Titre : Les Enquêtes de Cormoran Strike – 05 – Sang Trouble
Auteur : Robert Galbraith
Édition : Grasset (16/02/2022)
Édition Originale : Cormoran Strike, book 5: Troubled Blood (2020)
Traduction : Philippe Résimont
Résumé :
Cormoran Strike est en visite dans sa famille en Cornouailles quand une inconnue l’approche pour lui demander de l’aide. Elle aimerait retrouver sa mère, Margot Bamborough, disparue dans des circonstances jamais éclaircies en 1974.
Strike n’a encore jamais travaillé sur une affaire classée, et en l’occurrence, 40 ans se sont écoulés depuis les faits. Intrigué, il accepte, malgré le peu de chances de résoudre l’affaire et la longue liste des cas sur lesquels lui et son associée Robin Ellacott travaillent déjà. Cette dernière est embourbée dans un divorce déjà compliqué, ses sentiments pour Strike n’arrangeant rien.
Petit à petit, l’enquête apparaît comme extraordinairement complexe. Sur leur chemin, Robin et Strike rencontrent des témoins peu fiables, s’interrogent sur des jeux de tarots, tout en poursuivant des pistes qui semblent mener vers un serial killer psychopathe. Ils apprendront bientôt, à leurs dépens, que même des affaires classées peuvent se révéler dangereuses…
Ce cinquième volume de la série des Cormoran Strike, épique et labyrinthique à souhait, nous offre une lecture haletante. Incontestablement le meilleur roman de Robert Galbraith à ce jour.
L’avis de Dame Ida :
Comme vous le savez si vous avez suivi mes fiches sur cette série, le Robert Galbraith qui a signé cet opus n’est autre qu’un alias de JK Rolling, la célébrissime auteure de la saga Harry Potter.
Elle avait en effet préféré au départ se lancer dans le genre policier, discrètement, afin que les lecteurs puissent aborder cette nouvelle série sans la comparer à ses productions antérieures et pour toucher un autre public, qui n’aurait peut être pas tenté l’essai, si le premier roman était sorti sous son nom.
Ayant démontré toute sa crédibilité dans le polar dès la première enquête de Strike, elle n’a pas forcément veillé à ce que le secret demeure et l’information a fini par fuiter.
J’ai beaucoup aimé ce roman comme j’ai beaucoup aimé les précédents.
C’est que je me suis attachée au gros nounours hirsute bougon et mal-léché qu’est Cormoran Strike. Et Robin, son associée, est l’exemple même de la jeune-femme résiliente et sacrément intelligente, pleine de ressources. Suivre leur évolution au fil des tomes de la série est un vrai plaisir que l’on prolongera avec délice grâce à ce nouveau volume.
Lorsque je les avais découverts dans la première enquête, j’ai eu un peu peur en constatant que Rolling, qui aime jouer avec les codes des genres littéraires, avait planté le décor assez stéréotypé du polar…
Avec un privé tirant le diable par la queue pour ne pas sombrer dans les abysses de la ruine et une nouvelle secrétaire terriblement sexy qui va se révéler être un soutien indéfectible, sans parler de l’attraction sexuelle impossible qu’ils exercent l’un sur l’autre sans qu’ils ne puissent la consommer.
Bref rien que du vieil archétype éculé que Rolling a su dépoussiérer, recycler et moderniser pour nous offrir du polar de bonne facture. Et chaque nouveau volume depuis, vient nous prouver qu’elle poursuit sur cette lancée. Celui-ci suit parfaitement l’habitude et justifie les quelques années d’attente depuis le précédent.
En outre, si je trouve toujours un peu hasardeux de comparer les auteurs de romans policiers entre eux, car ils ont tous un style qui leur est propre et situent leurs romans dans une époque qui leur est propre également, la complexité des intrigues et le développement de la psychologie des personnages que Rolling nous propose n’est pas sans me faire penser au génie d’Agatha Christie. Fausses pistes, indices décisifs distillés l’air de rien… Et parfois même de d’action comme on en voit évidemment jamais avec Poirot et Marple.
Toutefois, je mettrai un petit bémol : ce roman a les défauts de ses qualités… Mais sur ce point il faut bien reconnaître que le facteur subjectif est important. Comme dirait l’autre : la beauté est dans l’œil de celui qui regarde.
Je m’explique : Ce roman est très long. Un peu moins de mille pages. C’est un format inédit pour les enquêtes de Strike, même si on avait déjà remarqué avec Harry Potter, que chaque nouveau volume était plus gonflé que le précédent…
956 pages, pour un polar c’est énorme car un bon polar doit avoir un rythme régulier et équilibré sur la durée, alternant entre légers ralentissements et accélérations, introduisant quelques passages introspectifs ou développements sur l’évolution psychologique de personnages que nous suivons déjà depuis un moment.
C’est le cas en l’occurrence, mais sur mille pages cela peut paraître un brin fatigant même quand c’est très bien mené. En effet, la qualité de l’écriture et de la construction du roman ne sont pas en cause… C’est simplement qu’un tel format peut être difficile à suivre pour une lectrice lambda dont le temps de cerveau disponible pour la lecture s’avère très moyen (mea culpa, mea maxima culpa… même si je ne suis pas seule dans ce cas!).
Robin et Cormoran reprennent ici un « cold case » vieux de 40 ans qui a fait l’objet d’une enquête préalable et que la dite enquête à retenu une multitude de pistes que nos héros se sentirons obligés de reprendre une à une. Et autant de pistes cela signifie aussi beaucoup de personnages… De fait, on sent que l’enquête va être très longue puisque toutes les impasses devront être vérifiées une à une, mobilisant des espoirs et des déceptions… et l’écoute attentive et critique de bien des témoignages qu’il faudra recouper.
A cela s’ajoutent d’autres enquêtes parallèles. Car le cabinet de Cormoran et de Robin, renforcé par trois autres détectives et une secrétaire (Robin a fait du chemin depuis la première enquête : elle est passée enquêtrice associée) doit bien tourner et payer toutes ses charges. Même si ces enquêtes subsidiaires ne prennent évidemment pas la place de l’enquête principale, c’est encore des informations en plus que le cerveau doit traiter.
Et puis Robin et Cormoran on des vies privées évidemment compliquées, sinon ça ne serait pas drôle. Entre le divorce compliqué de Robin… Entre le père de Cormoran qui se rappelle à son bon souvenir via ses autres enfants… Entre la tante très malade de Cormoran… Et le fantôme de son ex qui ondule de la toiture et essaie de lui rappeler qu’elle existe…
Sans parler des bonnes âmes qui voudraient les caser l’un avec l’autre les obligeant à s’en défendre alors qu’ils finiraient par s’envoyer enfin en l’air si on les lâchait un peu… Voilà encore un lot copieux d’intrigues subsidiaires à suivre en plus des fils des enquêtes.
Tout cela pour dire que malgré le maintient d’un rythme parfait et d’un bon équilibre narratif, le lecteur ou la lectrice ne pourra jamais relâcher son attention s’il veut bien comprendre ce qu’il ou elle lit.
La moindre inattention ne pardonne pas. Entre les passages d’une enquête à l’autre, d’une piste à l’autre, d’un des nombreux personnages à l’autre j’étais bien contente d’être en congés et d’être en mode repos pour me concentrer sur ce livre sans faire de pause de quelques jours (comme ça peut m’arriver souvent) entre deux sessions de lecture. Et même ainsi j’avoue que mon cerveau ramolli de vieillie quinqua a parfois eu du mal à remettre certains noms à leur place.
On peut se dire… Oui… un gros pavé comme ça, on prend son temps pour le déguster et le digérer… Mais il faut quand même avoir un estomac, ou ici plutôt un cerveau, dans des dispositions optimales pour se régaler pleinement. Et malgré ma relative disponibilité au moment de ma lecture, la bonne construction du roman, l’intrigue diabolique, la critique douce amère du matérialisme de la bourgeoisie britannique, la distillation des éléments capitaux toujours au bon moment et son style toujours aussi agréable avec parfois une touche de comique très british sans avoir l’air d’y toucher (la scène du repas chez Robin est désopilante malgré son côté dramatique!), j’avoue avoir eu par moment du mal à suivre.
Bref c’est un très bon roman qui se mérite car il très dense, au point de noyer votre mémoire d’une avalanche d’informations à engranger et à trier. Une sorte d’Himalaya qui exige du lecteur des efforts constants et régulier pour arriver au sommet. Et comme pour une telle ascension, ça réclame non seulement d’être en forme, mais d’avoir un certain entraînement.
Spoilers et polémiques (il s’agit d’un spoiler partiel rapporté comme énoncé par ceux qui l’ont dévoilé… mais qui en plus n’est pas exact ! Car le personnage désigné coupable n’est que suspect pour notre enquête…) :
Ce roman sort dans un contexte troublé. Des médias LGBT qui entendent dire aux gens de leur communauté ce qu’ils convient de penser ou de lire, appellent au boycott du livre au motif que le meurtrier serait une personne transgenre et que JK Rolling y exprimerait sa transphobie.
Il serait bon de lire les livres avant de dire des conneries sur leur contenu en prétendant les spoiler qui plus est. Mensonge volontaire ou simple publication de « on dit que » interprétatifs non vérifiés par des prétendus journalistes qui ne vérifient pas les informations qu’ils écrivent ? Je n’en sais rien.
Mais en revanche j’en suis certaine : on ne peut certainement pas réduire la transidentité supposée d’un tueur psychopathe au fait d’enfiler parfois une perruque et de mettre du rouge à lèvres pour approcher plus facilement ses victimes rassurées par une femme ! Le dit suspect n’exprimera en effet à aucun moment la moindre revendication transidentitaire. Et même si d’autres personnages s’interrogent sur son éventuelle homosexualité, cette interrogation est aussi l’occasion pour l’auteure de se moquer gentiment des représentations stéréotypées.
D’autant que le fait que le suspect ait choisi des femmes comme victimes pour ses scénarios pervers pose cliniquement que son objet sexuel électif est bel et bien hétérosexuel. On fait franchement mieux comme transgenre et comme gay ! C’est « juste » un sociopathe hétéro qui a développé des stratégies pour endormir ses proies !
En outre, ceux qui sur-interprètent mensongèrement le livre sur le registre de la transphobie passent sous silence la présence dans ce roman d’un couple homosexuel marié, présenté d’une manière totalement banale et anodine, au point d’en faire un non-évènement qui ne mérite même pas la moindre justification.
Et on rencontrera également un autre personnage gay, sympathique, qui pourrait même être présent dans le prochain opus. On fait également franchement mieux quand on veut donner dans la LGBT phobie !
Elle n’est ici qu’inventée afin de justifier un boycott scandaleux contre une auteure appartenant à un courant féministe portant un regard critique sur l’image de la féminité véhiculée par les femmes transgenres sur la base des stéréotypes issus du regard et du désir masculin.
Que ce questionnement plaise ou déplaise à la communauté LGBTQA+ qui veille à maintenir l’union politique entre ses diverses composantes sur le dos d’une auteure est une chose…
Mais justifie-t-il d’être réduit au silence au nom du triomphe attendu d’une pensée unique ?

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