À la ligne – Feuillets d’usine : Joseph Ponthus

Titre : À la ligne – Feuillets d’usine

Auteur : Joseph Ponthus
Édition : La Table ronde (03/01/2019)

Résumé :
« À la ligne » est le premier roman de Joseph Ponthus. C’est l’histoire d’un ouvrier intérimaire qui embauche dans les conserveries de poissons et les abattoirs bretons.

Jour après jour, il inventorie avec une infinie précision les gestes du travail à la ligne, le bruit, la fatigue, les rêves confisqués dans la répétition de rituels épuisants, la souffrance du corps.

Ce qui le sauve, c’est qu’il a eu une autre vie. Il connaît les auteurs latins, il a vibré avec Dumas, il sait les poèmes d’Apollinaire et les chansons de Trenet. C’est sa victoire provisoire contre tout ce qui fait mal, tout ce qui aliène.

Et, en allant à la ligne, on trouvera dans les blancs du texte la femme aimée, le bonheur dominical, le chien Pok Pok, l’odeur de la mer.

Par la magie d’une écriture tour à tour distanciée, coléreuse, drôle, fraternelle, la vie ouvrière devient une odyssée où Ulysse combat des carcasses de boeufs et des tonnes de boulots comme autant de cyclopes.

Critique :
J’ai eu jusqu’à présent cette chance de ne pas devoir gagner ma croute en bossant à la chaine, mes parents l’ont évité aussi.

N’allez pas croire pourtant que je ne sais pas ce que c’est que le boulot physique, celui qui nous fait transpirer et donne des maux de dos : pour gagner plus, j’ai dû bosser plus et accomplir des boulots « en stoemelings », comme on dit à Bruxelles. « En noir », si vous ne causez pas le bruxellois sans peine.

Malgré tout, jamais je ne me suis retrouvée à trimer comme l’auteur, limite si je n’étais pas le cul dans le beurre, bordé de nouilles, même les vendredis soirs où je ne savais plus comment je m’appelais après une semaine de malade.

Ce roman, Dealer de Lignes en avait parlé en bien, mais ça ne m’intéressait de lire un auteur qui parlait du travail à la chaine, dont dans un abattoir alors que j’avais à lire « Jusqu’à la bête », qui parlait justement d’un travailleur dans un abattoir. Je pensais le sujet redondant.

Femme de peu de foi que je resterai toute ma vie ! Heureusement qu’au détour d’un zapping, on est tombé sur l’émission « La grande librairie » (le mercredi 6 février) où l’auteur était présent. Connaissant le titre, j’ai regardé et ensuite, je ne voulais qu’un seule chose : le lire !

C’est bien simple, j’avais les yeux en quiquinne de poupousse (qui criaient dodo) et j’ai regardé toute l’émission, me gavant des mots de l’auteur ainsi que de ceux des autres présents sur le plateau, me demandant si mon pauvre cerveau arriverait à assimiler tout ça, plus habitué qu’il est à entendre de la médiocrité au fil de la journée.

Il faut prévenir le lecteur/trice potentiel(le) que la présentation du texte n’est pas celle de d’habitude. Écrivant son texte à la ligne, comme une poésie sans rimes, sans virgules, sans point final, l’auteur a fait un pari risqué.

Vous voulez savoir ce que j’en pense ? Putain, ça va foutrement bien au récit !

Égoutter du tofu
 
Je me répète les mots sans trop y croire
Je vais égoutter du tofu cette nuit
Toute la nuit je serai un égoutteur de tofu
 
Je me dis que je vais vivre une expérience parallèle
Dans ce monde déjà parallèle qu’est l’usine

D’ailleurs, au bout de quelques lignes, mon petit cerveau travailleur mettait lui même les virgules fictives pour donner du temps de repos à mes yeux qui ont dévorés ce roman à la vitesse d’un éclair, se gavant de toutes les belles phrases écrites, se délectant du style de l’auteur et s’ouvrant tout grand devant certains métiers comme égoutteur de tofu. Effectivement, dépoteur de chimères, ça claquait mieux.

À l’aide de peu de mots, avec des petits bouts de phrase, l’auteur nous décrit avec brio la France des précaires, celle des intérims, ceux qui bossent pour vivre, qui sont obligé d’accepter n’importe quel job afin de gagner quelques sous, obligé d’enquiller des nuits, des samedis, des dimanches, de ne jamais savoir à quelle sauce ils vont être mangé puisque leurs contrats ne sont jamais longs.

Cette vie, je ne la souhaiterais même pas à mon pire ennemi et même si j’ai cumulé des jobs physiques, je les ai toujours choisi, je pouvais foutre le camp sans problème, je n’étais pas déclarée et j’avais un autre job intellectuel sur le côté (dieu quel titre pompeux).

Véritable carnet d’usine écrit après ses heures éreintantes de jobs de merde en tout genre, on ressent bien toute la fatigue de monsieur Ponthus qui nous explique n’avoir tenu que grâce à la littérature qu’il avait étudié et aux chansons françaises qu’il chantait pour tenir et ne pas devenir fou au milieu des crevettes.

L’autre jour à la pause j’entends une ouvrière dire à un de ses collègues
« Tu te rends compte aujourd’hui c’est tellement speed que j’ai même pas le temps de chanter »
Je crois que c’est une des phrases les plus belles les plus vraies et les plus dures qui aient jamais été dites sur la condition ouvrière

Le récit prend aux tripes car il ne reflète pas les conditions de travail sous un Victor Hugo ou un Émile Zola, ni celles dans un goulag en Sibérie, mais dans la France d’aujourd’hui, celle qui nous est contemporaine !

Je ne suis pas le lapereau de l’année, j’ai tout de même quelques connaissances, je ne pense être une personne qui n’a pas envie de faire fonctionner ses neurones, mais malgré tout, j’ai pris une claque magistrale dans la gueule en découvrant l’envers de certains décors du pays voisin du mien, celui dit des Lumières.

Il était temps que l’on jette un grand coup de projecteur sur les conditions de travail dans lesquelles baignent des travailleurs, ceux qui n’ont pas la chance d’être dans les premiers de cordée, comme le dit si bien une personne de ma connaissance.

Véritable ode au travail dans l’usine, récit bourré d’émotions, de solidarité, de situations ubuesque, de non considérations des chefs et de corps qui commencent à crier leur douleur à force d’être maltraité par les conditions de travail répétitives, ce roman atypique m’a pris à la gorge et aux tripes.

Je pense même coller un procès à l’auteur pour toutes les claques qu’il m’a mise et les coups de pieds au cul qu’il m’a donné. Je me croyais éveillée mais je somnolais encore un peu.

Aux animaux la guerre : Nicolas Mathieu

6a0120a864ed46970b01b7c7b1ddee970bTitre : Aux animaux la guerre                       big_4

Auteur : Nicolas Mathieu
Édition : Actes Sud (2014)

Résumé :
Une usine qui ferme dans les Vosges, tout le monde s’en fout. Une centaine de types qui se retrouvent sur le carreau, chômage, RSA, le petit dernier qui n’ira pas en colo cet été, un ou deux reportages sur France 3 Lorraine Champagne-Ardenne, et basta.

Sauf que les usines sont pleines de types n’ayant plus rien à perdre. Comme ces deux qui ont la mauvaise idée de kidnapper une fille sur les trottoirs de Strasbourg pour la revendre à deux caïds qui font la pluie et le beau temps entre Épinal et Nancy.

Une fille, un Colt 45, la neige, à partir de là, tout s’enchaîne..

indexCritique :
Ici, le crime paie… pas pour les victimes, mais pour les assassins. Oui, « LES » car ils sont plusieurs tueurs de masse… des serial-killer de la pire espèce, avec souvent peu de remords…

Vous comprenez, ce n’est pas de leur faute si vous vous retrouvez sur le carreau, le cœur à l’arrêt, votre fluide vital s’écoulant lentement de vos veines. Non, vraiment, c’est pas de leur faute, faut pas leur en vouloir, c’est la Société qui est responsable.

Pour vous, la vie vient de suspendre son vol, vos pensées vont à votre conjoint, vos enfants, votre famille, vous demandant ce qu’ils vont devenir puisqu’ils ne peuvent plus compter sur vous.

L’arme du crime ? Le C4 ! Non, non, ce n’est pas un nouvel explosif, mais c’est tout aussi radical parce que ça te dégomme de l’Humain et ça te l’éparpille aux quatre vents, façon puzzle. Les Belges connaissent bien le formulaire C4… Il va avec l’arme de destruction massive qu’est le licenciement (le C4 est un certificat de chômage qui vous est donné avec votre préavis, donc, chez nous, lorsqu’on parle de C4, on sait que c’est le licenciement).

Oui, dans ce roman noir, fort sombre, l’arme du crime est le licenciement massif de tous les travailleurs d’une usine, les morts en sursis sont les ouvriers sommés de prendre leurs cliques et leurs claques, les serial-killer sont les DRH, les directeurs, les actionnaires, qui, de par leur gourmandise jamais rassasiée, en veulent toujours plus, au détriment du personnel, bien entendu.

Ce roman, pour un premier, est réussi ! Évitant de sombrer dans la caricature ou les lieux communs, il offre un panel de point de vue de certains des protagonistes, nous donnant par-là une vision plus élargie de la fermeture de l’usine.

Nous offrant des personnages charismatiques, énigmatiques, d’autres à qui donnerait bien des coups de trique, l’auteur varie l’air et la chanson pour nous donner un roman dense, mais dans lequel on ne perdra pas le fil, un roman dont le destin des gens ne tient souvent qu’à ce fil, ténu, qui menace de rompre au moindre tiraillement.

L’écriture est simple, mais pas simpliste, la plume est âpre lorsqu’elle nous met face à ces fermetures d’usines dans des coins paumés, des fermetures qui ne feront même pas l’objet d’un gros titre dans les JT ou dans la presse écrite, des gens qui se retrouvent livré à eux-même et à l’impitoyable Chômage.

« Un jour, la classe ouvrière avait existé.Ils pourraient en témoigner.Si jamais quelqu’un demandait ».

Des gens qui ont des dettes, des emprunts et dont certains sont prêt à tout pour avoir du fric. Une fois le doigt mis dans l’engrenage, plus moyen de faire machine arrière…

Si ce roman noir est âpre de par le sujet traité, il reste néanmoins réaliste et ne verse jamais gratuitement dans le sordide ou dans le pathos.

Malgré tout, avec sa belle plume, l’auteur arrive à faire passer tout un tas d’émotions et j’ai senti ma gorge se serrer devant ces hommes anéantit depuis l’annonce de la fermeture de l’usine et la perte de leur boulot. Je me suis mise à leur place et l’angoisse m’a saisie.

Un magnifique roman noir servi par une plume efficace et des personnages bien travaillés. Malgré la noirceur du sujet, il y a des petites traces d’humanité et d’espérance dans ce roman.

C’était ça l’usine, un monde de peine et de réconfort, un monde qui n’avait cessé de rapetisser d’ailleurs, passant de plus de deux cent cinquante bonshommes à trois fois rien. Quarante qu’ils étaient désormais. Patrick aimait mieux ne pas penser à ce qu’il adviendrait si l’usine devait fermer. Les gars se connaissaient tous depuis l’enfance ou quasiment. Certains ouvriers avaient vu leur père travailler là avant eux, d’autres passaient la main à leurs fils. Par le passé, les patrons venaient vous cueillir à la sortie du collège, après le certif’, et il arrivait qu’on s’engouffre là-dedans jusqu’à la retraite. L’usine avait dévoré des générations complètes, survivant aux grèves,nourrissant les familles, défaisant les couples, esquintant les corps et les volontés, engloutissant les rêves des jeunes , les colères des anciens, l’énergie de tout un peuple qui ne voulait plus d’autre sort finalement.  

Challenge « Thrillers et polars » de Sharon (2015-2016).

CHALLENGE - Thrillers Polars 2015-2016