Ravage : Ian Manook

Titre : Ravage

Auteur : Ian Manook
Édition : Paulsen (11/05/2023)

Résumé :
Red Arctic, hiver 1931. Une meute d’une trentaine d’hommes armés, équipés de traîneaux, d’une centaine de chiens et d’un avion de reconnaissance pourchasse un homme.

Un seul. Tout seul. C’est la plus grande traque jamais organisée dans le Grand Nord canadien.

Pendant six semaines, à travers blizzards et tempêtes, ces hommes assoiffés de vengeance se lancent sur la piste d’un fugitif qui les fascine. Cette course-poursuite va mettre certains d’eux face à leur propre destin. Car tout prédateur devient un jour la proie de quelqu’un d’autre…

Avec cette chasse à l’homme à couper le souffle dans le Grand Nord canadien, Ian Manook signe un prodigieux roman noir sur fond blanc.

Critique :
Pour échapper au nouveau dôme de chaleur qui s’est installé sur nos pays, je vous propose de vous rafraichir avec ce roman qui va vous emporter dans le Grand Nord Canadien, par des températures négatives de -30° à -40°… Même des -50° ! Tempêtes, blizzards, neige, glaces sont au menu.

Prévoyez des fourrures, des petites laines et des thermolactyl, ça va cailler sévère et vous geler les miches. Oubliez aussi les nouvelles technologies, nous sommes en 1932 (et fin 1931). Pourtant, ce récit est intemporel, vieux comme le monde.

Quatre heures du matin. Moins cinquante. Douze heures qu’il les mène dans la tempête, et la vitesse des chiens, n’a pas faibli. La même endurance. Il admire ses bêtes. Lui est perclus de douleurs. Les chutes et le froid lui tétanisent les muscles du dos. Les efforts pour sortir le toboggan des bassins de slutch, des congères ou des taillis lui ont déchiré les autres. le froid lui a fendu les lèvres. Ses doigts gèlent malgré les sous-gants dans ses moufles. Tout son corps s’est raidi, mais les chiens, eux, roulent encore des épaules et s’enfoncent dans leur harnais avec la même énergie qu’au départ.

Ce roman d’aventure est basé sur une histoire vraie : celle de la traque d’un homme. Les moyens mis en œuvre sont colossaux : gendarmerie royale, trappeurs, chiens de traîneaux, armes à feu, dynamite et même un avion qui, hélas, n’était pas équipé, comme l’aurait souhaité l’inspecteur Walker, de mitraillettes et de bombes… Heu, sérieux, là ??

Oui, vu l’armada mis en place, on peut dire que ces hommes vont chasser une mouche avec des bazookas… Si nous étions dans le registre du burlesque, on pourrait croire que ces types sont un rassemblement déchaîné de Wyle E. Coyote, prêts à tout pour traquer et tuer le Road Runner à coup d’armes à feu ou de dynamite. Hélas, nous ne sommes pas dans une comédie légère. Mais dans la réalité.

Quel crime a bien pu commettre cet homme, pour que tout le monde le traque de la sorte, dans des températures polaires et veuille lui faire la peau ? Un truc tout con, tout bête, une connerie de contrôle de paperasse qui dégénère bêtement, car un gendarme a fait usage de son arme, de manière inappropriée.

Oui, ça rappelle des mauvais souvenirs. Ici, les jeunes ne foutront pas le feu aux villes, mais des trappeurs, engagés pour retrouver le mec taciturne vont allumer le feu de leur rage et l’entretenir. On se doute que lorsqu’il tomberont sur le râble du fugitif, ce sera l’hallali, la curée. L’effet de meute est là, comme chez les loups. Sauf que les loups respectent la stratégie de l’Alpha. Toujours. Dans cette meute humaine, c’est juste une somme d’individualités.

Problème : Jones ne se laisse pas attraper et joue avec eux, rusé qu’il est, malin aussi. Comme un carcajou. Mais qui est vraiment ce Jones ? Nul ne le sait vraiment.

Ce roman, qui sent bon l’aventure des trappeurs dans le Grand Nord, est aussi un roman qui parle de la folie des Hommes, de la haine, qui se mue en quelque chose de mauvais, donnant envie aux poursuivants de massacrer le poursuivi. D’un côté, ils le vénèrent, vu les exploits que ce type va accomplir, seul contre toute cette meute, mais ensuite, la légende s’écrire et les poursuivants vont le diaboliser.

Si j’ai cru, pendants un moment, qu’un des gendarme allait virer à la caricature, il n’en a rien été, l’auteur ayant été assez intelligent que pour donner de la profondeur à ses personnages, même aux trappeurs. Des êtres frustres, qui vivent en solitaires, qui passent leur vie dans les bois, avec leurs chiens. Et qui survivent dans cette Nature hostile, qui la connaissent.

Le seul dont on ne saura rien, c’est Jones, le fugitif, et si cela m’a ennuyé de ne pas avoir passé du temps en sa compagnie, durant sa traque, j’ai ensuite compris qu’il fallait qu’il en soit ainsi, afin de garder intact, le mystère autour de son identité, comme il en est dans la réalité. Purée, quel type, ce Jones ! Il m’a subjuguée et j’ai réussi à oublier sa faute à lui, quand il était visé par des policiers à sa poursuite.

Ce roman, c’est du nature writing à la testostérone, ou la masculinité se déploie, s’affirme, où les tensions montent, où les petites phrases assassines sont de sorties, notamment sur le poste de chacun durant la Grand Guerre. Ce n’est pas que de l’aventure et du froid, c’est aussi de l’humanité qui fout le camp, tandis que d’autres tentent de calmer les choses.

Un roman qui se lit facilement, qui n’est pas simpliste, qui montre combien l’être humain peut vite redevenir un animal, être pire qu’un animal, même ! Un roman tiré d’une histoire vraie, bourré de suspense, même si ce n’est pas de la course-poursuite, mais plus de la ruse et de l’intelligence d’un seul homme.

Un roman noir dans l’immensité du grand blanc. Avec des traces de rouge… Terrible, mais beau. Même si la folie humaine n’est jamais belle à voir.

PS : au Québec, un ravage, c’est un endroit qui sert d’abri pour les cerfs pour leur permettre d’affronter les températures glaciales au cours de l’hiver. C’est aussi un réseau de pistes tracé dans la neige lors des déplacements des cervidés.

Challenge Thrillers et Polars de Sharon (du 12 Juillet 2023 au 11 Juillet 2024) [Lecture N°019].