La vague arrêtée : Juan Carlos Méndez Guédez

Titre : La vague arrêtée

Auteur : Juan Carlos Méndez Guédez 🇻🇪
Édition : Métailié Noir (2021)
Édition Originale : La ola detenida (2017)
Traduction : René Solis

Résumé :
Magdalena a quitté le Venezuela pour Madrid, elle est devenue une enquêtrice réputée, tout va bien pour elle, à l’exception d’un amant envahissant et indiscret. On lui propose une nouvelle affaire : un homme politique madrilène lui demande de retrouver sa fille et de la lui ramener, elle aurait été enlevée et retenue à Caracas.

Magdalena est sûre de ses compétences et elle a une arme secrète : des dons que lui a accordés María Lionza, la déesse guerrière vénézuélienne, bref elle est un peu sorcière et a des intuitions salvatrices.

Mais rien ne va se passer comme prévu, sa magie est intermittente et Caracas, la ville la plus dangereuse du monde, a beaucoup changé. De surprise en surprise, nous allons nous plonger dans une ville en crise et être confrontés à sa faune dangereuse.

Un thriller palpitant avec une détective unique en son genre.

Critique :
Mais pourquoi n’ai-je pas lu plus tôt ce roman, moi ? Au moins, il n’a pas pris les poussières plus de trois années, mais tout de même, j’avais un bon roman noir et je ne le savais même pas.

Magdalena Yaracuy vit à Madrid, elle a quitté Caracas (Venezuela) il y a quelques années et voilà qu’elle va devoir y retourner pour tenter de résoudre une affaire de disparition. Begoña de Sotomayor, la fille d’un politicien ultra catho de Madrid, a disparu là-bas.

Et apparemment, comme Dieu est occupé ailleurs, le politicien a demandé de l’aide à Magdalena, qui elle, bosse avec l’aide de María Lionza, une déesse guerrière vénézuélienne. Oui, elle est un peu sorcière à ses heures. Magnifique, j’étais déjà conquise !

Une fois de plus, ceci n’est pas un thriller trépidant qui va à toute berzingue, mais plutôt un roman noir d’ambiance, d’atmosphère et qui va nous montrer l’envers du décor du Venezuela et non celui des cartes postales avec des paysages magnifiques.

L’avantage, c’est que comme dit Magdalena, pas besoin de gratter beaucoup pour arriver aux égouts et à la merde. Pas besoin de plonger pour atteindre les bas-fonds. Encore un pays où je n’ai pas envie de mettre les pieds, même si on me paie le billet.

– Cette ville n’est pas simple. En ce moment, ici, pas besoin de gratter beaucoup pour arriver aux égouts et à la merde. Pas besoin de plonger pour atteindre les bas-fonds. Caracas elle-même est le bas-fond pourri où il faut se boucher le nez et faire semblant de vivre.

Au travers de l’enquête de Magdalena, l’auteur va en profiter pour nous parler du pays, de sa culture, de sa politique, des assassinats, des magouilles, des exécutions, de tous les produits manquants, bref, de tout ce qui gangrène le pays. Et croyez-moi, les problèmes sont légions et nous donnent envie de trouver bien banals ceux de nos pays.

Magdalena est un personnage haut en couleur, qui n’a pas froid aux yeux, qui aime s’envoyer en l’air, qui sait se défendre et qui n’a pas laissé son intelligence dans une consigne de gare.

Non, elle va remonter la piste lentement, mais sûrement, mettant à jour tous les petits détails cachés, toutes les saloperies tapies dans les placards, avant de nous donner la solution, façon poupées gigognes, tant il y avait des ramifications dans cette disparition.

Et puis, Magdalena, c’est aussi une certaine verve, de l’humour, des réparties et son don de voyance, accordé par la déesse María Lionza. Attention, n’allez pas croire que la déesse fasse le job à sa place ou qu’elle lui balance la vision des coordonnées GPS de la fille disparue ! Pas de ça, Lisette, Magdalena, elle bosse à l’ancienne, avec des indics, des renseignements qu’elle achète, elle suit les pistes, remonte les égouts…

– Ah, au fait… regarde si tu peux envoyer quelqu’un ramasser un blessé du côté de l’avenue Andrés Bello. Rien de grave. Une blessure au pied. Je nettoyais mon pistolet quand le coup est parti et un ami a essayé de stopper la balle avec sa chaussure.

Anybref, voilà un roman noir comme je les aime, corsé, serré, noir, sombre, qui met en avant un pays et une ville que je ne connais pas du tout, avec des personnages marquants (même les seconds rôles) et une enquête qui va se révéler bien plus retorse que l’on aurait pu le penser. Et puis, tout n’est pas sombre, il y a aussi de la lumière et ça fait du bien.

9 – 03 – NOA : Marc Levy

Titre : 9 – 03 – NOA

Auteur : Marc Levy
Édition : Robert Laffont – Versilio (12/05/2022) / Pocket (13/04/2023)

Résumé :
Des vies sont en danger. Une reporter d’investigation va s’infiltrer en terrain ennemi. Le temps est compté.

Le Groupe 9, plus uni que jamais, repart en mission. L’avenir de tout un peuple est en jeu.

De Londres à Kyïv, de Vilnius à Rome, un roman d’aventures et d’espionnage au suspense trépidant, une histoire qui interpelle et invite à réfléchir sur le monde qui nous entoure.

Critique :
Moi qui n’avais jamais lu de romans de Marc Levy, avec sa trilogie consacrée à des hackers, j’avais été happée dans cet univers dès les premières lignes du premier tome.

Mais l’inconvénient des suites, c’est qu’il se passe du temps entre deux parutions et que l’on a tendance à oublier des détails, des personnages, au fil du temps qui passe.

Bon, si j’ai eu un peu de mal de resituer les personnages (hormis quelques iconiques), cela ne m’a pas empêché de retrouver ensuite mes marques dans ce nouvel opus qui parle de hacking, de politique, d’espionnage, mais aussi de dictateurs, de restrictions de libertés et de lutte contre ces puissants qui nous gouvernent bien plus que nos propres élus.

Ce sont ces puissants, ces dictateurs, ces hommes riches, ces oligarques, les lobbys, qui sont dangereux pour nos démocraties, sans oublier les armées de trolls, à leur solde, prêt à répandre le faux sur les réseaux sociaux, à attiser les haines sur les étrangers, les migrants, les démocrates… Difficile de lutter contre eux, ils sont légions et à force de répéter les mêmes choses, les gens finissent par y croire dur comme fer.

Ce que j’ai aimé, dans cet roman, ce sont les références à notre époque, à nos faits de sociétés, aux scandales bien connus, que nous avons déjà oublié, tel celui de Cambridge Analytica, du Brexit, des élections truquées dans certains pays et j’en oublie moi-même, un clou chassant l’autre.

Bien entendu, l’auteur ne cite pas les noms exacts, mais tout le monde comprendra qui est Garbage (j’adore le jeu de mot) et Jarvis Borson. Pas besoin d’être hacker ceinture noire pour comprendre nos personnages principaux, leur langage reste assez clair, même si nous ne pourrons jamais faire le quart de la moitié du centième de ce qu’il font sur la toile !

Ce techno-thriller n’est pas creux, ou écrit sur un ticket de métro, que du contraire ! Il possède un scénario qui est travaillé, réfléchi, intelligent et qui sort de l’ordinaire. Ses personnages sont réalistes, qu’ils existent vraiment ou soient purement littéraire. De plus, l’équipe des hackers est sympathique, on s’y attache très vite.

Dans ce dernier tome, nous apprendrons enfin qui était cette personne qui semblait tout raconter à un journaliste, nous connaîtrons l’origine des 9 et nous voyagerons beaucoup lorsque nous suivrons les différents membres du groupe.

Anybref, ça se lit tout seul, ça se dévore d’une traite (bon, allez dormir tout de même, sinon, vous serez fatigués) et avec passion. Parce que oui, des hackers qui s’attaquent à un dictateur d’un pays de l’Est, ça fait du bien au moral et si ce dernier à mal à son égo, tant pis pour lui.

Aah, et si c’était vrai ? (oups, je n’ai pas pu m’empêcher de faire ce jeu de mot avec le premier titre de cet auteur).

Challenge Thrillers et Polars de Sharon (du 12 Juillet 2023 au 11 Juillet 2024) [Lecture N°075].

Nos coeurs disparus : Celeste Ng

Titre : Nos coeurs disparus

Auteur : Celeste Ng
Édition : Sonatine (24/08/2023)
Édition Originale : Our Missing Hearts (2022)
Traduction : Julie Sibony

Résumé :
États-Unis d’Amérique, dans un futur pas si lointain. Le jeune Bird Gardner vit seul avec son père sur un campus universitaire. Depuis quelques années, leur existence est rythmée par des décrets liberticides.

Le gouvernement a en effet instauré une loi de préservation des traditions, permettant de considérer tout élément de culture étrangère comme suspect, et potentiellement dangereux pour la société. Les citoyens sont surveillés, les manifestations interdites.

Les livres définis comme séditieux sont retirés des bibliothèques. À commencer par ceux de la mère de Bird, la poétesse Margaret Miu, disparue mystérieusement trois ans plus tôt.

Le jeune garçon a appris à se désintéresser d’elle, à ne poser aucune question sous peine d’attirer l’attention des forces de l’ordre. Mais le jour où une lettre arrive, ne contenant qu’un mystérieux dessin, il comprend que c’est sa mère qui lui laisse un indice pour la retrouver.

Critique :
Noah (surnommé Bird) a 12 ans, il vit tout seul avec son père, dans un petit studio et il reçoit une lettre énigmatique, qui semble venir de sa mère, partie un jour, sans retour (oui, moi aussi je vais l’avoir dans la tête).

Après avoir lu une trentaine de pages de ce roman dystopique, j’ai failli abandonner, tant je n’y trouvait rien d’intéressant.

Vu que la majorité des chroniques sur Babelio étaient positives, j’ai continué un peu et là, paf, je suis tombée sur le monstre tapi sous le lit, celui que l’on pense inexistant et qui pourtant, grandi de jour en jour avant de se jeter sur nous et de nous dévorer tout cru.

Non, pas un monstre sorti d’un livre d’horreur, quoique : tous les livres définis comme séditieux ont été retirés des bibliothèques ! Putain de merde, un de mes pire cauchemars…

Là, j’ai senti les sueurs froides couler dans mon dos et ma respiration se faire difficile. J’ai imaginé que je pourrais vivre dans un monde tel que celui-là et qu’on aurait vidé mes/les biblios de leurs livres dits « dangereux ».

Et aux États-Unis, ce n’est pas un vilain rêve, c’est une réalité, puisque des gens biens pensants ont décidé que leurs enfants ne pouvaient pas lire des romans qui parlent de l’esclavage, du racisme, de ségrégation, d’homosexualité, de transsexualité,… (et la transsubstantiation, ils sont contre aussi ?? Si ça se trouve, ils ne savent pas ce que c’est, ces biens pensants).

Anybref, j’étais scotchée au livre et je ne l’ai plus lâché. Horrifiée, j’ai découvert cette Amérique sous régime autoritaire après le PACT (Preserving American Culture and Traditions Act), raciste au possible, liberticide, qui a retiré les livres séditieux des biblios, qui a pris des règles drastiques contre les POA (personne d’origine asiatique), les accusant de tous leurs maux après la crise, qui a incité sa population à dénoncer tout le monde au moindre fait et geste anti patriotique et pire, qui enlève les enfants aux couples jugés « antiaméricains ».

Des bruits avaient commencé à courir. On parlait de coups à la porte au milieu de la nuit, d’enfants qui disparaissaient, emportés par des voitures noires. Une clause enfouie dans les replis de la nouvelle loi, autorisant les agences fédérales à retirer les enfants des foyers jugés antiaméricains.

J’ai aimé suivre Noah, ce jeune garçon timide, qui suit les règles, car il a la trouille (j’aurais été telle que lui), avant de commencer à se poser des questions et à rechercher sa mère, dans la première partie.

La deuxième partie nous en apprendra plus sur la fameuse crise et le PACT qui en a découlé, l’autrice nous montrant comment, petit à petit, les gens ont changé de comportement, devenant de plus en plus agressifs envers les personne asiatique. Comme souvent, ça commence doucement, c’est pour notre bien, mais ensuite…

Cette dystopie est glaçante, parce qu’elle ne parle pas de science-fiction, mais de choses réelles, qui sont déjà arrivées, aux États-Unis ou ailleurs.

Les Amérindiens ont vécu l’assimilation forcée de leurs enfants, dans des pensionnats, la ségrégation a existé (et elle existe encore), durant les guerres mondiales, il y a eu des discriminations envers les Allemands et ensuite les Asiatiques (emprisonnés dans des camps), la pandémie COVID a relancé les dénonciations et le maccarthysme, bien avant, avait été une ère de délation et de persécution.

Quant à la résistance qu’oppose certaines personnes à ce totalitarisme, elle est bien faite, sans être violente. Elle est ténue, aussi, tant les gens vivent dans la peur de se faire dénoncer. Bref, tout est réaliste, hélas…

Mon seul bémol sera pour l’absence de tirets cadratins ou de guillemets devant les dialogues. Il m’a fallu un temps d’adaptation pour arriver à trouver la fluidité de lecture sans ces petits repères. Oui, c’est un tout petit bémol de rien du tout.

Une dystopie à lire, dont il faut parler, pour éviter qu’un jour, chez nous, on en vienne à retirer des livres des rayons des bibliothèques publiques (ou pire, dans nos maisons), sous prétexte qu’ils parlent de choses dont on ne veut pas entendre parler.

Lutter aussi pour que dans les écoles, on ne commence pas à édulcorer l’Histoire et la à transformer en monde des Bisounours bienveillants ou à la réécrire… Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai l’impression que ça a déjà commencé…

An American Year

Challenge Thrillers et Polars de Sharon (du 12 Juillet 2023 au 11 Juillet 2024) [Lecture N°065] et le Challenge « American Year » – The Cannibal Lecteur et Chroniques Littéraires (du 15 novembre 2023 au 15 novembre 2024).

Le château des animaux – T01 – Miss Bengalore : Xavier Dorison et Félix Delep

Titre : Le château des animaux – T01 – Miss Bengalore

Scénariste : Xavier Dorison
Dessinateur : Félix Delep

Édition : Casterman (2019)

Résumé :
Quelque part dans la France de l’entre-deux guerres, niché au cœur d’une ferme oubliée des hommes, le Château des animaux est dirigé d’un sabot de fer par le président Silvio…

Secondé par une milice de chiens, le taureau dictateur exploite les autres animaux, tous contraints à des travaux de peine épuisants pour le bien de la communauté…

Miss Bangalore, chatte craintive qui ne cherche qu’à protéger ses deux petits, et César, un lapin gigolo, vont s’allier au sage et mystérieux Azélar, un rat à lunettes pour prôner la résistance à l’injustice, la lutte contre les crocs et les griffes par la désobéissance et le rire…

Critique :
La ferme des animaux, d’Orwell, m’avait fait un effet boeuf… Ah mon cochon, quel roman, quelle claque !

Qu’allait-il en être avec le château des animaux, qui reprenait le même modèle, à savoir des animaux qui parlent, qui vivent en société, qui bossent et surtout, une dénonciation des régimes autoritaires, liberticides, staliniens, dictatoriaux ?

La grosse différence réside dans le fait que Dorison nous propose une histoire qui, de prime abord, peu paraître semblable au roman, mais lui, contrairement à Orwell, il propose des pistes pour sortir de ce système où l’autorité s’exerce par la force, par la peur, les morts, la privation de liberté et de nourriture.

Si dans le roman d’Orwell, on voyait toute la construction, étape par étape, de la mise en place du système totalitaire, dans cette bédé, le système est déjà mis en place et l’on s’oriente vers la prise de conscience des animaux qu’ils sont privés de liberté, que le système est injuste, inique et vers le début de la résistance, d’une petite révolte pour faire changer les choses, mais à la Gandhi : non violence.

Cette bédé, c’est un peu une continuité de La Ferme Des Animaux, comme une suite, comme ce qui aurait pu se passer si les animaux s’étaient révoltés par la douceur, par la non-violence, afin de faire plier le pouvoir en place, qui ne sait réprimer que dans le sang.

Le graphisme est très bien fait, les animaux font vraiment penser à des personnages réels à part entière et l’anthropomorphisme passe comme une lettre à la poste. Les caractéristiques des animaux sont utilisées : le chat a besoin de dormir beaucoup, mais impossible vu tout le boulot, le lapin saute toutes les lapines…

Ceci n’est pas une bande dessinée pour les enfants, il y a de la violence, des mises à mort au pilori, des chiens qui sont les gardiens du tyran (un taureau). Bref, c’est une bédé pour les adultes !

Xavier Dorison n’étant pas un bras cassé pour les scénario, celui-ci est donc mitonné aux petits oignons, avec de la profondeur dans le récit et dans les personnages.

Cette fable animalière est une critique sociale de certaines sociétés, de certains dirigeants et ça passe toujours mieux avec des animaux, La Fontaine l’avait déjà compris. Orwell aussi.

J’ai adoré ce premier tome et j’ai hâte de lire la suite. Peur aussi, parce que j’apprécie certains animaux, dont miss Bengalore, le Lapin César (le don juan) et le rat Azélar…

Une lecture aussi coup de poing que le roman d’Orwell, qui m’avait hanté longtemps et qui me hante toujours…

Fils d’homme : Augusto Roa Bastos

Titre : Fils d’homme

Auteur : Augusto Roa Bastos 🇵🇾
Édition : Points – Signatures (2018)
Édition Originale : Hijo de Hombre (1960)
Traduction : François Maspero

Résumé :
Les habitants d’Itapé et de Sapukai sont des êtres exsangues. Les premiers vénèrent un Christ de bois et de souffrance. Les seconds sont des révoltés.

À Itapé, la famille Jara tente l’impossible pour échapper à l’esclavage. À Sapukai, un mystérieux docteur guérit tous les maux.

Dans ces deux villages du Paraguay brûlés par le destin, les hommes vont résister durant un siècle à la folie et à la guerre.

Cette parabole, qui embrasse un siècle d’histoire du Paraguay autour de trois personnages messianiques – Gaspar Mora, Casiano Jara, Cristóbal Jara – et d’un narrateur ambigu et traître, Miguel Vera, a pour centre et pour raison d’être l’homme paraguayen, crucifié chaque jour par l’inclémence humaine et chaque jour ressuscité à l’espérance.

Bouleversant toute chronologie, les neuf parties, qui s’articulent selon un ordre non linéaire, sont autant de variations sur la résistance de l’homme à l’élimination physique et à la dégradation morale.

Fils d’homme, intense chef-d’œuvre de la littérature latino-américaine, valut à Roa Bastos 42 ans d’exil.

Critique :
En fouinant dans les bouquineries, je trouve souvent ce que je cherche et parfois aussi ce que je ne cherche pas vraiment, et ce fut le cas avec ce roman d’un auteur paraguyen.

Puisque le 4ème de couverture parlait d’un intense chef-d’œuvre et que je pouvais l’acquérir à petit prix, je n’ai pas hésité longtemps et hop, dans le panier d’achat.

Il tombait bien pour le Mois Espagnol et Sud-Américain et me permettrait de noircir un nouveau pays sur mon planisphère (le Paraguay).

Mais que dire sur cette lecture ? Ben, heu, en en fait, heu… Le plus important sera pour dire que je ne suis pas d’accord avec ce qui est dit sur le 4ème : intense chef-d’œuvre de la littérature latino-américaine. Bon, après, les goûts et les couleurs…

Ce roman est en fait constitué de plusieurs récits, comme des nouvelles (mais qui suivent un fil rouge), et qui nous racontent les us et coutumes des paysans paraguayens début du XXème siècle, vivant dans des villages retirés, ainsi que des souvenirs de l’époque, sous la dictature de Francia, bien avant.

J’ai apprécié le premier chapitre, avec un vieil homme qui raconte la mort tragique de son père, assassiné froidement par le dictateur Francia dont il était pourtant le serviteur fidèle. J’étais à fond dans l’histoire avec ce gringo, venu de nulle part et devenu un espèce de médecin. Les récits parlant de guerre, de combats, je les ai appréciés aussi.

Et puis, entre les deux, j’ai souvent décroché de ma lecture, passant des paragraphes, sautant des pages avant de perdre tout à faire le fil du récit, de mélanger les personnages et de finir par refermer ce bouquin sans avoir goûté au chef-d’œuvre annoncé.

Je retiendrai que ce roman offre 20 ans d’histoire du Paraguay, depuis la révolte paysanne (1912) jusqu’à la fin de la guerre du Chaco contre les Boliviens (de 1932 à 1935).

Ce roman montre aussi les souffrances et la misère que vécu la population paraguayenne au début des années 1900. Pour ne pas dire « un enfer »…

Hélas, entre lui et moi, le coup de foudre n’a pas eu lieu, dommage pour moi, parce que les critiques sur Babelio étaient plus qu’élogieuses.

Je voyais descendre du train ces hommes qui revenaient du bout du monde : il leur manquait un bras, une jambe, ils avaient le visage brûlé, couturé de cicatrices, certains étaient sans yeux, sans doigts, sans mains. Des déchets humains, c’est de ça qu’ils avaient l’air ! On devait se donner beaucoup de mal pour reconnaître ce qu’ils avaient été dans ce qui restait d’eux ? Des étrangers sous tous les rapports. Ces hommes qui avaient été autrefois jeunes et forts. Ils n’avaient pas pu mourir pour la gloire de la patrie, ils ne pouvaient plus mourir pour la gloire de Dieu… Miséricorde Seigneur, Dieu des Armées, Dieu Fort et Maître de la Mort !

Le Mois Espagnol et Sud Américain – Mai 2023 – Chez Sharon [Fiche N°38].

La mort de Staline – Une histoire vraie… soviétique – Intégrale : Fabien Nury et Thierry Robin

Titre : La mort de Staline – Une histoire vraie… soviétique – Intégrale

Scénariste : Fabien Nury
Dessinateur : Thierry Robin

Édition : Dargaud (01/12/2017)

Résumé :
Cette intégrale de « La Mort de Staline » regroupe les deux tomes de ce vrai faux récit historique signé par deux grands noms de la nouvelle BD française : Fabien Nury et Thierry Robin.

Le 2 mars 1953, en pleine nuit, Joseph Staline, le Petit Père des peuples, l’homme qui régna en maître absolu sur toutes les Russies, fait une attaque cérébrale. Il est déclaré mort deux jours plus tard.

Commence alors une lutte acharnée pour le pouvoir suprême, lutte qui concentrera toute la démence, la perversité et l’inhumanité du totalitarisme.

Qui succédera à Staline ? Une histoire vraie soviétique, à l’humour ravageur et cruel, portrait saisissant d’une dictature plongée dans la folie.

La Mort de Staline, une bande dessinée historique réaliste et documentée qui dépeint le tableau terrifiant et absurde d’un système totalitaire en pleine folie.

Critique :
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, cette intégrale de la Mort de Staline est drôle.

Même si l’humour est grinçant, noir et perfide… Et que l’on sait que son système est responsable de morts et de déportations par dizaine de milliers.

Il est difficile de ne pas sourire devant l’empressement de certains à satisfaire les demandes du Père des peuples (avant son attaque) et de voir les autres magouiller pour tenter de conserver leur place et leurs privilèges.

Ubuesque, mais tellement réaliste. Staline se meurt, mais il fait toujours peur. Le guide est mourant, qui va reprendre son commerce de mort et de peur ? Qui pour prendre les rênes de l’URSS ? Les camarades vont pouvoir se tirer dans les pattes, se planter des couteaux dans le dos, magouiller, négocier, piquer les dossiers de Staline…

Bien que cette histoire soit une fiction et que l’auteur précise quels événements il a ajouté ou changé dans son récit, on reste pourtant dans un récit tout à fait cohérent et il n’est pas difficile de penser que les négociations qui eurent lieu entre les membres du Politburo, dont Beria, qui ne veut pas perdre son pouvoir et qui pourtant, sera victime de son système (je ne le pleurerai pas, instant karma !), se sont bien déroulées de la sorte.

C’est la lutte finale, la lutte pour le pouvoir… Une guerre de succession (et non de sécession).

Les dessins, bien qu’ils m’aient semblé un peu bizarre au début de ma lecture, allaient comme un gant à cette histoire. Finalement, je les ai adoré.

Dans cette bédé, c’est toute l’inhumanité, tout l’illogisme d’un système qui est démontrée, qui nous saute aux yeux. Tant de morts, tant de douleur, tant de misère pour lutter contre le capitalisme ? Ben voyons… Quant à l’avenir radieux promis, il ne le fut que pour certains, une minuscule minorité, tandis que les autres en crevaient.

La première partie, est consacrée à l’agonie de Staline, tandis que la seconde est pour ses funérailles, où il se déroulera encore bien des événements, grotesques ou dramatiques.

En fait, si nous ne connaissions pas l’Histoire, on pourrait qualifier Lavrenti Beria (chef de la police secrète), Nikita Khrouchtchev, Viatcheslav Molotov, Nikolaï Boulganine et Gueorgui Malenkov de bouffons, de comiques troupiers, de types grotesques, tant ils sombrent tous dans la paranoïa et la soif de pouvoir.

Il en ressort de tout cela que cette bédé est des plus intéressantes, même si elle incorpore des passages fictionnels. Le communisme n’était pas une bonne chose et pour celles et ceux qui ne le sauraient pas encore, cette bédé risque de leur ouvrir les yeux.

Apprenez aussi que dans la réalité, Staline, après son attaque cérébrale, est resté seul dans sa chambre, des heures et des heures (baignant dans sa pisse), personne n’osant le déranger et qu’il n’y avait presque plus de médecins pour s’occuper de son cas, puisqu’il en avait fait assassiner beaucoup, les accusant de complot, (la plupart était des juifs)…

Une bédé que je suis contente d’avoir découverte ! On en a tiré un film, mais d’après ce que j’ai entendu dire, il est moins bien que la bédé. Alors, lisez cette bédé !

Challenge Thrillers et Polars de Sharon (du 12 Juillet 2022 au 11 Juillet 2023) [Lecture N°167].

Ikigami – Préavis de mort (Double) – Tome 1 : Motorô Mase

Titre : Ikigami – Préavis de mort (Double)

Scénariste : Motorô Mase
Dessinateur : Motorô Mase

Édition : Kazé Seinen (2015)

Résumé :
Dans ce pays, une loi entend assurer la prospérité de la nation en rappelant à tous la valeur de la vie. Pour ce faire, un jeune sur mille entre 18 et 24 ans est arbitrairement condamné à mort par une micro-capsule injectée lors de l’entrée à l’école.

Lorsqu’on reçoit l’ikigami, c’est qu’il ne nous reste plus que 24h à vivre. Mais à quoi passer cette dernière journée, lorsqu’on n’a pas eu le temps de faire sa vie ?

Critique :
La vie n’a pas de prix, mais bien souvent, nous l’oublions, il faut que nous manquions de mourir pour s’en rappeler, ou que nous voyons partir des plus jeunes que nous…

Alors, pour bien faire comprendre à toute la population la valeur de la vie, un pays, totalitaire, inocule une capsule dans les vaccins que sont obligés de recevoir les élèves. Un sur les mille mourra entre ses 18 et 24 ans, de manière arbitraire.

Sont préavis, il le recevra 24h avant sa mort… C’est un ikigami et c’est pour assurer la prospérité de la nation.

Prospérité ? J’t’en foutrai, moi, de ta prospérité. Depuis quand la mort d’un jeune assure-t-elle la prospérité de la nation ? C’est un devoir ? Ben merde alors… Mais bon, je n’ai jamais été atteinte de patriotisme non plus… Défendre mes proches, oui, mais sacrifier ma vie pour le pays qui se fout bien de moi, je ne suis pas encore prête.

Dans ce premier tome, nous assisterons à plusieurs réactions, suite à la réception du préavis de mort. Au moins, aucun des personnages ne réagira de la même manière et j’ai apprécié les questionnements que se pose Fujimoto, qui est un livreur d’ikigami, même si je trouve qu’ils arrivent fort rapidement, comme s’il mettait déjà le système en doute.

Fujimoto a raison, le système est arbitraire et débile, puisqu’on ne sait pas à quoi cela sert d’éliminer une personne sur mille. C’est même totalement absurde ! Mais si les régimes totalitaires ne l’étaient pas, cela se saurait !

La menace n’empêche pas les jeunes de se comporter comme des salopards, comme la bande de harceleurs et les sanctions qui pèsent sur les familles, si jamais le futur mort semait des troubles, n’a pas empêché l’un des personnages à se venger avant de mourir.

La lecture est intéressante parce qu’elle permet de se poser une question terrible, à laquelle nous n’avons pas toujours de réponse : qu’aurais-je fait à la place de ? Que ce soit à la place du fonctionnaire qui fait son job et délivre ses ikigamis ou à la place des personnes qui apprennent qu’il leur reste 24h avant de mourir.

Malgré tout, je suis restée sur ma faim… Fujimoto n’a pas beaucoup de place pour la rébellion, ni pour poser trop de questions. Quant aux chapitres consacrés à ceux qui allaient mourir, s’ils étaient intéressants, je n’ai pas envie que toute la série se déroule de la même manière, cela deviendrait redondant.

Un manga qui oscille entre thriller et dystopie, qui instaure un climat de malaise face à ces crimes institutionnalisés, réglés comme du papier millimétré et dont les fonctionnaires sont très fiers de cette « Loi pour la prospérité nationale » et du système mis en place pour que personne ne sache à l’avance dans quel vaccin la puce mortelle va être insérée (ni dans quel élève).

Ma foi, j’ai beau être restée sur ma faim, je vais tout de même lire le deuxième opus afin de voir si l’histoire bouge où si elle reste statique.

Challenge Thrillers et Polars de Sharon (du 12 Juillet 2022 au 11 Juillet 2023) [Lecture N°121] et Le Mois du Polar, chez Sharon – Février 2023 (N°04).

La véritable Histoire vraie / Les méchants de l’Histoire – Tome 07 – Joseph Staline : Bernard Swysen et Ptiluc

Titre : La véritable Histoire vraie / Les méchants de l’Histoire – Tome 07 – Joseph Staline

Scénariste : Bernard Swysen
Dessinateur : Ptiluc

Édition : Dupuis (2020)

Résumé :
Impossible de considérer une collection « Les méchants de l’Histoire », sans Staline, « le petit père des peuples », l’homme d’acier de l’URSS, connu pour les purges et la déportation de ses opposants politiques, les déplacements forcés de populations entières et les famines qu’il provoqua. Bilan : plusieurs millions de morts.

Avec cette collection, Bernard Swysen n’hésite pas à sauter à pieds joints dans les nids de guêpes de l’histoire en brossant le portrait des vilains et en assaisonnant la réalité historique de son humour pimenté pour s’attaquer à ces grandes figures historiques et tragiques.

Joseph Staline est né Iossif Vissarionovitch Djougachvili en 1878 à Gori, en Géorgie. Son père était cordonnier. Il est surtout décrit comme un ivrogne qui battait sa femme et voulait empêcher son fils de suivre des études pour devenir prêtre. À l’école, Staline se détourne de la foi religieuse puis adhère au Parti ouvrier social-démocrate de Russie (POSDR) en 1898.

Ptiluc, un des plus grands fabulistes animaliers contemporains, s’empare de cette trajectoire dans son trait burlesque en mettant en perspective la manière dont Staline se racontait lui-même.

Du décalage naît le rire grinçant de la caricature, à partir d’un récit chronologique rigoureux, qui ne cache rien des ambitions et de l’autoritarisme du dictateur. Staline décède en 1953. Il reste sans doute le fantôme le plus controversé de l’histoire.

Critique :
Cette série sur les Grands Méchants de l’Histoire continue de m’enchanter, tout en me faisant frémir.

L’horrible Torquemada m’avait fait grincer des dents, j’avais apprécié l’humour noir qui se mélangeait bien au récit historique et Staline ne dément pas cette recette qui marche.

Là aussi, l’humour est présent, mais il est noir, sombre, caustique, grinçant.

Le fait de représenter Staline en animal (un ours), ainsi que tout les autres personnages, donne une tout autre dimension au récit.

Une brillante idée que l’on retrouve aussi dans Hitler (que je suis en train de lire).

Comme pour les autres Méchants, on commence par leur naissance, on nous montre leurs parents, leurs travers et pour peu, on se prendrait d’affection pour cet ourson qui vient de naître. Pas longtemps, je vous rassure de suite.

Le personnage de Iossif (futur Staline) est abject, bête mais aussi intelligent (ben oui, on le comprend en lisant la bédé), cynique, retors, menteur, colérique, manipulateur d’une méchanceté crasse et il finira parano sur la fin de sa vie. Le portrait est grinçant, nullement indulgent. Ah, il était battu par son père et aussi par sa mère, mais ceci n’excuse en rien.

On voit Staline qui dicte ses mémoires a un écrivain, le pauvre homme se faisant fusiller du regard ou menacer de mort s’il n’acquiesce pas aux dires du Petit père des peuples (qui fit crever son peuple et les autres).

Dans les dialogues et les dessins, les auteurs ont réussi à mettre en scène tout l’illogisme du système de Staline, son iniquité, sa brutalité, sa perversité et sa débilité, notamment dans une case qui résumera tout de manière formidable. Un petit dessin est souvent plus éclairant qu’une longue phrase.

Les camps de travail, les goulags, la famine en Ukraine (Holodomor – la collectivisation forcée des campagnes), ne seront pas expliqués dans les détails, quelques cases suffiront à en parler, les auteurs préférant se concentrer sur l’horrible personnage qu’est Staline, nous montrant aussi que dans nos pays, on le voyait comme un grand homme…

La seconde guerre mondiale sera une part importante de l’album, ce qui permettra aux auteurs de nous faire découvrir le rat Hitler et de nous signaler que Staline avait fait passer par les armes 80% des cadres de l’Armée Rouge, laissant l’armée sans têtes pensantes au début de la guerre. Un des personnage se permet de lui rappeler se fait, dans cet album, il ne fera pas long feu…

On nous parle aussi du massacre de Katyń, ainsi que du fait que l’armée russe eut l’interdiction (par Staline) d’intervenir en Pologne, laissant les nazis massacrer tout le monde, afin qu’ensuite, ce tyran moustachu puisse occuper le pays sans y trouver de résistance. Machiavélique.

Une bande dessinée excellente, qui arrive à faire de l’humour avec un sujet difficile, avec un personnage qui ne prête pas à rire, le ridiculisant au passage, ne se privant pas de l’égratigner, de le montrer dans fard, tel qu’il était et de nous brosser, avec un humour noir et froid, le portrait de ce dictateur assassin qui possède plus de morts à son actif que l’autre moustachu allemand.

Avec son système, pas besoin de preuves, de procès (ou alors, ils étaient truqués), de simples soupçons suffisent. Ou alors, fallait juste que la personne disparaisse parce qu’elle avait contrarié Staline, parce qu’elle était un artiste, un intellectuel, que cette personne lui faisait de l’ombre ou aurait pu lui en faire…

À lire pour aller se coucher moins bête ! Et pour ressentir toute l’horreur du communisme qui n’avait de communisme que le nom. Ce qu’il a fait, ce n’était rien de plus qu’un dictature, un système sanguinaire, à sens unique, tout devant être tourné vers lui, pour son profit.

PS : à noter que dans cet album, il y a quelques références à des bédés bien connues, à vous de les retrouver !

Challenge Thrillers et Polars de Sharon (du 12 Juillet 2022 au 11 Juillet 2023) [Lecture N°90].

Condor : Caryl Ferey

Titre : Condor

Auteur : Caryl Ferey
Édition : Gallimard Série noire (2016) / Folio Policier (2018)

Résumé :
Condor, c’est l’histoire d’une enquête qui commence dans les bas-fonds de Santiago, submergés par la pauvreté et la drogue, pour s’achever dans le désert minéral d’Atacama…

Condor, c’est une plongé dans l’histoire du Chili, de la dictature répressive des années 1970 au retour d’une démocratie plombée par l’héritage politique et économique de Pinochet…

Condor, c’est surtout une histoire d’amour entre Gabriela, jeune vidéaste mapuche qui porte l’héritage mystique de son peuple, et Esteban, avocat spécialisé dans les causes perdues, portant comme une croix d’être issu d’une grande famille à la fortune controversée…

Critique :
Avec l’agence de voyage « Caryl Férey », je suis allée en Nouvelle-Zélande, en Afrique du Sud, en Argentine, en Colombie, en Sibérie et maintenant, je suis allée au Chili.

Tous ces voyages ont été éprouvants pour le cœur, épuisants pour les tripes, violents…

Je suis toujours sortie lessivée de ces lectures et malgré l’âme en berne, j’y reviens à chaque fois (en laissant passer un délai afin de me remettre de mes émotions).

Le Chili ne fera pas partie de ma destination de vacances (pardon, ma Rachel), car ce que j’en ai vu, heu, lu, m’a vacciné pour le restant de mes jours.

Le condor n’est pas un titre décerné au type le plus con du mois, mais à un prédateur des Andes, une sorte de charognard qui n’hésite pas à s’attaquer au plus faible, n’attendant pas qu’il soit trépassé, comme tout bon charognard. En toute impunité, bien entendu.

Le condor reste un animal, incapable de faire la différence entre le Bien et le Mal. La Nature est cruelle, ou pas puisqu’elle est incapable d’avoir connaissance de sa cruauté.

L’Homme oui ! Lorsque des puissants mangent sur le dos des plus faibles, le prenant le peu qu’ils ont, faisant tout pour qu’ils restent dans leur misère, traficotant de la drogue et autres saloperies afin de devenir encore plus riches, assassinant les gêneurs, les opposants, ceux qui ne se laissent pas faire, léchant le cul du dictateur afin d’avoir encore plus de puissance, de fric…

Eux ce sont pires que des charognards, ce sont des assassins et nommer leur plan « Condor » était une belle référence à l’animal, même si lui est innocent dans l’affaire. Les sales bestioles que sont la NSA, la CIA et la DEA ne sont pas innocentes, elles, que du contraire.

L’auteur frappe fort, sous la ceinture, là où ça fait mal et il pourrait encore taper plus fort, le crier plus fort, parce que personne n’écoute, personne ne veut entendre, tant que c’est loin de son jardin.

Attention, les sales idées, les plans merdiques, les dictatures, ce sont des concepts et des idées qui s’exportent bien. Et certains sont prêts à tout afin de rester là où ils sont, c’est-à-dire au sommet de la pyramide, là où le fric coule à flot, où la corruption n’est pas un gros mot et où les emmerdeurs finissent au terminus de Saint-Pierre (ou au terminus tout court).

Le récit est porté par des personnages que j’ai apprécié, qui étaient travaillés, pas des anges, ni des redresseurs de torts à la super-héros, mais des gens qui se bougent le cul, qui essaient.

Stefano, le projectionniste (ancien du MIR), Gabriella, la Mapuche, vidéaste passionnée et Estebàn (sans Tao, ni Zia), le fils de famille riche, avocat des causes perdues ont ajouté leur part à ce récit déjà flamboyant. C’est terrible, on n’en sort pas indemne, comme toujours avec ce diable de Caryl.

C’est documenté (l’auteur passe toujours du temps sur place et y revient ensuite, une fois la trame rédigée (merci Le 1 Spécial Polars Étrangers).

On commence doucement, lentement, sans avoir l’air d’y toucher et puis, successivement, l’auteur ajoute ses ingrédients (pimentés, ne manquant jamais de sel, de goût), ouvre les placards de l’Histoire et en sort une partie de ses squelettes.

La dictature, les Chicago Boys, les privatisations à tout va, le libéralisme effréné, l’assassinat d’Allende (coup d’état du 11 septembre 1973), la surexploitation des sous-sols, même dans les zones protégées, les trafics de drogues, Nixon…

Bref, le plat est copieux, bien servi, mais nous n’auriez pas eu envie de faire partie des gens qui ont vécus ces années horribles. Ni d’y vivre maintenant, dans des bidonvilles ou autre endroits où règne la misère, pendant que d’autres nagent dans le fric.

Les romans de Caryl Férey sont souvent brutaux, ils envoient du lourd, du très lourd et ils sont toujours bien fait (jusqu’à présent), car la violence n’est pas gratuite, juste pour faire bien, elle est juste celle qui existe (ou à existé), qui est la triste réalité de certains pays où l’on peut se faire assassiner en toute impunité et où personne n’a envie d’aller déposer plainte chez les poulets du coin.

Encore un roman coup de poing… Mais c’est un coup de poing comme je les aime.

Challenge Thrillers et Polars de Sharon (du 12 Juillet 2021 au 11 Juillet 2022) [Lecture N°214] et Le Mois Espagnol (et Sud-Américain) chez Sharon – Mai 2022 (Fiche N°38).

Le fourgon des fous : Carlos Liscano

Titre : Le fourgon des fous

Auteur : Carlos Liscano 🇺🇾
Édition : 10/18 Domaine étranger (2008)
Édition Originale : El furgon de los locos (2001)
Traduction : Jean-Marie Saint-Lu

Résumé :
Uruguay, 1973. Carlos Liscano a 23 ans quand les soldats viennent l’arrêter. Condamné pour raisons politiques par le régime militaire, il va passer treize ans à l’ombre des cachots. Treize ans d’enfer, d’humiliations et de torture avant d’être relâché avec d’autres compagnons de cellule par le ‘fourgon des fous’.

Des années après l’horreur, Carlos Liscano se raconte, sans cri, sans fureur : le retour jour après jour de la souffrance physique et du combat mental pour survivre, la solitude, la peur, la nécessité de comprendre l’inimaginable. Ni voyeurisme, ni sensationnalisme.

Juste les souvenirs crus, épars, d’un homme en lutte pour conserver ce qu’il a de plus précieux : sa dignité.

Critique :
Une fois de plus, me voici plongée en milieu carcéral.

Pas avec des prisonniers de droit commun, mais avec des prisonniers politiques, en Uruguay. Croyez-moi, vous n’avez pas envie de vous  retrouver dans leurs prisons.

Au menu : tortures, brimades, privations, tortures, perte de sa liberté, de ses droits, de tous ses droits, tortures et, pour ceux qui n’auraient pas encore compris : TORTURES !

Ce roman autobiographique commence par un chapitre dédié à son enfance, puis par quelques instants de prison, avant de passer à la libération et ensuite, de revenir vers ces douze années que l’auteur, Carlos Liscano, passa enfermé au Pénitencier de Libertad, à subir les tortures du grand baril de deux cents litres, en métal, coupé en deux et rempli d’eau.

Le texte est intense, sans pour autant sombrer dans le pathos ou la violence gratuite. À la manière d’un Soljenitsyne, l’auteur nous raconte les comportements de ses tortionnaires, mais sans les charger, en se mettant à leur place, sachant que de toute façon, ils n’ont pas vraiment le choix.

Oui, il parlera des souffrances physiques, des souffrances morales, de l’absence de contacts avec la famille, des infos qu’il faut lâcher avec précision, pour éviter de trop grandes douleurs, du fait qu’il faut crier plus fort que ce que l’on ressent vraiment, pour ne pas leur donner l’impression que l’on s’en fout, que l’on ne ressent rien… Il vaut mieux ne pas jouer à la forte-tête.

Bref, tout est affaire de subtil dosage et son roman pourrait être un guide de « Comment survivre dans une prison en tant que prisonnier politique : trucs et astuces ».

Dans ce roman autobiographique, les hommes, les vrais, sont les prisonniers que l’on torture, tandis que les tortionnaires se sont abaissés tellement bas qu’ils ont perdu leur humanité, dans tous les sens du terme.

L’auteur se demande même ce qu’ils racontent à leurs femmes, leurs enfants, lorsqu’ils rentrent à la maison, après leur sale boulot.

Un roman poignant, qui ne sombre jamais dans le pathos ou le larmoyant. L’auteur parle aussi de la reconstruction, une fois libre et de ce grand choc qu’est la remise en liberté, après autant d’années de réclusion.

Un récit humain, jamais à charge.

Le Mois Espagnol (et Sud-Américain) chez Sharon – Mai 2022 (Fiche N°34).