Inavouable : Zygmunt Miłoszewski

Titre : Inavouable

Auteur : Zygmunt Miłoszewski
Édition : Fleuve Editions (14/09/2017)

Résumé :
Pendant la Seconde Guerre mondiale, une peinture est volée dans le musée de Cracovie.

De nos jours, à Varsovie, le gouvernement envoie une équipe de quatre personnes pour la récupérer.

Ils vont aux États-Unis, sur l’île Sainte-Catherine, en Suède et ailleurs. Ils découvrent des secrets dont la divulgation pourrait nuire aux grandes puissances mondiales.

Critique :
Depuis que les aventures du procureur Szacki, c’est fini, je ne croyais pas que je m’en remettrais un jour (si Hervé Vilard chante dans votre tête, c’est tout à fait normal).

Et pourtant, pourtant… (Aznavour aussi, tiens, chante dans votre tête) Je dois dire que Zygmunt Miłoszewski a réussi à me plaire avec un roman tout à fait différent des enquêtes de mon procureur Szacki chéri.

Ce que j’apprécie chez cet auteur, c’est qu’il me parle de son pays, la Pologne, sans concession, sans prendre des gants, c’est brut de décoffrage, sans prendre de gants et s’il faut critiquer le pouvoir ou les habitants, il ne s’en prive pas.

La toile n’est pas signée, mais le diplomate y a fait attention parce qu’une seule nation au monde se complaît dans les représentations de cavalerie lasse et sale, pataugeant dans la neige, et c’est la nôtre [Pologne].

Et en Pologne, en plus, tout est parti en fumée. Les Allemands brûlaient les archives avec une grande application parce qu’ils savaient qu’ainsi, ils détruisaient la mémoire d’une nation.

Malgré tout, je découvre des pans de son pays avec toujours le même plaisir renouvelé, surtout lorsqu’il va gratter dans les pages sombres de l’Histoire, celles qui se sont déroulées entre 39-45. Et tout le monde ne fut pas droit dans ses bottes…

— Et côté USA ? demanda Anatol. Est-ce qu’il pourrait s’agir de la preuve que la guerre a profité aux Américains ?
— La guerre profite à tous les empires, c’est une loi immuable de l’Histoire. Les milieux d’affaires et les industriels trépignaient d’impatience à l’idée que les États-Unis s’engagent dans le conflit mondial. Pour eux, cela équivalait à une pluie de dollars, à des milliards en commandes gouvernementales. Une guerre mondiale engrangeait des profits pour tous, à l’exception des soldats envoyés au front et de leurs familles. Tout le monde y trouvait son compte, depuis l’économie nationale, en passant par les fabricants de chars d’assaut et les laboratoires scientifiques, jusqu’aux couturières qui cousaient les lanières des casques. Sans parler des banques, les banques gagnent toujours, et au cours d’une guerre, elles gagnent sur tous les fronts parce qu’elles financent d’ordinaire l’ensemble des belligérants. Pour les États-Unis d’Amérique, aucun investissement n’a jamais été aussi rentable que la Seconde Guerre mondiale. Bien sûr, personne ne le crie sur les toits, il vaut mieux chanter les louanges des héros tombés sous les drapeaux, mais les mécanismes qui relient la guerre, l’économie et le monde des affaires ont été décrits des millions de fois.

Anybref, le sujet n’est pas là, il se trouve plutôt dans la spoliation des œuvres d’art par les uniformes noirs à tête de morts – les nazis – qui ne se sont pas privés et ont vidés les musées et les maisons privées de tout ce qu’elles comportaient comme peintures ou autres objets d’art.

— Il ne s’agit pas seulement de l’œuvre d’art la plus importante volée à la Pologne durant la guerre, c’est tout simplement le tableau le plus important et le plus précieux jamais perdu et recherché dans le monde. Je ne crains pas de le qualifier de version masculine de la Joconde [Le Portrait de jeune homme de Raphaël]. 

La Pologne ne fut pas épargnée et voilà que son gouvernement désigne 4 personnes pour aller récupérer un Raphaël dans une maison privée aux États-Unis… « Ocean Eleven » à quatre pour jouer aux « Monument Men »…

— Quelle… misérable créature a accroché un Raphaël à côté d’une télé ? 

L’auteur, sous le couvert de l’Histoire et de faits réels, nous offre un thriller punchy, avec des personnages sympathiques, pas toujours très clean eux aussi, mais qui ont tous en comment l’Art, que ce soit un marchand, une spécialiste des œuvres volées, une voleuse ou un espion.

On pourrait se croire dans une grosse production hollywoodienne et pourtant, l’auteur a soigné son histoire, faisant en sorte que si fiction il y a, elle se glisse adroitement dans la réalité et ne vire pas non plus à du non-sens, même si, les personnages sympathiques qui constitue ce quatuor a tout de même beaucoup de chance en survivant à tout ceux qui sont lancés sur les traces.

De plus, en lisant ce thriller qui pulse sans pour autant être trop rapide, on apprend des tas de choses sur les œuvres d’art volées, sur les petites magouilles des États, et rien qu’en Art, on a de quoi briller durant les prochains repas en famille.

— Mais ils n’exposaient que les vieux maîtres ! Jamais les impressionnistes, et certainement pas Gauguin ou Van Gogh. Ces dirigeants ne les mettaient peut-être pas au même niveau de bizarrerie que les Picasso, Chagall ou Klee, mais on ne pouvait certainement pas classer ces toiles dans la peinture réaliste et académique. Officiellement, ces œuvres appartenaient à « l’art dégénéré » et aucun cacique nazi sain d’esprit ne se serait vanté d’y prendre goût. Himmler aurait débarqué aussi sec avec son obsession de la puissance germanique brute et aurait chuchoté à l’oreille du Führer que l’un de ses prétoriens était tombé amoureux des impressions et des expressions juives.

— Les nazis ne s’intéressaient vraiment qu’au réalisme ? demanda Anatol.
— Loin de là. Les Allemands savaient ce qui était bon. Officiellement, ils dénigraient l’épouvantable modernité pour lécher les bottes du grand chef. Officieusement, ils extrayaient les meilleures toiles impressionnistes des collections de Juifs français comme les pépites d’or d’un lit de rivière, le tout sous prétexte d’actions aryennes. Mais ils ne s’affichaient pas avec leurs prises.

Les fêtes de fin d’années sont proches, pensez-y… Si la conversation s’enlise, plutôt que de raconter une blague cochonne, embrayez sur la disparition de toutes ces peintures de grands maîtres.

Au final, une brique qui se lit toute seule, au coin du feu, avec un sourire béat devant les répliques qui fusent, les pensées remplies d’humour cynique.

Il s’était dit que c’était dommage pour tous ces gens si sympathiques. C’était dommage qu’ils soient nés dans ce pays qui n’avait jamais eu de bol [Pologne]. Vraiment, on avait de la peine à croire qu’ils avaient vécu ici toutes ces années en compagnie des Juifs. Les deux peuples les plus malchanceux du monde côte à côte, comme dans une putain de réserve naturelle de perdants. Si Dieu existait, son sens de l’humour manquait de finesse.

Le sage qui affirmait que le pouvoir absolu corrompt absolument avait raison. Les dirigeants américains avaient fini par croire qu’ils étaient au-dessus des lois, qu’ils étaient les maîtres de l’univers et ils se comportaient en tant que tels.

On se prend de sympathie pour les 4 personnages principaux, on tremble avec eux, on conduit pied au plancher, on tente de s’en sortir par tous les moyens, on transpire, on a froid, et on tente surtout de découvrir quel est l’horrible mystère qui se cache derrière tout ça, en toile (hahaha) de fond et qui pourrait faire des gros dégâts s’il venait à être révélé.

— Tu sais que je ne peux pas te le dire, Martin. Mais, puisque nous sommes entre vieux amis, je te dirai simplement qu’il y a des vieilleries, certaines vraiment vieilles, dont l’émergence menacerait bien plus la sécurité nationale que des bombes atomiques en vente par correspondance avec livraison gratuite à n’importe quelle adresse du globe. Tu comprends ?

Pas de baisse de régime dans le cadre de ce nouveau roman, on a perdu un procureur cynique et on se retrouve avec deux baroudeurs et deux experts qui en possèdent autant que Theodore Szacki.

Un vrai plaisir de lecture grâce à un scénario excellent et des dialogues au top. Sans compter qu’il tape toujours sous la ceinture, là où ça fait le plus mal.

Bien sûr qu’il comprenait. Des armes, c’était des morts, mais quelques cadavres supplémentaires ne faisaient pas une grande différence. Une propagande bien menée pouvait faire d’un mort le prétexte d’une guerre, ou d’un millier de morts un incident sans importance. Mais le savoir… le savoir, c’était le pouvoir.

PS : j’ai pouffé de rire avec le prénom d’un personnage secondaire : « Jerzy Majewski ». J’ai pensé directement au porc Jerzy de Gotlib dans un de ses calembours célèbre « Et père y colle au zoo ce porc Jerzy ».

— C’est comment dans ta taule en Pologne ? demanda-t-il. T’en as pas marre de bouffer du chou pourri ?
— Y a de jolies détenues, je suis devenue la reine des lesbiennes.
— Cool. Tu m’enverrais une photo ou deux ?
— À toi ? Mais tu as accès à tout le porno de la planète !
— Je sais, mais une connaissance, tu vois, c’est jamais pareil.
— Tu éplucherais une adresse pour moi ?
— Bien sûr. Et tu me rendras visite, un jour ?

Elle était loin d’être une sainte nitouche : une semaine plus tôt, elle avait couché avec l’un d’entre eux avant de rompre, et avant cela, elle avait sucé plus de bites qu’aucune femme à la ronde, et plus souvent que les mères du coin n’embrassaient leurs enfants pour dormir.

Challenge Thrillers et Polars de Sharon (2017-2018) et Le Challenge « Les Irréguliers de Baker Street » repris par Belette [The Cannibal Lecteur] ou sur le forum de Livraddict (N°51 – Environnement montagneux).

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