Harlem Shuffle : Colson Whitehead

Titre : Harlem Shuffle

Auteur : Colson Whitehead
Édition : Albin Michel – Terres d’Amérique (04/01/2023)
Édition Originale : Harlem Shuffle (2021)
Traduction : Charles Recoursé

Résumé :
Petites arnaques, embrouilles et lutte des classes… La fresque irrésistible du Harlem des années 1960.

Époux aimant, père de famille attentionné et fils d’un homme de main lié à la pègre locale, Ray Carney, vendeur de meubles et d’électroménager à New York sur la 125e Rue, « n’est pas un voyou, tout juste un peu filou ». Jusqu’à ce que son cousin lui propose de cambrioler le célèbre Hôtel Theresa, surnommé le Waldorf de Harlem…

Chink Montague, habile à manier le coupe-chou, Pepper, vétéran de la Seconde Guerre mondiale, Miami Joe, gangster tout de violet vêtu, et autres flics véreux ou pornographes pyromanes composent le paysage de ce roman féroce et drôle.

Mais son personnage principal est Harlem, haut lieu de la lutte pour les droits civiques, où la mort d’un adolescent noir, abattu par un policier blanc, déclencha en 1964 des émeutes préfigurant celles qui ont eu lieu à la mort de George Floyd.

Avec Harlem Shuffle, qui revendique l’héritage de Chester Himes et Donald Westlake, Colson Whitehead se réinvente une fois encore en détournant les codes du roman noir.

Critique :
Carney n’est pas un voyou, il est juste un peu filou. C’est peut-être un détail pour vous, mais pour lui, ça veut dire beaucoup.

Carney a un boulot, il est vendeur de meubles et d’électroménager, dans le Harlem des années 60. Bon, comme il faut mettre un peu de beurre dans les épinards, il joue aussi au fourgue pour la pègre et revend des choses tombées des camions. Rien de grave.

Son point faible est son cousin, qui lui, est toujours fourré dans des magouilles plus dangereuses et qui a l’art et la manière d’impliquer Carney, qui lui passe toutes ses conneries.

J’attendais beaucoup de ce nouveau roman de Colson Whitehead, surtout qu’il se déroulait dans les années 60, à Harlem, et que son auteur en parlait avec verve à La Grande Librairie.

Le quartier de Harlem est bien présent, il est un personnage à part entière. L’auteur nous le décrit de manière très précise, avec ses quartiers où habitent des Noirs bourgeois, riches et les quartiers pour les plus pauvres, les miséreux.

La ségrégation raciale a toujours lieu, le Blanc ayant du mal à accepter que les Noirs s’élèvent, eux aussi, qu’ils accèdent à l’instruction, au universités et notre Carney a bien du mal à obtenir un dépôt, dans son magasin, des marques célèbres de meubles. Ça leur trouerait sans doute le cul, à certains, qu’un revendeur Noir soit un porte-parole d’une marque de meubles bien Blancs…

L’Amérique était un grand pays souillé par des régions faisandées où régnaient l’intolérance et la violence raciale.

J’ai appris, durant ma lecture (et durant La Grande Librairie), qu’en ce temps-là, il y avait des agences de voyages spécialisées dans les déplacements des afro-américains dans le pays : itinéraires sûrs, villes à éviter, hôtels recommandés pour passer la nuit, endroits où se restaurer… Il fallait leur éviter les villes racistes et ségrégationnistes…

Divisé en trois parties, ce roman noir va nous parler de trois grosses affaires qui atterrirent dans les mains de notre Carney, le poussant de plus en plus vers le côté Obscur de la pègre. Carney est un insatisfait, il voudrait un plus bel appartement, une plus belle vie pour sa famille, un coin plus joli que sous le pont du métro et je le comprends.

Hélas, il a manqué quelque chose pour rendre ce roman noir addictif : un peu plus de rythme et d’action ! Cela avait bien commencé, pourtant, avec la présentation des personnages, du quartier et du casse à l’Hôtel Theresa. Et puis, j’ai attendu, en vain, que les choses bougent un peu plus, que l’action revienne, mais elle était une denrée rare, dans ces pages.

On se cache, on marche à pas feutrés, on magouille pour faire virer un homme qui l’a trompé, on essaie de ne pas se faire descendre par des malfrats, on donne l’enveloppe… Tout cela, à un moment donné, a rendu ma lecture plus pénible et j’avais l’impression de faire du sur-place, vers la moitié du récit.

J’avoue qu’en entendant l’auteur parler de son roman, j’avais eu l’idée que son cousin Freddie lui proposerait plus de coups foireux, qu’il serait plus présent dans le récit et là, j’ai trouvé qu’il était plus présent dans les pensées de Carney qu’en présence physique.

Dommage, il y avait sans doute une belle carte à jouer avec un tel personnage. Parce que si Carney est sympathique, malgré ses magouilles avec la pègre, il manque tout de même d’épaisseur, de présence. Il m’a semblé qu’il était un peu fade, qu’il manquait d’assaisonnement.

Bref, si la vie à Harlem est bien décrite, si le quartier est un personnage à part entière, si l’auteur parle bien de la ségrégation qui avait toujours lieu, à couvert, nous sommes tout de même loin des romans de Chester Himes qui sont bien plus sombres que celui-ci.

Un roman noir dont l’écriture et le récit manquaient tout de même de passion, de noirceur et d’émotions. Par contre, les atmosphères étaient bien décrites, j’ai bien ressentit le pouls de Harlem et vécu au plus près les luttes incessantes des Noirs pour obtenir enfin des droits.

Tous les ingrédients étaient réunis pour en faire un coup de cœur, pour en faire un grand roman noir, mais le côté froid de l’écriture et les personnages manquant de corps m’ont empêché de m’immerger à fond dans cette histoire.

Malgré tout, je lui donnerai une bonne note pour le côté Historique et les atmosphères. De plus, mon avis n’est pas dans la majorité. Pour en lire un positif, je vous invite à aller rendre visite à Dealer de Lignes (Ma dose d’encre).

Challenge Thrillers et Polars de Sharon (du 12 Juillet 2022 au 11 Juillet 2023) [Lecture N°126] et Le Mois du Polar, chez Sharon – Février 2023 (N°09).