Le dernier étage du monde : Bruno Markov

Titre : Le dernier étage du monde

Auteur : Bruno Markov
Édition : Anne Carrière (25/08/2023)

Résumé :
L’art de la guerre consiste à soumettre son adversaire sans le combattre. C’est ainsi que le père de Victor Laplace s’est fait détruire. C’est ainsi que le jeune Victor espère venger sa mémoire, en s’infiltrant au cœur même du système qui l’a brisé.

Sa stratégie est claire : se faire embaucher dans le prestigieux cabinet de conseil que dirige son ennemi, l’approcher pas à pas, l’écouter patiemment dévoiler la recette de ses triomphes, l’accompagner dans son ascension en attendant l’ouverture, la brèche où il pourra s’engouffrer.

Une partie d’échecs pour laquelle l’apprenti possède une arme décisive : sa maîtrise des algorithmes et de l’intelligence artificielle.

Car à l’heure où le succès ne répond plus au mérite ou à l’intelligence, mais à d’autres règles sociales qu’on peut traduire en équations, celui qui sait les déchiffrer peut à tout moment renverser le jeu en sa faveur.

Mais à quoi devra renoncer Victor Laplace pour parvenir au dernier étage du monde ?

Dans une variation sur le thème des Illusions perdues, teintée d’un esthétisme à la Tom Wolfe, Bruno Markov réinvente le mythe de la réussite individuelle à l’heure des nouvelles technologies.

Critique :
La vengeance est un plat qui se mange froid et Victor Laplace a pris son temps pour y arriver. Tel un Comte de Monte-Cristo, il a aussi mis les moyens pour y arriver.

Il aurait pu attendre sa cible dans une ruelle, le tabasser, le flinguer… C’est plus rapide, mais est-ce que ça aurait fait un pitch intéressant pour un roman ? Peut-être pas…

Là, ce sera plus long, plus complexe, plus tortueux et avec le risque de perdre son identité véritable, à force de porter les costumes d’un personnage que l’on n’est pas.

Sans oublier qu’à force de regarder dans l’abîme, l’abîme regarde aussi en nous… Victor Laplace, à force de jouer le game et de pousser ses algorithmes toujours plus fort, risque de se comporter comme les autres, ces puissants qui nous gouvernent au travers des banques, des sociétés de consultant et de l’internet.

Mon plus gros bémol sera pour les quelques longueurs dans le texte. Le roman fait 446 pages et si certains passages m’ont captivés, d’autres m’ont fait bailler d’ennui. Trop de blablas, trop d’introspections, trop de détails sur de l’insignifiant, comme les actes accomplis par Victor au lever.

Certes, ils avaient pour but de nous montrer la vacuité de ces gens qui suivent des programmes de remise en forme, de régimes spécifiques fait à base de protéines, mais ils étaient surtout trop verbeux et j’ai décroché plusieurs fois.

L’autre bémol sera pour le final qui prendra trop de temps, faisant ralentir le rythme à un point tel que je me suis crue enlisée dans la mélasse. Bon, à un moment donné, il faut conclure et ne pas faire durer les choses…

Par contre, les points positifs de ce roman qui parle de vengeance, de sociétés, d’informatique, c’est qu’il est accessible à tout le monde et qu’il vous glace les sangs, lorsque l’on voit comment on se fait manipuler, diriger et sucer toutes nos données.

Le téléphone portable et l’internet ont changé la donne, mais le jour où l’on a mis l’internet sur des smartphones, là, on peut se dire, que l’on s’est fait avoir comme des bleus. Depuis, tout le monde poste tout et n’importe quoi et les sociétés qui se nourrissent de nos données, se les revendant toutes et les utilisant pour mieux cibler qui ils veulent.

Dites-vous bien que grâce aux algorithmes, certains en savent plus sur chacun nous que nos parents, nos enfants, nos amis, nos collègues, nos psys, nos confesseurs,… Pire, ils en savent plus que la CIA, plus qu’un bourreau qui nous aurait torturé et plus que nous, sur nous-même. Même si vous n’êtes pas assidus aux écrans et réseaux sociaux, ces algorithmes sont capables de dresser un portrait de vous des plus fidèle. C’est glaçant.

Ce roman qui parle de vengeance, de déshumanisation, de licenciement, de toujours plus de contrôle sur les humains, au travers d’outils censés les aider, de manipulations, d’Internet, me laisse un peu le cul entre deux chaises et prouve, une fois de plus, qu’on peut ne pas avoir tout aimé d’un roman, mais en ressortir tout de même ébranlée, glacée, mal à l’aise.

Si je devais faire la balance de cette lecture, je dirais qu’elle a manqué d’équilibre et a joué à l’ascenseur émotionnel, me faisant passer d’un ennui profond à certains passages, puis monter dans les hauteurs, augmentant mon rythme cardiaque et me glaçant les sangs.

Une lecture que je ne regrette pas d’avoir faite, je me suis couchée moins bête et plus méfiante encore de ces putains d’algorithmes, même si je ne suis pas une grande utilisatrice des réseaux sociaux.

Challenge Thrillers et Polars de Sharon (du 12 Juillet 2023 au 11 Juillet 2024) [Lecture N°054].