Jamais je n’aurai 20 ans : Jaime Martin

Titre : Jamais je n’aurai 20 ans

Scénariste : Jaime Martin 🇪🇸
Dessinateur : Jaime Martin

Édition : Dupuis – Aire libre (2016)
Édition Originale :Jamas tendré veinte anos (2016)
Traduction : Elisa Renouil

Résumé :
Ils se rencontrent en 1936 dans le chaos autodestructeur de la guerre d’Espagne : Isabel est couturière, Jaime est artilleur dans l’armée républicaine. Ils s’aiment. Ils combattent. Ils échappent à la mort.

Mais à la chute de le République, Isabel et Jaime sont dans le camp des vaincu et il est parfois plus difficile de survivre dans la paix que dans la guerre.

Après avoir cru en des lendemains qui chantent, comment garder le silence sous une dictature? « Jamais je n’aurai vingt ans » est une histoire d’amour où le courage et la dignité le disputent à la tendresse et à l’humour, à la joie et à la rage. « Jamais je n’aurai vingt ans » est une histoire vraie, celle des grands-parents de Jaime Martin.

Pour son quatrième ouvrage chez Aire Libre, l’auteur espagnol livre avec émotion et pudeur le récit secret d’une famille au destin intimement lié à celui de son pays, pour le meilleur et pour le pire.

Critique :
L’auteur (et dessinateur) Jaime Martín s’est inspiré de son histoire familiale afin de nous raconter ce que ses grands-parents avaient vécu pendant et après la guerre civile espagnole.

Melilla (partie hispanique au Maroc), 1936. Nous faisons connaissance d’Isabel, couturière de son état et future grand-mère de l’auteur (bon, là, elle était jeune, elle ne le savais pas encore).

Lorsqu’à lieu de coup d’état, les représailles qui suivent l’oblige à fuir à Barcelone, car elle avait fréquenté des jeunes militants anarchistes, apprenant à lire et écrire auprès d’eux. Ensuite, elle rencontrera Jaime, un artilleur dans l’armée républicaine…

L’Espagne est coupée en deux : d’un côté les nationalistes soutenus par l’Allemagne du moustachu et dirigés par Franco, et de l’autre les républicains qui tentent de combattre le fascisme. Ils lutteront durant 3 ans et ensuite, les nationalistes gagneront et Franco prendra le pouvoir.

Et là, il ne fera pas bon se retrouver dans le camp des vaincus, dans le camp de celles et ceux qui ont lutté contre le régime fasciste et qui espéraient un retour à un régime démocratique.

Le récit prendra son temps, nous livrant au compte-goutte les souvenirs de Isabel et de toutes les horreurs qu’elle a vu et vécu (ses amis abattus, notamment), expliquant ensuite tout ce qu’elle fit afin de faire vivre sa famille et tenter de sortir de la misère.

Commence alors le règne de la débrouillardise, dans une société où les femmes n’ont rien à dire et où les hommes n’aiment pas discuter avec les femmes, préférant parler avec les maris et comme Isabel a du caractère, elle préfère négocier elle-même, son époux étant un peu plus mou qu’elle.

L’auteur, tout en finesse, nous montrera combien il est difficile de vivre sous un régime dictatorial (sauf si vous êtes copain avec le dictateur ou ses sbires), combien les conditions de vies sont médiocres, que l’on vit dans la précarité, dans la peur de se faire arrêter par les flics, de se faire racketter par eux,…

C’est glaçant ! Je ne comprends toujours pas les gens qui souhaiteraient vivre dans une dictature !

J’ai apprécié les dessins, les couleurs douces et le personnage d’Isabel, qui a réussi à tirer tout le monde vers le haut, mais sans jamais regarder les autres d’en haut. Et puis, tout n’est pas que misère, dans ces pages, il y a aussi des petites joies, les plaisirs de la vie de famille, les enfants qui grandissent… Et Isabel est un personnage attachant, fort débrouillarde et je l’ai adorée.

Un roman graphique qui parle de la guerre d’Espagne, de toutes ses horreurs (sans forcer le trait, sans être glauque), de la vie des gens dans l’après-guerre, sous le régime franquiste et un bel hommage rendu par l’auteur à ses grands-parents.

Orphlins de sang : Patrick Bard

Titre : Orphelins de sang 🇬🇹

Auteur : Patrick Bard
Édition : Points Policier (07/06/2012)

Résumé :
A Ciudad de Guatemala (🇬🇹), l’une des villes les plus violentes du monde, deux jeunes femmes mayas gisent dans la boue d’un terrain vague à côté d’un jouet en peluche.

L’une est morte. L’autre a survécu par miracle, mais sa fille de dix mois a disparu. C’est ce qu’elle confie à Victor Hugo Hueso, un officier des pompiers municipaux qui rêve de devenir journaliste.

L’apprenti reporter décide alors de mener l’enquête, loin de se douter qu’il met ainsi le doigt dans l’engrenage infernal du négoce le plus florissant de son pays : le vol et le commerce de masse des enfants.

Loin de là, en Californie, Katie et John Mac Cormack, désespérés par leur stérilité, font appel à une association d’adoption express au-dessus de tout soupçon. Entre les deux extrémités de la chaîne agissent de pitoyables crapules de bidonvilles, d’anciens tortionnaires reconvertis dans la police, des ex-militaires patrons de sociétés de sécurité privées, des avocats sans scrupule.

Mais rien ni personne ne saurait arrêter Victor Hugo Hueso, résolu à aller jusqu’au bout pour retrouver la petite Claudia, fût-ce au péril de sa vie et, pire, de celle des siens.

Critique :
Voilà 12 ans que ce roman prenait les poussières dans ma biblio, alors que je voulais lire assez vite… Hem, la faute est réparée. Mais je regrette d’avoir traîné aussi longtemps à le lire.

Voilà un roman noir comme je les aime : addictif, serré, violent, parlant de faits réels, de faits de sociétés. En une soirée, j’avais déjà dévoré la moitié de ses 410 pages, sans voir le temps passer.

Contrairement à un thriller pur race, qui se contente d’action et de scènes de crimes inventives, ce roman noir n’a jamais manqué de profondeur et est resté collé à la terrible réalité de l’Histoire du Guatemala, avec les milices, les viols de dizaine de milliers de femmes, les massacres, les assassinats et les vols d’enfants pour les vendre à des gens qui ne savent pas en avoir et qui ont les moyens. Et non, tous les adoptants ne savaient pas que les bébés avaient été volés à des mères.

Dans ce roman noir, plusieurs fils narratifs ont lieu, sans que l’on sache si ensuite, ils vont se croiser. D’un côté, nous suivrons Victor Hugo Hueso, officier des pompiers municipaux, qui va enquêter sur le rapt d’un enfant guatémaltèque et de l’autre, nous suivrons la quête d’un couple d’américains qui, désirant adopter un enfant, vont se tourner vers les réseaux d’adoption en provenance du Guatemala, suite à de multiples échecs avec d’autres pays.

L’Histoire violente du Guatemala est parfaitement incorporée dans le récit et l’auteur n’en fera pas des tonnes pour nous expliquer toute l’horreur des massacres, des injustices et des viols dont ont souffert les femmes (et les jeunes filles), qui, se retrouvant enceintes de leurs tortionnaires (elles étaient leur esclaves), ont vendu leurs bébés, amorçant à ce moment-là la pompe et mettant en route un engrenage qui ne s’arrêtera plus ensuite : il fallait des bébés à vendre. Avant, ils exportaient des bananes, ensuite, ils exportèrent des enfants.

Il ne se privera pas non plus pour dénoncer le travail d’esclaves que font subir les multinationales aux femmes, les faisant bosser durant des heures, en leur donnant juste de quoi ne pas s’endormir à leur poste de travail… Non, ce n’est pas du Raide Bull, ce sont des pastilles et non, ce ne sont pas des Valda… Vous m’avez compris ? De la drogue, pour ceux qui seraient mal réveillés. Et elles sont payées des clopinettes et pas question de monter un syndicat ou de parler de grève.

C’est un roman très noir qui explore la face cachée et sombre du Guatemala, qui nous plonge dans les quartiers miséreux, où les flics n’osent pas aller. De toute façon, les flics sont des pourris, corrompus jusqu’à la moëlle, comme tout le système du pays, chacun prélevant son écot sur le dos des autres, telles des tiques sur le dos d’un chien.

Non, pas d’éthique dans ce système, le Guatemala étant décrit par ses habitants comme un Moloch qui dévore ses propres enfants. La population se fait parfois justice elle-même, lynchant une personne en l’accusant d’avoir tué une gamine (après enlèvement), alors que cette personne porte en elle la vie. La logique fait toujours défaut à la foule enragée, c’est bien connu. Elle veut du sang.

Le monde décrit dans ces pages est terrible, horrible, merdique, sombre, mais au moins, à la fin, l’auteur nous offre une loupiote d’espoir, une petite flamme brillante qui nous fait refermer le livre avec un petit sourire de joie. Et croyez-moi, il faisait du bien.

Un roman noir sans concession, qui parle d’Histoire et de squelettes dans les placards, de violences faites aux femmes (c’est toujours pour nous), aux enfants, tandis que les hommes boivent, ne foutent rien, frappent leurs femmes, tout en les laissant trimer à l’usine. Bref, une société dans laquelle il vaut mieux être un mec qu’une meuf. Un magnifique roman, qui frappe où il faut et qui vous remuera les tripes.