Serena : Ron Rash

Titre : Serena

Auteur : Ron Rash
Édition : Livre de Poche

Résumé :
Situé dans les Smoky Mountains de Caroline du Nord, Serena allie, selon l’auteur, « drame élisabéthain, problèmes environnementaux et richesse de la langue ».

L’héroïne, sorte de Lady Macbeth des années 1930, est l’épouse de George Pemberton, riche et puissant exploitant forestier. Ces deux-là sont des prédateurs, prêts à tout pour faire fructifier leur entreprise dont l’objectif est de couper tous les arbres à portée de leur main.

Une ambition que vient menacer le projet d’aménagement d’un parc national, pour lequel l’État convoite leurs terres. Pemberton met sa fortune à contribution pour soudoyer tous les banquiers et politiciens qu’il faut, et Serena n’hésite pas à manier fusil et couteau pour éliminer les obstacles humains.

Belle, ambitieuse et intrépide, Serena fascine son mari et ses employés, pour lesquels elle n’éprouve aucune compassion. Et pourtant chaque jour apporte son lot de blessés, voire de morts, tant le métier de bûcheron est dangereux en soi et la nature alentour hostile, quoique magnifique.

Le roman prend des allures de thriller lorsqu’elle poursuit de sa haine implacable le fils naturel que Pemberton a engendré avant son mariage et qu’il semble vouloir protéger. Sa fureur vengeresse ira très loin…

Critique : 
♫ Se-re-naaa, ton univers impi-toy-aaaa-ble ♪… Oui, Serena est pire que le très célèbre J.R !

Plantons le décor : nous sommes en plein cœur des Appalaches, en Caroline du Nord, peu après la grande dépression de 1929, au milieu d’une exploitation forestière. Presque «sur» exploitation parce qu’après leur passage, il ne restera plus un arbre debout, hormis les croix du cimetière.

Lorsque le noyer d’Amérique de trente pieds succomba à la scie va-et-vient de Ross et Henryson, la vallée et les crêtes ressemblaient à la chair écorchée d’un gigantesque animal.

L’exploitation appartient à la société de monsieur Pemberton qui la gère avec deux associés. Tiens, d’ailleurs le voici, Pemberton, avec son épouse. Son épouse ? Oui, messieurs les ouvriers, votre boss vient de se marier lors de son séjour à Boston et, croyez-moi, vaudrait mieux pas chercher des crosses à sa femme.

Non, pas en raison de la haute stature de votre patron… Juste en raison du caractère intraitable de sa femme ! Un ouvrier en fera les frais : non seulement il perdra son pari contre elle (2 semaines de travail sans salaire), mais en plus, madame le fera renvoyer ensuite, pour en faire un exemple.

Serena, c’est le genre de femme qu’on n’a pas envie de croiser sur son chemin, surtout si on à l’intention de lui mettre des bâtons dans les roues. Elle ne se laisse pas faire et elle a de la répartie… Sa langue est comme un fouet, elle claque. Ou comme la langue d’un serpent qui siffle avant de mordre.

– De par sa nature même, le beau sexe ne possède pas les qualités analytiques du sexe fort, mais dans ce cas précis, vous êtes parvenue, je ne sais comment, à pallier cette faiblesse.
– Mon mari m’a dit que vous étiez originaire de ces montagnes, d’un lieu qu’on appelle Wild Hog Gap, dit-elle à Cheney. Nul doute que votre opinion du sexe féminin a été formée en observant les souillons auprès desquels vous avez grandi, mais je puis vous assurer que les natures féminines sont plus variées que ne veut bien le reconnaître votre expérience limitée.

En comparaison, les autres femmes du roman font pâle figure, hormis la petite Rachel, 17 ans – qui s’était faite monter par monsieur Pemberton avant qu’il ne parte à Boston et revienne marié et qui est grosse de ses oeuvres… La pauvre gamine perdra son père lorsqu’il défia Pemberton au poignard.

Lorsque Pemberton regagna les montagnes de Caroline du Nord, […], parmi les personnes qui attendaient son train, sur le quai de la gare, se trouvait une jeune femme enceinte de ses œuvres. Elle avait auprès d’elle son père qui, sous sa redingote défraîchie, était armé d’un couteau de chasse affûté le matin même avec beaucoup de soin, de façon à pouvoir l’enfoncer aussi loin que possible dans le cœur de l’arrivant.

Elle a du courage, cette brave Rachel, mais elle aura intérêt à raser les murs parce que Serena l’a mauvaise à cause du fait qu’elle ne saura pas donner un enfant à son mari. Heu, tout compte fait, Rachel ferait mieux de fuir !

Serena… On ne sait pas si elle crève d’ambition ou si elle a soif d’une revanche sur la vie. Notre dame a les cheveux courts, porte des pantalons, monte à cheval comme les hommes et parcourt, sur son cheval arabe blanc, son fief boisé, au cœur des Smoky Mountains, un aigle perché sur le bras droit.

Serena… Plus diabolique que romantique. À beaucoup, elle inspire la peur, le respect, le désir, la haine. Biffez la mention inutile.

Pemberton, elle l’a vu et elle l’a voulu, s’offrant à lui le premier soir. Ce qu’elle veut, elle l’obtient, par tout les moyens.

Que voilà un personnage antipathique à 200%, la Serena. Surtout lorsqu’elle se met à régler tout ses problèmes à coups de cadavres, alors que son mari, lui, utilise sa fortune pour soudoyer les banquiers et politiciens, afin de tirer un maximum de ses terres avant de les laisser au futur Parc National. Totalement exsangue, bien entendu.

Ne vous y trompez pas : le mari a beau être fasciné par son épouse, ce sont tout les deux des prédateurs. Par contre, seule Serena a un cœur de pierre. Elle est bien plus dangereuse que lui, aussi.

Au fil des pages, elle devient de plus en plus froide, implacable, meurtrière, calculatrice, éliminant tout ceux qui sont dans son chemin, comme on abat un arbre. Aussi froide et impitoyable que les hivers rigoureux et mortels des Smoky Mountains. Aussi sèche que le sable des déserts brûlants.

Mais Serena ne tue pas elle-même… Non, tout comme elle utilise un aigle pour chasser les serpents, elle a un homme de main. Ses mains restent propres.

Roman noir, sur fond de misère sociale, de chômage et de crève-la-faim qui sont prêt à tout pour avoir un travail, même dans le milieu des bûcherons où on ne fait pas de vieux os. Ici, l’écologie est considérée comme un gros mot.

Quant aux droits des travailleurs… Les droits de qui ? Ce sont des esclaves, rien de moins. Un meurt ? Ils sont des dizaines à vouloir sa place.

Ce que j’ai aimé, en plus du contexte social, c’est que le roman ne soit pas centré uniquement sur la vie du couple Pemberton. Il nous parle aussi des ouvriers, de leur travail, nous fait partager leurs pensées philosophique, le cimetière qui se remplit des leurs, des concessions nouvelles qu’il faut négocier, sur ce parc National que certains veulent faire là où se trouve l’exploitation forestière. Bref, pas un moment de répit. Un roman profond.

Une écriture simple, mais pas simpliste, limite venimeuse comme Serena. Un récit lent, mais pas ennuyant, grâce au récit de la vie des Pemberton entrecoupé des récits des bûcherons, de la vie de Rachel qui élève seule son fils, des négociations pour d’autres terrains, des manigances de Serena et des bons mots qui parsèment le récit.

– J’ai assez de gadoue collée au cul pour y faire pousser un picotin de maïs, déclara-t-il d’un ton lugubre.
– Et moi j’en ai assez rien que dans mes cheveux pour boucher toutes les fentes d’une cabane en rondins, renchérit Henryson.

Argent, corruption, pas de justice – hormis celle du plus fort (ou de celui qui tue le premier) – un shérif qui fait tout ce qu’il peut pour lutter contre la puissance des Pemberton. Ce shérif, il en a dans le caleçon. C’est le seul a ne pas baisser les yeux et son froc devant eux.

Un personnage que j’ai apprécié, avec la petite Rachel. Deux personnages auxquels on s’attache, on tremble pour eux, on souffre avec la jeune maman qui fait ce qu’elle peut pour élever son gamin, sachant très bien qu’elle ne doit rien attendre du père biologique.

Un roman fort sombre, aux personnages travaillés, torturés, dont les quelques bûcherons dont nous suivons le parcours et leurs réflexions sur la femme du patron, le monde,…

Du venin dans les dialogues, dans les descriptions des hommes au travail et dans les paysages saccagés, sans parler du venin dans les pensées et les gestes de Serena et de ses sbires.

La fin m’a scié… Mais j’aurais dû m’en douter, avec Serena !

♫ Oh Serena, ton coeur est trop dur ♪

Livre particiapant au challenge « Thrillers et polars » de Liliba (2013-2014), Challenge « La littérature fait son cinéma – 3ème année » de Kabaret Kulture et  Le « Challenge US » chez Noctembule.

26 réflexions au sujet de « Serena : Ron Rash »

  1. Dasola et moi l’avions lu en 2013 (elle l’a chroniqué). En revanche, je n’ai pas vu le film qui en a été tiré en 2014, avec Jennifer Laurence dans le rôle principal (et ne correspondant guère au personnage, selon dasola).
    (s) ta d loi du cine, « squatter » chez dasola

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  4. L’aspect social est tentant. Je ne sais pas si je tiendrais la longueur avec un personnage si antipathique, j’ai du mal parfois avec les anti-héros, mais quand même bien envie de le lire :3

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    • Antipathique, mais trop… on est loin du personnage qu’on a envie de tuer (comme le méchant de « les piliers de la terre ») parce que elle a la poigne pour être sadique, si je puis dire.

      On est loin de la méchante peste qui se réfugie dans les jupes de maman, non, elle, elle sait ce qu’elle veut et elle l’obtient. Sadique, oui, mais fascinante, presque.

      Et puis, les autres personnages mis en scène adoucissent le portrait de Serena. 😉

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  6. Superbes, le roman et la chronique qui correspond bien à ce que j’ai retenu de ce livre. J’aime beaucoup Ron Rash. Un pied au Paradis et Serena sont formidables. J’ai été un peu déçu par Un monde à l’endroit. Bravo pour cette belle chronique.

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    • Le décor devient de plus en plus décharné, à mesure qu’ils coupent du bois… 😀

      Bon, je rigole. Sérieusement, les personnages sont bien campés, l’atmosphère n’est pas « lourde » ou « emmerdante » et j’ai bien aimé ce côté années 30, juste après la grande dépression.

      J’ai bien l’intention de découvrir les autres romans de cet auteur 😉

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    • Et bien oui ! en cherchant une photo plus grande de la couverture, je suis tombée sur des images du film. Le livre va être adapté en film !

      Je me suis régalée aussi ! Serena est une sale garce, mais c’est pas comme les garces habituelles qu’on a envie de flinguer, elle, elle fascine, presque.

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