Les aigles endormis : Danü Danquigny

Titre : Les aigles endormis

Auteur : Danü Danquigny
Édition : Gallimard Série noire (09/01/2020)

Résumé :
Dans l’Albanie d’Enver Hoxha, l’un des régimes communistes les plus durs du bloc de l’Est, Arben grandit entouré de sa bande de copains et de ses parents profs. Son avenir semble tout tracé.

Mais avec la chute du régime et l’avènement du libéralisme s’ouvre une période de chaos politique et de déliquescence morale qui emportent tout sur leur passage et transforment le jeune idéaliste en malfrat endurci.

Pour tenter d’échapper à la spirale de la violence et protéger les siens, Arben n’a qu’une solution : fuir avant qu’il ne soit trop tard.

Critique :
L’Albanie n’est pas une destination régulière en littérature. La vie là-bas ne fait pas rêver et comme dans les romans, il n’y a pas de belles images de plages, on laissera tomber l’exotisme pour l’extorsion en tout genre.

Ce roman noir se déroule sur plusieurs années et c’est 40 ans de misère qui s’inscrit sous vos yeux. La Série Noire n’est pas réputée pour faire dans le Bisounours non plus.

Arben nous raconte une partie de sa vie, de gosse à la cinquantaine et c’est aux travers de ses yeux que nous allons découvrir un pays et une population qui a été écrasée sous le régime communiste, les dictatures avant de passer à une démocratie « ferme-ta gueule » où les diplômes s’achètent et les postes ne sont accessibles qu’aux neveux, cousins, nièces, enfants des gens qui dirigent.

Un jour, à la mort du dictateur Enver Hoxha, les gens ont cru que l’enfer était derrière eux, mais non, ils avaient juste changé de cercle et continuaient de se faire entuber dans les grandes largeurs.

L’enfance d’Arben ne fut pas insouciante, le régime surveillait tout le monde, ensuite, après un service militaire de 3 ans, il perd ses parents et ses ambitions d’études s’effondrent. Il sera ouvrier sans qualification dans une usine qui le foutra à la porte ensuite et tintin pour trouver un nouvel emploi ensuite, sauf dans les magouilles.

L’auteur nous peint une fresque au vitriol de l’Albanie et de ses régimes politiques, de ces caciques du parti, de la corruption et de dirigeants qui n’ont pas vu le pays grogner, pensant qu’ils resteraient tous la tête basse, éternellement.

La misère crasse, on la côtoie avec Arben qui a du mal à faire bouillir la marmite et en Albanie, ne pas savoir nourrir sa famille est très mal vu, au même titre que les unions libres et les mariages d’amour. C’est tout un pan des traditions albanaises qui s’offre à nos yeux et l’auteur intègre bien le tout dans son récit.

Arben aurait pu vivre heureux, mais il a mis le doigt dans l’engrenage des trafics et est devenu le même salaud qu’Alban et Loni, même si eux sont sans conscience et qu’Arben a au moins mal au bide en faisant passer des jeunes albanaises qui finiront sur les trottoirs ou dans des bordels alors qu’elles se voyaient déjà en haut de l’affiche.

Le régime gouvernemental était injuste et broyait tout le monde, mais les suivants ne sont pas mieux et ce que fait Arben n’est pas toujours mieux que les dirigeants qu’il vilipendait dans sa tête.

Roman Noir qui commence avec l’histoire de 4 copains qui jouent dans la neige, ils sont jeunes et qui descendront tous dans l’inhumanité pour le fric, le pouvoir, le respect, la crainte que l’on aurai d’eux.

Un récit sombre mais beau, l’histoire d’un jeune qui avait tout pour réussir mais qui s’est fait entuber par le communisme et ensuite par le capitalisme et qui, cédant à la facilité, à la fatalité, n’a pas eu d’autre choix que d’entrer dans les magouilles pour survivre et qui n’a pas su se retirer à temps.

Ce roman noir, c’est aussi le récit d’une vengeance qu’Arben veut accomplir, 20 ans après, mais qui n’est jamais qu’un prétexte pour l’auteur pour nous faire découvrir l’Albanie d’une autre manière, et pas celle des agences de voyages.

Un roman noir puissant, profond, poignant où il est impossible de détester Arben. Un roman qui mélange habillement le passé et le présent, la politique et les trafics. Bref, un grand roman noir, serré et corsé comme je les aime.

Challenge Thrillers et Polars de Sharon (du 11 Juillet 2020 au 11 Juillet 2021) [Lecture N°16].

Les assassins de la route du Nord : Anila Wilms

Titre : Les assassins de la route du Nord

Auteur : Anila Wilms
Édition : Actes Sud Actes noirs (07/02/2018)
Édition Originale : Das albanische Öl oder Mord auf der Strasse des Nordens (2012)
Traducteur : Carole Fily

Résumé :
A la chute de l’Empire ottoman, au lendemain de la Première Guerre mondiale, l’Albanie connaît, comme le reste du monde, de profonds changements. Les nouveaux dirigeants souhaitent moderniser le pays et imposer leurs lois sur l’ensemble du territoire, mais ils se heurtent à la résistance farouche des montagnards du Nord, qui continuent de vivre selon le Kanun, le code ancestral de ces régions reculées que l’on dit hantées depuis la nuit des temps.

Au printemps 1924, deux Américains y sont assassinés sur une petite route. Contraire au Kanun, qui place l’hospitalité au plus haut rang des vertus, le crime, qui a touché le fils d’un sénateur américain, plonge le petit Etat dans une crise diplomatique qui risque de dégénérer en guerre civile.

Mais que fabriquaient ces Américains sur la route du Nord ? Leur présence était-elle liée aux rumeurs selon lesquelles la région renfermerait d’abondantes ressources pétrolières ? Et qui a bien pu vouloir leur mort ?

L’effervescence s’empare de la capitale. On ne parle plus que de cela dans les cafés, les journalistes enquêtent, et bientôt les services secrets s’en mêlent…

Critique :
L’Albanie est un pays méconnu. Nous ne connaissons pas son histoire, sa culture. Rien. Nada. Que dalle. Que pouic.

Par contre, dans nos pays, circulent des tas de clichés sur ses ressortissants. À tort ou à raison puisque dans un peuple, il y a de tout : les bons comme les moins bons, comme les méchants, les dangereux.

Albanie, 1924… La Grande Guerre est terminée, je n’ai encore lu que quelques pages et déjà mon intérêt a été happé par ce que l’auteure nous raconte sur ce petit pays des Balkans.

Le meurtre des deux Américains, qui est un fait réel, va servie de base à l’auteure pour nous parler de l’Albanie, de ses habitants, de ses politiciens, de son pétrole et de ceux qui le convoitent.

Ces derniers temps, j’ai vraiment été mettre mon nez dans la pourriture des politiciens, des diplomates, des gros industriels… Bref, je n’étais pas au pays des Bisounours mais plutôt chez Magouilles & Cie.

Ne cherchez pas un enquêteur, pour ce crime, mais plutôt une chasse à l’homme, une erreur de justice puisque l’on pendra des innocents. Ne cherchez pas non plus du bon sens, il n’y en a pas, les gens parlent à tort et à travers au café du coin, parlent pour ne rien dire, inventent, essayent de se rendre intéressant.

On se croirait sur les réseaux sociaux, quand tout le monde trolle ou cause pour ne rien dire.

Passant d’un personnage à l’autre, afin de nous montrer les points de vue les plus larges et comprendre un peu mieux l’Historie de l’Albanie, l’auteure donne l’impression d’oublier nos deux tués sur la route du Nord, mais pas du tout ! Ils sont toujours là, leur ombre plane sur tout ce qui se déroule en Albanie à ce moment-là !

Ce roman policier est un mélange d’Histoire, de légendes, de culture de cette Albanie que l’on ne connait pas, que l’on connait mal.

Par exemple, le Kanun (les codes de lois édictés par les califes et sultans de l’ancien empire ottoman) ne régit  pas uniquement le code d’honneur et les vendettas, mais aussi les travaux publics et l’accueil de l’hôte.

Mêlant habillement la géopolitique, la diplomatie, explorant l’âme humaine et les jeux de vilains des politiciens, ce petit polar nous emmène dans une Albanie qui n’a rien à voir avec celle que l’on voit sur les affiches des agences de voyage.

Challenge Thrillers et Polars de Sharon (juillet 2019 – juillet 2020) – N°175 et le Mois du Polar chez Sharon (Février 2020) [Lecture N°20].

Six fourmis blanches : Sandrine Collette

Six fourmis blanches - Sandrine Colette [NUM]Titre : Six fourmis blanches                                                            big_4

Auteur : Sandrine Collette
Édition : Denoël (2015)

Résumé :
Le mal rôde depuis toujours dans ces montagnes maudites. Parviendront-ils à lui échapper ?

Dressé sur un sommet aride et glacé, un homme à la haute stature s’apprête pour la cérémonie du sacrifice. Très loin au-dessous de lui, le village entier retient son souffle en le contemplant.

À des kilomètres de là, partie pour trois jours de trek intense, Lou contemple les silhouettes qui marchent devant elle, ployées par l’effort. Leur cordée a l’air si fragile dans ce paysage vertigineux. On dirait six fourmis blanches…

Lou l’ignore encore, mais dès demain ils ne seront plus que cinq. Égarés dans une effroyable tempête, terrifiés par la mort de leur compagnon, c’est pour leur propre survie qu’ils vont devoir lutter.

POLAR - Six fourmisCritique : 
Freud dirait sûrement que l’auteur a un compte à régler avec les randonnées vu comment elle a l’art de vous en dégoutter dans ses romans (2).

Je suis du même avis… On aura beau être au mois de juin, j’aurais des sueurs froides lors de mes randos de vacances !

« La montagne, ça vous gagne » disait la pub. Tu parles ! La montagne, ça peut te tuer, oui ! C’est une tueuse silencieuse, la montagne, aidée de sa compagne la poudreuse. Les salopes…

D’ailleurs, le syndicat d’initiative de l’Albanie doit avoir mis l’auteur sur liste rouge parce qu’après cette lecture, on a pas envie d’aller faire du trek dans leurs montagnes.

Allez, enfilez une tenue de circonstance avant de plonger dans ce délicieux roman qui peut vous glacer les sangs et le bout de vos doigts.

Lorsque j’ai commencé ma lecture, je me suis demandé quel rapport il pouvait y avoir entre le récit de Mathias, sacrificateur de chèvres (oui, ça existe, ça pourrait être une reconversion en ces temps de crise) et celui de Lou,  compagne d’Elias, qui a gagné, ainsi que 4 autres, un trekking en montagne à Valbona, Albanie.

Nos 6 randonneurs (4 hommes et 2 femmes) du dimanche vont, sous la conduite de leur guide, Vigan, gravir la montagne durant quelques jours. Mais rien ne va se passer comme ils le pensaient et certains vont même y laisser leur bien le plus précieux : la vie !

Au fur et à mesure du récit, je me suis attachée à Mathias, l’homme qui lance des chèvres du haut de la montagne, ainsi qu’à Lou, qui nous compte le récit mouvementé de leur rando. J’ai tremblé pour eux, j’ai croisé les doigts, j’ai eu froid pour eux et j’ai eu du mal à lâcher le récit, je l’avoue. Surtout quand j’ai commencé à entrevoir le lien entre les deux…

Avant la lecture, j’avais pensé à un récit à la « Dix petits nègres » comme le disait une chronique… Le genre où dans la cordée, le dernier disparait mystérieusement, ou un des trekkers qui ne revient pas après avoir été secouer son petit oiseau dans le froid. Mais il n’en était rien et c’est tout à fait autrement que ça s’est déroulé, et ce n’est pas plus mal, je ne voulais pas du « déjà lu ».

Sur ma gauche, je devine un mouvement et je pousse un hurlement. Une fraction de seconde, je vois la masse filer dans la descente et j’ai la certitude qu’Arielle avait raison, il y a bien quelque chose dans la montagne, qui nous suit, qui a senti que c’était son heure…

L’auteur joue avec nos peurs, celle qui nous rendrait fou si on se retrouvait perdu en montagne, durant une tempête de neige. Peur de mourir de faim, de froid, peur de ce qui peut se cacher dans l’ombre, peur d’être le suivant à y passer.

On ne vaut pas grand-chose face à la nature, ses déchainements incompréhensibles, et notre réflexion stupide de chercher une explication.

Quelle horrible impression, celle de nos propres limites: jamais, dans la vie ordinaire, nous n’avons besoin d’aller aux frontières de ce dont nous sommes capables, à l’extrême de nos forces. Le sentiment d’arriver au bout nous est étranger. Nous nous croyons invincibles, quand nous n’avons simplement pas à utiliser nos réserves. Nous sommes des protégés, des assistés qui s’ignorent. Des faibles. (..) Devant l’immensité des éléments, dans des situations extrêmes, nous ne sommes plus rien.

Un roman avec beaucoup de tensions, de suspense et de peurs qui vous rendra chèvre car la chute sera angoissante. Une écriture aux petits oignons et des personnages bien campés.

Un roman qui met aussi l’accent sur les coutumes d’un pays fort méconnu, l’Albanie, dont nous savons peu de choses, hormis nos préjugés.

On a beau être en 2015, dans certains petits coins paumés, les gens restent fort superstitieux et ne veulent pas froisser les Esprits.

Le mal suinte de ce pays comme l’eau des murs de nos maisons tout le long de l’hiver. Enraciné en nous, telle une sangsue fossilisée sur une pierre. C’est ce que disait mon grand-père, et avant lui son père, et le père de son père : depuis toujours ces montagnes sont maudites. Qui se souvient que quelque chose de beau y ait été conçu, s’y soit développé ? Que de contreparties à notre présence ici, que de compromis pour nous donner, parfois, le sentiment de bien vivre. Les vieux répètent à l’envi que les mauvais esprits ont choisi cet endroit pour venir mourir ; qu’ils y agonisent des années durant, crachant des imprécations sur nos roches et nos forêts malingres. Nous sommes de trop dans ces vallées ; nous en payons le prix fort. Nous aurions dû abandonner ces terres où nous n’avons jamais été les bienvenus. Si seulement nous étions raisonnables. Mais nous sommes faits de la même caillasse, refusant de céder une once de terrain, acharnés à faire pousser les tubercules qui nous permettent de tenir amaigris jusqu’au printemps suivant. Heureux d’un rien, aussi.

Challenge « Thrillers et polars » de Canel (2014-2015).

CHALLENGE - Thrillers polars 2014-2015 (1)