Darktown : Thomas Mullen

Titre : Darktown

Auteur : Thomas Mullen
Édition : Rivages Noir (2018) / Payot et Rivages (2020)
Édition Originale : Darktown (2015)
Traduction : Anne-Marie Carrière

Résumé :
Atlanta, 1948. Sous le mandat présidentiel de Harry S. Truman, le département de police de la ville est contraint de recruter ses premiers officiers noirs. Parmi eux, les vétérans de guerre Lucius Boggs et Tommy Smith.

Mais dans l’Amérique de Jim Crow, un flic noir n’a le droit ni d’arrêter un suspect, ni de conduire une voiture, ni de mettre les pieds dans les locaux de la vraie police.

Quand le cadavre d’une femme métisse est retrouvé dans un dépotoir, Boggs et Smith décident de mener une enquête officieuse.

Alors que leur tête est mise à prix, il leur faudra dénouer un écheveau d’intrigues mêlant trafic d’alcool, prostitution, Ku Klux Klan et corruption.

Darktown est le premier opus d’une saga criminelle complexe et fascinante qui explore les tensions radicales au début du mouvement des droits civiques, dans la lignée de Dennis Lehane et Walter Mosley.

Critique :
Atlanta, 1948, une grande date pour certains, une hérésie pour d’autres : l’accession à la fonction de policier par des citoyens Noirs.

Attention, ces policiers n’ont pas le droit d’arrêter un Blanc, même en flagrant délit de crime, ils ne patrouillent pas en voiture mais à pied, ne peuvent pas entrer dans le bâtiment de la police, ont l’interdiction de boire de l’alcool même après leurs heures de service et se doivent de rester dans le quartier Noir d’Atlanta.

Un crime a lieu mais comme c’est une jeune fille Noire qui est décédée, personne ne bouge son gros cul de Blanc et nos policiers n’ont même pas le droit d’enquêter dessus.

Ce roman, il vous prend à la gorge pour ne plus vous lâcher jusque la fin. On a beau savoir l’Histoire de la ségrégation raciale, malgré tout, l’impact dans le plexus solaire est toujours aussi forte.

Ici, si tu es Blanc, tu te dois d’être raciste, de faire voir la vie dure aux Noirs, de les dénigrer, de défendre ta ville, ton quartier, contre l’envahissement… Si par malheur tu es un Blanc modéré dans ton racisme (tu ne tabasses pas, tu ne fous pas le feu, tu ne lynches pas, tu ne tues pas,…), fait en sorte qu’on ne l’apprenne pas, sinon, tu risques gros aussi.

Entre avanies que leurs font subir les Blancs (flics ou pas), les crachats, les insultes de types macaques, bougnoules, singes, négro (et j’en passe), la vie de flic Noir est une épreuve de chaque jour, dans ce Sud où les morts Confédérés sont encore honorés et où on a lynché des vétérans Noirs de la Première Guerre Mondiale.

Même la population Noire regarde ces huit policiers de travers, tant elle attendait énormément d’eux, oubliant qu’ils n’ont quasi aucun droit, si ce n’est d’arrêter des Noirs.

Lucius Boggs est un flic honnête, qui aimerait faire son travail correctement, c’est-à-dire enquêter sur la mort de la jeune Lilly et pas avaler les preuves toutes faites que les flics Blancs ont montées.

Problème c’est qu’en voulant faire le bien (trouver le coupable), il a ouvert la boîte de Pandore qui déverse son torrent d’injustices sur la famille de Lilly, comme si celle n’avait pas déjà assez souffert. Tout ça pour avoir voulu connaître la vérité sur son assassinat, mon cher Lucius, c’est cher payé car ils ont trinqué grave ensuite…

STOP… ON REMBOBINE ! Mais qu’est-ce que je raconte moi ? Mais non, Lucius, tu n’es pas responsable du déchaînement de haine sur la famille de Lilly ! Bordel de Dieu, c’est la faute aux Blancs, tout ça ! Qu’ils soient flics pourris racistes confédérés bas-du-front ou Blancs bien propres sur eux. C’est nous, les Blancs, qui sommes responsables du racisme et de la ségrégation…

Ce roman m’a pris aux tripes, j’ai lu des horreurs, j’ai vu des injustices qui m’ont données envie de bondir, de hurler, hésitant parfois entre le « Dieu tout puissant » ou le « putain de bordel de merde » (au choix) tant c’était effroyable ce que les Noirs ont vécu. J’en ai encore découvert, tiens, des horreurs.

Les personnages sont travaillés, ont de la profondeur et l’auteur évite le manichéisme et ne sombre jamais dans le pathos, même si le lecteur va encaisser des moments très durs durant la lecture, mais ils ne seront jamais aussi durs que ceux que vécurent et vivent encore les Noirs aux États-Unis (et ailleurs).

Partant d’une enquête classique sur l’assassinat d’une jeune fille Noire, l’auteur nous plonge dans la noirceur des quartiers d’Atlanta, dans les pensées abjectes des Blancs, dans un racisme primaire qui fait peur car pouvant basculer dans une violence sans nom pour un rien.

Un tout grand roman noir, social, où notre duo de policiers (Lucius Boggs et Tommy Smith) vont d’enfoncer petit à petit dans la fange nauséabonde qui macule les rues, les maisons ainsi que le cœur des habitants d’Atlanta.

Challenge Thrillers et Polars de Sharon (du 11 Juillet 2020 au 11 Juillet 2021) [Lecture N°36].

32 réflexions au sujet de « Darktown : Thomas Mullen »

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  7. Mmm… en effet… ça a l’air bien dans le genre quand on aime le genre… 😉 Tiens je viens de découvrir la série Lovecraft Country. Comme c’est supposé reprendre l’univers d’HPL (mmouais c’est fantastique… il y a des grosses bébêtes et des humains tarés) je regarde et figure toi que ça a lieux sur fond de ségrégation. Et là déjà même si c’est pas le thème principal ça m’énerve! Mais ça m’énerve! Mettre à part et rejeter une partie de l’humanité parce qu’elle n’aurait pas la bonne religion, la bonne couleur, le bon sexe, ou la bonne façon de s’en servir… c’est un déni d’humanité intolérable qui me fait monter la tension…😤

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      • Merci pour le lien! Mmouais… alors pas évident que ça reprenne bien les thématiques lovecraftiennes habituelles… ou l’univers d’HPL… on verra… peut être que le grand Cthulhu continuera sa sieste à R’lye! Dommage…

        De toute façon il y a déjà le parti pris d’un pied de nez à HPL! Il était lui même assez raciste dans la façon dont il parlait des « non wasp » dans ses livres alors je trouvais que c’était pas mal du tout d’introduire des héros afro-américains dans la série histoire de redresser ce travers.

        Est ce que ça va contrarier Cthulhu? Moi je suis à peu près certaine qu’il s’en tape sévère ! 😁

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        • Bin oui, cela n’est pas un hommage a Lovecraft…cela parle de Lovecraft…et oui, surtout de son cote raciste et segregationniste…donc c’est la rencontre du cote mal de Lovecraft avec ses betes…dans le 2, cela reste quand meme interessant de voir que le seul male descendant qui peut ouvrir l’Eden au maitre absolu blanc est un noir…son propre parent….meme sa fille blanche aux yeux bleus n’a pas ce pouvoir…;)

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        • Oui, j’ai appris que Lovecraft était raciste. Je ne vais pas arrête de le lire pour autant. De toute façon, ce ne devait pas être un féministe non plus, alors… En ces temps-là, la norme était le racisme et dire qu’on ne l’était pas était synonymes d’ennuis. :/ On le dit bien dans « Darktown » ou un flic moins bas de plafond que les autres se trouve le cul entre deux chaises car il ne veut pas incendier la maison d’un Noir mais il ne peut pas non plus le défendre, sinon, on s’en prendra à lui ensuite… Sale époque.

          J’ai les deux premiers épisodes.

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    • Oui, la ségrégation est une aberration, mais l’Humain est ainsi, il rejette les autres pour diverses raisons, souvent débiles. Quand une catho coincée (et d’un certain âge) me dit que les musulmans sont bêtes à se prosterner ainsi, je lui rappelle que les cathos se mettaient à genoux sur un prie-dieu inconfortable et que la soumission à Dieu, elle est dans les 3 religions. Ça se trémousse ensuite sur sa chaise, un peu bête et soudain moins à l’aise, la catho d’un certain âge. Je ne raconte même pas la couleur que ça prend si je lui susurre que le prophète Mahomet est un prophète au même titre que Jésus et qu’il avait été annoncé par ce dernier… Là, ça transpire et ça change de sujet. Des imbéciles, tous autant qu’ils sont, les ségrégationnistes, les racistes, xénophobes, fanatiques…

      Tout autre chose, même pas eu le temps d’aller voir si je trouvais Lovecraft Country !

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