première Guerre mondiale fait rage, un homme est retrouvé mort dans une cave du village de Haut-de-Coeur, en Bourgogne. Pas mort d’un excès de froid, de faim ou de vin, comme d’autres, mais proprement égorgé.

Ici, bon nombre des habitants ont grandi sans autre père et mère que les religieuses du majestueux couvent des Ursulines.

C’est le cas de l’inspecteur de police Matthias Lavau : recueilli tout petit par le couvent, il est parti faire ses armes à Paris et à Lyon avant de finalement rentrer au bercail. Talent syna? II se souvient de tout, tout le temps. Une mémoire parfois lourde à supporter, mais dans ses enquêtes, un atout précieux.

La aussi est un ancien des Ursulines : Thomas Sorel, bien connu dans les alentours, et presque unanimement détesté… C’est le bras armé du très redouté maire. Beaucoup ont souhaité sa mort, pour des raisons valables, le plus souvent.

Dans l’atmosphère crépusculaire de l’hiver interminable qui s’est abattu sur la région, Matthias et son assiste Esther vont devoir démêler les racines du Mal, entrelacées depuis des décennies et profondément plantées dans les passions, les vices et les secrets de Haut -de-Coeur.

Critique :
Dans ce roman, l’autrice ne perd pas de temps à passer à l’acte, dès les premières lignes, vous vous prenez les pieds dans un cadavre, un homme assassiné qui vous foutra du raisiné plein vos petites mains !

Un crime à résoudre ? Les Experts CSI Bourgogne débarquent peut de temps après. Générique !

Who are you ? Who, who, who, who ? […]
Well, who are you? (Who are you? Who, who, who, who?)
I really wanna know (Who are you? Who, who, who, who?)
Tell me, who are you? (Who are you? Who, who, who, who?)
‘Cause I really wanna know (Who are you? Who, who, who, who?)

Hein ? Quoi ? Oups, pardon, j’oubliais que nous sommes en 1917, en pleine Première Guerre Mondiale et que les deux enquêteurs, bien que techniciens de scènes de crimes, n’en sont pas encore au niveau des Experts Las Vegas Miami, même si Bertillon et Locard ont déjà bien fait avancer la science criminelle (Holmes aussi).

Dans une France déchirée par la guerre, sous restrictions alimentaires, un petit village, sous la neige, vivote du mieux qu’il peut. L’orphelinat des Ursulines n’est pas loin et la plupart des anciens orphelins n’ont jamais quitté le coin, restant à proximité. L’inspecteur de police Matthias Lavau est un ancien des Ursulines. Esther Louve, son aidante, est issue d’ailleurs.

L’autrice s’est attachée à bien nous faire ressentir le froid de l’hiver, la neige qui vous rentre dans les chaussettes trouées, les privations alimentaires, la pauvreté des gens, leur indigence. Elle n’a pas oublié d’épaissir, d’approfondir ses personnages, qu’ils soient secondaires ou principaux, comme Matthias Laveau et Esther Louve. Pas de manichéisme ! Même pour TS, le mort, qui était une crapule.

Ce qui frappe, d’emblée, ce sont les mystères qui tournent autour de ces deux personnages. Esther Louve fait des cauchemars bizarres et ce n’est qu’à la fin que l’on comprendra leur signification, quant à Matthias, inspecteur à la mémoire infaillible, j’ai souvent eu envie de lui botter les fesses, tant il pouvait être abject et très con, parfois, notamment en foutant en taule des personnes qui n’ont pas la carrure pour ce crime.

Durant l’enquête, qui ne se passera pas ailleurs que dans le village et ses alentours (les bois où des loups rôdent, un château en ruine), le récit plongera dans le passé de certains des protagonistes, afin de nous éclairer sur leur personnalité et les surprises ne manqueront pas, les gens pouvant changer et devenir moins borné au fil des pages et du temps.

Sans être pourvu de multiples rebondissements, ce polar m’a tenu en haleine grâce à la construction de son récit, alternant entre le présent (1917) et le passé des différents personnages, mais aussi grâce à ces personnages, ni tous noirs, ni tous blancs, ambigu, rempli de complexités, cabossés. Les mystères sont très intrigants et j’avais envie de découvrir ce qui s’était passé.

Au moins, je n’ai pas été trompée sur la marchandise : sur le final, on a des rebondissements et on se demande comment tout cela va se terminer pour certains, car à force de fouiller dans les placards et d’en sortir des squelettes, on se doute que risque de péter à la gueule de certains… Au moins, le récit était élaboré et l’autrice ne s’est pas perdue dans le final.

Pour un premier roman, c’est une réussite indéniable ! S’il y a une nouvelle enquête du duo Matthias/Esther, je serai au rendez-vous.

Un dernier mot : laissons de côté les comparaisons notées sur le bandeau-titre, même si ce polar historique tire habillement son aiguille du jeu, ce serait lui porter préjudice que de dire qu’il est entre Lemaître et Vargas. Il est très bon et n’a pas besoin de cela pour l’être.

Challenge Thrillers et Polars de Sharon (du 12 Juillet 2022 au 11 Juillet 2023) [Lecture N°170].

Amère patrie – Intégrale : Christian Lax et Frédéric Blier

Titre : Amère patrie – Intégrale

Scénariste : Christian Lax
Dessinateur : Frédéric Blier

Édition : Dupuis – Aire libre (2018)

Résumé :
Jean Gadoix, Ousmane Dioum ; deux jeunes gens que rien ne destinait à se rencontrer, jetés dans les mêmes tranchées en 1914…

L’un sera fusillé sur une fausse accusation, l’autre survivra à la guerre mais subira l’offense répétée du racisme ordinaire, dans cette France des années 1920.

À travers les destinées particulières de Jean et d’Ousmane, c’est le destin d’une génération sacrifiée mais aussi le combat quotidien de femmes contre l’injustice, le mensonge et la calomnie, que nous raconte Lax sans complaisance ni faux-semblants, avec l’oeil de la vérité.

Critique :
Deux jeunes garçons qui préfèrent chasser, braconner, pêcher, plutôt que d’aller à l’école…

L’un habite en France (Jean Gadoix), l’autre au Sénégal (Ousmane) et rien ne prédisposait ces deux gamins à se retrouver face à face, un jour.

Sauf qu’en 1914 commença la Grande Guerre et que les généraux, la Patrie, a besoin de jeunes vies à faire faucher par l’ennemi teuton, de tirailleurs, de chair à canon.

Cette bédé commence gentiment, nous sommes encore loin de la guerre, nos jeunes gamins sont insouciants, mais pas de trop. L’un doit aider son père à la ferme, l’autre fait ce qu’il faut pour échapper au colons Blancs qui veulent l’envoyer à l’école.

Dans cet album, ça sent la ruralité, le colonialisme et même la campagne ne sent pas bon. Elle sent la sueur, la pauvreté, la misère, le travail harassant de le terre, avant que ce soit aussi le travail difficile dans les mines. Au Sénégal, ça sent mauvais les mariages forcés, les lois tribales.

Cet album, c’est l’histoire de multiples drames. Celui d’un accident, celui du travail épuisant pour nourrir sa famille, celui de la guerre, de ses tranchées, de la jalousie, de l’envie, de haine, d’une mesquinerie que l’un paiera très cher et d’un acharnement pour réhabiliter celui qui fut jugé comme un traître à la patrie.

Mais ce sont aussi des amitiés qui tiennent le coup, d’amour, de ténacité, de personnes qui se serrent les coudes, face à l’adversité et aux coups du sort.

C’est aussi la constatation d’un racisme solidement ancré dans le cœur des Français, de ces peuples que l’on exposaient comme des animaux exotiques, de la rancœur entre ceux qui ont fait la guerre, ceux qui ont échappé à la mobilisation, ceux que l’on a accusé de fuir le front, des insultes, de ces accusations qui n’en finissent jamais et qui se répercutent sur la famille, sur un fils…

La condition des femmes est aussi mise en avant, ainsi que le féminisme qui commençait à monter, et dont les mâles ne voulaient pas entendre parler. Ben non, hors de question de nous donner des droits, un salaire égal, le droit de vote…

Dans cet album, les auteurs frappent aussi là où ça fait mal, mais ils le font sans haine, juste en nous le montrant, de manière simple, réaliste : regardez bien, c’était ainsi à l’époque (et ce n’est pas encore tout à fait changé, hélas).

Le récit est prenant, les auteurs ont pris le temps de nous immerger dans l’époque, dans l’enfance de nos personnages principaux, afin que nous apprenions à les connaître, qu’ils deviennent des amis. Et il ne faut pas longtemps pour que nous nous y attachions.

Pas de manichéisme, pas de pathos inutile. Les méchants sont des gens ordinaires, victimes de leur haine, de leur racisme, de leur jalousie,… Nous aussi nous pourrions facilement tomber dans leurs travers, il suffit d’une fois, d’une colère, d’une envie de vengeance, d’un sentiment d’injustice, d’en sentiment de puissance dû à un uniforme, de l’argent, du pouvoir. Restons toujours vigilants.

Une bédé qui, bien qu’étant une fiction, s’appuie sur des éléments réels, tangibles, sur des faits de société, des faits de guerre, sur l’Histoire. Les auteurs ont mélangé le tout et cela donne un récit dramatique, beau, émouvant, touchant. Les dessins ont bien mis tout ça en page.

Une belle intégrale, rassemblant les deux albums, mon seul bémol étant que j’aurais aimé en avoir plus… Lorsqu’on aime une bédé, on n’en a jamais assez.

La maison assassinée : Pierre Magnan

Titre : La maison assassinée

Auteur : Pierre Magnan
Édition : Folio (1984 / 2015)

Résumé :
Fin du XIXe siècle. Un mas­sacre à l’arme blanche, en pleine nuit, cinq vic­times égor­gées. Un sur­vi­vant, âgé de trois se­maines, épar­gné pour on ne sait quelle obs­cure rai­son. Un vil­lage de mon­tagne isolé, un homme étrange qu’il ne fait pas bon fré­quen­ter, une opi­nion pu­blique ter­ro­ri­sée, trois étran­gers in­no­cents jugés cou­pables et guillo­tinés.

Vingt-cinq ans plus tard, le calme s’étend à nou­veau sur le vil­lage de Lurs. Du moins, jusqu’au re­tour de Sé­ra­phin Monge, le sur­vi­vant du mas­sacre, et res­ca­pé de la pre­mière guerre mon­diale. Dont il s’est tiré sans une égra­ti­gnure. Sé­ra­phin, force de la na­ture, pla­cide et puis­sant, à qui rien ni per­sonne ne semble ré­sis­ter, Sé­ra­phin a un point faible : il n’a pas de mère.

C’est lors­qu’il ap­prend d’un vieil ha­bi­tant du vil­lage la fin hor­rible que celle-ci a connu que tout bas­cule pour le pai­sible Sé­ra­phin. Hanté par le fan­tôme de cette femme égor­gée, il en­tre­prend de dé­truire la mai­son dans la­quelle il est né.

Va de dé­cou­verte en dé­cou­verte, de ren­contre en ren­contre, de ré­vé­la­tion en ré­vé­la­tion. Croit dé­cou­vrir les vé­ri­tables meur­triers de sa fa­mille, se four­voie, ne re­nonce pas, re­prend ses re­cherches sous les in­jonc­tions des rêves que lui pro­cure la mort de sa mère.

Critique :
Aahhh, PATRIIIIIIICKKKKK ! Dieu qu’il était beau dans ce film, sorti en 1988, à cette époque lointaine où je souffrais d’un mal étrange nommé Bruelmania (non, pas de folie devant une pizzeria pour moi, faut pas pousser non plus).

Ce film, il m’avait scotché, il m’avait fait frissonner. Vous pensez bien, toute une famille massacrée chez elle, égorgée et un bébé, laissé vivant dans son berceau.

Le twist final m’avait éclaté, subjuguée, pour ne pas dire « troué le cul ». C’est bien simple, ce film fait partie de mes préférés et lorsqu’il repasse à la télé, je me replonge toujours avec plaisir dans ses ambiances sombres de meurtres, tout en étant sous le soleil de la Haute-Provence. Entre nous, ça fait longtemps que je ne l’ai plus vu repasser à la téloche (ou alors, vu que je ne regarde quasi plus, j’ai loupé le coche).

Si j’ai vu le film de nombreuses fois, par contre, je n’avais jamais lu le roman. Et pourtant, je l’avais acheté, puisque je l’ai retrouvé dans mes stock dantesques de romans à lire. Oups, un oubli qu’il me fallait vite réparer !

La première chose qui saute aux yeux, c’est l’écriture de l’auteur : poétique, avec de belles grandes phrases, travaillées, sauf lorsque ce sont des petites gens qui parlent, là, il se coule dans le moule et nous les fait parler de manière réaliste, manquait plus que l’accent chantant.

Le vocabulaire est très riche aussi, composé de mots dont je ne soupçonnais même pas l’existence. Larousse ou Robert vous serons bien utiles au cours de votre lecture. D’ailleurs, vu l’écriture, vu les mots employés, on pourrait croire que le roman fut écrit en 1896, année où eut lieu de crime horrible.

Le roman est semblable au film, ou plutôt, le contraire : le film a respecté le roman, hormis pour un nom de famille changé et sans doute quelques détails dont je n’ai plus souvenir.

Le final, lui, je ne l’avais pas oublié et malgré que je savais, il m’a à nouveau sauté à la gueule, surtout qu’ici, Séraphin semble se détacher du fantôme de sa mère et la voir autrement, sachant qu’elle a aimé un autre homme que son paternel. Belle mentalité, Séraphin !

Les mystères sont bien présents, les secrets semblent se trouver sous chacune des pierres des petits chemins. Que savent vraiment les gens de ce qu’il s’est passé lors de cette nuit tragique du 29 septembre 1896 ?

Ce sera au fur et à mesure du récit que la lumière se fera, mais avant qu’elle n’arrive, Séraphin aura des fausses pistes, des suspects et surtout, une ombre mystérieuse qui tue à sa place.

Un bon roman policier qui vous plongera dans des ambiances sombres, celles des secrets, celle du sang répandu, celle des familles.

Un roman où le vent souffle, où les éléments peuvent se déchaîner, où le cœur de Séraphin, son âme, tout son corps en entier souffre de ne pas avoir connu sa mère, de ce crime horrible et qui devra faire son chemin de croix pour arriver à un peu plus de quiétude, s’il y arrive un jour. Séraphin est un jeune homme tourmenté et ça se ressent très fort dans le récit.

Un roman policier où il faut attendre la fin pour que le puzzle de ce crime se mette en place et que tous les témoins, muets jusqu’à ce jour, se mettent à parler, enfin ! Un roman policier qui parle de pardon, de rédemption, de vengeance et que se faire justice à soi-même est dangereux, car on peut se tromper de coupable, comme la justice le fit, 25 ans plus tôt.

Une lecture où j’ai revu la jolie petite gueule d’amour du Patrick Bruel de 1988, petite gueule qui me faisait baver devant… Plus maintenant, je suis adulte, même si j’apprécie toujours les chansons de ce chanteur (oui, je sais, casseroles au cul, là, ça me fait moins plaisir).

Challenge Thrillers et Polars de Sharon (du 12 Juillet 2022 au 11 Juillet 2023) [Lecture N°79].

L’Odyssée de Sven : Nathaniel Ian Miller

Titre : L’Odyssée de Sven

Auteur : Nathaniel Ian Miller
Édition : Buchet / Chastel – Littérature étrangère (25/08/2022)
Édition Originale : The Memoirs of Stockholm Sven (2021)
Traduction : Mona de Pracontal

Résumé :
Dès le prologue, le héros/narrateur annonce le programme : on l’a appelé Stockholm Sven, Sven le borgne, Sven le baiseur de phoques. On dit de lui qu’il a vécu seul, piégé dans le Grand Nord, qu’il est mort dans un accident, qu’il est un ermite, fou, un original qui abhorre la société. « Tout cela est vrai, et faux en même temps » prévient-il avant de se lancer dans le récit de sa vie.

Nous sommes en 1916 en Suède, et Sven, lassé d’une vie perdue dans un travail sans intérêt, décide de rejoindre le Spitzberg, un archipel de l’Arctique où la nuit règne en maîtresse quatre mois par an, où l’on doit résister aux assauts des éléments comme un coquillage s’agrippe désespérément à son rocher, où l’on peut assister à la splendeur d’une aurore boréale et être dévoré par un ours polaire dans la minute qui suit.

À la suite d’un accident presque fatal, Sven se retrouve défiguré et pense immédiatement que c’est un signe du destin : son avenir, c’est la solitude, une vie d’ermite.

C’est ainsi qu’il se met en quête de ce qu’il appellera « son fjord », son silence, sa retraite. En route, il rencontrera de nombreux compagnons, des rêveurs, des marginaux, des exclus ou tout simplement des solitaires.

À leurs côtés, il assistera à la naissance d’un glacier, aux jeux des renards polaires dans un jour sans fin, apprendra l’art de la trappe et de la pêche. Seul, il ira au bout de lui-même pour mieux retrouver le reste du monde.

Critique :
Stockholm Sven fut un trappeur solitaire au Spitzberg dans la première moitié du 20ème siècle.

Sven a commencé en tant que mineur en 1916, sur un site d’exploitation au Spitzberg (Svalbard, maintenant) et est revenu à son fjord après la fin de la seconde guerre mondiale.

Comme il y avait des trous dans sa vie, l’auteur a tenté de les reboucher, tout en donnant vie à cet étrange personnage que fut Sven.

Sven manque déjà d’énergie, se laisse aller très souvent, durant son histoire, on a envie de le secouer violement. Pourtant, malgré son apathie et son côté fainéant, on s’attache à Sven et on vit son aventure comme si on y était.

Le début de ce roman commence doucement et manque un peu de punch, surtout dans les dialogues que j’ai souvent trouvé plats. Malgré tout, je me plaisais bien dans le Grand Nord et j’avais envie d’y rester.

Lorsque le récit entame la partie où Sven part dans un fjord isolé, encore plus loin dans le Grand Nord, afin d’y construire sa cabane et de vivre en tant que trappeur, le récit est devenu viral, difficile à lâcher, à tel point que j’ai failli louper ma station de métro.

La Nature y est grandiose, mais hautement dangereuse ! Le moins faux pas, la moindre nonchalance et la mort ou l’accident vous guette. Il faut couper son bois, chasser, relever ses pièges, parce que là bas, il n’y a pas d’épicerie pour vous vendre de la bouffe. Et Sven, avec son spleen, va comprendre qu’on ne joue pas, dans le Grand Nord.

La solitude, ça n’existe pas vraiment et ce récit le prouve. Oui, Sven est seul, mais pas vraiment. Son chien lui apporte beaucoup et il rencontrera des personnages hauts en couleurs ou hautement sympathiques. Ces personnages secondaires sont aussi importants que Sven, ils feront de lui ce qu’il est, l’aideront, le guideront, Dame Nature finissant de le forger.

C’est un beau roman, c’est une belle histoire. Le ton est assez ironique, Sven étant devenu une gueule cassée suite à un accident dans la mine. C’est un roman sur l’acceptation de soi, sur la survie, l’amitié, celle qui dure, celle qui soude les humains.

C’est un roman sur la rudesse du climat qui règne dans le Spitzberg, donnant des hommes rudes, qui ne parlent pas beaucoup et qui vous montrent leur amitié autrement qu’avec de grand discours. Un récit d’une aventure humaine.

C’est aussi l’histoire de Sven, le personnage principal qui n’attire pas la sympathie du lecteur au début de son récit. Il est hautain, glandeur, s’apitoie sur lui-même, avant de changer, suite à ses rencontres, son accident et sa vie sur son fjord. Au moins, les personnages ne sont pas figés, dans ce roman.

Bref, si au départ je n’étais pas conquise par l’histoire et Sven, au fil des pages, comme lui, j’ai évolué, j’ai grandi et c’est en immersion totale que je suis entrée sur les terres glacées, souffrant du froid avec eux, chassant tout comme eux (mais moi, avec dégoût), me laissant bercer par la Nature, tout en la surveillant du coin de l’oeil, car sous ses latitudes, elle est traître, elle ne pardonne rien.

Un beau roman initiatique, une belle Aventure, avec un grand A !

Le dernier assaut : Jacques Tardi et Dominique Grange

Titre : Le dernier assaut

Scénaristes : Jacques Tardi et Dominique Grange
Dessinateur : Jacques Tardi

Édition : Casterman (05/10/2016)

Résumé :
Augustin Sauvageon, brancardier de son état égaré entre les lignes de front, enchaînent les rencontres toutes plus désagréables les unes que les autres…

Du capitaine raciste de La Coloniale aux soldats « nains » du roi d’Angleterre, en passant par les effroyables trouvailles technologiques des Huns… tout le monde en prend pour son grade ! Ca ne serait pas aussi effroyable, on en rirait presque.

Mais Tardi, passionné depuis plus de 30 ans par ce qui est devenu son sujet de prédilection, dénonce encore et toujours la bêtise et la cruauté des chefs, qui exploitent allègrement des pauvres gars qui n’ont jamais très bien compris ce qu’ils foutaient là.

Critique :
Augustin est brancardier et il sera notre guide dans cette énorme boucherie que fut la Première Guerre Mondiale, arpentant les tranchées, croisant bien des soldats et nous expliquant les choses les plus importantes qu’il y a savoir sur ce conflit mondial.

Ne cherchez pas un fil conducteur, il n’y en a pas vraiment, les tribulations d’Augustin n’étant là que pour dénoncer les injustices, le racisme, les tueries de masse, les incompétences des officiers, les magouilles des politiciens, le fric qu’on dû gagner les fournisseurs de matériel militaire et autres saloperies.

Le procès de la France est bien entendu à charge, l’auteur chargeant la mule de tous les reproches qu’on peut lui adresser, sans oublier de charger aussi l’Angleterre, qui fit venir tous les peuples des Dominions, pour les faire combattre dans la boue et les tranchées.

Ces deux pays, colonialistes au possible, n’ont jamais respecté les peuples de leurs colonies, devenu de la chair à canon dans un conflit dont en principe, ils n’avaient rien à voir.

Les procès à charge ne sont pas ma tasse de thé, l’équilibre n’étant pas assuré par un avocat, même du diable, mais dans ce cas-ci, je ne lui en voudrai pas, l’auteur ne faisant que dire des vérités et de mettre à jour des injustices flagrantes.

Augustin déambule, parle dans son argot des tranchées (compréhensible), les dessins des décors sont précis, il ne manque rien : ni les morts, ni les rats festoyant, ni les animaux crevés dans des fossés, ni les maisons détruites…

Tout est fait pour qu’en 88 pages, le lecteur en prenne plein la gueule et en sache le plus possible sur les différents gouvernements et leurs petites saloperies en coulisses. De toute façon, les politiciens n’ont jamais été patauger dans la boue, les tripes, le sang et les cadavres des tranchées, eux !

Ce récit parle de souffrance humaine, d’injustices, des horreurs du conflit mondial, qui a entraîné des morts en pagaille (avant que la grippe n’en fasse encore plus, la preuve que la vie ne manque jamais d’ironie) tout en engraissant d’autres (et pas que les rats).

Le discours est antimilitariste et je ne le reprocherai pas à l’auteur. Malgré tout, il manque un peu d’émotions, dans ces pages et j’en avais reçu bien plus en lisant la trilogie du Stalag IIB.

Voilà encore une bédé de Tardi que j’ai appréciée, malgré l’absence de fil rouge, malgré le manque d’émotions, malgré le discours d’Augustin qui pourrait faire penser que l’auteur règle des comptes avec les militaires et tous les connards qui aiment les conflits. Là, il n’a pas tout à fait tort…

Dommage pour les émotions manquantes, j’aurais aimé qu’il y en ai dans cet album, vu le sujet traité.

Les croix de bois (BD) : Jean-David Morvan, Percio Facundo et Roland Dorgelès

Titre : Les croix de bois (BD

Scénaristes : Jean-David Morvan & Roland Dorgelès
Dessinateur : Percio Facundo 🇦🇷

Édition : Albin Michel (2020)

Résumé :
Ils venaient de l’arrière, ils venaient des villes. La veille encore ils marchaient dans les rues, ils voyaient des femmes, des tramways, des boutiques ; hier encore ils vivaient comme des hommes.

Et nous les examinions émerveillés, envieux, comme des voyageurs débarquant des pays fabuleux. Eux aussi nous dévisageaient, comme s’ils étaient tombés chez les sauvages.

Un roman adapté en bande dessinée qui décrit, à travers le quotidien de Gilbert Demachy, un jeune soldat, le réalisme de ce que fut la Grande Guerre, son âpreté quotidienne dans la boue et les tranchées, sa tragédie parfois misérable, parfois grandiose, le combat de tous les jours non seulement avec l’ennemi mais aussi avec la misère et la peur, le face-à-face avec la mort.

Critique :
Possédant le roman de Roland Dorgelès, qui prend les poussières sur mes étagères (il n’est pas le seul), j’ai décidé de le découvrir au travers de l’adaptation en bande dessinée.

Ma première impression ne fut pas bonne, tant les dessins me déplurent d’emblée.

Les couleurs des uniformes français, presque blancs, les tons brunâtres des décors, passant ensuite sur les uniformes des soldats… bref, les dessins et moi n’allions pas être des grands copains. Il ne me restait plus que le scénario.

Mais que venaient-ils faire dans cette galère ?

Le jeune Dorgelès avait été réformé deux fois pour raison de santé, mais il voulait aller à la guerre, alors il demanda à Clemenceau une lettre de recommandation. Tout le monde, à ce moment-là, la pense courte… La guerre ne sera pas courte et ça, ils ne le savent pas encore.

Lorsque nous arrivons à la partie consacrée au souvenirs d’enrôlement du journaliste Dorgelès (son nom de plume), les dessins sont différents, plus agréables à regarder, mais une fois que l’on repasse avec son héros, Gilbert Demachy, les dessins redeviennent ceux du début.

Durant tout l’album, il y aura des alternances entre les couleurs brunes et celles qui tireront plus vers le bleu/gris.

N’ayant pas lu le roman, je ne peux pas dire si l’adaptation est fidèle ou pas (*). Hormis les graphismes qui m’ont déplu, j’ai apprécié le reste.

L’adaptation n’est pas faite que de combats, mais d’un habille mélange de ce que fut la vie de milliers de Poilus durant cette guerre : disputes, rires, abattement, moral à zéro, gouaille entre les soldats, les plus anciens qui mettent les plus jeunes au parfum, latrines communes, bouffe de merde, la boue, les poux, les erreurs qui coûtent en vie, les marches harassantes, les vivants qui se protègent derrière des morts…

Pas de censure dans cette bédé, comme il y en avait à l’époque et après la fin de la guerre.

La couverture en dit déjà long : ce n’est pas un soldat super-héros et digne de la propagande qui est représenté, mais un soldat recroquevillé sur lui-même, tentant d’échapper à la Mort, le tout sur un fond de ciel rouge sang, avec des croix de bois brisées et une explosion en arrière-plan.

Si les politiciens (et les galonnés) de l’époque voyaient ça, ils hurleraient, eux qui voulaient montrer le soldat français en vainqueur de l’infâme soldat teuton. Au moins, ceci est plus réaliste que ce qui était imprimé et publié dans les feuilles de choux de l’époque.

Dorgelès dû censurer son roman avant sa publication chez Albin Michel.

Il y a assez bien de texte, la lecture ne se fait pas en une seule fois, il a de quoi nourrir son esprit et j’ai pris mon temps pour la découvrir, tout en sachant que je louperais malgré tout des détails. Puis, il y aura des cases sans texte, parce que les mots ne serviraient à rien.

Une adaptation fort poignante.

(*) Ce n’est qu’arrivé à la fin de la bédé que j’ai appris que celle-ci comportait des scènes qui avaient été coupées lors de sa parution en roman, ainsi que des scènes de vie de l’auteur, Roland Dorgelès.

Le Mois Espagnol (et Sud-Américain) chez Sharon – Mai 2022 (Fiche N°36).

Tranchecaille ‭:‬ Patrick Pécherot [LC avec Bianca]

Titre : Tranchecaille

Auteur : Patrick Pécherot
Édition : Gallimard Série noire (2008) / Folio Policier (2010/2015)

Résumé :
Chemin des Dames, 1917, l’offensive du général Nivelle tourne à l’hécatombe. Dans l’enfer des combats, un conseil de guerre s’apprête à juger le soldat Jonas, accusé d’avoir assassiné son lieutenant.

Devant l’officier chargé de le défendre défilent, comme des fantômes, les témoins harassés d’un drame qui les dépasse. Coupable ? Innocent ? Jonas est-il un simulateur ou un esprit simple ?

Le capitaine Duparc n’a que quelques jours pour établir la vérité. Et découvrir qui est réellement celui que ses camarades ont surnommé Tranchecaille.

Critique :
Ce polar historique, qui aura pour cadre les tranchées de la Première Guerre Mondiale, commence un peu à la Columbo…

Dès les premières lignes, nous assistons à l’exécution d’un soldat accusé d’avoir planté, non pas le bâton, mais la baïonnette dans le dos de son lieutenant.

Tout ça pour un uniforme trop grand… Tout ça pour une prise de bec qui a eu lieu entre lui et le nouveau lieutenant ? Purée, ça fait cher le tissu en trop et le froc qui descend lorsque l’on charge les tranchées des casques à pointes.

Ce polar historique ne commence pas comme un autre, n’a pas un terrain d’enquête habituel et sa manière de nous narrer l’enquête du capitaine Duparc n’est pas commune du tout.

En effet, la narration de l’enquête, les faits et gestes du capitaine Duparc, du soldat Jonas (l’accusé), ainsi que des autres protagonistes de l’histoire (témoins, gradés, soldats de l’unité et j’en passe) est racontée au travers de chapitres assez courts qui sont en fait des témoignages en direct ou rapportés, des interrogatoires menés par le capitaine (ou son greffier), des discussions qui ont lieu sur place ou ailleurs, a moyen de lettres, de scènes rapportées….

Déstabilisant au départ, ce récit, monté comme un journal de bord. Pourtant, une fois dans le bain, on se sent très vite à l’aise, même si nous sommes dans un endroit où je n’aurais pas aimé traîner à cette époque.

D’ailleurs, l’auteur ne se contente pas de nous conter l’enquête, dans les chapitres, il y a aussi des scènes de la vie quotidienne dans les tranchées, notamment les milliers de morts, pour quelques mètres de pris et dont les quotidiens titreront que c’était une percée importante.

Si je ne me suis attachée à aucun personnage, cela n’a pas entamé mon plaisir de lecture, puisque les 300 pages ont été avalées en une seule journée (sorry ma Bianca).

Cela était sans doute dû au fait que l’on ne sait jamais vraiment qui est le soldat Jonas, l’accusé : un vrai benêt ou un type intelligent qui jouait au con ? Un vrai traumatisé par ce qu’il a vécu durant les 3 années, ou un comédien ? Un soldat qui est vraiment crétin ou un qui se moque des gradés ? Un débile, un âne ? Ou un simulateur de génie ? Cet homme est une énigme à lui tout seul.

En tout cas, c’est addictif, cette enquête et elle n’a rien de banal.

Un polar historique sur fond de Première Guerre Mondiale, sous le régime de la censure, celui de la langue de bois, celui où la justice était arbitraire et inique puisque, pour un galonné assassiné, on veut exécuter un soldat, mais qu’on n’exécutera pas de galonné pour tous les soldats qu’ils ont envoyé à la boucherie.

Une LC avec Bianca réussie et que je ne regrette pas d’avoir faite, ce roman traînait depuis trop longtemps dans mes étagères et il ne méritait pas ça !

Challenge Thrillers et Polars de Sharon (du 12 Juillet 2021 au 11 Juillet 2022) [Lecture N°213].