Faire bientôt éclater la terre : Karl Marlantes

Titre : Faire bientôt éclater la terre

Auteur : Karl Marlantes
Édition : Calmann-Lévy Littérature étrangère (17/08/2022) – 866 pages
Édition Originale : Deep River (2020)
Traduction : Suzy Borello

Résumé :
Fuyant l’oppression russe du début du XXe siècle, trois jeunes Finlandais, Ilmari, Matti et leur sœur Aino, émigrent aux États-Unis, dans une colonie de bûcherons près de la Columbia River.

Abattre les arbres de la région se révèle une activité lucrative pour les patrons, d’autant qu’aucune loi ne protège les ouvriers. L’impétueuse Aino décide donc d’organiser un embryon de syndicat et lance une série de grèves violemment réprimées, tandis que ses frères tentent de bâtir leur nouvelle existence.

Au fil des ans, entre amours parfois tragiques, épreuves et rêves brisés, la fratrie va poursuivre sa quête d’une vie meilleure.

Saisissante de vérité, cette saga familiale raconte aussi bien les beautés de la forêt primaire et les ravages causés par son exploitation que les combats d’une génération entière en proie aux remous d’une Amérique qui se construit à toute vitesse.

Critique :
Ce livre n’est pas pour Idefix, le chien d’Obélix… Ça le ferait hurler à la mort de lire qu’on y abat tant et tant d’arbres…

Des arbres centenaires, millénaires, appartenant à des forêts primaires. Pas de tronçonneuses, juste des haches, des longues scies, de la sueur, du sang, des salaires de misère et l’exploitation de nombreux hommes par quelques hommes.

Ce pavé comprend assez bien d’ingrédients, notamment sur l’abatage des arbres, le syndicalisme naissant, le socialisme, le communisme, la lutte des classes, l’esclavage moderne, le travail des sages-femmes, les droits des femmes (heu, elles n’en en avaient pas), la Russie qui tenait la Finlande sous sa coupe, l’immigration aux États-Unis, soi-disant terre des libertés, les religions, l’effort de guerre pour la Première Guerre Mondiale, l’Espionage Act (*)…

Oui, ça fait beaucoup de matières à ingérer, à intégrer dans le texte pour en faire un récit qui doit tenir debout… Rome ne s’est pas faite en un jour, les États-Unis non plus et ce pavé de 850 pages mettra lui aussi du temps pour en venir à bout. Peut-être un peu trop…

Avec 200 pages de moins, cela aurait été mieux. Il y a trop de détails techniques, dans ce roman qui pèse une tonne. Le travail documentaire a été fastidieux pour l’auteur, sans aucun doute, il est précieux, je ne le nierai pas, mais purée, trop c’est trop.

Aino Koski est le personnage principal. Cette jeune finlandaise qui a fuit aux États-Unis est une syndicaliste convaincue, une Rouge, comme on dit, et à cette époque, c’est une insulte. Elle ne veut rien lâcher, elle harangue les bûcherons, leur parle de salaires équitables, de sécurité, de conditions de travail décentes, de capitalistes…

Raison elle a. Tout à fait raison, même. Hélas, face à des gens qui gagnent des misères en bossant dur et qui ne peuvent se permettre de faire grève ou de perdre leur emploi, elle frise parfois l’idéalisme, la folie pure (elle se fout souvent des conséquences pour les autres, ses proches).

Son caractère est fort, elle aime la liberté, ne croit pas à l’utilité des mariages (vive les unions libres), mais il m’a été impossible de l’apprécier, comme j’ai pu chérir d’autres femmes (filles) fortes de caractère dans d’autres romans.

Pour tout dire, elle m’a énervée bien souvent et fait lever les yeux au ciel. Malgré tout, je respecterai son engagement, car c’est grâce à ce genre de personne entêtée que nous avons des syndicats, l’inspection sécurité et hygiène,…

Les bémols posés, passons à ce qui est intéressant dans ce pavé ultra détaillé : c’est tout de même une page importante de l’Histoire des États-Unis qui se trouvent mises en scène dans ce pavé, notamment dans des secteurs que nous connaissons peu tels que l’abattage d’arbres, la pêche aux saumons, mais surtout, sur la naissance du syndicalisme. Il faut garder en mémoire que certains (certaines) ont risqué leur vie, se sont battus, ont pris des coups, affrontés des dangers, pour faire progresser les droits des travailleurs.

Lors de ma lecture de la saga Blackwater (1919 et après), avec la famille Caskey, j’étais chez les propriétaires de scierie, les capitalistes et je ne me suis jamais demandée si leurs ouvriers étaient bien payés, s’ils avaient des conditions de travail décentes, humaines. Avec le roman de Karl Marlantes, je me suis trouvée du côté des damnés de la forêt et ça changeait tout.

Les personnages sont nombreux, mais il est difficile de les confondre, tant ils sont différents les uns des autres, certains étant même plus intéressants que d’autres (Matti Koski, le petit frère d’Aino, Aksel Långström, Kullerrikki et Jouka Kaukonen). Ils ne manquent jamais de profondeur et sont tous bien travaillés, même le Kullerrikki, le voyou siffleur, qui n’a pas un grand rôle, mais est attachant.

Malgré mes bémols dû à l’abus de détails, ce pavé met tout de même en récit tout un pan de l’histoire du Nord-Ouest des États-Unis (de 1901 à 1950) et on se dit que bosser à cette époque n’avait rien d’une sinécure, que l’on mourrait souvent, que l’on se blessait tout autant, qu’il n’y avait aucune sécurité sociale, aucun syndicat et que les patrons étaient les rois…

Une grande fresque historique, familiale, un pavé énorme, qui est mieux passé chez les autres que chez moi, à cause des longueurs et du fait que je ne me sois pas vraiment attachée à Aino Koski (mais j’ai adoré les autres).

Ce roman, c’est une partie de la construction de l’Amérique, loin des rêves promis, vendus, attendus… C’est aussi une grande fresque familiale sur l’apprentissage, l’exil, l’amour, l’amitié, la solidarité et l’envie de s’élever, de réussir, de gagner sa vie, de nourrir les siens, de garder la tête haute.

(*) L’Espionage Act of 1917 est une loi fédérale des États-Unis adoptée le 15 juin 1917, peu après l’entrée des États-Unis dans la Première Guerre mondiale. Elle a été modifiée à maintes reprises au fil des ans. Elle était destinée à empêcher toute tentative de gêne avec les opérations militaires américaines comme le soutien d’ennemis du pays pendant la guerre, la promotion de l’insubordination dans l’armée américaine ou l’interférence du recrutement militaire américain.

#Pavés de l’été – 15

Challenge Thrillers et Polars de Sharon (du 12 Juillet 2023 au 11 Juillet 2024) [Lecture N°035], Le Mois Américain en solitaire – Septembre 2023, Le Challenge « Les épais de l’été » 2023 (21 juin au 23 septembre) chez Dasola (par ta d loi du cine, « squatter » chez dasola) et « Pavés de l’été 2023 » chez La Petite Liste. 

12 réflexions au sujet de « Faire bientôt éclater la terre : Karl Marlantes »

  1. Ping : Second bilan du challenge thriller et polar 2023-2024. | deslivresetsharon

  2. Ping : Bilan Mensuel Livresque : Septembre 2023 + Mois Américain Non Officiel En Solitaire (et Solidaire) | The Cannibal Lecteur

  3. Bonjour Belette
    J’aime bien l’expression « Les damnés de la forêt »…
    Ce que tu dis de ce roman m’a fait songer à « La jungle » d’Upton Sinclair (paru en 1905): une famille immigrée de Lituanie qui va être engloutie par le capitalisme impitoyable en vigueur des les Abattoirs de Chicago… Un classique!
    Sur l’abattage des arbres, je me rappelle aussi avoir lu le roman de Ron Rash Serena, il y a quelques années. Je viens de voir que tu l’avais aussi lu et chroniqué, il y a 10 ans!
    Ce livre peut donc aussi m’intéresser. Bravo pour cette 15ème participation en tout cas!
    (s) ta d loi du cine, « squatter » chez dasola

    Aimé par 1 personne

    • J’ai piqué la phrase à l’internationale, avec ses damnés de la terre 🙂

      La jungle, ce titre me dit quelque chose… je me demande s’il n’est pas dans mon immence stock à lire, celui sans fonds…

      Serena, magnifique roman ! Oui, ça fait déjà un bail que je l’ai lu et vibré…

      Ce roman est intéressant, il est juste un peu trop bavard à mon goût, mais tu sais que les goûts et les couleurs… 😆

      Merci à toi pour l’organisation du challenge et je suis contente d’y avoir participé correctement et d’avoir enlevé 15 pavés de ma PAL 😉

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