L’archipel du Goulag [Abrégé] : Alexandre Soljenitsyne

Titre : L’archipel du Goulag [Abrégé]

Auteur : Alexandre Soljenitsyne
Édition : Points (05/06/2014)
Édition Originale : Arkhipelag gulag (1973)
Traduction :

Résumé :
Colossale enquête documentaire et historique sur les institutions concentrationnaires en Russie. Un livre de combat, qui a ébranlé les fondements du totalitarisme communiste et qui brûle encore les mains.

Ecrit de 1958 à 1967 dans la clandestinité, par fragments dissimulés dans des endroits différents, il a été activement recherché, et finalement découvert et saisi par le KGB en septembre 1973.

Aussitôt, le premier tome a été publié d’urgence en Occident, la pression de l’opinion publique des pays libres étant la seule force capable de sauver l’auteur et tous ceux qui l’avaient aidé.

Arrêté en février 1974, Soljénitsyne fut inculpé de trahison, puis, par décret du Présidium du Soviet suprême, déchu de la nationalité soviétique et expulsé d’URSS. Jusqu’à sa publication partielle par la revue Novy mir en 1990, l’Archipel ne sera lu en URSS que clandestinement, par la partie la plus courageuse de l’intelligentsia.

Mais, en Occident, il sera répandu à des millions d’exemplaires et provoquera une mise en cause radicale de l’idéologie communiste.

Toute sa puissance d’évocation, son éloquence tumultueuse, tantôt grave et tantôt sarcastique, l’auteur les prête aux 227 personnes qui lui ont fourni leur témoignage, et à tous ceux « auxquels la vie a manqué pour raconter ces choses ».

Là où rien n’est parvenu jusqu’à nous, « car l’Archipel est une terre sans écriture, dont la tradition orale s’interrompt avec la mort des indigènes », il nous fait sentir le poids du silence et de l’oubli. La première partie, « L’industrie pénitentiaire », explique comment la machine vous happe et vous transforme en « zek ».

Aux sources de la terreur, elle montre Lénine. Elle dresse la liste des  » flots « , grands et petits, qui se sont déversés sur l’Archipel.

En étudiant l’évolution de la mécanique judiciaire, elle explique les grands procès staliniens.

La deuxième partie, « Le mouvement perpétuel », montre, à toute heure du jour et de la nuit, des convois de condamnés acheminés vers les camps : en fourgons automobiles, en « wagons-zaks » et wagons à bestiaux, en barges sur les fleuves, en colonnes de piétons dans la neige.

Chaque mode de transfert engendre une torture propre, mais certains permettent d’étonnantes rencontres.

Alexandre Soljénitsyne se montre lui-même tel qu’il a été en liberté, en prison, au camp, et il se juge.

À tous ceux qui ont connu la captivité et à tous ceux qui s’interrogent sur le sens de la vie humaine, ce livre propose une nourriture forte, pénétrée d’espoir et adaptée à notre temps.

Critique :
Comment parler de l’indicible ? Comment parler d’un génocide par les camps de travail ? De déportations massives ?

De populations que l’on a pris dans leurs villages et qu’on a déplacé dans des terres arides, incultes, sans rien leur donner ?

Comment parler de la mort de millions de personnes, assassinés par les gens de son propre peuple ?

Tout simplement comme Alexandre Soljenitsyne l’a fait dans son célèbre livre qui lui valu des sueurs froides lorsqu’il le composa, ne laissant jamais l’entièreté d’un chapitre au même endroit, ne laissant jamais tout son travail étalé sur sa table. Trop dangereux.

Il est des livres qui, une fois terminés, vous donnent envie de plonger dans du Tchoupi ou équivalent (mais rien de plus fort). L’envie de plonger dans du Oui-Oui s’est déjà faite ressentir après certains chapitres de romans particulièrement éprouvants (Cartel  & La frontière, de Winslow).

Pour l’Archipel, j’ai eu l’envie de me rabattre sur des P’tit Loup après chaque phrase lue, c’est vous dire sa puissance ! C’est vous dire les horreurs que l’on a faite aux prisonniers politiques, condamné sur base de  l’article 58 et qu’on appellera des Cinquante-huit dans les camps.

Mais jamais Soljénitsyne ne s’amuse à faire dans le glauque pour le plaisir d’en faire, jamais il ne fait dans le larmoyant.

Alors oui ce qu’on lit fend le cœur, fait naître des sueurs froides, surtout si vous imaginez que ces horreurs arrivent à vos proches, mais l’écriture de l’auteur fait tout passer facilement car il donne l’impression de vous raconter une histoire, vraie et tragique, mais d’une manière telle que vous continuez la lecture sans arrêter.

Ce livre n’est pas vraiment un livre dans le sens habituel puisque la trame narrative n’est pas une suite, mais plutôt un rassemblement de divers témoignages, le tout étant regroupé dans des sections bien définies, commençant par l’industrie pénitentiaire qui décrit la mise en place de la machine à broyer.

Le ton de Soljénitsyne n’est pas dénué de cynisme, de causticité, mais jamais au grand jamais il ne fait de réquisitoire contre la politique, ni contre ceux qui broyèrent les autres, car il est lucide : le hasard de la vie aurait pu le mettre du côté des tortionnaires au lieu d’être avec les victimes du Grand Concasseur Humain.

Et il se pose une question que peu de gens osent se poser (et n’osent jamais y répondre véritablement) : qu’aurait-il fait si le destin, le hasard, l’avait placé du côté de ceux qui avaient le pouvoir de vous pourrir la vie, de vous arrêter arbitrairement, bref, du côté des Méchants, des grands salopards ?

Il ne les juge pas trop durement, il sait très bien que bien des Hommes ont obéi afin d’avoir la vie sauve, pour protéger les leurs, pour ne pas crever de faim, tandis que d’autres se cachaient derrière le « on m’a donné un ordre », là où d’autres ont senti pris leur pied d’avoir le pouvoir de vie ou de mort sur des êtres moribonds.

Staline et son parti ont posé une chape de plomb sur les épaules de leurs concitoyens, fait régner la terreur car jamais au grand jamais vous n’auriez pu prévoir que le Rouleau Compresseur allait vous passer dessus, pour des peccadilles, bien entendu !

Vous avez osé dire que le matériel des Allemands était bon ? Apologie, donc au trou ! Vous avez fait un paraphe sur la gueule à Staline, sur le journal ? Au trou ! Aberrant les motifs d’emprisonnement, exagérés les peines de prison pour des rien du tout, mais c’est ainsi que l’on fait crever son peuple de trouille et qu’on obtient tout de lui.

Soljenitsyne le décrit très bien, nous expliquant aussi, sur la fin, pourquoi personne ne s’est révolté, rebellé, pourquoi les gens n’ont pas osé aider les autres. Même sous 40° à l’ombre, j’aurais eu froid dans le dos durant ma lecture.

Ce témoignage met aussi en lumière la folie des dirigeants, dont Staline, qui voyait des espions partout et qui a imaginé les camps de travail bien avant que Hitler ne monte ses abattoirs.

Ces deux moustachus sont des assassins en puissance (aidés par d’autres, bien entendu). À la lecture de ce récit, on constate que les horreurs de Staline ont durées plus longtemps et qu’elles firent encore plus de mort (oui, c’est possible) et étaient tout aussi horribles que les camps d’exterminations des nazis (oui, c’est possible aussi).

Lorsque le procès de Nuremberg se terminait et que tout le monde criait « Plus jamais ça », les camps de travail étaient toujours bien là en Russie. En 1931, des hommes avaient même creusé un canal (le Belomorkanal, 227 km) sans instruments de travail – ni pelles, ni pioches, ni roues aux brouettes,… Renvoyés à la Préhistoire !) et en seulement deux ans….

Le 20ème siècle fut un siècle d’extermination en tout genre, hélas. Par contre, il est dommage que l’on ne porte pas plus d’éclairage sur les goulags, sur les camps de travail, sur les prisonniers innocents qui y périrent, sur leurs conditions de détentions déplorables,… J’ai l’impression qu’on les oublie dans la multitude des horreurs du 20e.

Une lecture faite sur 6 jours, une lecture coup de poing, une lecture à faire au moins dans sa vie.

PS : Cela fait longtemps que je voulais lire ce témoignage, mais j’avais du mal à trouver les différents tomes dans les bouquineries, alors, lorsque j’ai vu que Points avait sorti une édition abrégée, j’ai sauté sur l’occasion et acheté ce livre en octobre 2019.

Je voulais le lire en janvier 2020 et c’est « cartel » de Winslow qui est passé à la casserole et j’ai reporté cette lecture aux calendes grecques car le récit me faisait peur.

Peur que le récit et moi n’entrions pas en communion (ce qui aurait été dommageable), peur d’avoir peur de ce que j’allais y lire et que le roman de Soljénitsyne ne termine au freezer, comme d’autres le firent avant lui, notamment des livres parlant des camps de concentration.

Tout compte fait, nous nous sommes rencontrés, sans aucun problème et il est regrettable que j’ai reporté cette lecture. Maintenant que je l’ai faite, je suis contente et le livre termine dans les coups de cœur ultimes.

Challenge Thrillers et Polars de Sharon (du 11 Juillet 2020 au 11 Juillet 2021) [Lecture N°178] et le Mois du Polar – Février 2021 – chez Sharon [Fiche N°04].

26 réflexions au sujet de « L’archipel du Goulag [Abrégé] : Alexandre Soljenitsyne »

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  6. Un livre dont nous avions étudié quelques extraits en cours de russe…éprouvant. je ne l’ai jamais lu, mais c’est un projet évidemment. As-tu vu le documentaire sur l’histoire du goulag, depuis les tsars, Lénine etc? il est passé sur Arte ou LCP je ne sais plus. C’était en plusieurs épisodes. Edifiant et terrifiant. Les millions d’hommes et de femmes qui y sont morts…quelle horreur.

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    • Non, je n’ai pas vu ces reportages, même pas encore oser regarder « apocalypse Staline » et pourtant, j’ai regardé la version 14/18 et 39/44…

      Ce genre de reportages font toujours mal au bide, j’en ai vu un il y a quelques temps, sur la chaîne Belge, et ça parlait de la colonisation… Putain, de putain de putain ! Les Anglais ont fait fort… Les Allemands aussi et je ne dirai rien en ce qui nous concerne, Bruxelles est ce qu’elle est parce qu’on a volé le Congo (pas moi, pas le belge lambda, mais les z’ôtres haut placés…).

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  8. Alalala, dans ma LAL depuis des années mais j’ai peur de trouver ça lassant alors que c’est un sujet si fort, si important. J’ai lu récemment le livre de Yoann Barbereau, Dans les geôles de Sibérie, qui fait bien sûr référence à Soljenitsyne. Ça m’a redonné un peu courage et envie. Ton billet en rajoute une couche alors qui sait pour 2021.

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    • Il n’est pas lassant, que du contraire ! Maintenant, pour éviter de plomber ta journée, tu peux lire 1 chapitre par jour… ou juste 2, ou bien 3 parce que tu seras dans son récit 🙂

      Je dois lire « dans les geôles de Sibérie », il est sur ma PAL ! Une évasion en Uber 😆 J’avais écouté l’auteur parler de son expérience à LGL.

      L’archipel me faisait peur aussi, mais maintenant, il ne me fait plus peur du tout, je l’ai lu, j’ai eu un coup de coeur, un coup au coeur aussi et je suis contente de l’avoir fait, pour ne pas mourir idiote. Bon, je mourrai idiote, sans aucun doute 😆 mais au moins j’aurai lu Soljenitsyne !

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  9. Ouh là! C’est pas un livre récent que celui-ci!!! 🙂 Je me souviens l’avoir vu trôner pendant des années dans la bibliothèque de mes parents… Dénonciation en règle de l’utopie communiste dont le caractère totalitaire n’était pas une découverte, mais dont le degré de barbarie a mis du temps à être reconnu par la planète. Et en grande partie grâce à Soljenitsyne! La Russie et le grand peuple russe sont bien à plaindre quant on voit comment elle est passé d’un régime monarchique particulièrement cruel pour les plus humbles, pour sombrer dans les affres d’un communisme sanguinaire avant d’avoir été récupéré sans transition par une caste mafieuse corrompue passée du socialisme au capitalisme pur et dur avec la complicité d’un clergé orthodoxe encore plus réactionnaire que nos intégristes catholiques. Et pendant ce temps… les humbles continuent à morfler… et continuent à être jetés en prison comme en 1800, comme en 1930 ou 1970…
    Toute mon amitié et ma sympathie au peuple russe!

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    • Soljénistsyne le dit, le régime des tsars était plus agréable et moins horrible que celui mis en place ensuite par Lénine, Staline, car le frère de Lénine qui fit un coup d’état sur le tsar n’a pas eu de répercussions sur sa famille et Lénine, malgré ses conneries, n’a jamais été durement traité, contrairement à ce qu’il fera aux autres ensuite.

      Oui, le peuple russe a morflé, comme les polonais, passé des nazis aux communistes. Et quand on t’en délivre, la nature ayant horreur du vide, tu te prends les mafias ou autres assoiffés de pouvoir qui se nomment à vie ou qui font en sorte qu’on ne puisse jamais les poursuivre ensuite :/

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  10. je ne l’ai toujours pas lu et il est dans mes projets depuis au moins trente ans (on ne parlait pas de PAL en ce temps-là!) alors une version abrégée ce serait un bon compromis 🙂
    toujours dans l’œuvre de Soljenitsyne j’ai aussi « Le pavillon des cancéreux » en attente aussi 🙂

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    • J’ai lu le pavillon et nous ne nous sommes pas rencontrés…. :/

      La nouvelle version abrégée est bien faite, intelligente, nouvelle traduction aussi, franchement, le compromis est bon ! Cela te permettrait peut-être de le lire enfin 😉

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