La véritable Histoire vraie – Tome 03 – Hitler : Bernard Swysen et Ptiluc

Titre : La véritable Histoire vraie – Tome 03 – Hitler

Scénariste : Bernard Swysen
Dessinateur : Ptiluc

Édition : Dupuis (01/03/2019)

Résumé :
Si la Seconde Guerre mondiale et la Shoah sont bien le point d’orgue du règne d’horreur d’Hitler, l’histoire a commencé bien avant cela.

Pour comprendre comment et pourquoi l’indicible a pu se produire, il faut remonter un peu avant la naissance d’Hitler lui-même, au moment où son père adopte ce patronyme. Toute l’enfance d’Adolf Hitler, ses choix, ses échecs vont former un homme complexe et vont le mener à son « combat », comme il le raconte lui-même.

Convaincu comme beaucoup d’hommes de son temps de la culpabilité des Juifs après la Première Guerre mondiale, il va développer un antisémitisme violent. Recruté par un parti politique en 1919, celui-ci va servir de terreau pour ses aspirations. Il se découvre alors un talent d’orateur qui va lui permettre d’électriser les foules et, malgré les approximations qu’il raconte, de les rallier à son parti. Il en prendra le contrôle quelques mois après… la machine est alors lancée.

Les deux auteurs reviennent sur ce parcours surréaliste et sur cet enchaînement de circonstances atroces qui ont permis à Hitler d’accéder au pouvoir. Au fil des pages, des histoires plus petites se dessinent en creux, comme celle de Kurt Gerstein, officier nazi qui aura tout fait pour prévenir les forces libres des camps d’extermination, ou celle de von Gersdorff, qui a fait partie de la résistance au sein même du parti nazi.

Critique :
Peut-on rire de tout ? Il paraît que oui, mais pas avec tout le monde…

J’ajouterai qu’on peut rire de tout, à conditions de le faire intelligemment et que, sous couvert de l’humour, on parle de choses vraies, de faits avérés et qu’on n’aie pas peur d’utiliser à bon escient l’humour noir, sarcastique, ironique.

Après Staline, je me devais de lire l’autre salopard, Hitler (et je suis loin d’en d’avoir pas terminé avec tous les salopards d’assassins de masse du 20ème siècle).

Même scénariste, même dessinateur, ce qui veut dire que l’on continue dans l’univers animalier, dans l’anthropomorphisme et je dois dire que la tête de rat va comme un gant à Hitler, sans vouloir offenser les rats, bien entendu.

Comme pour les autres bédés, on commence avec l’enfance et la jeunesse du sujet, on nous présente ses parents (ce ne sont pas des gens qu’on a envie d’apprécier), les études du vrai méchant, ses folies, ses lubies, ses pensées, ses illogismes, sa haine, ses raccourcis faciles, le fait qu’il ne supporte pas les contradictions, le tout baignant dans sa méchanceté crasse, dans ses délires de dictateurs pas encore formé tout à fait.

Lors des pages consacrées à la Première Guerre Mondiale, j’ai croisé Milou, avant de tomber sur les Dalton, puis sur Tintin. Le tout étant parfaitement intégré dans le récit et servant juste de clin d’oeil, comme pour une phrase tirée de rabbi Jacob.

L’humour noir est présent, les auteurs sont sarcastiques, mais jamais insultant pour les gens qui ont souffert de ces horreurs. Afin d’illustrer la montée du racisme et de l’antisémitisme, ils utiliseront deux personnages, un professeur et son aide, Juifs, qui, après avoir voulu aller en Amérique (No), en Pologne, en Belgique, se retrouveront finalement en France, à trembler devant les soldats allemands qui défilent sur les Champs Élysées.

Les pages consacrées aux camps de la mort seront en noir et blanc, les prisonniers auront tous des visages de souris, comme dans l’excellente bédé Maus de Art Spiegelman. Sans entrer dans les détails, les deux auteurs arrivent très bien à faire passer les émotions dans ces quelques pages. Les soldats américains, eux, auront des têtes de Mickey.

Cette bédé à beau faire de l’humour, elle n’en reste pas moins une bédé historique, qui parle de faits historique et met en scène le moustachu végétarien qui aimait les animaux (comme quoi, on peut aimer les animaux et faire subir aux Hommes des atrocités avant de les exterminer).

Les auteurs nous montrent aussi comment l’homme moustachu n’aimait pas être contredit, s’adressait toujours à des foules acquises à ses idées, utilisant des phrases simples, du populisme, des raccourcis faciles… Et comment il se débarrassa de ses SA et de tous ceux qui auraient pu lui faire de l’ombre ou le contester.

Le récit n’est pas exhaustif, mais donne assez bien des petits détails, comme Hugo Boss, le tailleur des costumes pour Nazis et du personnage de Kurt Gerstein, de l’institut d’hygiène, qui découvrira la terrible réalité des camps de concentration… Cet homme tenta d’alerter le monde, mais il ne fut pas écouté.

J’ai souvent entendu dire que l’Adolf était arrivé au pouvoir légalement, par les urnes, mais cette bédé nous explique que ce n’est pas tout à fait ainsi que cela s’est passé : le rat s’est fait nommer chancelier de la république de Weimar, alors que le président Hindenburg avait toujours refusé de le nommer. Non, non, il n’a pas été élu chancelier par les Allemands.

Cette bédé est remplie de petites choses intéressantes, impossibles à résumer dans ma pauvre chronique. La bédé est copieuse, bien faite, intelligente et raconte les choses dans toute leur simplicité, mais aussi dans toute leur atrocités.

Et pendant que le rat montait, pendant que le rat prenait le pouvoir, prenait les pays limitrophes, les gouvernements européens fronçaient les sourcils, levaient un doigt menaçant, mais se laissaient berner, endormir, par les belles promesses du petit caporal… Et de nos jours, personne ne voit venir non plus. ♪ Anne, ma soeur Anne, si je te disais ce que je vois v’nir ♫

Bon, si vous n’avez pas encore compris, cette bédé est excellente (mais ceci n’est que mon avis, bien entendu) et mériterait d’être lue par plus, peut-être que certains comprendraient qu’avec ce genre d’idéologie, on va droit dans le mur, droit dans des guerres, dans les violences, dans le sang…

Que c’est le sang des civils qui coule le premier, puis celui des proches du dictateur, quand il en a marre de voir votre gueule, quand il pense que vous allez lui faire de l’ombre, le contester, remettre en question ses ordres, que vous les avez mal exécutés… C’est parano à l’extrême, un dictateur et bien seul… Il ne peut faire confiance qu’à son chien.

Une bédé qui parle de l’Histoire avec humour, mais sans jamais que ce dernier ne dénature les propos, les faits, les horreurs. On sourit, mais le récit nous fait souvent ravaler notre sourire.

Vous aviez à choisir entre la guerre et le déshonneur : vous avez choisi le déshonneur et vous aurez la guerre.

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La véritable Histoire vraie / Les méchants de l’Histoire – Tome 07 – Joseph Staline : Bernard Swysen et Ptiluc

Titre : La véritable Histoire vraie / Les méchants de l’Histoire – Tome 07 – Joseph Staline

Scénariste : Bernard Swysen
Dessinateur : Ptiluc

Édition : Dupuis (2020)

Résumé :
Impossible de considérer une collection « Les méchants de l’Histoire », sans Staline, « le petit père des peuples », l’homme d’acier de l’URSS, connu pour les purges et la déportation de ses opposants politiques, les déplacements forcés de populations entières et les famines qu’il provoqua. Bilan : plusieurs millions de morts.

Avec cette collection, Bernard Swysen n’hésite pas à sauter à pieds joints dans les nids de guêpes de l’histoire en brossant le portrait des vilains et en assaisonnant la réalité historique de son humour pimenté pour s’attaquer à ces grandes figures historiques et tragiques.

Joseph Staline est né Iossif Vissarionovitch Djougachvili en 1878 à Gori, en Géorgie. Son père était cordonnier. Il est surtout décrit comme un ivrogne qui battait sa femme et voulait empêcher son fils de suivre des études pour devenir prêtre. À l’école, Staline se détourne de la foi religieuse puis adhère au Parti ouvrier social-démocrate de Russie (POSDR) en 1898.

Ptiluc, un des plus grands fabulistes animaliers contemporains, s’empare de cette trajectoire dans son trait burlesque en mettant en perspective la manière dont Staline se racontait lui-même.

Du décalage naît le rire grinçant de la caricature, à partir d’un récit chronologique rigoureux, qui ne cache rien des ambitions et de l’autoritarisme du dictateur. Staline décède en 1953. Il reste sans doute le fantôme le plus controversé de l’histoire.

Critique :
Cette série sur les Grands Méchants de l’Histoire continue de m’enchanter, tout en me faisant frémir.

L’horrible Torquemada m’avait fait grincer des dents, j’avais apprécié l’humour noir qui se mélangeait bien au récit historique et Staline ne dément pas cette recette qui marche.

Là aussi, l’humour est présent, mais il est noir, sombre, caustique, grinçant.

Le fait de représenter Staline en animal (un ours), ainsi que tout les autres personnages, donne une tout autre dimension au récit.

Une brillante idée que l’on retrouve aussi dans Hitler (que je suis en train de lire).

Comme pour les autres Méchants, on commence par leur naissance, on nous montre leurs parents, leurs travers et pour peu, on se prendrait d’affection pour cet ourson qui vient de naître. Pas longtemps, je vous rassure de suite.

Le personnage de Iossif (futur Staline) est abject, bête mais aussi intelligent (ben oui, on le comprend en lisant la bédé), cynique, retors, menteur, colérique, manipulateur d’une méchanceté crasse et il finira parano sur la fin de sa vie. Le portrait est grinçant, nullement indulgent. Ah, il était battu par son père et aussi par sa mère, mais ceci n’excuse en rien.

On voit Staline qui dicte ses mémoires a un écrivain, le pauvre homme se faisant fusiller du regard ou menacer de mort s’il n’acquiesce pas aux dires du Petit père des peuples (qui fit crever son peuple et les autres).

Dans les dialogues et les dessins, les auteurs ont réussi à mettre en scène tout l’illogisme du système de Staline, son iniquité, sa brutalité, sa perversité et sa débilité, notamment dans une case qui résumera tout de manière formidable. Un petit dessin est souvent plus éclairant qu’une longue phrase.

Les camps de travail, les goulags, la famine en Ukraine (Holodomor – la collectivisation forcée des campagnes), ne seront pas expliqués dans les détails, quelques cases suffiront à en parler, les auteurs préférant se concentrer sur l’horrible personnage qu’est Staline, nous montrant aussi que dans nos pays, on le voyait comme un grand homme…

La seconde guerre mondiale sera une part importante de l’album, ce qui permettra aux auteurs de nous faire découvrir le rat Hitler et de nous signaler que Staline avait fait passer par les armes 80% des cadres de l’Armée Rouge, laissant l’armée sans têtes pensantes au début de la guerre. Un des personnage se permet de lui rappeler se fait, dans cet album, il ne fera pas long feu…

On nous parle aussi du massacre de Katyń, ainsi que du fait que l’armée russe eut l’interdiction (par Staline) d’intervenir en Pologne, laissant les nazis massacrer tout le monde, afin qu’ensuite, ce tyran moustachu puisse occuper le pays sans y trouver de résistance. Machiavélique.

Une bande dessinée excellente, qui arrive à faire de l’humour avec un sujet difficile, avec un personnage qui ne prête pas à rire, le ridiculisant au passage, ne se privant pas de l’égratigner, de le montrer dans fard, tel qu’il était et de nous brosser, avec un humour noir et froid, le portrait de ce dictateur assassin qui possède plus de morts à son actif que l’autre moustachu allemand.

Avec son système, pas besoin de preuves, de procès (ou alors, ils étaient truqués), de simples soupçons suffisent. Ou alors, fallait juste que la personne disparaisse parce qu’elle avait contrarié Staline, parce qu’elle était un artiste, un intellectuel, que cette personne lui faisait de l’ombre ou aurait pu lui en faire…

À lire pour aller se coucher moins bête ! Et pour ressentir toute l’horreur du communisme qui n’avait de communisme que le nom. Ce qu’il a fait, ce n’était rien de plus qu’un dictature, un système sanguinaire, à sens unique, tout devant être tourné vers lui, pour son profit.

PS : à noter que dans cet album, il y a quelques références à des bédés bien connues, à vous de les retrouver !

Challenge Thrillers et Polars de Sharon (du 12 Juillet 2022 au 11 Juillet 2023) [Lecture N°90].

L’Accident de chasse : Landis Blair et David L. Carlson

Titre : L’Accident de chasse

Scénariste : David L. Carlson
Dessinateur : Landis Blair

Édition : Sonatine (27/08/2020)

Résumé :
Chicago, 1959. Charlie Rizzo, qui vient de perdre sa mère, doit emménager avec son père aveugle. Pour le jeune garçon, l’histoire est limpide : Matt Rizzo a perdu la vue à la suite d’un accident de chasse, comme il le lui a toujours raconté.

Mais le jour où un policier sonne à leur porte, Matt choisit de révéler à son fils la partie immergée de son passé, et la véritable raison de sa cécité…

Roman graphique en noir et blanc à la puissance expressive sans pareille, tiré de faits réels, L’Accident de chasse est une ode bouleversante à la rédemption et aux pouvoirs sans limites de la littérature.

Critique :
Un accident de chasse… Pas à cause d’un chasseur ne sachant pas chasser et prenant un promeneur pour un sanglier, mais à cause d’un stupide accident et de gosses tout aussi stupides.

Voilà pourquoi Matt Rizzo est devenu aveugle. Charlie, son fils, qui vient de perdre sa mère, vient habiter chez lui et ce n’est pas facile pour lui, lui qui n’a plus vu son père depuis quelques années.

466 pages, non seulement c’est lourd à porter, mais ça ne se dévore pas en une seule soirée. Absolument pas ! Ce roman graphique est dense, surtout passé la première moitié des pages, lorsque l’on entre dans le récit de Matt Rizzo sur sa jeunesse et sur son accident, qui n’était pas vraiment de chasse.

Les dessins, noirs et blancs, hachurés, sont déstabilisants au départ, mais après, on s’y habitue, puisque l’ambiance de ce récit est sombre, très sombre, à un moment donné. On y parle de meurtres, de prison, de rédemption…

On y parle aussi de littérature, notamment avec Dante et son Enfer (La Divine Comédie) et l’allégorie est bien trouvée, puisque Matt aura son Virgil pour le guider dans son enfer.

En dire plus déflorait trop ce roman graphique, sachez juste qu’il va vous emporter là où vous ne vous attendiez pas du tout et vous faire vivre une aventure totalement hors norme, avec des personnages marquants, attachants et notamment un assassin qui aime la littérature…

Cette plongée dans le Chicago des années 30 et dans l’univers carcéral est réussie, surtout que je ne m’y attendais pas du tout et que j’avais failli arrêter ma lecture, parce que je m’y embêtais un peu, au départ. Ma persévérance à payée !

Le plus inattendu fut d’apprendre, à la fin, que ce récit était réel. Matt Rizzo a bel et bien existé, c’est le récit de sa vie que je venais de lire.

Un magnifique ouvrage, un scénario inattendu, profond, travaillé, des dessins qui le mettent bien en valeur. Un roman graphique qui ne se lit pas une seule fois, car il y a de la matière à lire et des dessins à bien regarder, tant certains sont détaillés.

Challenge Thrillers et Polars de Sharon (du 12 Juillet 2022 au 11 Juillet 2023) [Lecture N°85].

Génocidé : Révérien Rurangwa

Titre : Génocidé

Auteur : Révérien Rurangwa
Édition : Presses de la Renaissance (2006) / J’ai Lu (2007)

Résumé :
« Depuis que, le 20 avril 1994, vers 16 heures, je fus découpé à la machete avec quarante-trois personnes de ma famille sur la colline de Mugina, au coeur du Rwanda, je n’ai plus connu la paix. J’avais 15 ans, j’étais heureux. Le ciel était gris mais mon coeur était bleu. Mon existence a soudainement basculé dans une horreur inexprimable dont je ne comprendrai probablement jamais les raisons ici-bas. Mon corps, mon visage et le plus vif de ma mémoire en portent les stigmates, jusqu’à la fin de ma vie. Pour toujours. »

Comme celle de tous les survivants, l’histoire de Révérien Rurangwa rejoint l’Histoire. Son récit évoque, avec un réalisme saisissant, l’atrocité du dernier génocide du XXème siècle: celui des Tutsi au Rwanda.

Il dit aussi la force de l’instinct de survie et des processus de résilience; l’impuissance à envisager le pardon quand la justice est bafouée; l’énigmatique pouvoir du mal et le mystérieux silence de Dieu.

Et c’est en cela qu’il parle à tous les Hommes.

Critique :
Puisque durant ce mois d’octobre, j’avais lu des récits autobiographiques de survivants de la rafle du Vel d’Hiv et des camps de concentration, j’avais envie de me pencher sur un génocide de notre époque et dont on parle peu : le génocide des Tutsis, débuté le 7 avril 1994 (jusqu’au 17 juillet 94).

D’une durée de cent jours, ce fut le génocide le plus rapide de l’histoire et celui de plus grande ampleur quant au nombre de morts par jour. Glaçant… L’ONU estime que 800.000 Rwandais (majoritairement des Tutsis) ont perdu la vie durant ces 100 jours.

Mes souvenirs étaient flous. Je me souviens des J.T belges parlant de l’assassinat des 10 paras Belges, je me souviens que l’on avait parlé de l’explosion de l’avion du président Habyarimana et pour le reste, ma mémoire est vide. Ou bien j’ai occulté cette horreur, ou bien les J.T chez nous en ont moins parlé que de nos 10 paras.

L’occasion était donc d’en apprendre un peu plus et cette fois-ci, de me placer du côté d’une victime, puisque j’avais lu le roman de Jean Hatzfeld, qui avait interrogé les bourreaux, quasi impunis (Une saison de machettes) et racontant leurs massacres comme ils parleraient de blés qu’ils avaient été faucher.

Je ne l’avais pas chroniqué, c’était trop affreux d’entendre ces génocidaires sans aucun remords et fiers de leurs assassinats. Fiers d’avoir massacrés leurs amis, leurs voisins, les habitants de leur village, coupables d’appartenir à une autre ethnie que la leur. Pas besoin de camps de concentration, il suffisait de se lever et de « macheter », sans arrêt, tout le monde sachant à quelle ethnie l’autre appartenait.

Grâce aux colons belges qui avaient obligé que l’ethnie soit notée sur les papiers d’identités. Ah bravo, les mecs ! (sarcasmes, bien entendu).

Le récit autobiographique de l’auteur est très dur à lire, surtout lorsqu’il nous racontera, avec quelques détails, le massacre de toute sa famille, dans le local où ils s’étaient réfugiés. Le tout à coup de machettes, femmes et enfants compris. Effroyable, mais je n’ai sauté aucune ligne, aucun mot.

Même pas lorsqu’il a parlé du témoignage d’une mère qui était ressortie d’une fosse à cadavres, ni avec le récit des jumeaux, nés la veille, et dont les génocidaires avaient fracassé le crâne sur l’autel de l’église.

Conseil : ne jamais se réfugier dans une église en cas de massacres, mauvaise idée, très mauvais idée. Les lieux saints n’empêchent pas les assassins d’entrer. Pire, tous les prêtres et bonnes sœurs blanches étaient foutus le camp avant les massacres, ayant senti l’horreur se préparer. Courage, fuyons.

Pour des personnes qui se disent au service de Dieu, qui croient en Dieu et sans doute en une vie après la mort, ils ne sont pas prêts de savoir si ce qu’ils prêchent est la Vérité. Ni d’aider leur prochain… Il y a eu quelques exceptions, mais elles furent peu nombreuses.

L’auteur a survécu, mais dans quel état… Les génocidaires n’ont pas voulu l’achever, ils l’ont laissé agoniser, pensant qu’il mourrait ensuite. Révérien a été pris en charge ensuite, transféré en Suisse, où il a reçu des soins pour son corps, son âme, elle, est définitivement irrécupérable, les souvenirs étant trop douloureux.

Le pire, dans tout cela, c’est que les Tutsis n’ont pas obtenu la justice. Leurs assassins vivent en paix, ont pillé leurs maisons, pris leurs possessions et ils coulent des jours heureux, hormis quelques uns en prison (mais si peu et si peu longtemps).

L’injustice est totale, surtout qu’on leur demande d’oublier les massacres, d’oublier que leurs voisins, leurs amis, ont assassiné leur famille, de pardonner, ce qui fait bondir Révérien, et je le comprends parfaitement bien. On demande aussi aux survivants de ne pas parler de ce qu’ils ont vécu, de garder tout pour eux.

Comme avec les survivants des camps de concentration, ceux qui ne l’ont pas vécu sont incapables d’entendre de tels récits d’horreur (ce que je peux comprendre aussi). On comprend la haine de l’auteur. On la ressent très bien dans son récit. Haine des Hutus et haine envers Dieu, qui les a abandonné.

Au moment du génocide, personne n’en parlait à la télé, mais une fois que les réfugiés Hutus ont passé la frontière, poursuivis par les troupes du Front patriotique rwandais (FPR), là les télévisions sont arrivées, plaignant ces pauvres réfugiés Hutus dans les camps, victimes du choléra. Les morts génocidés ne pouvaient pas parler, eux, ni se plaindre…

Quant aux Tutsis survivants, ils sont restés muets devant une telle ignominie : les assassins étaient plaints ! Le monde à l’envers. La haine et la soif de justice sont donc compréhensibles pour les Tutsis, mais ils ne l’ont pas eue.

Révérien, après nous avoir parlé des massacres et de sa nouvelle vie (qui n’en est pas une) où il doit faire attention à tous les Hutus réfugiés en Belgique et en France qui en veulent à sa vie (il porte sur son visage les signes qu’il est un Tutsi survivant), après nous avoir parlé de son pays et des trois ethnies qui y vivaient, après nous avoir fait un brin d’histoire avec les précédents massacres, parlera des coupables.

Les Hutus sont coupables, la radio Mille Collines aussi, mais pas que… Belgique et France sont coupables, même si on ne sait pas citer un pays à comparaître et que ce n’est pas la population qui est coupable, mais les dirigeants, les colons, ceux qui ont le pouvoir.

En premier, les colons Belges, mes compatriotes, sont coupables d’avoir obligé les rwandais à avoir leur ethnie notée sur leurs papiers d’identité. Aberration totale ! Comme si en Belgique, on notait à quel groupe linguistique nous appartenions (les recensements linguistiques sont abolis — interdits — depuis la loi du 24 juin 1961).

Mitterrand, le Tonton, est coupable aussi. Le François avait une relation privilégiée avec le président hutu Juvénal Habyarimana… Il a minimisé ce qu’il se passait au Rwanda.

Si le récit autobiographique de Révérien est rempli de colère, rempli des violences qui lui ont été faites, remplie de haine envers ce Dieu qui les a abandonné à leur sort, malgré leurs prières, malgré sa mère qui était très pieuse et qui ne manquait jamais de faire le bien autour d’elle.

Pour lui, Dieu n’existe pas et je comprends très bien sa pensée. Un vrai croyant lui dirait sans doute que s’il est vivant pour témoigner de ce génocide, c’est grâce à Dieu, mais moi, je me garderai bien de tirer des conclusions sur ce que je ne sais pas, n’ayant pas assez de preuves que pour confirmer ou infirmer l’existence d’un Dieu d’amour… Je vous avoue que lorsque je vois certaines choses, je me pose des questions aussi.

Un récit dur, glaçant, horrible, mais qui permet d’entrer en empathie avec son auteur, contrairement à celui consacré aux génocidaires (ils m’avaient donné envie de vomir, eux).

Un récit que je me devais de lire, pour savoir, pour ne plus dire que je savais rien dessus. Un livre qu’il faudrait lire pour ne plus que ça se reproduise, ce qui est un vœu pieu puisqu’il a eu lieu 49 ans après la libération des derniers camps de concentration… Et où tout le monde a fermé sa gueule, comme du temps des goulags. Un comble !

Je vous laisse, il me reste à trouver des récits parlant du génocide Arménien (j’aimerais en savoir plus) et sur ceux perpétrés par les Khmers rouges, où là, je sais quasi rien. Si vous avez des pistes, je suis preneuse !

Le Challenge « Le tour du monde en 80 livres chez Bidb » (Rwanda).

Tenir sa langue : Polina Panassenko

Titre : Tenir sa langue

Auteur : Polina Panassenko
Édition : de l’Olivier – Littérature française (19/08/2022)

Résumé :
« Ce que je veux moi, c’est porter le prénom que j’ai reçu à la naissance. Sans le cacher, sans le maquiller, sans le modifier. Sans en avoir peur ».

Elle est née Polina, en France elle devient Pauline. Quelques lettres et tout change. À son arrivée, enfant, à Saint-Etienne, au lendemain de la chute de l’URSS, elle se dédouble : Polina à la maison, Pauline à l’école. Vingt ans plus tard, elle vit à Montreuil.

Elle a rendez-vous au tribunal de Bobigny pour tenter de récupérer son prénom. Ce premier roman est construit autour d’une vie entre deux langues et deux pays.

D’un côté, la Russie de l’enfance, celle de la datcha, de l’appartement communautaire où les générations se mélangent, celle des grands-parents inoubliables et de Tiotia Nina. De l’autre, la France, celle de la materneltchik, des mots qu’il faut conquérir et des Minikeums.

Drôle, tendre, frondeur, Tenir sa langue révèle une voix hors du commun.

Critique :
Petite, on me disait de me tenir droite, de me tenir comme il faut, mais jamais de tenir ma langue, puisque j’étais une taiseuse.

Dans le cas de l’autrice, ce n’était pas tenir sa langue dans le sens que l’on connait, mais plutôt de parler français, de ne pas oublier le russe, langue maternelle et surtout, de ne pas mélanger les deux !

Souvent, lorsque l’on travaille avec des collègues bilingues (néerlandophones dans mon cas), les mots des deux langues se mélangent, un mot flamand sort à la place d’un français, mais tout le monde comprend, personne ne s’en offusque. Pas la mère de Polina qui veille sur le russe de sa fille comme sur le dernier oeuf du coucou migrateur…

Ma mère aussi veille sur mon russe comme sur le dernier œuf du coucou migrateur. Ma langue est son nid. Ma bouche, la cavité qui l’abrite. Plusieurs fois par semaine, ma mère m’amène de nouveaux mots, vérifie l’état de ceux qui sont déjà là, s’assure qu’on n’en perd pas en route. Elle surveille l’équilibre de la population globale. Le flux migratoire : les entrées et sorties des mots russes et français. Gardienne d’un vaste territoire dont les frontières sont en pourparlers. Russe. Français. Russe. Français. Sentinelle de la langue, elle veille au poste-frontière. Pas de mélange. Elle traque les fugitifs français hébergés par mon russe. Ils passent dos courbé, tête dans les épaules, se glissent sous la barrière. Ils s’installent avec les russes, parfois même copulent, jusqu’à ce que ma mère les attrape. En général, ils se piègent eux-mêmes. Il suffit que je convoque un mot russe et qu’un français accoure en même temps que lui. Vu ! Ma mère les saisit et les décortique comme les crevettes surgelées d’Ochane-Santr’Dieu. On ne dit pas garovatsia. On dit parkovatsia ou garer la voiture. La prochaine fois que garovatsia arrive je lui dis non, pousse-toi, laisse passer parkovatsia.

Ce roman, c’est le récit d’un exil, d’une immigration vers la France, c’est celui d’une famille qui a quitté un pays qui n’existe plus maintenant, l’U.R.S.S, devenu la Russie. C’est un roman d’apprentissage, celui d’une langue pas facile pour celles et ceux qui doivent l’apprendre, la maîtriser.

C’est aussi l’histoire d’une naturalisation qui s’est mal passée puisque son prénom a été francisé et que Polina croyait qu’elle pouvait utiliser utiliser le prénom de Pauline et/ou de Polina. Ben non, elle était devenue Pauline.

Changer de prénom n’est pas difficile, en principe, si demain je voulais me faire appeler Caroline ou Elizabeth, cela passerait sans problème. Oui, parce que mon prénom est dans le calendrier, qu’il est francophone. Là, la magistrate ne comprenait pas pourquoi elle voulait récupérer un prénom russe ! Kafkaïen !

Il y a de l’humour, dans ces pages. Non, on ne s’esclaffe pas, on ne se tape pas sur la cuisse, mais on sourit devant cette petite fille, débarquant à la materneltchik et ne comprenant rien à ce qu’on lui dit, se liant d’amitié avec un gamin bègue, évincé des autres pour cause de différence, lui aussi.

On sourit devant les noms des magasins, des publicités, qu’elle comprend mal, qu’elle retranscrit en phonétique. Et cet accent qu’elle ne veut pas avoir, sauf si c’est celui du présentateur du J.T, qui n’en a pas.

Le ton de son écriture est enjoué, mais il est aussi caustique, notamment avec l’intégration. Pourquoi enfermer quelqu’un dans une culture, une seule, alors qu’il est plus enrichissant d’en avoir plusieurs, de jongler avec ?

Les arrière-grands-parents de l’autrice avaient russisés les prénoms de leurs enfants, notamment celui de sa grand-mère qui se nommait Pessah (trop juif) en Polina… Pour se protéger des persécutions. Polina, l’autrice, voulait juste récupérer celui de sa grand-mère, rien de plus, et ce fut un combat difficile, long et dur.

Un roman sur l’absurdité de certains systèmes judiciaires, administratifs et sur les difficultés de l’exil, sur ces deux langues avec lesquelles il faut jongler : être russe à la maison (dedans) et française à l’extérieure (dehors). Exercice d’équilibriste bien difficile.

Un roman pétillant, amusant, drôle, caustique. Le récit d’une double culture, d’un exil toujours difficile. J’ai autant apprécié les récits consacrés à sa vie en France qu’à ses retours en Russie, de voir le décalage entre deux cultures, ses retrouvailles avec ses grands-parents maternels, dont la question essentielle était « c’est mieux en France ou en Russie ? ».

C’est grâce au passage de l’autrice à La Grande Librairie que j’ai eu envie de découvrir son roman, qui m’a sorti de ma zone de confort, qui m’a fait découvrir d’autres horizons et c’était une très bonne chose.

Ma guerre de La Rochelle à Dachau : Tiburce Oger et Guy-Pierre Gautier

Titre : Ma guerre de La Rochelle à Dachau

Scénariste : Tiburce Oger
Dessinateur : Tiburce Oger
Adapté de : Guy-Pierre Gautier

Édition : Rue de Sèvres (22/02/2017)

Résumé :
Voici le témoignage de Guy-Pierre Gautier, grand-père de l’auteur, survivant de Dachau. Engagé en 1943 dans la brigade « Liberté » des francs-tireurs et partisans de La Rochelle, il s’emploie à des sabotages de voies ferrées et au renseignement. La bravoure côtoie l’insouciance.

À l’arrestation du réseau, les difficultés commencent avec les interrogatoires par la gestapo, une mutinerie de la prison d’Eysses, les fusillés.

Le cauchemar s’installe lors du voyage infernal en wagons à bestiaux jusqu’à Dachau. Le courage masque alors à peine la frayeur.

Le récit poignant d’un survivant, jour après jour, souffrance après souffrance, jusqu’à l’apparition de la silhouette immense d’un gi américain qui annonce la fin du cauchemar le 30 avril 1945.

Critique :
L’Histoire est un éternel recommencement, hélas… Les Hommes en retiennent pas les leçons, ils continuent de massacrer leurs semblables, de les traiter comme des sous-Hommes.

Les génocides commis dans les années 30 et continué ensuite jusqu’à la fin de la Seconde Guerre Mondiale, n’étaient pas les premiers, bien que pour celui-là, on ait inventé des techniques d’assassinats de masse encore jamais inventées.

On a dit « Plus jamais ça » et d’autres ont eu lieu… Pour celles et ceux qui savent, qui ne nient pas, les témoignages sont importants, pour les négationnistes, aucun témoignage ne les fera changer d’avis, hélas.

Comme je ne me suis jamais contentée de lire un seul livre sur le sujet, j’ai acheté ce bel album au titre glaçant. Dedans, Guy-Pierre Gautier, qui reçoit la Légion d’Honneur en 2015 (sérieusement, on croirait bien que l’on se moque des survivants, des témoins, des engagés) va se remémorer des souvenirs…

On commence par la résistance, avec tous les risques encourus… Puis ce sera les arrestations, les passages à tabac, l’emprisonnement et ensuite, la déportation à Dachau.

Sans sombrer dans le pathos ou l’inutile, Tiburce Oger nous livre, sans fard, le témoignage bouleversant de Guy-Pierre.

La faim, les privations, le froid, le travail harassant, les brutalités, les maladies, les cadavres à sortir au matin et l’interdiction d’être solidaires. Bien qu’il y aura des gestes de solidarité, bien souvent, c’est le chacun pour soi qui prime, les kapos surveillant ce qu’il se passe dans les baraquements.

Les dirigeants des camps ne sont pas des humains, les kapos ne le sont pas non plus e à la fin, même les prisonniers perdent leur humanité, regardant les corps au sol sans les voir.

Je ne dirais pas qu’il y a de l’espoir dans cet album : la vie de déportés est horrible et survivre est tout aussi difficile. Votre famille ne veut pas en entendre parler, les autres non plus, ceux qui ne l’ont pas vécu, quand aux familles des autres, elles vous regarde avec l’espoir que vous pourrez leur donner des nouvelles de proches internés dans le même camp que vous, avant de s’effondrer devant les mauvaises nouvelles (ou l’absence de nouvelles) et de vous en vouloir, parce que vous, vous vous en êtes sorti.

Non, pas d’espoir, parce que ce qui s’est passé là n’était pas nouveau (même si les techniques, oui) et que cela a eu encore lieu après. Comme si toutes ces personnes étaient mortes pour rien, le message n’étant même pas passé chez tout le monde. Pire, avec le temps qui passe, on oublie, on réduit cet épisode barbare à des parenthèses, des virgules…

Une très belle bande dessinée autobiographique, historique, à lire, à relire, à faire lire…

Le Challenge « Les textes courts » chez Mes Promenades Culturelles II (Lydia B – 81 pages).

Crazy Horse – Une vie de héros : Joseph Marshall III

Titre : Crazy Horse – Une vie de héros

Auteur : Joseph Marshall III
Édition : Albin Michel – Terre indienne (2007)
Édition Originale : The journey of Crazy Horse (2004)
Traduction : Renaud Morin

Résumé :
Avec Sitting Bull et Geronimo, Crazy Horse est l’une des figures les plus charismatiques de la résistance indienne aux États-Unis. Sa personnalité, son étonnante victoire sur le général Custer à Little Big Horn, sa mort tragique et prématurée en 1877 ont fait de lui un véritable héros qui, aujourd’hui encore, fait figure de symbole pour les Indiens d’Amérique. »

Les coutumes qu’il a pratiquées, les traditions qu’il a suivies, les valeurs qu’il a incarnées sont encore viables aujourd’hui parce qu’il a fait son possible pour les conserver. Il les a défendues en vivant en accord avec elles et en se battant pour elles.

Pour toutes ces raisons, Crazy Horse sera toujours mon héros », dit l’écrivain et historien lakota Joseph Marshall.

Jamais encore l’un des siens n’avait entrepris de raconter le destin exceptionnel du chef sioux.

Dans ce livre émouvant, fruit d’années de rencontres et de recherches, l’auteur du Cercle de la vie brosse un portrait  » intime  » de Crazy Horse et nous invite à découvrir de l’intérieur la passionnante culture des Indiens des Plaines.

Critique :
L’Homme Blanc a réussi le tour de force de transformer des gens autonomes en personnes assistées ! Du socialisme inversé, en quelque sorte.

C’est du très mauvais socialisme celui qui asservi les gens, ce clientélisme juste bon à s’assurer la passivité (ou les votes, chez nous) de ces nouveaux assistés, qui sans les colis alimentaires, auraient bien du mal à subsister là où les a parqué, alors qu’avant, ces Indiens n’avaient besoin de personne pour survivre.

Pas de quoi pavoiser, l’Homme Blanc est roublard, il se réservera toujours le droit de diminuer les colis donnés, de ne pas respecter les contrats, de ne pas en donner autant d’années qu’il avait été prévu et les colis n’étaient jamais composés que de nourriture avariée, casseroles, instruments agraires ou vêtements défraichis. Oui, le peuple de Red Cloud a été eu… ♫ Paroles et encore des paroles ♪

Cette biographie de Crazy Horse, basée sur des témoignages et sur les récits oraux de ses ancêtres Amérindiens, est romancée. Non pas que l’auteur a raconté des choses fausses, mais contrairement à d’autre livres sur les chefs Indiens, il met en scène l’Histoire, même s’il n’y a pas de dialogues.

Elle commence avec sa naissance et son enfance. Jeune enfant aux cheveux clairs, il était souvent la cible de moqueries des autres gamins (nous n’avons pas le monopole), mais jamais il ne se rebella, ne s’énerva et il acquit ainsi un statut de guerrier juste, pas un fou prêt à tout, mais un homme réfléchi.

Tout allait bien dans la tribu des Sioux, jusqu’à ce que l’Homme Blanc emprunte la piste avec ses chariots, ne chassent les bisons de par sa présence massive, de par ses chasses massives, de par sa frénésie de l’or, de par ses envies de s’étendre et parce que l’Homme Blanc, telle une nuée de sauterelles, détruisait tout sur son passage, Nature, animaux et être humains qui ne vivaient pas comme eux.

Il est marrant (si j’ose dire) de voir que là aussi, le conflit a commencé avec une vache ! Je dis ça parce que gamine, à l’école, nous avions appris l’histoire de la Guerre de la Vache (qui a donné son nom à une route et qui fit 15.000 morts – merci Wiki), histoire célèbre dans mon plat pays (avec la bataille des éperons d’or).

Ici, tout pareil : une vache maigre se promène, sans propriétaires, arrive dans le campement des Indiens, qui la tue, la mange et lorsque le proprio Mormon hurle à l’assassinat de sa vache, ça dégénère, car il refusa les deux bons chevaux proposés en dédommagement par les Indiens et ensuite, des soldats vinrent au campement et tuèrent un chef qui était paisible. Et tout bascula ensuite…

Cette biographie romancée est très intéressante, une fois de plus, c’est une mine de détails, d’Histoire, de culture du peuple des Sioux (divisés en plusieurs peuples) et mon sel regret sera que l’auteur parle peu de la bataille de Little Big Horn.

Dommage, parce que c’est une bataille importante (même si on connait les détails). Par contre, on aura des récits d’autres batailles. Ce sera dans les pages additionnelles que je comprendrai pourquoi l’auteur ne s’est pas appesanti sur Little Big Horn.

Comme toujours, les Indiens ont été trompés par les Hommes Blancs, grugés, les traités n’ont jamais été respectés et la langue des Blancs est resté fourchue en tout temps, en tout lieu.

Les Indiens, lassés de fuir, lassés de se battre contre des soldats qui ne connaissaient rien de l’honneur (comme les autres tribus indiennes contre qui ils se battaient), ont bien souvent déposés les armes, laissé les Blancs emporter leur chevaux et se sont laissé asservir et corrompre par l’Homme Blanc, qui a réussi à monter les Sioux entre eux, donnant du pouvoir à des hommes qui ne l’auraient jamais eu dans leur tribu. On n’est jamais aussi bien trahi que par les siens…

L’ouvrage se termine par la mort de Crazy Horse, assassiné par l’un des siens, sans doute un meurtre commandé par Red Cloud qui voulait rester calife et ne pas partager le pouvoir avec un autre chef, même si Crazy Horse ne demandait rien. La peur de perdre le pouvoir, ça fait toujours agir les humains de manière violente.

Une belle biographie sur ce chef charismatique, une mine d’information pour celles et ceux qui sont intéressées par le sujet, car il n’est pas le seul dont l’auteur parlera.

Le portrait d’un être humain, avec ses défauts, ses qualités. D’un homme qui se dévouait pour son peuple, qui aidait ceux qui n’avaient pas grand-chose (les veuves), parce que c’était son devoir et qu’il n’était pas égoïste, comme d’autres.

Un portrait réalisé au plus juste, loin des clichés habituels qu’on nous a fourré dans la tête, loin des Indiens assoiffés de guerre, de sang, de scalps et de toutes ces conneries des films où les gentils cow-boys, les merveilleuses Tuniques Bleues, affrontaient les vilains méchants Indiens.

Le Mois Américain (Non officiel) – Septembre 2022 (dernière fiche).

 

Nous étions libres comme le vent : David Roberts

Titre : Nous étions libres comme le vent

Auteur : David Roberts
Édition : Albin Michel – Terre indienne (1999)
Édition Originale : Once They Moved Like the Wind
Traduction : Alain Deschamps

Résumé :
« À la fin, durant l’été 1886, ils n’étaient plus que trente-quatre, hommes, femmes et enfants, à suivre Géronimo. Le petit groupe d’Apaches Chiricahuas fut la dernière bande d’Indiens libres à poursuivre la guerre contre le gouvernement des Etats-Unis. Cinq mille soldats américains – le quart des effectifs de l’US Army – et trois mille soldats mexicains les traquèrent sans merci. Pourtant, pendant plus de cinq mois, Géronimo et les siens réussirent à échapper à leurs poursuivants. Jusqu’à leur reddition finale, les forces armées de deux nations puissantes ne sont pas parvenues à capturer un seul Chiricahua, pas même un enfant. »

Au cours de la seconde moitié du XIXe siècle, le territoire couvert aujourd’hui par le Nouveau-Mexique, l’Arizona et le Nord du Mexique fut le théâtre d’une tragédie marquée par la violence, la perfidie et la cruauté.

Dans cette lutte sans merci, les chefs apaches n’auront de cesse de défendre leur patrie, alors que leurs ennemis n’aspirent qu’à leur mort, leur déportation ou leur parcage sur des réserves.

Peu de chefs indiens auront exercé une aussi grande fascination que les figures désormais légendaires de Cochise et Geronimo.

Critique :
Histoire de la mort d’un peuple fier, libre et nomade annoncée… Une fois que l’Homme Blanc a posé son pied sur le continent du Nouveau-monde, cela a sonné le glas pour bien des peuples.

Bizarrement, alors que l’Anglo-saxon et les autres européens fuyaient les dictatures royales, les famines, les différentes oppressions, qu’ils se voulaient libre, ils n’ont eu de cesse de brider les libertés des autochtones, les Amérindiens.

C’était un peuple nomade, chasseurs et le Blanc voulait en faire un sédentaire agriculteur, du jour au lendemain, alors que dans l’évolution humaine, ce changement radical de mode de vie n’a pas eu lieu du jour au lendemain.

Ce roman n’est pas une fiction, il n’est même pas romancé. C’est l’histoire des guerres indiennes, la vie des grands chefs Indiens, que ce soit Cochise, Geronimo, Juh, Mangas Coloradas et Victorio. Avec des plus grands passages consacrés à Cochise et la rébellion de Geronimo qui ne voulait pas se faire enfermer dans une réserve.

Ce que j’ai apprécié, dans ce roman historique, c’est que l’auteur n’ai pas présenté tous les Hommes Blancs comme des vilains méchants pas beaux et les Amérindiens comme des gentils écolo bobo version Bisounours.

Les exactions ont eu lieu des deux côtés, les Amérindiens ont torturés aussi, pendus, assassinés, violés des victimes innocentes (ou pas) et même tué des Blancs qui étaient leurs amis. S’il est facile de tuer un ennemi, il est bien plus difficile de tuer un ami.

Certains Hommes Blancs ont essayé de les comprendre, même s’ils n’y sont pas toujours arrivé, les barrières de la langue et de la culture étant compliquées à surmonter.

Mais il est un fait certain, c’est que les Blancs avaient la langue fourchue, ne respectaient pas la parole donnée ou les traités signés et que dans le registre des meurtres, les Amérindiens étaient des petits artisans, ils tuaient au détail, tandis que les Blancs massacraient en gros. Ils ne jouaient pas dans la même catégorie.

Hélas, l’être humain de l’époque se révoltait pour chaque mort de son peuple (celui des Blancs) et applaudissait pour 100 assassinats d’Indiens, perpétrés loin de son jardin. De nos jours, des gens s’offusqueront toujours bien plus pour un homme tué que par 6000 décédés sur des chantiers (et loin de chez nous).

Ce roman historique est des plus intéressants, mais il est à réserver à des lecteurs (lectrices) qui sont passionnés par le sujet. Il n’y a pas d’action, l’auteur rapportant des témoignages, se basant sur les études réalisées par d’autres, sur des théories d’historiens, afin de nous éclairer sur cette période des guerres Indiennes.

Le récit pourrait sembler long à quelqu’un qui n’est pas intéressé par le sujet. Il n’est pas toujours aisé à lire, du fait qu’il y a beaucoup de matière à avaler, à digérer, mais dans mon cas, le repas s’est bien déroulé et mon rythme de lecture était correct, le roman n’a pas trainé plus de 48h.

Attention que certaines scènes rapportées dans ce récit pourraient heurter les âmes sensibles, ce n’est pas Tchoupi dans son bac à sable, on parle tout de même de guerres, de massacres, de génocide et d’être humains placés dans des réserves où ils crevaient de faim, de soif, de maladie…

Mon seul bémol sera pour le fait qu’un tel récit est assez froid, il a manqué les émotions brutes, comme celles que j’avais pu ressentir avec d’autres récits historiques sur les Amérindiens.

Les Apaches mènent une vie en fuite, tentant d’échapper aux soldats lancés à leurs trousses, ou dans des campements insalubres, souffrant de tout, et le ton de l’auteur m’a semblé froid, comme s’il énonçait des faits bruts. Je ne demande pas que l’on sombre dans le pathos, mais j’apprécie lorsqu’il y a les tripes qui se serrent, en lisant ce genre de récit.

En ce qui concerne l’instruction, ce livre m’a rassasié ! Les détails dans le récit étaient précis, l’auteur donnant souvent plusieurs versions (les témoins se contredisent souvent, les mémoires flanchent, les égos interdisent de dire la vérité,…), au lecteur de se faire sa propre idée.

Un récit copieux, rempli de détails, de vie de chefs Indiens, de guerriers libres, chevauchant des jours et des jours. Un récit sur la rencontre de deux peuples qui ne se sont jamais compris et sur l’un deux qui voulu asservir l’autre, le parquer, l’empêcher de bouger, de chasser, bref, de vivre, tout simplement.

Le Mois Américain (Non officiel) – Septembre 2022.

John Tanner – Tome 1 – Le captif du peuple des Mille Lacs : Christian Perrissin et Boro Pavlovic

Titre : John Tanner – Tome 1 – Le captif du peuple des Mille Lacs

Scénariste : Christian Perrissin
Dessinateur : Boro Pavlovic

Édition : Glénat (11/09/2009)

Résumé :
1789, Nouveau Monde. John Tanner a 9 ans, il est le fils d’un pasteur fermier qui vit avec ses enfants, sa seconde épouse et deux esclaves noirs dans une petite ferme du Kentucky.

Un matin de printemps que son père est aux champs avec le frère aîné et les boys, John, qui a eu l’interdiction d’aller dehors, parvient à déjouer la surveillance de sa belle-mère et de ses sœurs, et filer en douce. Il est alors kidnappé par deux Indiens Ottawa…

Amené de force dans leur tribu, il est alors adopté par une vieille indienne qui voit en lui la réincarnation de son fils parti quelques mois plus tôt. Par la force des choses, John deviendra un membre à part entière de la tribu, puis un guerrier, et prendra part aux guerres contre les Blancs…

Critique :
La couverture avait attirée mon regard : le dessin de l’Amérindien étais superbe et je me suis laissée tenter. J’ai eu raison, d’ailleurs.

Cette bédé est le véritable récit de la vie du jeune John Tanner, sale gamin qui n’obéissait pas et qui s’est fait enlevé, à l’âge de 9 ans, par deux Indiens Ojibwe.

Le récit de sa captivité n’est pas un long fleuve tranquille.

Remplaçant un fils mort, l’épouse de Manitugeezik, son ravisseur, le considère comme son fils et l’aime, par contre, avec les autres fils, c’est compliqué, sans parler avec Manitugeezik qui, lorsqu’il a bu, a la main lourde.

Le récit prend son temps, notamment en nous montrant la vie dans cette tribu des Indiens Ojibwe : le travail des femmes, des enfants, les règles à suivre, la chasse, avant de basculer sur une autre tribu, celle des Ottawa, mais bien plus pauvre que la première.

Les dessins sont magnifiques, réalistes, détaillés et les couleurs, dans des tons assez doux, donne à l’ensemble un certain cachet, pour ne pas dire un cachet certain.

En 1789, les colons avaient déjà pris possession de beaucoup de terres, mais pas encore de toutes, comme ce fut le cas ensuite. Le scénariste nous retranscrit, au delà de ce récit de captivité horrible, tous les problèmes des Indiens, notamment l’alcool et la peur de perdre leurs terres face à l’avancée de l’Homme Blanc.

Le pauvre John ne trouve pas sa place parmi la tribu, il n’a pas été élevé comme leurs enfants, pleurniche, n’est pas aussi performant qu’eux, a du mal avec la langue.

On se dit que s’il venait, après quelques années, à retrouver les siens, il aurait à nouveau du mal à s’intégrer, étant perçu comme un étranger à la culture, après avoir séjourné dans la culture Indienne. Bref, le pauvre John serait le cul entre deux chaises, non accepté des deux côtés.

Un bel album, un superbe découverte et il me tarde de découvrir la suite.

Le Challenge « Les textes courts » chez Mes Promenades Culturelles II (Lydia B – 89 pages) et Le Mois Américain (Non officiel) – Septembre 2022.

Le photographe de Mauthausen : Salva Rubio, Pedro J. Colombo et Landa Aintzane

Titre : Le photographe de Mauthausen

Scénariste : Salva Rubio
Dessinateur : Pedro J. Colombo

Édition : Le Lombard (29/09/2017)

Résumé :
Et si le vol du siècle avait eu lieu… dans un camp de concentration nazi ?

En 1941, Francisco Boix, matricule 5185 du camp de concentration de Mauthausen, échafaude avec ses camarades un plan pour voler des photographies témoignant des crimes commis dans le camp et incriminant les plus hauts dignitaires nazis.

Ce plan risqué n’est que le début de son périple pour révéler la vérité… Une histoire vraie, basée sur des faits réels.

Critique :
Voilà un sujet dont on nous parle peu : les espagnols dans les camps de concentration, notamment dans celui de Mauthausen qui était un camp de catégorie III (Aushwitz était de catégorie I), ce qui veut dire qu’on y envoyait les irrécupérables, ceux qu’il fallait tuer par le travail.

Les prisonniers devaient monter 186 marches avec une pierre de 8 kilos sur le dos, extraite de la carrière.

À Mauthausen, on vous disait que vous étiez entré par une porte mais que vous sortiriez par la cheminée et les nazis se ventaient d’avoir 40 manières différentes de vous assassiner (*). Personne ne devait en sortir vivant.

Les Espagnols fuyant la guerre civile ont trouvé refuge en France, qui les parqua dans ces camps de concentration eux aussi (près de 15.000 morts), comme quoi, les idées barbares d’exportent bien, même au pays des droits de l’Homme.

Puis, les Espagnols se retrouveront aux mains des soldats de la Wehrmacht avant de passer dans celles des SS où ils furent déportés à Mauthausen. Francisco Boix, jeune communiste, fait partie des déportés.

Inspirée d’une histoire vraie, cette bédé raconte la vie de Francisco dans le camp, ainsi que son envie de faire sortir les clichés pris par un haut dignitaire nazi, Paul Ricken (un ancien prof). Ce dernier aimait photographier les morts, les mettant en scène pour en faire de l’art. Mais voler les négatifs, les reproduire, les cacher et les faire sortir ensuite du camp ne sera pas facile.

Francisco voulait dénoncer les atrocités qui eurent lieu dans ce camp, apporter des preuves, montrer à la gueule du monde, notamment au procès de Nuremberg, ce que ces salopards de nazis avaient fait subir à d’autres humains. Hélas, ceux qui ne l’ont pas vécu ne peuvent pas le comprendre…

C’est horriblement réaliste, le dessinateur ayant repris, tels quels, les véritables clichés pris par Paul Ricken, et sorti du camp ensuite. Bien que le scénariste ait romancé quelques faits, le reste est Historique et terriblement dramatique, horrible et inhumain.

Et encore, les auteurs auraient pu aller plus loin dans l’horreur, mais ils n’ont pas choisi cette voie-là. Ce qu’ils nous montrent suffit à nous faire comprendre les conditions effroyables d’une déportation à Mauthausen d’où l’on ne devait pas en sortir autrement qu’en cadavre.

À la fin, il y a un cahier historique, fort complet, qui expliquera plus en détail la destinée des espagnols dans les camps, ainsi que leur difficile retour à la vie civile puisqu’on les considérait comme apatride. Ils ne peuvent rentrer en Espagne, leur cher Parti Communiste les considère comme des traites car ils ont survécu (elle est forte, celle-là).

Une bédé à lire, pour en apprendre plus sur des sujets dont on parle peu : les Espagnols qui se sont battus contre le fascisme dans leur pays et dans le reste de l’Europe, leur emprisonnement dans des camps en France, leur déportation dans les camps ensuite et leur difficile retour à la vie ensuite.

Une bédé qui est faite avec beaucoup d’humanisme, malgré l’horrible sujet qu’elle traite et qu’il faut lire.

(*) Wikiki me signale que « Après la guerre, l’un des survivants, Antoni Gościński rapporta 62 méthodes d’exécution des prisonniers ». Encore pire que je ne le pensais.