Nous ne sommes qu’ombre et poussière : Lyndsay Faye

Titre : Nous ne sommes qu’ombre et poussière

Auteur : Lyndsay Faye
Édition : Pocket (2015)

Résumé :
Londres, automne 1888. Les atrocités commises sur deux prostituées assassinées dans le quartier de Whitechapel vont convaincre l’inspecteur Lestrade de solliciter le célèbre spécialiste des affaires criminelles.

Qui mieux que Sherlock Holmes, aidé du Dr Watson, saurait traquer l’homme qui sème désormais la terreur parmi la population de l’East End ? Mais le grand détective ne sortira pas indemne de cette enquête.

Pour démasquer son insaisissable adversaire, dont le nom, Jack l’Éventreur, restera longtemps gravé dans les mémoires, il devra enfreindre bien des règles, briser les codes, et tenter de sauver sa vie autant que sa réputation.

Critique : 
Confronter Jack The Ripper avec Sherlock Holmes est un exercice des plus casse-gueule qui soit, puisque, quoique l’on décide, le détective ne pourra jamais revendiquer le fait de l’avoir attrapé.

L’identité de l’Éventreur doit rester un mystère pour le grand public…

Casse-gueule aussi car il y a un long moment entre les victimes Stride/Eddowes et la dernière, Mary Jane Kelly, et puis parce qu’on mélange réalité et fiction, aussi bien dans les faits que dans les personnages. Bref, l’auteur marche sur une corde raide, sur le fil du scalpel (oserais-je dire ?).

C’est donc toujours avec de la crainte mêlée d’envie que j’ouvre ce genre de roman qui réuni deux personnages qui ont marqué leur époque commune, de différente manière, cela va de soi.

Si « Duel en enfer » de Bob Garcia m’avait déçu, il n’en fut rien avec ce pastiche de Lyndsay Faye qui tient la route dans tous les sens.

Reprenant les faits qui ensanglantèrent l’automne 1888, elle y a introduit les personnages de Conan Doyle avec brio. Watson a bien son côté protecteur, l’ami qui est prêt à tout pour seconder Holmes et un détective un peu froid, prêt à tout pour résoudre une enquête, sauf à mettre en danger son ami. On sent bien leur amitié profonde dans ce pastiche qui possède une petite dose d’humour.

— Holmes, elle a reçu vingt coups de couteau.
— Et votre expertise médicale inattaquable est qu’un seul aurait suffi.
— Ma foi, oui, répondis-je avec hésitation.

Quand à Lestrade, il est fidèle à lui-même, venant quérir l’aide de Holmes, ne le croyant pas toujours, tenace comme un bouledogue, s’envoyant des piques tout deux, mais l’inspecteur n’est pas dupe, il sait ce que le Yard doit à Holmes…

— Lestrade, je dois vous féliciter car votre hypothèse ne va à l’encontre d’aucun des faits connus. Malheureusement, elle échoue lamentablement à les valider tous pris globalement. Mais vous avez commis une erreur pire encore, mon bon ami, car votre théorie présente des points délicats.

— Je peux vous assurer, Watson, que si Scotland Yard devait me rembourser le temps perdu sur des indices fichus en l’air à cause de leur négligence ou de leur manie de l’hygiène, je pourrais sans problème prendre ma retraite sur l’heure.

Les temps d’attente entre deux crimes ne sont pas ennuyeux, Sherlock Holmes et John Watson sont bien campés – même si aucun auteur ne sera Conan Doyle – et la ville de Londres aussi, bien qu’ici nous ayons surtout arpenté ses bas-fonds, ses ruelles sombres, sales où s’entassent la misère humaine et une fumerie d’opium.

— Pour vivre dans ce quartier, commenta Holmes, il faut soit fermer les yeux, soit intégrer l’élément criminel. Regardez cette rue, Flower and Dean – c’est un des endroits les plus dangereux au monde –, et nous ne sommes pas dans les contrées sauvages de l’Afrique mais à quelques kilomètres du lieu où vous et moi accrochons si paisiblement nos chapeaux.

Sans entrer trop dans les détails des problèmes liés à l’enquête (tels les chiens pisteurs, Warren qui s’en prit plein la gueule et la Reine qui intervint pour éclairer Whitechapel à coup de réverbères) ou de la misère noire qui régnait dans ces quartiers, l’auteur se concentre sur Holmes qui mène l’enquête et sur la presse qui publiait tout et n’importe quoi pour vendre leurs torchons.

— Watson, si on devait condamner les journaux chaque fois qu’ils font des spéculations, toute la presse anglaise aurait bientôt mis la clé sous la porte.

Du suspense, du mystère, une enquête pas facile, des déductions, de l’amitié, des fausses-pistes, des bâtons dans les roues, des ruelles sordides, des mano à mano, des balles, des guet-apens, des coups de couteau qui vous larde la chair, des tripes répandues, des erreurs de Holmes qui n’était pas infaillible (il est humain) et une auteure qui nous emmène vers une solution finale tout à fait plausible.

— Tout en morceaux ! sanglota le gosse. Tout ce qui devait être dedans était dehors…

Un roman que l’on repose sur la table avec un pincement au cœur, quittant deux vieux amis de plus de 27 ans, en ce qui me concerne.

Un excellent pastiche qui ravira les holmésiens (il cherchera les références canoniques) et les amateurs d’enquête policières.

— Mais c’est une erreur fatale, un péché impardonnable, que de vouloir plier les faits pour valider une théorie, plutôt que valider sa théorie en s’appuyant sur les faits.

Challenge « Thrillers et polars » de Sharon (2015-2016), le Challenge « Polar Historique » de Sharon, le Challenge « Sherlock Holmes » de Lavinia sur Livraddict, le Challenge « Victorien » chez Camille, le « Challenge US » chez Noctembule (auteur américaine), le Challenge « XIXème siècle » chez Netherfield Park et « A year in England » chez Titine.

Étoile 4

46 réflexions au sujet de « Nous ne sommes qu’ombre et poussière : Lyndsay Faye »

  1. J’ai kiffé grave ma race!!! 👏👏👏

    Merci de m’avoir fait découvrir ce pastiche qui bien que relevant de la fiction colle plutôt pas du tout aux faits historiques.

    Le style n’est pas tout à fait celui de Conan Doyle. Plus moderne… dynamique… plus accessible pour les lecteurs du XXIe siècle facilement’ déconcertés avec le style de la fin du XIXe. La construction de l’intrigue est moderne aussi… mais… ça le fait! Le caractère et la psychologie des personnages canoniques sont respectés… on retrouve bien le Londres du canon… j’ai adoooooré. La rencontre de Holmes et de Jack pour une fois n’est pas décevants!

    Alors oui… c’est pas LE chef d’œuvre du siècle… mais j’aurais volontiers mis un Sherlock de plus ! 😁

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    • Qui colle pas MAL du tout aux faits historiques!!!! Arrrg j’ai zappé un mot et ça me fait dire le contraire de ce que je voulais dire!!! La honte! Ça colle bien à la réalité des crimes de Jack! Tous les détails des 5 crimes sont exacts!

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      • Mon cerveau ne l’avait même pas remarqué, il avait ajouté le mot parce que mon cerveau te connait et même si mes yeux volent sur les textes, la cervelle sait ce qu’elle doit faire quand il manque un mot.

        Oui, tout colle ! Ça poisse, même, avec tout ce sang…. je sors

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    • Oui, il est super bien fait, je trouve, comparé à certains autres. La fiction ne marche pas trop sur la réalité et on reste dans le plausible, alors que l’exercice est casse-gueule.

      On aura beau faire ce que l’on veut, on n’arrivera plus à écrire comme au 19ème siècle, ça ne saurait plus se faire, ou alors, ce serait du « copiage ».

      Les personnages sont conformes, ils ne tentent pas de se baiser dans tous les coins, pas de gayfriendly, du normal, et si ce n’est pas le futur goncourt, il a au moins le mérite de nous faire passer un excellent moment !

      De rien pour la découverte 😉

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  4. Je n’avais pas du tout aimé le Bob Garcia, c’est déjà un argument en soi pour moi :p
    Même si c’est très risqué, j’aime aussi ces mélanges d’univers et ces incursions dans des histoires aussi codifiées que celles de Sherlock Holmes ou Jack l’Eventreur. Je le tenterai bien à l’occasion, celui-ci. Merci !

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    • On se rejoint pour le Garcia, un Sherlock pas lui-même, des longs temps morts… à la limite, j’aime autant un Sherlock et une imitation de Jack, comme dans « Les damnées de Whitechapel » de Pierre Watson.

      Ici, c’est réussi.

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  5. Je ne suis pas aussi fan de Holmes que toi alors je n’en suis pas encore à la lecture des pastiches !!! 😆 Mais si je continue à te lire ça va arriver, je le sens, là il me faut tout mon self-control (et je ne suis pas britannique môa) pour ne pas le noter ! 😀

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