Le match de la mort – Kiev, 1942 – Rien ne se passera comme prévu : Guillem Escriche et Pepe Galvez

Titre : Le match de la mort

Scénariste : Pepe Galvez 🇪🇸
Dessinateur : Guillem Escriche 🇪🇸

Édition : Les Arènes (20/10/2022)
Édition Originale : The death match (2022)
Traduction : Alexandra Carrasco

Résumé :
Pendant la Seconde Guerre mondiale, dans l’Ukraine occupée par les nazis, quatre joueurs du Dynamo Kiev se retrouvent. Pris dans la tourmente, ils survivent entre camps de concentration et travail dans une boulangerie.

À l’été 1942, ils sont sollicités par l’Occupant pour participer à une compétition de football opposant les différentes armées en présence
à Kiev : allemande, roumaine, hongroise.

Ils acceptent, à condition de jouer sous les couleurs (rouges) de l’Ukraine. Avec un nouveau nom qu’ils espèrent prometteur : START.

Critique :
Si j’aime le foot ? Non, pas du tout, mais j’aime l’Histoire et les petites histoires dans la grande.

Et cette histoire, elle se passe durant la Seconde Guerre Mondiale, lors du début de l’opération Barbarossa et de l’invasion de l’Ukraine et de la Russie.

Mais ce sera en Ukraine que nous allons aller voir ces joueurs de foot qui possédaient une autre étoffe que les crésus en short de maintenant.

Une partie des membres du club de foot du Dynamo Kiev se sont retrouvés emprisonnés dans des camps de détention, puis libéré, affamé, amaigri, sans un sous. Ils sont quatre à se retrouver à bosser dans la boulangerie N°1, tenue par un fan de leur équipe et qui tente d’aider le plus de gens possible.

De l’autre côté, le moustachu assassin et mégalo, a envie de transformer les riches plaines fertiles d’Ukraine en terres pour son peuple, qui apparemment, est trop à l’étroit dans l’Allemagne. Pourquoi ne pas faire comme les colons au far-west et passer tout le monde par les armes ?

Pour lui et ses sbires, tout ce qui n’est pas allemand est inférieur et dont, les ukrainiens sont des êtres barbares, sans culture, juste bon à… Bref, pour les nazis, il faut les éradiquer et surtout, ne pas leur donner de quoi être fier d’eux.

Alors, quand les anciens du Dynamo et du Lokomotiv, jouent au foot avec leur maillot d’équipe nationale, rouge, sous le nom de START et mettent une branlée aux autres équipes, dont des allemandes, ça passe mal chez les nazillons.

Ils auraient pu s’incliner devant les allemands, nos ukrainiens qui jouaient comme des dieux, c’était le match retour et ils leur avaient déjà mis la pâtée à l’aller, alors, pourquoi ne pas se coucher ?

Parce que cela faisait trop longtemps qu’ils courbaient l’échine, qu’ils baissaient les yeux, qu’ils subissaient le joug de l’oppresseur, les fusillades, les assassinats, les emprisonnements, les privations, alors, basta, ils y sont allés à fond, ne leur ont pas laissé la victoire, n’ont pas baissé les yeux et ils ont même redonné de la fierté au peuple ukrainien.

Hélas, les allemands sont mauvais perdants…

Une bédé dont je n’ai pas aimé les dessins, mais où j’ai vibré avec le scénario et les match de foot, parce que les enjeux n’étaient pas de l’argent, mais une forme de liberté, l’occasion de montrer que les ukrainiens ne sont pas des êtres inférieurs. Ils l’ont payés chers, trop cher.

Une petite histoire dans la grande que j’ai été contente d’apprendre. Celle de l’histoire de l’équipe qui a défié les nazis.

L’affaire Emmett Till : Jean-Marie Pottier

Titre : L’affaire Emmett Till

Auteur : Jean-Marie Pottier
Édition : 10/18 (01/02/2024)

Résumé :
Fin août 1955, le corps sans vie et défiguré d’un adolescent est repêché dans l’État du Mississippi. Il s’agit de celui d’Emmett Till, un jeune noir de Chicago âgé de 14 ans, venu passer des vacances dans la famille de sa mère.

Quelques jours plus tôt, il a été vu en conversation avec Carolyn Bryant, une jeune commerçante blanche, à qui, selon certains témoins, il aurait fait des avances. Roy Bryant, son mari, et J.W. Milam, son beau-frère, sont venus chercher Till en pleine nuit chez son oncle. Personne ne l’a revu vivant.

Les deux hommes sont vite arrêtés et traduits en justice. Un mois plus tard, un jury composé de douze hommes blancs les acquitte après un délibéré qui a duré une petite heure. Près de soixante-dix ans plus tard, l’affaire Till est devenue un moment de l’histoire des droits civiques aux États-Unis.

Mais l’affaire criminelle n’est toujours pas entièrement résolue. De nouveaux éléments ne cessent de filtrer. L’Affaire Till pèse encore sur l’histoire américaine, mais l’affaire Till n’est pas encore totalement finie.

Critique :
je lis rarement des true crime, mais cette affaire-là me tenait à cœur, car je n’en ai eu connaissance que récemment et le peu que j’en ai entendu m’avait glacé les sangs : Emmett Till, un gamin, Noir, avait été accusé d’avoir eu des propos désobligeants envers une femme, Blanche.

Il fut tabassé par le mari et le beauf, à coups de poings, à coups de crosse de révolver, avant d’être abattu à bout portant et jeté à l’eau, le corps lesté d’un ventilateur.

Il avait 14 ans et sa mère a tenu à ce que son cercueil reste ouvert afin que chacun voit ce que des Blancs étaient capables de faire à un gamin Noir dont le seul tort était d’être du Chicago (du Nord) et de ne pas avoir vraiment conscience des règles ségrégationnistes qui avaient toujours cours dans le Sud, au Mississippi.

Cet essai est un donc un true crime et l’auteur a mené une enquête afin de savoir ce qu’il s’est vraiment passé en août 1955, quand le mari et le beauf sont venu le chercher et aussi ce qu’il s’est passé dans ce foutu magasin : a-t-il vraiment sifflé (le fameux wolf whistle, version Loup de Tex Avery) la vendeuse  et épouse du gérant ? Ou juste sifflé les hommes qui jouaient aux dames ? Ou sifflé parce qu’il bégayait et que cela lui permettait de reprendre contenance ?

Personne ne pourra plus dire, mais je suis sûre qu’il n’a pas tenu les propos sexiste à la dame (et qu’elle a proféré au tribunal) et s’il l’a vraiment sifflé parce qu’elle était jolie, cela ne méritait qu’une remontrance, un « ça ne se fait pas », rien de plus. Pas un meurtre, pas un acharnement tel que celui qui fut fait sur ce gamin en vacances dans la famille.

L’auteur va aussi parler du procès, au plutôt devrais-je dire, de la parodie de procès qui s’est tenu dans cet état hyper ségrégationniste, hyper raciste, où les Hommes Blancs (les WASP) ne toléraient pas qu’un Noir puisse avoir le droit de vote ou que les enfants Noirs aillent sur les mêmes bancs de l’école que leurs petits enfants Blancs.

Dans cette contrée où deux hommes Blancs avaient le droit de tuer un Noir, sans être reconnu coupable… Cette ville où des gens ont donné de l’argent pour les inculpés puissent se payer les meilleurs avocats, où on leur a tapé sur l’épaule, comme pour les féliciter… Après, le vent a un peu tourné, mais si peu.

Les années passant, les témoins sont décédés, l’épouse est revenue sur une partie de ses accusations, mais devant un seul témoin, bref, la lecture de cet essai ne vous donnera pas les réponses vraies et absolues, mais au moins, vous en saurez un peu plus, vous aurez mis les pieds dans un endroit où la ségrégation règne en maîtresse des lieux et vous aurez eu une vision très glauque et moche de l’Amérique.

Un essai que j’ai dévoré, le coeur au bord des lèvres, devant tant d’injustice, tant de violences, tant de déni, tant d’horreurs. Un roman true crime qui frappe fort, sans pour autant aller dans le voyeurisme ou le glauque. Le pays et une partie de sa population l’est déjà…

An American Year

Challenge Thrillers et Polars de Sharon (du 12 Juillet 2023 au 11 Juillet 2024) [Lecture N°144]  et le Challenge « American Year » – The Cannibal Lecteur et Chroniques Littéraires (du 15 novembre 2023 au 15 novembre 2024) # N°35.

Ed Gein, autopsie d’un tueur en série : Harold Schechter et Eric Powell

Titre : Ed Gein, autopsie d’un tueur en série

Scénariste : Harold Schechter
Dessinateur : Eric Powell

Édition : Delcourt Contrebande (12/04/2022)
Édition Originale : Did you hear what Eddie Gein Done ? (2021)
Traduction : Lucille Calame

Résumé :
Ce récit révèle la véritable histoire d’un malade mental sous l’emprise d’une mère bigote et abusive. Cette biographie factuelle d’Ed Gein se focalise sur son enfance et sa vie de famille malheureuses, et sur la façon dont elles ont façonné sa psyché. Il explore aussi le choc collectif qui entoura l’affaire et la prise de conscience que les tueurs peuvent être des citoyens ordinaires.

Il a inspiré de nombreux personnages de cinéma comme Norman Bates dans Psychose. Harold Schechter et Eric Powell nous proposent cette BioBD d’Ed Gein, l’un des plus terrifiants tueurs en série américains.

Critique :
Je suppose que tout le monde a vu le film « Psychose » et connait le twist final… De toute façon, je ne le divulguerai pas, des fois que Alfred Hitchcock viendrait me tirer les doigts de pieds, la nuit…

D’ailleurs, c’est le romancier Robert Bloch qui, le premier, s’inspira de ce tueur pour son roman, du même titre que le film qu’Alfred en tira ensuite.

Alors, qui a inspiré le personnage de Norman Bates (et pas que lui : Hannibal et le mec de Massacre à la tronçonneuse,…) ? Edward Gein… Et je parie que comme moi, vous n’aviez aucune idée de qui il était ?

Un gamin au physique disgracieux, bizarre, le genre qui se fait harceler à l’école, qui pleure souvent, qui voit sa mère comme un Dieu, qui vit en solitaire, qui a l’air un peu demeuré et qui a une vie sexuelle plus pauvre que celle d’un pape (même s’il se branle de temps en temps).

Ce comics, tout en noir et blanc, est très bien dessiné, surtout les expressions, notamment celle de  la mère d’Edward Gein, une femme pieuse, bigote, qui pense que toutes les femmes sont des salopes, des sodomites, échappées de dieu sait où et qui mène tout le monde à la baguette (son mari alcoolo et ses deux gamins).

Il ne faut pas s’étonner, avec une génitrice pareille, que le petit Ed Gein ait été plus que perturbé et ait fini en tueur en série, nécrophile et pilleur de tombes. Je ne dis pas que tous les enfants élevés de la sorte finiront en mecs dépravés (heureusement) ou serial killer, mais pour ceux qui tourneront assassins en puissance, on saura d’où ça vient.

Ce comics assez épais (plus de 200 pages), est une autopsie d’un tueur en série, où les auteurs se sont attachés aux faits, rien qu’aux faits, même s’ils nous donneront un aperçu de toutes les sornettes que les gens de la ville de Plainfield (Wisconsin) balanceront sur Ed, une fois celui-ci arrêté (en 1957). Les rumeurs courent plus vite que la vérité et les horreurs font vendre plus de journaux…

Ce récit n’est pas pour les esprits sensibles ou les jeunes enfants… Les ambiances sont malsaines, angoissantes, flippantes, sans pour autant basculer dans le gore ou la surenchère inutile.

Les auteurs ont réussi le difficile équilibre entre montrer les horreurs commises par Ed Gein, sans s’appesantir dessus, afin de ne pas provoquer l’effet contraire. Ce qui aurait été contreproductif, alors que là, on imagine sans mal et on en tremble d’effroi.

Un terrible fait divers mis en scène de manière remarquable par les deux auteurs dans cet album qui retrace l’enfance et la vie d’Ed Gein, son arrestation, l’enquête, son internement et les faits qui lui ont été reprochés.

En lisant ce comics, vous saurez tout sur celui que l’on a surnommé « le boucher de Plainfield »… Pour un public averti, tout de même !

Challenge Thrillers et Polars de Sharon (du 12 Juillet 2023 au 11 Juillet 2024) [Lecture N°114],  Le Challenge « American Year » – The Cannibal Lecteur et Chroniques Littéraires (du 15 novembre 2023 au 15 novembre 2024) # N°25 et Le Mois du Polar – Février 2024 – Chez Sharon (Fiche N°06).

Culottées – Tome 01 : Pénélope Bagieu

Titre : Culottées – Tome 01

Scénariste : Pénélope Bagieu
Dessinateur : Pénélope Bagieu

Édition : Gallimard – Bande dessinée (2017/2019)

Résumé :
Quinze récits mettant en scène le combat de femmes d’origines et d’époques diverses, qui bravèrent les normes sociales de leur temps : Margaret, une actrice hollywoodienne, Agnodice, une gynécologue de l’Antiquité grecque qui se fit passer pour un homme afin d’exercer sa profession, Lozen, une guerrière et chamane apache, etc.

Critique :
Je n’avais entendu que du bien de ce roman graphique et j’avais très envie de le découvrir.

Bon, ça a mis du temps (j’en manque toujours), mais maintenant que j’ai découvert ces portraits de femmes culottées, qui ont osé braver les interdits, se battre, s’élever, aller contre le conformisme, j’ai hâte de lire la suite.

L’autrice met en scène, au travers de 15 portraits, 15 femmes. « Des femmes qui ne font que ce qu’elles veulent ».

Des connues comme Joséphine Baker et des inconnues et c’est là tout l’intelligence, car elle nous fait découvrir des femmes qui méritaient bien un gros coup de projecteur sur leur vie et ce qu’elles ont réalisées.

J’ai apprécié en apprendre plus sur les femmes que je croyais connaître, mais dont je ne savais pas tout et j’ai pris un grand plaisir aussi à découvrir d’autres portraits, que ce soit celui d’une femme gynécologue du temps de la Grèce antique, qui sauva la vie de ses patients qui accouchaient ou tout simplement d’une femme à barbe qui s’est assumée, d’un homme qui se sentait femme ou de la seule femme impératrice en Chine.

Alors oui, toutes n’ont pas fait avancer la cause du féminisme, loin de là, mais par leurs petites actions, elles ont contribué à d’autres choses. C’étaient des rebelles qui n’ont pas voulu rester dans les cases prévues par leurs sociétés et où on a toujours caser les femmes : mariage, maternité, ferme ta gueule et fait le ménage.

C’est drôle, intéressant, bien mis en scène (j’ai un faible pour les dessins de Pénélope) et même si les portraits sont trop courts, on a tout de même rempli son cerveau de petites histoires à raconter plus tard, pour briller devant des beaufs et leur claper le bec.

L’autrice n’a pas suivi une ligne du temps, on passe par toutes les époques et tous les lieux. Il ne faut pas chercher un fil rouge, le seul qu’il y a, ce sont les portraits de ces femmes rebelles, dont la plupart nous étaient inconnues.

Elles ont du courage, certaines ont pris plus de risques que d’autres (s’opposer à un dictateur est plus dangereux que lutter contre l’érosion avec des plantations), mais je ne les jugerai pas, chacune, à son échelle, a fait quelque chose d’important, d’intéressant et c’est ce qui compte.

Une bédé, roman graphique à découvrir et à partager !

La Petite Bédéthèque des savoirs – 11 – Le Féminisme – En sept slogans et citations : Thomas Mathieu et Anne-Charlotte Husson

Titre : La Petite Bédéthèque des savoirs – 11 – Le Féminisme – En sept slogans et citations

Scénariste : Anne-Charlotte Husson
Dessinateur : Thomas Mathieu

Édition : Le Lombard (07/10/2016)

Résumé :
Malgré des avancées significatives durant le 20e siècle, le combat féministe reste toujours d’actualité. D’Olympe de Gouges à Virginie Despentes en passant par Simone de Beauvoir ou Angela Davis, cette bande dessinée retrace, à travers des événements et des slogans marquants, les grandes étapes de ce mouvement et en explicite les concepts-clés, comme le genre, la domination masculine, le « slut-shaming » ou encore l’intersectionnalité.

Critique :
Qui a dit que les bandes dessinées étaient pour les enfants et qu’elles n’apprenaient rien aux lecteurs ? Pas moi, mais j’ai les noms des grincheux et grincheuses qui me regardent de travers parce que je lis des bédés, mangas et comics.

Cette petite bédé de vulgarisation s’attaque à un sujet énorme qu’est le féminisme. Après une intro de plusieurs pages sans dessins, on entre ensuite dans le vif du sujet avec les droits des femmes sous toutes ses coutures.

Il est impossible de parler de tout en 80 pages, mais l’essentiel est dit et il ne tient qu’à nous d’aller s’instruire plus en lisant d’autres ouvrages, dont une liste, non exhaustive, se trouve en fin d’ouvrage.

impossible de résumer cette bédé, mais elle m’a appris des choses, notamment qu’il existait plein de féminismes différents. On n’y pense pas toujours, mais de même que les revendications d’un ouvrier bossant dans la métallurgie ne seront pas celles d’un ouvrier bossant dans la maçonnerie, il y a plusieurs féminismes.

Ben oui, mes revendications en tant que femme Blanche hétéro ne seront pas les mêmes que celle d’une femme Noire, d’une musulmane, d’une lesbienne. Dans les revendications, les féministes oublient parfois les intersectionnalités où se retrouvent d’autres profils que les leurs.

Mais on ne parle pas que de féminisme… Les auteurs abordent aussi la sexualité et les violences conjugales. Ainsi que l’avortement et les viols.

Les slogans m’ont bien plu, car ils sont limpides : La femme a le droit de monter sur l’échafaud, elle doit avoir également celui de monter à la tribune / Le féminisme n’a jamais tué personne, le machisme tue tous les jours / Ne me libère pas, je m’en charge.

J’ai apprécié aussi apprendre que les femmes avaient plus de droits au Moyen-Âge qu’à la fin du dix-huitième siècle, en termes de propriété privée, mais aussi professionnel… Qui l’eut cru ? L’eusses-tu cru ? Moi, non…

Anybref, cette petite bédé est instructive, elle vous envoie au lit moins bête qu’avant et elle fait réfléchir. Mon petit cerveau a bien turbiné après cette lecture.

Mon bémol ? C’est trop court, même si je comprends qu’il est impossible de synthétiser toues les différentes formes du féminisme dans cette bédé de vulgarisation. Le sujet est trop vaste et l’Histoire aussi.

Une lecture intéressante, instructive, une mise en page intelligente, où il est impossible de se perdre ou de se noyer dans toutes les infos. On ingurgite beaucoup, mais ça passe tout seul.

Une bédé à découvrir !

Le cycliste de Tchernobyl : Javier Sebastian

Titre : Le cycliste de Tchernobyl

Auteur : Javier Sebastian 🇪🇸
Édition : Métailié (2013)
Édition Originale : El ciclista de Chernóbil (2013)
Traduction : François Gaudry

Résumé :
Un vieil homme hagard, entouré de sacs remplis de vêtements, est abandonné dans un self-service sur les Champs-Élysées. « Ne les laissez pas me tuer », c’est tout ce qu’il sait dire.

Pripiat, ville fantôme, à trois kilomètres de la centrale de Tchernobyl : dans les rues désertes, entre la grande roue neuve et les autos tamponneuses abandonnées, pas âme qui vive. Sauf les samosiol, ceux qui sont revenus dans la zone interdite.

Laurenti Bakhtiarov chante Demis Roussos devant la salle vide du ciné-théâtre Prometheus, deux Américains givrés testent les effets de la radioactivité sur leur corps…

Au cœur d’une apocalypse permanente, Vassia, l’homme à vélo, croit encore à la possibilité d’une communauté humaine. Ce roman magistral est librement inspiré de la vie de Vassili Nesterenko, physicien spécialiste du nucléaire, devenu l’homme à abattre pour le KGB pour avoir tenté de contrer la désinformation systématique autour de Tchernobyl.

Des paysages hallucinés aux aberrations du système soviétique, Sebastián signe un texte d’une force rare, à la fois glaçant et étrangement beau, hymne à la résistance dans un monde dévasté.

Critique :
J’ai failli arrêter cette lecture, car entre elle et moi, le courant ne passait pas.

Le récit prenait du temps, je ne voyais pas où il allait arriver, pas de tirets cadratins pour les dialogues (pas de guillemets non plus). Bref, ça commençait mal.

Pourtant, le début avait tout de même éveillé ma curiosité : un vieil homme est abandonné dans un self-service, aux Champs Élysées. Le narrateur est accusé d’avoir abandonné son père. Ceci n’est pas son père. un quiproquo qui va faire naître une histoire peu banale…

Lorsque nous sommes entré à Pripiat, après la catastrophe d’avril 1986, la fusion a commencée, entre le roman et moi. Au diable les tirets cadratins manquants devant les dialogues, j’étais dans le récit et cela ne m’a plus gêné.

Une ville abandonnée, les villages aux alentours aussi. Tout qui se retrouve figé, notamment les auto-tamponneuses. Vertigineux, horrible. Tout le monde a dû partir, abandonnant tout sur place, n’emportant qu’une petite valise, obligé même de laisser leurs animaux de compagnie sur place…

Toute cette partie-là, ainsi que les quelques passages consacrés à ce qu’il se passa juste après l’accident, est terriblement instructive, intéressante et fait froid dans le dos.

Le vieil homme va tout doucement raconter son histoire et ce que l’on va découvrir sera bouleversant, en quelque sorte. Une vie après la mort d’une région. Cela valait la peine que je persévère dans ce roman. Mon début fut un peu laborieux, mais j’ai été récompensée ensuite.

On se demande ensuite ce qui fut le plus horrible : construire une centrale nucléaire sur une faille sismique, l’accident survenu suite à un test de sécurité mal assuré, le sacrifice des vies humaines pour enlever le graphite, la désinformation, la minimalisation de l’accident ou l’incapacité de l’URSS à réagir comme il fallait face à cet accident nucléaire ?

Sans doute le mélange de tout. Dans un scénario catastrophe, on trouverait cela exagéré et pourtant, la réalité a dépassé la plus mauvaise fiction.

Ce roman est une biographie romancée de Vassili Nesterenko, physicien spécialiste du nucléaire, qui s’est dressé, le poing levé, face au régime soviétique et face à tous ceux qui voulaient minimiser l’ampleur des dégâts, notamment sur la santé. Il a eu le KGB aux fesses, les flics, on a tenté de le tuer pour le faire taire.

Certaines scènes sont dramatiques, comme ces enfants qui ont mangé et bu ce qu’il ne fallait pas, parce que leurs parents n’étaient pas informés (ou mal informés), parce que seuls les habitants de Moscou étaient épargnés par les viandes, légumes, tubercules et autres produits des champs en provenance de la zone contaminée.

Le roman donne lieu aussi à de belles scènes, notamment celle de cette petite communauté vivant à Pripiat, soudée, qui danse, qui chante et où tout le monde prend soin de tout le monde.

Un beau roman, une belle histoire.

Le Mois Espagnol (et Sud-Américain) chez Sharon – Mai 2022 (Fiche N°15).

La supplication – Tchernobyl, chroniques du monde après l’apocalypse : Svetlana Alexievitch

Titre : La supplication – Tchernobyl, chroniques du monde après l’apocalypse

Auteur : Svetlana Alexievitch
Édition : J’ai Lu (05/10/2016)
Édition Originale : Tchernobylskaïa molitva (1996)
Traduction : Galia Ackerman et Pierre Lorrain

Résumé :
« Des bribes de conversations me reviennent en mémoire… Quelqu’un m’exhorte :
— Vous ne devez pas

 oublier que ce n’est plus votre mari, l’homme aimé qui se trouve devant vous, mais un objet radioactif avec un fort coefficient de contamination. Vous n’êtes pas suicidaire. Prenez-vous en main ! »

Tchernobyl. Ce mot évoque dorénavant une catastrophe écologique majeure.

Mais que savons-nous du drame humain, quotidien, qui a suivi l’explosion de la centrale nucléaire ?

Svetlana Alexievitch nous fait entrevoir un monde bouleversant : celui des survivants, à qui elle cède la parole. L’évènement prend alors une toute autre dimension.

Pour la première fois, écoutons les voix suppliciées de Tchernobyl.

Critique :
Le premier témoignage m’a déjà foutu par terre : c’était celui de l’épouse d’un des pompiers envoyés sur la catastrophe au tout début.

On les a appelé pour un incendie, ils sont partis le cœur tranquille, pensant n’avoir affaire qu’à un simple feu qu’ils maîtriseraient facilement. Il n’en était rien, mais ils ne le savaient point.

Partis sans protection, ils revinrent ensuite sous totale contamination.

Quatorze jours, c’est le délai maximum de votre existence après avoir été soumis à des radiations comme ils le furent.

L’épouse d’un est allée à l’hôpital, s’est occupée de son mari, qui avait été transformé en mini centrale nucléaire. La dégradation du corps est horrible. Son amour était immense, peu de femmes seraient restées auprès de leur mari. Hélas, le prix à payer était le plus fort. L’épouse était enceinte de 6 mois… Je n’en dirai pas plus.

Ce roman est composé de multiples témoignages, que ce soit ceux des habitants, des soldats, des liquidateurs, des témoins, des déplacés… Tous ces témoignages sont ceux et celles des suppliciées de Tchernobyl.

Ceci n’est pas une fiction, rien n’est romancé, ce sont des témoignages bruts. Les gens racontent, se souviennent et chaque récit semble plus glaçant que le précédent.

Ces villages vidés de tous leurs habitants, où sont resté uniquement les animaux domestiques. Tout ces gens qui pensaient revenir ensuite et qui sont parti avec le minimum…

Certains sont revenus, en douce, pour cultiver leur jardin, reprendre leurs affaires. Ou voler ce que les militaires enterraient, les objets contaminés… Sans penser qu’ils allaient se contaminer encore plus.

Les dirigeants ont sacrifiés les populations et les liquidateurs envoyés sur le toit pour enlever le graphite, sans protection.

Parfois, on leur en donnait, mais puisque les chefs minimisaient les effets et payaient bien, les hommes y sont allés, le cœur léger, les tire-au-flanc étant très mal vu, chez eux. Ils avaient une autre mentalité, ils servaient la patrie, ils obéissaient et surtout, la vodka coulait à flot, alors, il ne pouvait rien leur arriver de grave !

Avec le recul et les maladies arrivant, bien des soldats ou des liquidateurs, comprendront les risques qu’on leur a fait prendre au mépris de tout danger. Les roubles qu’on leur donnait en plus, les salaires triples, ne valaient pas les conséquences qu’ils ont subis ensuite.

Il fallait ne rien dire, mettre une chape de plomb sur l’incident (un incident, rien de plus) et brosser les merdes sous les tapis. C’est ce qu’ils ont fait et on devrait les en remercier, car ils ont pris des risques énormes pour les autres.

Le problème étant que la radioactivité, ça ne se voit pas, ça n’a pas d’odeur, alors, comment y croire ? Comment arriver à comprendre qu’il ne faut pas manger les fruits de son verger, cultiver sa terre ou boire le lait de sa vache ?

Les différents témoignages sont bouleversants, ils sont bruts de décoffrage, ils expriment la souffrance, l’incompréhension, les départs pour d’autres lieux, la perte de tout, ainsi que l’exclusion par les autres, puisqu’ils venaient de la zone.

Durant ma lecture, l’émotion m’a souvent submergée, me forçant à faire des pauses et à lire autre chose, afin de ne pas sombrer totalement.

Ceci n’est pas un roman, ni une fiction, ce sont des portraits de gens réels, de personnes fracassées, arrachées à leurs terres, à leurs vies. Des gens que l’on a sacrifié, des vies que l’on a considérées comme sans valeur. Des victimes à qui on a jamais donné la parole.

Ce sont aussi des soldats (liquidateurs) qui ont été envoyés en première ligne, sans connaître vraiment les risques et certains, même en les connaissant, on tout donné, afin d’épargner des vies. Des liquidateurs qui ne savaient pas qu’ils étaient déjà morts, à force de respirer et de manger des röntgens.

Dame Ida va encore me traiter de « Glauque-trotter » et elle n’aura pas tort…

Pourtant, je ne regrette pas d’avoir osé lire ce recueil de témoignages afin de savoir, de rendre un hommage silencieux à ces femmes, à ces hommes, ces enfants, morts ou déplacés, ces gens à qui on n’a rien voulu dire. À ces gens dont on ne parle jamais.

Et puis, malgré le fait que j’avais 10 ans lors de la catastrophe, il ne m’en restait aucun souvenir, comme si ma mémoire avait tout oublié. On ne peut pas oublier.

Le Challenge « Le tour du monde en 80 livres chez Bidb » (Biélorussie).

Le Monde sans fin, miracle énergétique et dérive climatique : Jean-Marc Jancovici et Christophe Blain

Titre : Le Monde sans fin, miracle énergétique et dérive climatique

Scénariste : Jean-Marc Jancovici
Dessinateur : Christophe Blain

Édition : Dargaud (29/10/2021)

Résumé :
La rencontre entre un auteur majeur de la bande dessinée et un éminent spécialiste des questions énergétiques et de l’impact sur le climat a abouti à ce projet, comme une évidence, une nécessité de témoigner sur des sujets qui nous concernent tous. Intelligent, limpide, non dénué d’humour, cet ouvrage explique sous forme de chapitres les changements profonds que notre planète vit actuellement et quelles conséquences, déjà observées, ces changements parfois radicaux signifient.

Jean-Marc Jancovici étaye sa vision remarquablement argumentée en plaçant la question de l’énergie et du changement climatique au coeur de sa réflexion tout en évoquant les enjeux économiques (la course à la croissance à tout prix est-elle un leurre ?), écologiques et sociétaux.

Ce témoignage éclairé s’avère précieux, passionnant et invite à la réflexion sur des sujets parfois clivants, notamment celui de la transition énergétique.

Christophe Blain se place dans le rôle du candide, à la façon de son livre « En cuisine avec Alain Passard » et de « Quai d’Orsay » signé avec l’expertise d’un coauteur : un pavé de 190 pages indispensable pour mieux comprendre notre monde, tout simplement !

Critique :
Jamais je n’aurais pensé que j’utilisais autant de ressources différentes lorsque je me brossais bêtement les dents devant le miroir…

L’empreinte carbone est lourde pour fabriquer du sorbitol, du plastique, le verre réfléchissant du miroir, transporter le tout, le raffiner… Stop, n’en jetez plus !

Ce geste tout simple, nécessaire pour l’hygiène dentaire (éviter les caries et l’haleine de chacal) entraine une utilisation phénoménale de machines. Le smartphone, c’est encore pire.

Ce roman graphique est comme une enquête grandeur nature : les armes du crime sont les énergies fossiles et les coupables, les machines, grandes consommatrices de ces énergies. Machines qui sont, bien entendu, sous les ordres de nous, les êtres humains qui en avons grand besoin.

Le graphisme m’a bien plu, j’ai apprécié les pages avec des dessins minimalistes, il n’y avait pas besoin de plus, le poids des mots suffisait à expliquer dans quelle merde nous nous trouvons et que ça ne va pas s’arranger avec le temps, que du contraire…

Il y a énormément à lire, c’est limite indigeste, tant il y a des informations dans cette bédé, c’est pour cela que j’ai fractionné ma lecture, afin d’éviter la surchauffe de mon pauvre cerveau (on est sur un album de 193 pages !).

Attention, ce n’est pas une critique, cette abondance de textes, de dialogues, de chiffres, d’informations… Que du contraire, c’est bénéfique, on comprend mieux les problèmes, on remarque qu’ils sont plus complexes que d’accuser les proutes des vaches de tous les maux (en fait, ce sont leurs rots). Nous sommes tous coupables, certains plus que d’autres.

C’est très bien expliqué, mais effectivement, si j’arrive à retenir ne fut-ce que le quart de la moitié du dixième et à le ressortir pour briller en société, je pourrai m’estimer heureuse.

Je pourrai toujours leur dire que l’on pense s’enrichir avec la croissance alors qu’on s’appauvrit. Le PIB n’est pas l’indicateur unique, ce n’est pas lui qui nous rend heureux, la croissance non plus. Ainsi que les énergies dites renouvelables (non carbonées, donc), sont incapables de remplacer les énergies fossiles…

Les conséquences d’un réchauffement climatique sont bien expliquées, sans que l’on se luxe le cerveau en tentant de le comprendre. Les dessins aident aussi, ils sont ludiques et bien pensés.

Le nucléaire sera expliqué, ses avantages comparés à des énergies non carbonées comme les éoliennes et les panneaux solaires, leur place prise dans l’environnement (tout à l’éolien est impossible, il en faudrait partout), mais aussi l’accident de Tchernobyl…

Bref, c’est hyper intéressant, super instructif et je suis allée me coucher avec le cerveau plus lourd, moins bête, mais ne me demandez pas de vous faire une conférence sur le sujet, j’en serais incapable (à moins de pouvoir lire le livre à voix haute).

Dans cette bédé, on ne vous dira pas d’arrêter de manger de la viande, non, juste en manger moins, de revaloriser le travail des agriculteurs, de revenir à des circuits plus courts, à des produits moins transformés…

Pas d’agribashing, pas de chapeau non plus à faire porter à ceux qui ont été là avant nous, la responsabilité est sur chacun, nous sommes, nous aussi, des consommateurs qui consommons trop. Il faudrait acheter moins, se servir plus longtemps des objets, faire en sorte qu’ils puissent être réparés,…

On nous explique aussi que ce n’est pas si facile que ça de changer tout, qu’il faut le vouloir et le faire intelligemment, alors que nous nous concentrons souvent sur des choses qui n’en valent pas la peine ou qui ne résoudront pas le Schmilblick.

Impossible de parler de tout dans cette pauvre chronique qui aura un bilan carbone lourd (mince alors), mais une chose est sûre : c’était très instructif !

Une enquête énorme où les coupables sont nombreux et les victimes aussi… C’est pas demain la veille qu’un Columbo viendra arrêter tout ce petit monde.

Comme disait l’autre « Nous étions face à un précipice, aujourd’hui, nous avons fait un grand pas en avant »… Et on va valser la gueule dedans…

Challenge Thrillers et Polars de Sharon (du 12 Juillet 2021 au 11 Juillet 2022) [Lecture N°129] et Le Mois du polar chez Sharon – Février 2022 [Lecture N°11].

American predator : Maureen Callahan

Titre : American predator

Auteur : Maureen Callahan
Édition : Sonatine (04/11/2022)
Édition Originale : American Predator: The Hunt for the Most Meticulous Serial Killer of the 21st Century (2019)
Traduction : Corinne Daniellot

Résumé :
C’est l’un des tueurs en série les plus terrifiants des États-Unis. Il a réellement existé, et pourtant, vous ignorez son nom… Pour l’instant.

Anchorage, sur les rivages glacés de l’Alaska. Dans la nuit du 2 février 2012, la jeune Samantha Koenig termine son service dans un petit kiosque à café, battu par la neige et le vent.

Le lendemain, elle n’est toujours pas rentrée chez elle. Une caméra de vidéosurveillance apporte vite la réponse : on y voit clairement un inconnu emmener l’adolescente sous la menace.

Commence alors une véritable chasse à l’homme, qui permet au FBI de mettre la main sur un suspect potentiel, Israel Keyes. Un homme qui semble pourtant au-delà de tout soupçon, un honnête travailleur, vivant seul avec sa fille.

À travers une enquête digne des meilleurs thrillers, Maureen Callahan retrace le parcours meurtrier d’un prédateur au modus operandi glaçant qui a sévi durant des années sur l’ensemble du territoire américain, sans jamais être inquiété.

Véritable voyage au cœur du mal, American Predator décrypte les rouages angoissants d’un esprit malade et ceux, grippés, d’une machine policière empêtrée dans ses luttes internes. Un périple sauvage, aux confins de la folie.

Critique :
Un tueur silencieux, invisible, inconnu, jamais soupçonné, qui frappe au hasard, sans jamais avoir de profil type pour ses victimes…

Non, il ne se prénomme pas Monoxyde de Carbonne, mais tout comme lui, il vous frappe soudainement. La différence est que vous allez souffrir avant de mourir…

Ma frangine a eu une excellent idée de m’offrir, pour ma Noël, le American Predator.

Bonne idée, excellente, même, car je pensais connaître la plupart des serial killer américain. Loupé, il y en avait un qu’on ne connaissait pas.

Ceci n’est pas un roman policier, une fiction, mais une histoire vraie, à ne pas mettre dans les mains des gens les plus sensibles, même si une grande partie du gore nous sera épargnée, le tueur préférant ne pas tout dire. L’imagination fait son boulot et c’est encore pire.

Maureen Callahan, l’autrice, a minutieusement recoupé ses sources, fait un travail journalistique fou, titanesque, écoutant des enregistrements, lisant des retranscriptions, avant de nous livrer la quintessence de son travail dans ce roman glaçant.

Nous ne sommes pas au temps reculé des présidents Lincoln ou Washington, mais dans cette Amérique de 1980, il est possible de ne pas déclarer ses enfants à l’état civil, de ne pas les envoyer à l’école, ni chez le médecin, de déménager souvent, tout en passant sous tous les radars. Big Brother faisait dodo ?

En tout cas, les enfants n’ont pas conscience qu’ils loupent tous les plaisirs enfantins, vivant en quasi autarcie, sans aucun regard sur le Monde, comme s’ils vivaient dans une grotte. Comme des Amish, des Mormons et autres congrégations religieuses strictes auxquelles ils adhéreront au fil des ans.

Israel est un tueur méticuleux, il sait comment échapper aux radars, circuler sans laisser de traces numériques, planquer des kit de meurtres, se débarrasser des cops et on en vient à se demander comment, dans une Amérique post 11 septembre 2001, un homme qui vit chichement peut se payer des billets d’avion et circuler avec des armes démontées dans ses bagages.

La psychologie d’Israel est complexe, il n’a aucun remords, joue avec les agents du FBI, avec le procureur, qui ne s’en rend même pas compte. Encore une aberration avec ce procureur qui mène les interrogatoires, alors qu’il est bien expliqué dans le livre que ce n’est pas permis, que cela pourrait faire tomber le procès, même avec un avocat débile sortant de l’école.

Face à un prédateur à l’état pur, on se liquéfie, en tant que lecteur. Les agents, eux, doivent rester zen, ne rien montrer et tenter de faire copain avec lui, afin de lui tirer les vers hors du nez, sinon, ils devront le relâcher.

Israel est un bon travailleur, un bon père, il fut un bon soldat. Bref, rien ne laissait présager qu’il était un terrible prédateur à l’affut de multiples victimes. Un véritable Janus à deux visages, à multiples personnalités.

Le plus troublant, le plus glaçant, c’est qu’on ne saura jamais le nombre de victimes de Keyes. Le secret sera gardé par lui et il sera impossible d’être sur à cent pour cent qu’une personne disparue a croisé sa route un jour.

L’homme est imbu de sa personne, joue avec les flics, le FBI, a des demandes précises, se comporte tel un enfant exigeant, mais derrière cette façade, c’est un psychopathe qui joue avec les autres, comme un chat avec une souris, laissant croire qu’il va lâcher du lest.

Vous ne connaîtrez pas le point de vue des familles des victimes, le roman documentaire se contentant de rester du côté des enquêteurs et du tueur (on ne saura pas ce qu’il se passe dans sa tête, hélas).

Cela rend le récit encore plus glaçant, plus impersonnel, sans chaleur aucune et avec peu de dialogues. Pas d’inquiétude, cela marche super bien avec ce genre de récit. Je l’ai dévoré en deux jours, sans problèmes.

Comme quoi, il est possible de garder ses distances avec les personnages, même ceux des enquêteurs, et de vibrer quand même.

À réserver tout de même aux passionnés de criminalité, aux férus de serial-killer, aux amateurs de psychologie criminelle ou à tous ceux et celles qui voudraient en savoir plus sur ce tueur en série qui fut bien moins médiatisé que les autres et était inconnu.

Un excellent roman réaliste, une brillante enquête réalisée par l’autrice sur Keyes et moi, je remercie ma frangine pour ce cadeau parfait !

“Tous les psychopathes ne sont pas des tueurs en série, mais tous les tueurs en série sont des psychopathes […]”

“L’ensemble de la psychologie criminelle et judiciaire demeure hanté par une question fondamentale : est-ce qu’on naît psychopathe ou est-ce qu’on le devient ?”

Si un tueur comme Israel Keyes existe, cela signifie que quelqu’un de plus diabolique encore suivra.

Challenge Thrillers et Polars de Sharon (du 12 Juillet 2021 au 11 Juillet 2022) [Lecture N°115].

Jours de sable : Aimée De Jongh

Titre : Jours de sable

Scénariste : Aimée De Jongh
Dessinateur : Aimée De Jongh
Traduction : Jérôme Wicky

Édition : Dargaud (21/05/2021)

Résumé :
Washington, 1937. John Clark, journaliste photoreporter de 22 ans, est engagé par la Farm Security Administration, l’organisme gouvernemental chargé d’aider les fermiers victimes de la Grande Dépression.

Sa mission : témoigner de la situation dramatique des agriculteurs du Dust Bowl. Située à cheval sur l’Oklahoma, le Kansas et le Texas, cette région est frappée par la sécheresse et les tempêtes de sable plongent les habitants dans la misère.

En Oklahoma, John tente de se faire accepter par la population. Au cours de son séjour, qui prend la forme d’un voyage initiatique, il devient ami avec une jeune femme, Betty. Grâce à elle, il prend conscience du drame humain provoqué par la crise économique. Mais il remet en question son rôle social et son travail de photographe…

Critique :
1937, États-Unis… Le krash boursier de 1929 a eu lieu et une partie de l’Amérique se prend de plein fouet le Dust Bowl.

Pour les ignares du fond de la classe, le Dust Bowl n’est pas la finale du championnat organisé par la ligue américaine de football américain, mais une série de tempêtes de poussière qui s’est abattue sur les plaines des États-Unis !

L’Oklahoma, le Kansas et le Texas, furent touchés, dans les années 30, par la sécheresse et une série de tempêtes de poussière provoquant une catastrophe écologique et agricole.

Si jamais, relisez (ou lisez) « Les raisins de la colère » de Steinbeek…

La première chose que l’on admire, dans ce roman graphique, ce sont les dessins de l’autrice : de belles grandes planches montrant des décors new-yorkais et ensuite de la région de l’Oklahoma (dans le manche de cet état qui ressemble à une poêle à frire).

Si N-Y grouille de vie et misère, dans l’Oklahoma, ça grouille de misère et la vie se cache tant il est difficile de respirer ou de vivre dans cette région touchée de plein fouet par ces nuages de poussières.

Les couleurs sont dans des tons pastels et même sans paroles, ces grandes planches parlent plus qu’un discours. Sans avoir le choc des photos, on a le choc des dessins et pas besoin du poids des mots, les images parlent d’elles-mêmes.

Des grands dessins sur des pleines pages ou sur des doubles pages : l’envie est grande de les enlever de la bédé et de les accrocher au mur, tant ils sont magnifiques.

De plus, le scénario ne manque pas de profondeur avec les réflexions des habitants de l’Oklahoma sur les photos que prend John Clark : c’est de la mise en scène !

Lui-même se posera la question sur son travail de photographe : est-ce qu’il rend justice aux habitants soumis au Dust Bowl ? La mise en scène est nécessaire pour faire une belle photo, certes, mais donne-t-elle vraiment la dimension de leur souffrance, de ce qu’ils endurent depuis des années ?

Moi qui me plaignais ces derniers temps de ne pas ressentir des émotions dans certains romans lus, ici, j’en ai pris plein ma tronche, des émotions !

Pas de pathos, pas de larmoyant, l’autrice n’est pas là pour faire pleurer dans les chaumières, et pourtant, elle est arrivé, de pas ses dessins, ses personnages, les actions de John Clark, par les dialogues, à me donner des frissons et à faire monter l’eau aux yeux, afin d’en ôter la poussière.

Une magnifique bédé qui va s’en aller rejoindre le clan des bédés d’exceptions dans ma biblio.