Titre : Bratislava 68, été brûlant
Auteur : Viliam Klimáček
Édition : Agullo (2018)
Édition Originale : Horuce Leto 68 (04/10/2011)
Traduction : Richard Palachak et Lydia Palascak
Résumé :
Nous sommes une nation condamnée à la tendresse. On nous envahit facilement. Au printemps 1968, le parti communiste tchécoslovaque expérimente le « socialisme à visage humain ».
La censure est interdite, les frontières s’ouvrent vers l’Ouest, les biens de consommation font leur apparition…
Un vent de liberté souffle sur le pays. Cet été là, Alexander et Anna montent dans leur Skoda Felicia, un cabriolet flambant neuf, pour rejoindre leur fille Petra à Bratislava où elle vient de terminer de brillantes études de médecine.
Tereza, fille d’un cheminot rescapé des camps de concentration et d’une éditrice à la Pravda qui ont longtemps accueilli des réfugiés hongrois de 1956, séjourne dans un kibboutz en Israël pour renouer avec sa culture juive.
Jozef, pasteur défroqué pour avoir refusé de dénoncer des paroissiens auprès du Parti, fait ses premières armes à la radio.
Dans la nuit du 20 au 21 août, tandis que les tanks soviétiques envahissent la ville, le destin de ces trois personnages et de leurs familles va basculer.
Pendant quelques heures, la frontière avec l’Autriche reste ouverte, Vienne est à une heure de train. Chacun devra alors faire un choix : partir ou rester ?
Fuir la violence ou résister à l’oppresseur ?
Critique :
Il est des livres où dès les premières lignes, vous êtes conquis(e), vous rentrez dedans et vous sentez aussi bien que dans des charentaises confortables.
Ce fut le cas ici, je me suis coulée dans le récit, j’ai adhéré aux différents personnages, comme si je les connaissais depuis longtemps.
L’auteur s’est basé sur des témoignages d’exilés Slovaques pour bâtir son récit et on le ressent bien car il y a du réalisme, du vécu, même s’il a changé les noms et mélangé plusieurs destinées.
Au départ, tout va bien. On fait la rencontre des nos personnages principaux, on découvre la vie en Tchécoslovaquie, sous le règne des Socialistes qui en pratique un qui n’a de socialisme que le nom.
À choisir, je préfère encore la Gauche Caviar que ce communisme qui, une fois de plus, empêche ses citoyens de découvrir le monde et le garde prisonnier d’un rideau de fer, isolant le bloc de l’Est (lorsque j’étais gamine, je pensais que c’était un vrai rideau de fer, après, on m’a expliqué… Vous imaginez la taille du rideau ?) de celui de l’Ouest, dirigé par des salopards de capitalistes.
Tels des parents castrateurs empêchant leurs rejetons d’aller voir sur la palier de l’appart, ou sur la rue, devant la maison, les dirigeants communistes sont d’une sévérité immonde, d’une imbécilité crasse, d’un illogisme débile, préférant laisser la possibilité à des crétins de faire des études, empêchant les bons éléments, les premiers de classe, aller à l’université, vous déclarant incompatible parce que votre ancêtre était un grand capitaliste (il possédait un petit atelier de couture)…
Ces derniers temps, je bouffe du communisme, que ce soit celui de l’Archipel de Soljenitsyne (Russie), celui de la dynastie Kim (Corée du Nord) et maintenant, celui de la Tchécoslovaquie et pas un pour relever l’autre. Je découvre toujours des saloperies au fur et à mesure de mes lectures. Fin de la parenthèse.
La plume de l’auteur est primesautière, presque, agréable à suivre, teintée d’ironie aussi. Il vous emmène dans ce récit, commençant gentiment, doucement, mais sans masquer les imbécilités du parti au pouvoir, des restrictions que les citoyens subissent, du fait qu’il faut adhérer au parti pour espérer évoluer dans la société (même si le parti avait exécuté ses propres membres) et gare à ceux dont les ancêtres étaient des Koulak ou des vilains capitalistes.
Anna, Alexander, Petra, Jozef, Erika, Tereza, Anna vivaient leur petites vies avant le basculement et l’entrée des chars russes en août 68. Que faire ? Fuir pendant qu’il est encore temps ou rester ? Et si fuite il y a, quelles conséquences auront-elles sur les familles restées au pays ?
Ce roman noir, je l’ai dévoré, mais avec lenteur, prenant bien le temps de m’imprégner des atmosphères, des contradictions des personnages, de leurs peurs, de leurs déboires, de leur envie de liberté. Leur exil, je l’ai ressenti dans mes tripes, les imaginant tout laisser derrière eux, souvenirs, maisons et familles…
Sans sombrer dans le pathos gratuit, l’auteur a su insuffler des émotions fortes dans ses familles qui furent déchirées, qui prirent les chemins de l’exil, quasi le cul nu, laissant une partie des leurs derrière eux, aux mains d’un pouvoir qui n’aiment pas voir les siens partir ailleurs, passer le rideau.
Ou que vous alliez, ils suivent vos dires et peuvent encore vous toucher en plein coeur en vous culpabilisant car à cause de votre départ, le pays a eu du mal à continuer à produire… Ils diront que vous êtes un vilain, un non patriote, que le pays vous a tant donné, à vous, à votre famille et qu’en retour, ingrat que vous êtes, vous avez fui !
Après votre lâche fuite, notre production s’est tassée temporairement. Dire que pendant des années vous avez fait semblant d’être un homme qui aime son travail et sa ville natale… nous ne croyons plus que vous ayez été sincère. Vous étiez un bon spécialiste, certes, vous avez cependant renoncé à votre mission au plus mauvais moment.
Quel est le bon moment pour se rappeler que la patrie a des tentacules partout, contre lesquels on ne peut que gémir jusqu’à la folie ?
Pas de chapitre pour ce roman, mais des actes, comme dans une pièce de théâtre, comme des témoignages que l’on mettrait bout à bout pour en faire un tout qui tient parfaitement la route, qui nous montre un Monde aux antipodes du nôtre ou, malgré tout, nous avons toujours des libertés, dont celle de quitter le pays (hors pandémie) et d’en dire tout le mal qu’il nous sied.
L’auteur ne perd pas de temps en détails paysagers ou en descriptions graphique de ses personnages, mais il va à l’essentiel et donne à ses lecteurs/lectrices une fameuse piqûre de rappel, des fois que nous penserions que 68, c’est juste des pavés sous la plage… Pardon, que sous les pavés, il y avait la plage et des manifestations estudiantines.
Dans ce roman noir, dans ces témoignages que l’auteur a transformés en fiction, toutes ressemblances avec des personnes existant ou ayant existées n’est pas fortuite du tout. Elle est réelle.
Ces 50 tableaux racontent des petites histoires dans la grande, mais font intégralement partie de la grande Histoire aussi. Ils sont importants pour que l’on n’oublie pas la chance que nous avons de vivre où nous sommes, même si tout n’est jamais rose.
Un magnifique roman, une fois de plus.
Dans ce roman, j’omets volontairement la description des personnages et des paysages. Je les saute à votre place. Lecteur, je les ai toujours survolés et je vous imagine un peu comme moi, pour cette raison j’espère que ce rembourrage ne vous manquera pas.
L’homme sait qu’il est en train de vivre l’Histoire. Il sait que sa femme, son fils, lui et son pays sont le beurre, et l’Histoire, le couteau. Et que quelqu’un l’étale sur une tranche de pain et s’apprête à y mordre.
Avant même qu’elle passe le bac, le comité du parti communiste du lycée déclara qu’Erika n’était pas autorisée à faire des études supérieures. On était en 1960. Elle était « incompatible » : son père avait été dentiste dans le privé et un autre membre de sa famille avait été un grand capitaliste. Entendez par là qu’il avait eu un petit atelier de couture. Bien que leurs biens aient été pillés par l’État, que leur cabinet et leur atelier appartiennent désormais au peuple entier, les enfants continuaient de souffrir du fait que leurs parents n’avaient pas été des pauvres types, mais des personnes qui avaient réussi.
Ainsi, Jozef Rola était soupçonné de ce qu’il avait combattu toute sa vie, lui qui avait refusé l’ordination pour ne pas trahir ses futurs paroissiens. Ne soyons pas surpris par la réaction de l’évêque. Certes, il était maladroit, mais il se comporta comme tout habitant d’une démocratie du monde, comme l’équipe du film américain, comme chaque étranger qui nous a posé cette question durant des dizaines d’années, dont la réponse leur était incompréhensible : pourquoi votons-nous pour ces communistes que nous ne cessons de décrier ? Chacun de nous est conditionné par un système de pensée différent, ils ne peuvent pas nous comprendre, tout comme d’ailleurs nous ne comprendrons jamais les gauchistes de l’Ouest ou les jeunes maoïstes de Paris. Avec notre vécu, on ne peut pas sympathiser avec les révolutionnaires de café. Si on les avait expropriés de leurs magasins, chassés de leurs appartements ou si on avait envoyé leurs propres pères dans les mines d’uranium, peut-être qu’ils comprendraient.
Ils remplaçaient les gens. Pièce par pièce. Tu acceptes ? Tu signes et tu restes. Tu n’acceptes pas ? Pars. Qui ne hurle pas comme un loup avec nous hurle contre nous.
Challenge Thrillers et Polars de Sharon (du 11 Juillet 2020 au 11 Juillet 2021) [Lecture N°193] et Le Mois du Polar – Février 2021 – chez Sharon [Fiche N°19].