Châtiment : Percival Everett

Titre : Châtiment

Auteur : Percival Everett
Édition : Actes Sud – Actes noirs (07/02/2024)
Édition Originale : The Trees (2021)
Traduction : Anne-Laure Tissut

Résumé :
Une série de meurtres brutaux secoue la petite ville de Money, Mississippi : des hommes blancs sont retrouvés atrocement mutilés.

Mais ces meurtres recèlent un mystère, car sur chaque scène de crime on retrouve un second cadavre [résumé trop bavard, je le coupe !].

Lorsqu’un duo d’enquêteurs tout en second degré est dépêché sur les lieux, il se heurte à la résistance attendue du shérif, de ses adjoints, du légiste et d’une cohorte de Blancs tous plus racistes les uns que les autres. Les deux agents spéciaux pensent avoir affaire à des crimes punitifs…

Dans cette comédie noire audacieuse et provocatrice, Everett a le racisme et les violences policières dans le collimateur et déploie son intrigue à un rythme effréné, ne laissant aucune chance au lecteur de détourner le regard.

Critique :
♫ Money, get away ♪ (1) Oui, la petite ville de Money, Mississippi, ne donne pas envie d’être visitée. Nous sommes dans le Sud profond, celui des rednecks, des pequenauds, des ploucs, des bouseux et des racistes bas de plafond, dont certains portent encore la cagoule blanche…

Que se passe-t-il à Money ? Deux hommes blancs se sont fait assassiner (rien d’original), on a massacré leur visage, enroulé du fil barbelé autour et on leur a coupé les couilles (ah, on ajoute de l’originalité).

Là où le truc devient fou, c’est qu’on a retrouvé, sur chaque scène de crime, le corps d’un homme Noir, visage tuméfié aussi, mort de chez mort et que ce mort a disparu ensuite, puis réapparu, puis disparu, et est encore réapparu… Serait-ce un zombie, un mort-vivant ? Ou alors, David Copperfield est en ville et à eu envie de diversifier ses tours ? Les magiciens sont parfois taquins…

Ce qui surprend, dans ce roman noir de chez noir, c’est le ton, l’écriture et l’ambiance. L’auteur joue dans le registre de l’humour (noir et ironique), à la limite du burlesque (sans franchir la ligne rouge) et ces ambiances, au lieu d’être plombées, sont amusantes. J’ai souvent souri avec les dialogues, avec les adjoints débiles du shérif, sorte de mélange de Laurel, Hardy et d’Averell Dalton (le « quand est-ce qu’on mange ? » en moins), ainsi que les noms de certains personnages (les jeux de mots !).

Ce roman, qui a le goût d’un bonbon acidulé, m’a donné l’impression de se passer dans l’Amérique de 1950 (les mauvaises langues diront 1850), tant cette petite ville de Money avait l’air d’être restée coincée dans cette époque où le racisme suintait de partout et où les lynchages avaient toujours lieu. Alors, quand un protagoniste parlait de son smartphone ou d’Internet, j’étais à deux doigts de crier à l’anachronisme. Non, non, nous étions bien dans les années 2016 (le moumouté est sur le trône). En tout cas, la consanguinité n’a pas eu trop d’effet sur la population…

Un roman noir à l’humour grinçant, où l’auteur dénonce une Amérique raciste, suprémaciste, où le KKK est toujours présent, où les gens sont prêts à revoter pour le mec aux cheveux orages, celui qui n’a que des phrases haineuses (ou sexiste, ou débiles au possible) qui lui sortent de la bouche (le discours de Trump, dans le roman, semble être surréaliste, mais est terriblement réaliste)…

Et puis, il y a des personnages lumineux, comme Mamma Z, qui a réuni des archives sur toutes les personnes lynchées depuis 1913 (son année de naissance), sans oublier son arrière-petite-fille, Gertrude, que j’ai apprécié, ainsi que les deux agents du MBI (Mississippi Bureau of Investigations), qui ont apporté une touche d’humour et de légèreté dans ce récit qui avait tout pour être glauque et oppressant.

Un roman policier totalement fou, où vous n’aurez pas toutes les réponses pour les premiers crimes (les modus operandi), mais entre nous, ce n’est pas important.

Le final du roman lorgnera du côté du fantastique, du surnaturel, même, mais uniquement pour illustrer la métaphore que les américains blancs (WASP) sont toujours hantés par les morts, victimes du racisme, de la ségrégation, de la haine, lynchés ou asphyxiés… Leur conscience les tourmente, ils veulent les faire taire, mais on ne réduit pas les morts au silence.

Un roman noir au casting impeccable, dont on ne sait si le récit, sérieux, est masqué sous du burlesque ou alors, si c’est du burlesque utilisé pour cacher le côté sérieux et violent de ce récit. En tout cas, c’était bien réalisé, bien mis en scène, sans jamais dépasser la ligne rouge ou devenir moralisateur.

La noirceur, parfois, il faut la masquer sous l’humour (caustique), elle ne passera que mieux et marquera encore plus les esprits. Moi, j’ai été marquée par ce roman.

(1) Money des Pink Floyd

An American Year

Challenge Thrillers et Polars de Sharon (du 12 Juillet 2023 au 11 Juillet 2024) [Lecture N°156]  et le Challenge « American Year » – The Cannibal Lecteur et Chroniques Littéraires (du 15 novembre 2023 au 15 novembre 2024) # N°43.

18 réflexions au sujet de « Châtiment : Percival Everett »

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  3. Pour une fois que ce ne sont pas les femmes qui finissent découpées en rondelles, je me dis que ça pourrait être intéressant ! 😉 Et pis ton retour est engageant ! Allez! Vendu! Je vais devoir aller à la librairie maintenant ! 🙄

    Et peut être racheter une bibliothèque chez le suédois ? 🤔

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  4. J’adore cet auteur, dont je crois avoir lu tous les titres traduits en français ‘ai lu tous les romans traduits en français sauf un (enfin, maintenant deux, avec celui-là).. humour & noirceur, c’est bien sa marque de fabrique. Je suis toujours étonnée de la discrétion avec laquelle ses nouvelles parutions sont accueillies..

    Aimé par 1 personne

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