La bibliomule de Cordoue : Wilfrid Lupano et Léonard Chemineau

Titre : La bibliomule de Cordoue

Scénariste : Wilfrid Lupano
Dessinateur : Léonard Chemineau

Édition : Dargaud (26/11/2021)

Résumé :
Califat d’Al Andalus, Espagne. Année 976. Voilà près de soixante ans que le califat est placé sous le signe de la paix, de la culture et de la science. Le calife Abd el-Rahman III et son fils al-Hakam II ont fait de Cordoue la capitale occidentale du savoir. Mais al-Hakam II meurt jeune, et son fils n’a que dix ans.

L’un de ses vizirs, Amir, saisit l’occasion qui lui est donnée de prendre le pouvoir. Il n’a aucune légitimité, mais il a des alliés. Parmi eux, les religieux radicaux, humiliés par le règne de deux califes épris de culture grecque, indienne, ou perse, de philosophie et de mathématiques.

Le prix de leur soutien est élevé : ils veulent voir brûler les 400.000 livres de la bibliothèque de Cordoue. La soif de pouvoir d’Amir n’ayant pas de limites, il y consent.

La veille du plus grand autodafé du monde, Tarid, eunuque grassouillet en charge de la bibliothèque, réunit dans l’urgence autant de livres qu’il le peut, les charge sur le dos d’une mule qui passait par là et s’enfuit par les collines au nord de Cordoue, dans l’espoir de sauver ce qui peut l’être du savoir universel.

Rejoint par Lubna, une jeune copiste noire, et par Marwan, son ancien apprenti devenu voleur, il entreprend la plus folle des aventures : traverser presque toute l’Espagne avec une « bibliomule » surchargée, poursuivi par des mercenaires berbères.

Cette fable historique savoureuse écrite par Wilfrid Lupano (Les Vieux Fourneaux, Blanc Autour, …) et servie par le trait joyeux de Léonard Chemineau (Le Travailleur de la nuit, Edmond, …), fait écho aux conflits, toujours d’actualité, entre la soif de pouvoir et la liberté qu’incarne le savoir.

Critique :
Vous connaissiez sans doute le Bibliobus, ce bus/camion rempli de livres, DVD, K7 vidéos, qui se garait sur la place de votre bled et vous permettait de louer des œuvres diverses, si vous n’aviez pas une médiathèque dans le coin.

Voici son ancêtre : la bibliomule !

La première chose que j’ai appréciée, dans ce roman graphique, ce sont les dessins et les couleurs.

Tarid, l’eunuque bibliothécaire, est tout en rondeurs et elles lui allaient parfaitement, lui donnait un petit air comique. On s’attache à lui de suite. Un bibliothécaire qui veut sauver les livres d’un autodafé, au péril de sa vie, on ne peut que l’aimer.

La mule est têtue, semble être fainéante, mais on s’attache très vite à elle aussi, comme à Marwan le voleur et à Lubna, la jeune copiste noire. Ils forment, à eux 4, une fameuse équipe de bras cassés. Il leur faudra puiser dans leur courage, dans leur intelligence, leur savoir, leur ruse, pour arriver à échapper à tous ces soldats lancés à leurs trousses. Et faire des sacrifices.

Ce gros pavé est un régal à lire, tant par ses dialogues, que son scénario intelligent, mais aussi ses dessins. Les planches, même muettes, offrent des détails de la nature des plus jolis à étudier.

De tout temps, l’obscurantisme s’est opposé aux périodes éclairées, à croire que l’Humain aime brûler les livres, refuser les savoirs, ne se plongeant que dans la lecture d’un seul livre : un livre saint.

Un livre saint écrit par un Homme, sous la dictée de Dieu, paraît-il. On a le droit d’y croire, chacun est libre, mais on a l’obligation de laisser les autres se complaire avec d’autres livres. Amir le vizir n’était pas de cet avis. C’est un intégriste et il impose son point de vue à tout le monde, transformant le califat de Cordoue en un immense Fahrenheit 451.

C’est une bédé picaresque, une grande fresque d’aventures, mais pas que… On en apprendra un peu plus sur le passé de Marwan le voleur, sur celui de Tarid, ainsi que quelques allusions au sort des femmes en ce temps-là.

Il y a de l’humour, des émotions fortes (lorsque les livres brûlent), des personnages bien campés, qui n’ont rien de super-héros et c’est ce qui les rend attachant. Les faits historiques sont habillement mélangés avec la fiction, l’humour et le côté sérieux de l’histoire. Parce qu’elle a aussi des relents contemporains, cette histoire !

En s’ouvrant aux autres, les califes ont créés de la rancœur, les imams sont furieux que les femmes aient reçu de l’instruction, ainsi, lorsqu’Amir le vizir paraît et qu’il redistribue les cartes, afin de satisfaire les intégristes religieux, remettant tout le monde à la place qu’il est persuadé d’être juste, cela plait à ses partisans. Un air de déjà vu…

Cette histoire parle aussi des conditions de vie des gens, de leurs peurs, des famines, du fait que personne ne sait de quoi demain sera fait et que lorsqu’on vit dans la peur, qu’on passe sa vie au labeur, on n’a pas de temps pour s’amuser à étudier ou à lire.

Que la culture est réservée à ceux et celles qui ont le temps, qui ont de l’argent, ou qui sont des esclaves instruits, comme Tarid et Lubna. Que ce qui est acquit aujourd’hui peut disparaître demain, il suffit de quelques hommes au bon endroit. Les autodafés ne datent pas d’hier et ont encore lieu de nos jours, toujours pour les mêmes raisons.

Une bédé de 264 pages qui mêle habillement l’Histoire, le sérieux, l’humour, la légèreté, le roman noir, le fascisme, l’imbécilité, les croyances, la misère, l’amitié, l’obscurantisme et l’amour des livres.

Le tout dans un récit d’aventure picaresque, sorte de road-movie avec une mule têtue, aimant dévorer le livre de Al Khwârizmî. Une mule qui aime les mathématique, ça ne court pas les rues.

Le Challenge Animaux du monde 2020 chez Sharon [Lecture N°101].

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