L’île aux Trente Cercueil – Maurice Leblanc vs TF1 [Par Dame Ida, critique d’adaptations télé qui des fois sait aussi lire des livres]

Présentation de la série de TF1sur Allociné

Série de 2022 d’Elsa Marpeau et Florent Meyer avec Virginie Ledoyen et Charles Berling.

Christine vit une vie tranquille avec son mari, Raphaël jusqu’au jour où elle reçoit une mystérieuse vidéo sur son portable. On y voit des images de son accouchement à Sarek, l’île où elle a grandi. Christine découvre avec horreur que son enfant annoncé mort-né a été assassiné. Elle est désormais hantée par ces questions : qui a tué son fils, et pourquoi ?

Présentation Babelio de l’Île aux Trente Cercueils, roman de Maurice Leblanc

L’Île aux trente cercueils (1919) mêle intrigue policière, fantastique et horreur. Venue retrouver son fils après quatorze ans d’absence, Véronique d’Hergemont prend la mer jusqu’à l’île bretonne de Sarek, défendue par trente récifs redoutés des marins.

La jeune femme va apprendre à ses dépends que la malédiction attachée à cette terre n’est pas une légende. Quant à Lupin, il lui faudra arracher Véronique aux griffes de l’infâme comte Vorski. Mais saura-t-il empêcher que sa raison ne vacille ?

L’Avis de Dame Ida :
TF1 nous a gratifiés récemment d’un feuilleton à l’ancienne, qui sur six épisodes nous propulse dans un sombre drame à suspens, au cours desquels les gens meurent les uns après les autres sur une île isolée, suite au retour d’une des enfants du pays, devenue médecin, qui a de vieux compte à régler avec son propre passé torturé. Hou là là que c’est glauque !!!

Je ne spoilerai pas davantage ce feuilleton, qui malgré son titre n’a que peu de chose à voir avec l’œuvre originale de Maurice Leblanc dont il prétend être tiré.

Une première adaptation télévisuelle avait été présentée il y a quelques décennies, mais je ne saurais pas vous dire ce qu’elle vaut.

Alors oui, ce feuilleton récent se passe sur l’île imaginaire de Sarek, évoquée dans le roman original…

Alors oui, ce feuilleton reprend quelques vagues éléments du roman original…

Mais il mélange ces quelques éléments dans un shaker que le scénariste a bien secoué pour, au final, présenter une intrigue qui n’a que de très lointains rapports avec l’œuvre de Maurice Leblanc… Et de moins en moins à mesure qu’on lit le livre.

Et oui… L’île au trente cercueils c’est d’abord et avant tout une aventure d’Arsène Lupin mais il ne sera même jamais question de son ombre dans cette adaptation de TF1. Exit Arsène Lupin ! Omar Sy n’allait pas débouler sur TF1 ! Il a signé avec Netflix ! Il n’était pas disponible!

A la décharge de TF1, le roman original est assez daté et une adaptation fidèle du roman paraîtrait parfaitement ridicule aux spectateurs de notre époque.

Cela dit, un peu naïve, j’espérai trouver mieux dans le roman de Leblanc que dans ces six longs épisodes pas forcément très bien joués, pas toujours très crédibles (un médecin qui fait le bouche-à-bouche sur un sujet dont les lèvres restent closes, sans lui relever le menton ni tirer la tête vers l’arrière, ni faire de massage cardiaque… sujet dont elle ne sait même pas depuis combien d’heures il ne respire plus… et qui ressuscite ! quelle blague !), souvent cousu de fil blanc (allez savoir pourquoi dès le premier épisode je savais qui était le méchant même si je ne savais pas pourquoi ni comment !), au développement logique parfois brouillon, et faisant passer les bretons pour des caricatures d’arriérés (ça mériterait une pétition pour protester contre le dénigrement culturel d’une minorité régionale) et les curés pour des inquisiteurs psychotiques refoulés doublés d’hypocrites (mais que font les intégristes ! Ils ont déjà foutu le feu à un cinéma pour moins que ça ?).

Le problème avec ces feuilletons c’est qu’une fois qu’on est pris dans l’intrigue on veut connaître la fin… et on regarde jusqu’au bout même si on s’y ennuie assez souvent et si on trouve les acteurs et les scénaristes aussi mauvais les uns que les autres (bon, Ledoyen n’était pas si mauvaise mais difficile de s’en sortir avec un scénario, une mise en scène et des partenaires souvent médiocres). Il faut que tout le monde gagne sa vie, certes… Mais faut-il que ce soit au détriment de nos cerveaux disponibles?

Or donc, Leblanc a-t-il mieux fait que TF1 ?

Ben… Comment dire… Je suis un peu embarrassée.

Après tout faut-il comparer ce qui n’est pas comparable ? Il ne faudrait pas que nous oubliions que Leblanc était un écrivain populaire du début du XXe siècle, visant un lectorat aussi large que possible, et pas les amateurs de littératures plus académiques développant des grandes idées philosophiques par le biais de proses élaborées.

Ayant déjà lu quelques aventures de Lupin, j’ai malgré tout été très surprise. Pas en bien hélas !

Peut être parce que Lupin est absent pendant toute la première partie et qu’il s’y déploie une histoire assez typique du roman (trèèèès) populaire de l’époque, où le lecteur se trouve brutalement projeté dans une intrigue déjà commencée depuis longtemps et qu’il prend en marche.

Et puis quelle idée a eu Leblanc de vouloir mélanger tous les styles ? On a une pointe de fantastique… Du grand-guignol sanglant… Du comique… Du drame… Des bons sentiments… Du suspens… Du romantisme… et… Avec l’arrivée de Lupin, nous passerons par toute une palette d’émotions diverses allant de la comédie goguenarde au cynisme glaçant, en passant par les tirades pontifiantes de l’explication finale qui surgit ex nihilo.

Que de confusion. Ne dit-on pas que l’élégante ne doit pas porter plus de trois couleurs sur elle au risque de passer pour un perroquet bariolé si elle ose davantage ? Ne devrait-on pas fixer une limite aux genres que l’on entend mélanger dans un roman ?

Ce n’est pas tant que l’intrigue soit difficile à suivre, mais le fait d’avoir l’impression de la prendre en cours de route alors qu’elle est assez déjà rocambolesque, n’aide pas le lecteur à adhérer très vite à l’histoire qui prend une coloration artificielle et peu crédible.

La première trentaine de pages m’a presque inquiétée.

On cueille l’héroïne de l’histoire alors qu’elle reprend à son point de départ les drames de son existence. Elle les a laissés derrière elle pendant quelques années, mais on vous les résume rapidement pour ne pas dire brutalement vu son vécu chargé.

La voilà en train de suivre un jeu de piste à la limite du risible ou de l’infantile avant de tomber, « par hasard », sur un personnage, qui, évidemment, va lui faire des révélations ahurissantes, dès la vingt-cinquième page d’un livre qui n’en comporte que deux-cent-quarante-cinq (version liseuse, l’œuvre libre de droit est accessible gratuitement sur divers sites de téléchargements légaux – comme tous les Lupin !).

Et sur quoi elles portent, les révélations ahurissantes ? Et bien comme par hasard, sur les mystères qui ruinent la vie de cette héroïne depuis de longues années de souffrances, de galères, et de tristesse, résumées en vingt-cinq pages… Au moins dans la série de TF1 cela ne se dévoilait que bribe par bribe, jusqu’à la fin. Là tout est dit d’un bloc, dès le départ.

Le moins qu’on puisse dire c’est que c’est de l’écriture efficace ! On ne va pas s’ennuyer à vous raconter la vie des gens en écrivant des pavés ! Un mariage rocambolesque, un veuvage à rebondissement, et le deuil d’un enfant, une entrée dans les ordres et une reconstruction de vie clandestine « genre programme de protection des témoins »…

Pourquoi cela prendrait-il plus de vingt-cinq pages ??? Moi qui chialait ma mère parce qu’au quart d’un Cornwell, il ne s’était rien passé ! Au moins avec Leblanc on en a pour son argent ! Faut que ça pulse ! Faut pas s’endormir !

Mais qu’allait donc me réserver les 220 pages suivantes ? Une saga sur plusieurs générations ? Un résumé de la Bible ?

Non… Après ce démarrage déconcertant, on se retrouve projetés avec l’héroïne dans une intrigue haletante, pleine d’action et de rebondissements qui éviterons, certes, de s’ennuyer.

Cependant, le style de Leblanc se trouve ici très formaté par les goûts populaires du début du XXe siècle, qui peut paraître de ce fait quelque peu gnangnan, naïf, sensationnaliste, peu crédible et cousu de fil blanc aux lectrices exigeantes que nous sommes.

Je ne peux pas non plus passer sur le sentiment anti-allemand, évidemment incontournable à l’époque  (le livre est publié au sortir de la première guerre mondiale, mais son action se déroule en 1917) dans la bouche d’un bon héros français, qui imprègne certaines saillies de Lupin. Historiquement explicables, certes, elles n’en sont pas moins pénible pour la lectrice europhile d’aujourd’hui.

L’arrivée de Lupin en deuxième partie de roman, venant à la rescousse des personnages en périls mis en scène en première partie est tellement soudaine qu’il semble sortir comme un diable de sa boîte (et c’est presque ça, mais être plus explicite serait spoiler), voire comme un super héros omniscient qui a tout compris sans qu’on sache vraiment comment…

De fait, ça tombe un peu à plat puisque les procédés par lesquels il arrive à tout résoudre et qu’il révèle à la toute fin sont peu crédibles. Et que ce que nous on aime… Ce n’est pas tant le happy end que de COMPRENDRE une histoire qui ne soit pas à dormir debout.

Or plusieurs axes d’explications servis par Lupin ne tiennent pas debout pour les lecteurs de notre époque, car ils se révèlent totalement faux. C’est compliqué d’admettre une explication finale qui ne repose que sur des données erronées présentées comme vraies.

En effet, Lupin se met à avoir des prétentions d’historien et le voilà qu’il prête une liaison féminine à Louis II de Bavière, homosexuel notoire !

Dire qu’il serait mort à cause de cette liaison, alors qu’il aurait été probablement suicidé parce qu’il refusait d’abdiquer, ce qu’on attendait de lui, en raison de la pathologie mentale qui frappait toute sa famille et le conduisait à piller les caisses de l’état pour ses projets architecturaux délirants (hé ! J’ai vu le Secret d’Histoire de Stéphane Bern lui a consacré, moi !!!), ça passe assez mal aujourd’hui.

Mais certes, à sa décharge, je doute qu’en 1919, date de rédaction du livre, les véritables raisons de la mort de Louis II, ainsi que son homosexualité n’aient été rendues publiques… Mais Lupin n’est-il pas censé être mieux renseigné que tout le monde ??? En tout cas, c’est ce qu’il prétend.

Je passe sur ses ultimes révélations sur la physique et la radioactivité qui certes… fascinaient le public du début du XXe siècle qui trouvait toutes les vertus au radium… et qui a déchanté quelques années plus tard, découvrant qu’il provoquait dégénérescence et cancers.

Là encore, Leblanc, dans sa rédaction, est victime de l’ignorance de son époque, et nous sert un Lupin pontifiant qui assène son prétendu savoir devenu caduc pour le lecteur averti du XXIe siècle. Ce n’est qu’un détail qui ne prend que quelques pages dans le roman, mais il touche de près un élément important et… je trouve ça quelque peu gênant.

En outre le Gentleman cambrioleur qui se vante de n’avoir pas de sang sur les mains n’est plus si gentleman que ça quand l’ennemi est un « Boche »… Et on ne peut pas dire qu’il soit, ici, sous son jour le plus sympathique, même si l’ennemi est vraiment très méchant-vilain-diabolique.

Et puis, ça et là, quelques relents post coloniaux me déplairont. Il sera question de ressortissants d’anciennes (pas à l’époque) colonies désignés par leur nationalité, de manière générique et anonyme… Ce seront les seuls à ne pas avoir droit à un nom.

Cela ne choquait personne à l’époque, mais sans être particulièrement adepte du wokisme, cela me paraîtra regrettable et symptomatique d’une époque heureusement révolue.

Bref, ce n’est pas le Lupin le plus sympathique que j’ai lu, ni celui que je préfèrerai.

Le final a donc eu du mal à me convaincre. Mais… quand on loupe le final et que le départ est lui même hasardeux, là… ça fait un peu beaucoup.

En conclusion : Je n’irai pas jusqu’à dire que je me suis ennuyée autant avec Leblanc qu’avec TF1, mais ni le roman original, ni sa trèèèèèèès libre et trèèèèèès lointaine adaptation télévisée ne m’auront réellement passionnée.

Le téléfilm m’a paru assez cheap, et ce roman daté est plus à aborder pour sa dimension historique d’antiquité littéraire représentatif du style d’une époque tombé en désuétude que l’intervention trop tardive d’un Lupin pas forcément à son avantage, ne parvient pas à sauver.

Anybref, deux points partout, la balle au centre. Perdants exaequo !