Aux animaux la guerre : Nicolas Mathieu

6a0120a864ed46970b01b7c7b1ddee970bTitre : Aux animaux la guerre                       big_4

Auteur : Nicolas Mathieu
Édition : Actes Sud (2014)

Résumé :
Une usine qui ferme dans les Vosges, tout le monde s’en fout. Une centaine de types qui se retrouvent sur le carreau, chômage, RSA, le petit dernier qui n’ira pas en colo cet été, un ou deux reportages sur France 3 Lorraine Champagne-Ardenne, et basta.

Sauf que les usines sont pleines de types n’ayant plus rien à perdre. Comme ces deux qui ont la mauvaise idée de kidnapper une fille sur les trottoirs de Strasbourg pour la revendre à deux caïds qui font la pluie et le beau temps entre Épinal et Nancy.

Une fille, un Colt 45, la neige, à partir de là, tout s’enchaîne..

indexCritique :
Ici, le crime paie… pas pour les victimes, mais pour les assassins. Oui, « LES » car ils sont plusieurs tueurs de masse… des serial-killer de la pire espèce, avec souvent peu de remords…

Vous comprenez, ce n’est pas de leur faute si vous vous retrouvez sur le carreau, le cœur à l’arrêt, votre fluide vital s’écoulant lentement de vos veines. Non, vraiment, c’est pas de leur faute, faut pas leur en vouloir, c’est la Société qui est responsable.

Pour vous, la vie vient de suspendre son vol, vos pensées vont à votre conjoint, vos enfants, votre famille, vous demandant ce qu’ils vont devenir puisqu’ils ne peuvent plus compter sur vous.

L’arme du crime ? Le C4 ! Non, non, ce n’est pas un nouvel explosif, mais c’est tout aussi radical parce que ça te dégomme de l’Humain et ça te l’éparpille aux quatre vents, façon puzzle. Les Belges connaissent bien le formulaire C4… Il va avec l’arme de destruction massive qu’est le licenciement (le C4 est un certificat de chômage qui vous est donné avec votre préavis, donc, chez nous, lorsqu’on parle de C4, on sait que c’est le licenciement).

Oui, dans ce roman noir, fort sombre, l’arme du crime est le licenciement massif de tous les travailleurs d’une usine, les morts en sursis sont les ouvriers sommés de prendre leurs cliques et leurs claques, les serial-killer sont les DRH, les directeurs, les actionnaires, qui, de par leur gourmandise jamais rassasiée, en veulent toujours plus, au détriment du personnel, bien entendu.

Ce roman, pour un premier, est réussi ! Évitant de sombrer dans la caricature ou les lieux communs, il offre un panel de point de vue de certains des protagonistes, nous donnant par-là une vision plus élargie de la fermeture de l’usine.

Nous offrant des personnages charismatiques, énigmatiques, d’autres à qui donnerait bien des coups de trique, l’auteur varie l’air et la chanson pour nous donner un roman dense, mais dans lequel on ne perdra pas le fil, un roman dont le destin des gens ne tient souvent qu’à ce fil, ténu, qui menace de rompre au moindre tiraillement.

L’écriture est simple, mais pas simpliste, la plume est âpre lorsqu’elle nous met face à ces fermetures d’usines dans des coins paumés, des fermetures qui ne feront même pas l’objet d’un gros titre dans les JT ou dans la presse écrite, des gens qui se retrouvent livré à eux-même et à l’impitoyable Chômage.

« Un jour, la classe ouvrière avait existé.Ils pourraient en témoigner.Si jamais quelqu’un demandait ».

Des gens qui ont des dettes, des emprunts et dont certains sont prêt à tout pour avoir du fric. Une fois le doigt mis dans l’engrenage, plus moyen de faire machine arrière…

Si ce roman noir est âpre de par le sujet traité, il reste néanmoins réaliste et ne verse jamais gratuitement dans le sordide ou dans le pathos.

Malgré tout, avec sa belle plume, l’auteur arrive à faire passer tout un tas d’émotions et j’ai senti ma gorge se serrer devant ces hommes anéantit depuis l’annonce de la fermeture de l’usine et la perte de leur boulot. Je me suis mise à leur place et l’angoisse m’a saisie.

Un magnifique roman noir servi par une plume efficace et des personnages bien travaillés. Malgré la noirceur du sujet, il y a des petites traces d’humanité et d’espérance dans ce roman.

C’était ça l’usine, un monde de peine et de réconfort, un monde qui n’avait cessé de rapetisser d’ailleurs, passant de plus de deux cent cinquante bonshommes à trois fois rien. Quarante qu’ils étaient désormais. Patrick aimait mieux ne pas penser à ce qu’il adviendrait si l’usine devait fermer. Les gars se connaissaient tous depuis l’enfance ou quasiment. Certains ouvriers avaient vu leur père travailler là avant eux, d’autres passaient la main à leurs fils. Par le passé, les patrons venaient vous cueillir à la sortie du collège, après le certif’, et il arrivait qu’on s’engouffre là-dedans jusqu’à la retraite. L’usine avait dévoré des générations complètes, survivant aux grèves,nourrissant les familles, défaisant les couples, esquintant les corps et les volontés, engloutissant les rêves des jeunes , les colères des anciens, l’énergie de tout un peuple qui ne voulait plus d’autre sort finalement.  

Challenge « Thrillers et polars » de Sharon (2015-2016).

CHALLENGE - Thrillers Polars 2015-2016