L’axe du loup – De la Sibérie à l’Inde, sur les pas des évadés du Goulag : Sylvain Tesson

Titre : L’axe du loup – De la Sibérie à l’Inde, sur les pas des évadés du Goulag

Auteur : Sylvain Tesson
Édition : Robert Laffont (2004) / Pocket (2012/2014)

Résumé :
Pendant huit mois, Sylvain Tesson a refait le long voyage de la Sibérie au golfe du Bengale qu’effectuaient naguère les évadés du Goulag.

Pour rendre hommage à ceux dont la soif de liberté a triomphé des obstacles les plus grands, seul, il a franchi les taïgas, la steppe mongole, le désert de Gobi, les Hauts Plateaux tibétains, la chaîne himalayenne, la forêt humide jusqu’à la montagne de Darjeeling.

À pied, à cheval, en vélo, sur six mille kilomètres, il a connu ce qu’il a cherché de plein gré : le froid, la faim, la solitude extrême.

La splendeur de la haute Asie l’a récompensé, comme les mots d’une très ancienne déportée heureuse de se confier à lui : « On a le droit de se souvenir. »

Critique :
Envie d’évasion ? Rien de tel que d’ouvrir un livre de Sylvain Tesson pour ressentir le frisson de la grande aventure, la frénésie du voyage et l’envie d’aller respirer un autre air.

Oui, bon, voyager ainsi c’est bien, mais je ne me sens pas capable de le faire à la manière de monsieur Tesson !

Avaler 40 km par jour (parfois plus), seule, en refaisant le chemin pris par les évadés des goulags, très peu pour moi ! J’aurais les chocottes et je n’en suis pas capable.

Tandis que, assise dans un fauteuil, au chaud, les pieds bien calés dans les pantoufles fourrées, du thé ou du café à proximité, je me sens capable de le suivre au bout du monde.

Sylvain est un aventurier un baroudeur, rien ne lui fait peur et il a l’envie des grands espaces et surtout, il avait l’envie de refaire le chemin pris par Slawomir Rawicz et les autres évadés du goulag et que cet officier polonais racontait dans « À marche forcée » (un coup de cœur, cette lecture, même si Slavomir Rawicz n’est sans doute pas l’homme qui a réalisé cette évasion et cet exploit, mais faudra que je vous en parle un autre jour).

Partant de Iakoutsk (en Sibérie), il a suivi le lit de la Léna, traversé des marais, des fleuves, fait des rencontres un peu folles de Russes imbibés d’alcool et parlant de leur pays, des goulags, vivant chichement. Longe le lac Baïkal, frappe sur sa gamelle pour éloigner les ours, traverse le désert de Gobi en Mongolie, puis celui en Chine, traverse le Tibet et termine son périple à Calcutta, en Inde.

Son récit de voyage est un plaisir à lire tant l’aventurier solitaire manie la plume aussi bien que le bâton de marche et jamais on ne trébuche sur des phrases mal placées, jamais on ne se tord le pied sur des passages ardus, jamais on ne s’endort devant son feu de camp et aucune ampoule à répertorier après la lecture de ces 280 pages et ces 6.000 km à pied, à cheval ou à vélo.

Des emmerdes, il en aura eu, comme de devoir revenir sur ses pas à une frontière et de contourner ce point interdit, avec des moyens motorisés, en perdant le moins de jours possible pour reprendre son périple à 200 mètres de là où on l’avait empêché de passer.

Durant son voyage, Sylvain Tesson a cherché des indices sur l’évasion de Slavomir Rawicz et force est de constater qu’il n’a rien trouvé… Pour la défense de Rawicz, il n’avait pas de carnet avec lui pour prendre des notes sur le chemin suivi durant leur évasion et il a raconté son histoire deux ans après son arrivée à Calcutta, à un journaliste, qui a pu enjoliver le récit.

Sylvain Tesson préfère penser que Rawicz a bien fait ce voyage, cette évasion, car il est plus beau de penser à cette liberté prise qu’à un faux récit, une invention. Je le rejoindrai car si Rawicz n’a pas fait cette évasion lui-même, d’autres l’ont faite et ça, ça n’a pas de prix. Moi, je n’aurais pas eu les vous-savez-quoi pour m’évader et arriver au bout du voyage.

Une belle évasion que je viens de faire en compagnie de Sylvain Tesson, un voyage magnifique, des paysages que j’aurais aimé voir de visu, mais là, j’ai dû me contenter des descriptions de l’auteur, qui valent bien des images. Et au moins, je n’ai pas dormi dehors, ni eu froid, ni mal au genou…

Oui, je laisse ça aux vrais aventuriers, moi, je suis une aventurière de salon qui aime son petit confort. Je vis l’aventure par procuration sans mettre du pain sur mon balcon.

Merci à l’auteur pour ce récit de voyage.

 

La panthère des neiges : Sylvain Tesson

Titre : La panthère des neiges

Auteur : Sylvain Tesson
Édition : Gallimard (10/10/2019)

Résumé :
En 2018, Sylvain Tesson est invité par le photographe animalier Vincent Munier à observer aux confins du Tibet les derniers spécimens de la panthère des neiges.

Ces animaux discrets et très craintifs vivent sur un gigantesque plateau culminant à 5.000 m d’altitude, le Changtang.

Situé au Tibet septentrional et occidental, il s’étend sur environ 1.600 km, du Ladakh à la province du Qinghai, et il est habité par les nomades Changpas.

Sylvain Tesson décrit une sorte de savane africaine qui serait perchée à 4.000 mètres d’altitude, où l’on croise des troupeaux d’antilopes, des chèvres bleues, des hordes de yacks qui traversent de vastes étendues herbeuses où s’élèvent des dunes.

L’équipe s’enfonce toujours plus loin, se hissant à des hauteurs qui dépassent largement ce que nous connaissons en Europe.

À 5.000 m d’altitude s’ouvre le domaine de la panthère des neiges. Dans ce sanctuaire naturel totalement inhospitalier pour l’homme, le félin a trouvé les moyens de sa survie et de sa tranquillité.

Les conditions d’observation deviennent très difficiles, il faut parfois rester immobile pendant trente heures consécutives par -30° C pour apercevoir quelques minutes le passage majestueux de l’animal…

Critique :
La première fois que j’avais mis les pieds au Tibet, c’était avec Tintin et l’image du capitaine Haddock jurant en trouvant sa bouteille de whisky vide est toujours ancré dans ma mémoire.

Là, je viens d’y repartir avec Sylvain Tesson, je suis restée à l’affût avec d’autres, le tout par -30°, j’en ai eu froid mes mains, mes pieds, mais ça valait la peine de se les geler.

La panthère des neiges est en voie d’extinction, il n’en reste que 5.000 spécimens et si son alimentation vient à manquer, elle disparaîtra elle aussi. Dommage, je viens à peine de faire sa connaissance…

Le voyage était épique, froid, glacial, sans le whisky de ce bon vieux Haddock pour nous réchauffer mais ce qui m’a tenu chaud, c’est la plume de monsieur Tesson.

L’auteur a de la gouaille sur le plateau de La Grande Librairie mais il en a aussi sur le papier ! Utilisant des phrases qui ne sont ni simples, ni simplistes, l’auteur joue avec le français, le déroule sous nos pieds, tel un tapis rouge et c’est avec des yeux avides d’en lire plus que je l’ai dévoré en une courte soirée, telle une panthère des neiges affamée.

On pourrait croire qu’à plus de 5.000 mètres d’altitude, en frôlant les 6.000, même, il n’y aurait pas de vie dans ce désert de neige, de glace ou ce désert tout court.

Détrompons-nous, il y a de la vie, même si elle se cache pour mieux observer l’Homme qui parcourt ces montagnes et ces étendues désertiques. Et si Munier sait nous le montre avec ses jolies photos, Tesson, lui, nous l’explique de ses mots, avec brio.

Ce roman d’aventure, cette enquête policière à la recherche des traces de la panthère des neiges, c’est aussi un récit de patience, d’humilité, d’attente, qui aurait pu ne pas être récompensée car ils auraient pu rester à l’affût des jours et des jours et ne jamais la voir, elle qui sait si bien se camoufler et se fondre dans le décor.

C’est aussi un bon prétexte pour faire de l’introspection, puisque Sylvain Tesson, qui adore causer, devait se taire et observer le Maître Munier qui pense comme une bête afin de mieux la voir.

Si Sylvain dû se taire, ça ne l’empêcha pas de faire quelques calembours et aphorismes et ils ont eux le don de me faire sourire ou de me faire réagir à la Vérité qui s’étalait sous mes yeux.

La Terre avait été un musée sublime. Par malheur, l’homme n’était pas conservateur.

Plus qu’un roman magnifique, plus qu’un voyage éprouvant, plus qu’une quête d’un animal mythique, plus qu’un plaidoyer pour la sauvegarde des animaux – dont la panthère des neiges – c’est aussi un roman qui parle du respect d’autrui, autant de l’Humain que de l’Animal, de la capacité à se dépasser, à rester immobile, silencieux, à vivre dans un climat hostile et à aller à la rencontre des gens qui vivent dans ces montagnes.

Un roman qui donne envie de découvrir les livres de Vincent Munier et les très belles images qu’il a prise, sans oublier ses récits de photographe.

Le gouvernement chinois avait réalisé son vieux projet de contrôle du Tibet. Pékin ne s’occupait plus de pourchasser les moines. Pour tenir un espace, il existe un principe plus efficace que la coercition : le développement humanitaire et l’aménagement du territoire. L’État central apporte le confort, la rébellion s’éteint. En cas de jacquerie, les autorités se récrient : « Comment ? Un soulèvement ? Alors que nous bâtissons des écoles ? » Lénine avait expérimenté la méthode, cent ans plus tôt, avec son « électrification du pays ». Pékin avait choisi cette stratégie dès les années 80. La logorrhée de la Révolution avait laissé place à la logistique. L’objectif était similaire : l’emprise du milieu.

Challenge Thrillers et Polars de Sharon (juillet 2019 – juillet 2020) – N°105.