King Kasaï : Christophe Boltanski

Titre : King Kasaï

Auteur : Christophe Boltanski
Édition : Stock – Ma nuit au musée (11/01/2023)

Résumé :
« Il est tout blanc, d’un blanc spectral, taillé en Hermès. Privé de son socle, pour ainsi dire détrôné, il jouxte des artefacts faits de la même substance dure, compacte, quelque peu élimés par le temps, imprégnés de la même grandeur surannée. La vitrine expose une matière – l’ivoire – à travers ses multiples usages exhumés d’un grenier de grand-mère. Un chausse-pied, des coquetiers, des ronds de serviette, un coupe-papier, un bougeoir, des boules de billard, une brosse à cheveux, et au milieu de ce bric-à-brac de brocanteur, un roi avec sa barbe et ses médailles. Léopold II n’est plus qu’un bibelot parmi d’autres. »

King Kasaï est le nom d’un éléphant empaillé qui fut longtemps le symbole du Musée royal de l’Afrique centrale, situé près de Bruxelles. C’est devant le « roi du Kasaï » et près d’un Léopold II à la gloire déboulonnée, dans cette ancienne vitrine du projet colonial belge aujourd’hui rebaptisée Africa Museum, que Christophe Boltanski passe la nuit.

En partant sur les traces du chasseur qui participa à la vaste expédition zoologique du Musée et abattit l’éléphant en 1956, l’auteur s’aventure au cœur des plus violentes ténèbres, celles de notre mémoire.

Critique :
Ce livre de la collection « Une nuit au musée », je voulais absolument le lire parce qu’il se passe dans un musée de ma ville, même si je n’habite pas Tervuren (qui se trouve en périphérie de Bruxelles, mais on ne va pas pinailler).

Vivant depuis plus de 20 ans à Bruxelles, j’en avais entendu parler pour la première fois par un de mes anciens collègues, qui avait sorti une blague bien grasse, bien lourde, insultante, dégradante, à consonance raciste et qui m’avait laissée, à l’époque, muette.

Un raciste ordinaire qui pense que les autres sont moins bien que lui. Le genre de truc qui me hérisse le poil au plus haut point. Plus tard, j’ai entendu bien pire que sa blague grasse, et là, au moins, j’avais plus de bagage et je n’étais pas restée muette, j’avais volé dans les plumes de la personne. Hélas, impossible de faire changer les opinions de certains…

Donc, si j’ai visité quelques musées de ma ville, je n’avais jamais eu envie de mettre les pieds dans celui qui se nommait auparavant « Musée du Congo Belge ». Eh oui, le Congo appartenait exclusivement à Léopold II, roi des Belges (et non de Belgique comme on fait souvent la faute), notre ancien roi.

Non, je n’en tire aucune fierté de cette ancienne possession, mais je ne vais pas me flageller pour des fautes commises par certains. Pendant que les colons Belges creusaient la terre pour pilier le Congo de ses richesses, mes ancêtres retournaient leurs terres pour planter des céréales, les faire pousser avant de les récolter (oui, je descend de céréales killer) et pour eux, Bruxelles était à l’autre bout du monde, alors le Congo, vous pensez bien…

Cette lecture m’a appris bien des choses et fait remonter des souvenirs datant de mon enfance, lorsque mon grand-père me lisait « Tintin au Congo » (j’avais 5 ans), un album bourré de clichés, puisque Hergé n’a jamais mis les pieds au Congo, mais avait visité son musée… Oui, son guerrier léopard vient du musée ! J’avais même oublié combien Tintin était hautain avec les autochtones et qu’il dézinguait des tas d’animaux…

Racontant sa nuit au musée, l’auteur parlera, entre autre, du chasseur qui a abattu le magnifique éléphant qui se trouve dans la rotonde, le fameux King Kasaï, remontant aussi le fil des ancêtres de ce chasseur, surtout ceux qui ont été au Congo, sans oublier ceux qui y ont fait des carnages en tuant X animaux d’une même race alors qu’un seul aurait suffit pour la taxidermie.

Ma lecture était très instructive… Puis, au détour d’une page, les horreurs sont arrivées, elles m’ont prises à la gorge, m’ont tordu les tripes, font monter la bile dans ma bouche : l’auteur parlait des exploitations de caoutchouc, des mains que l’on coupait pour justifier des balles tirées, des têtes que l’on a coupées, des crânes qui furent exposés, sur les piquets d’une villa…

C’est une lecture dont on ne ressort pas indemne, même si l’auteur évite de sombrer dans le pathos, de donner des leçons. Il ne minimise pas, il donne les faits, parlant aussi des statues que l’on déboulonne un peu partout et qui, de ce fait, sont mises sous le feu des projecteurs.

En 160 pages, l’auteur donne un bon aperçu de l’horreur de la colonisation, sans entrer dans tous les détails sordides, bien entendu. Il réussi à faire le point sur le passé colonial de la Belgique, au travers de son roi, sans pour autant nous juger (un pays d’Europe peut-il se taguer de n’avoir possédé aucune colonie ?), sans pour autant excuser.

Une lecture coup de coeur, coup de poing, remplie d’émotions et qui m’a sans doute parlé bien plus du fait de mon appartenance au royaume de Belgique, puisque j’étais directement concernée (l’argent du Congo a enrichi le roi, une partie de ses sujets, mais aussi le pays et Bruxelles lui doit certainement la magnificence de certains endroits).

Une lecture coup de poing, une lecture qui parle des pages sombres de notre histoire à nous, les Belges, et dont nous ne sommes pas fiers (hormis les indécrottables racistes, suprémacistes, ou les descendants de ceux qui s’y sont enrichis). Une lecture des plus instructives, sans oublier émotive.

Musée de Tervuren (inspiré par le Petit Palais)

42 réflexions au sujet de « King Kasaï : Christophe Boltanski »

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  4. Oh tiens justement je viens de terminer la lecture de « congo Inc: le testament de Bismark » de In Koli Jean Bofane…il parle bien de l’heritage du Congo de ce Leopold…..oui tant d’horreurs pour du metal……il va falloir regarder nos biens de consommation d’une autre facon…..car helas on est quand meme complice…..d’une autre maniere….

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  5. Ayé ! J’ai compris le principe de la lecture « coup de poing » ! Il fait rajouter « dans les gencives » ensuite! Dis donc… Belette… tu aimes te faire du mal, non?🤔

    Moi j’ai toujours eu un problème avec le ça fait du bien quand ça fait mal…🙄

    A quand la fiche sur 50 nuances de bouse ? 🤣 Je sais, je sais… il y a peu de risques… 😂

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