Le bateau-usine : Takiji Kobayashi et Gô Fujio

Titre : Le bateau-usine

Scénaristes : Takiji Kobayashi et Gô Fujio
Dessinateur : Gô Fujio

Édition : Akata (2016)
Édition Originale : Kanikôsen (2006)
Traduction :

Résumé :
Dans les années 20, au Japon… L’industrialisation du pays fait rage, tandis qu’en Russie, la Révolution vient de s’achever.

Au port de Hakodate, c’est l’effervescence : le bateau-usine s’apprête à partir en mer, pour pêcher des crabes qui seront revendus à prix d’or. Mais les ouvriers-pécheurs ne se doutent pas encore du destin qui les attend…

Exploités, battus et spoliés par Asakawa, l’intendant du navire qui ne pense qu’aux bénéfices de l’entreprise qu’il représente, ils vivront un véritable enfer quotidien.

Pourtant, quand le bateau échappe au naufrage, grâce à l’aide d’un chalutier russe, les esprits commencent à s’échauffer.

Un jeune étudiant, influencé par les romans de Dostoïevski, décide de prendre la tête d’un mouvement de rébellion… La grève est ouverte !

Critique :
La littérature engagée, j’aime ça. Quelque soit son support. Ici, c’est roman issu de la littérature japonaise, publié en 1929 (et interdit ensuite), qui est adapté en manga.

L’auteur du roman original est décédé en 1933, d’une crise cardiaque, soi-disant, mais les marques sur son cadavre font tout de suite penser à ses proches qu’il est mort de la torture… Ambiance.

Ce manga parle du capitalisme dans ce qu’il a de plus extrême : pour que les actionnaires gagnent plein de pognon, il faut que des pauvres types crèvent en travaillant dans des conditions épouvantables.

Le rendement, quoiqu’il en coûte ! Voilà le maître mot d’Asakawa, l’intendant du bateau-usine qui pêche des crabes sur la mer du Kamtchtka, rivalisant avec les Russes. Pour l’intendant, c’est une guerre économique contre les Russes.

[…] c’est un duel entre le peuple de l’empire du Japon et les Russkofs… si jamais on perdait, alors les jeunes Japonais que vous êtes, avec vos couilles ballantes, vous n’auriez plus qu’a vous ouvrir le ventre et vous jeter dans la mer du Kamtchatka.

Coups, menaces, privations, travail dans des conditions terribles, pire qu’au goulag (ou « aussi pire »), malades obligés de bosser, bouffe infâme, pendant que le capitaine, l’intendant et les autres, se goinfrent de mets succulents, pour aller les vomir ensuite, vu que la mer, parfois, est démontée…

Même les ouvriers, dans leur trou à merde, au fond de la cale, on bien du mal à garder leur bol de riz dans l’estomac.

Dans ce manga, aucun personnage n’est plus mis en avant qu’un autre. Pas un héros, mais des ouvriers pauvres, qui n’ont pas le choix que de bosser sur ce navire, des hommes qui vont se révolter, tenter de se serrer les coudes pour mettre fin à cette tyrannie.

L’union fait la force, c’est bien connu, mais avant d’y arriver, à cette union, il faudra bien des brimades, bien des coups, bien des morts… avant que les 400 marins ne se rendent compte qu’ils sont bien plus nombreux que l’intendant.

Unir les gens est la chose la plus difficile qui soit, tandis que les désunir est si facile, comme le fera l’intendant, en mettant les pêcheurs et les ouvriers chargés de mettre les crabes en boîte en compétition. Et ça marche toujours !

Les seules choses qui aient un prix, sur ce bateau-usine, ce sont les boîtes de crabes, destinées à l’élite, certaines à l’empereur. Dans ces boites de crabes, il y a surtout le sang, la sueur et les morts des ouvriers, des pêcheurs.

L’autre chose qui a de la valeur, c’est le rafiot sur lequel ils naviguent : ce dernier est assuré pour une somme plus élevée que sa valeur. Autrement dit, il rapportera plus d’argent en faisant naufrage qu’en naviguant. Le ton est donné.

Récit d’une descente aux enfers où les pauvres gars embarqués sur cette galère se demanderont, à un moment, s’il n’aurait pas mieux valu mourir au départ. Les conditions de travail vont devenir de plus en plus dures, laissant les ouvriers épuisés, à tel point que les accidents de travail augmentent.

Un manga dont la lecture ne laissera personne indifférent, sauf peut-être les gros actionnaires (hommes ou femmes), qui ne s’enrichissent que sur le dos des autres, tels des tiques sur le dos d’un chien.

Il est à souligner que dans ces bateaux-usines, les intendants étaient des Japonais, qui se comportaient en esclavagiste envers d’autres Japonais, le tout pour le bien du pays. Ce n’était pas le fait d’étrangers donc !

Juste pour rappeler que bien souvent, le Mal vient de ses propres dirigeants, de ses propres intendants, patrons…. et qu’ils sont de la même nationalité que ceux qu’ils exploitent. Le véritable ennemi, ici, c’est le capitalisme et les étrangers ne sont pas responsables.

Diviser pour mieux régner, c’est un classique qui marche toujours. Exploiter les plus pauvres, ceux qui n’ont pas le choix, et les dresser l’un contre l’autre, c’est le combo gagnant pour cet intendant et pour tous les exploiteurs.

Un excellent manga, qui prouve, une fois de plus, que les mangas, ce ne sont pas que pour les ados et que ce ne sont pas des « trucs avec des mecs bourrins dedans ». Non, ici, c’est juste la mise en image d’un roman qui était lui même la mise en phrase des horreurs qui avaient lieu dans les bateaux-usines.

Le pire est que ces pratiques ont toujours lieu, quelque part dans le monde, dans d’autres pays, pour que des sociétés fassent de superprofits sur des vêtements, de l’alimentation, le tout, au détriment de gens qu’elles exploitent et de la Nature qu’elles foutent en l’air.

Pas de soucis, tout va très bien, madame la marquise !

22 réflexions au sujet de « Le bateau-usine : Takiji Kobayashi et Gô Fujio »

  1. Ping : Bilan annuel 2023 et coups de cœur bédés/comics/mangas [Épisode 3/3] | The Cannibal Lecteur

  2. Tu as bien raison sur la fin, ce genre de chose existe encore. Est-ce possible que cela n’existe pas? Le confort des uns doit se faire au détriment d’autres.
    Le manga montre que l’union fait la force et que sans cela, les choses ne peuvent pas changer. On peut se demander combien de temps l’union pourrait durer. Une seule personne suffit à tout faire tomber. N’est-ce pas facile de corrompre une seule personne?
    Une lecture qui redonne un peu d’espoir quand même.

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  3. Ping : Bilan Livresque : Janvier 2023 | The Cannibal Lecteur

  4. Tu dis que le roman a été interdit… est-ce toujours le cas ? Et sur quels motifs ? Certes il met en question l’ordre établi et la société pyramidale japonaise traditionnelle qui restent encore très ancrés aujourd’hui… mais tout de même le respect de l’ordre établi et la caution d’un quasi esclavage sont deux choses bien différentes! 🤔 Le système policier et judiciaire japonais me posent déjà problème à la base (un suspect peut être gardé à vue indéfiniment et on admet des pressions relevant de la torture morale pour extorquer des aveux sur lesquels il est impossible de revenir après – quant aux avocats ils sont simplement décoratifs : la défense n’a aucun droit *) mais si la liberté d’expression n’a pas fait de progrès depuis les années 1930 et que le livre est toujours interdit… ben ça craint grave! 😨

    * A chaque fois que j’en parle avec quelqu’un, on me dit que si je n’ai rien à me reprocher je ne risque rien… Mouais… et les erreurs judiciaires ? 😳

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    • Non, je ne pense pas, la censure de ce roman est tombée. Mais son auteur original était mort, sans doute à cause de la torture (Interrogé au commissariat de Tôkyô, il meurt six heures plus tard sans avoir rien divulgué des organisations clandestines, d’un « arrêt du cœur » selon la version officielle). Il était communiste. Je pense que c’est surtout pour cela qu’il y a eu censure après (il avait déjà vendu 15.000 exemplaires).

      Le livre dénonçait tout de même l’esclavage, les situations atroces vécues par les travailleurs, les morts et le fait que les travailleurs se soient révoltés. Je me demande si ce n’est pas le pire, pour le Japon. Une grève, non mais t’imagines ?

      Maintenant, depuis les années 2000, c’est un best-seller au Japon, un classique.

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      • Un jour Scarpetasse a dit un truc fort juste : quand on meurt, le coeur arrête toujours de battre… alors donner l’arrêt du coeur comme cause de la mort est une ânerie tant qu’on n’a pas précisé pourquoi il s’est arrêté de battre! Une ânerie ou une escroquerie intellectuelle destinée à cacher les véritables causes d’un décès évidemment 😉

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