Titre : De mort lente
Auteur : Michaël Mention
Édition : Stéphane Marsan (11/03/2020)
Résumé :
Ils sont partout, mais c’est un secret bien gardé. Dans votre nourriture, vos meubles, les jouets de vos enfants. Vous êtes empoisonné, mais vous ne le savez pas encore. Tant que leur degré de toxicité ne sera pas démontré, les perturbateurs endocriniens continueront de se répandre dans notre quotidien.
Il n’y a encore pas si longtemps, Marie, Nabil et leur fils étaient heureux. Philippe était un éminent scientifique. Franck était un journaliste réputé. Désormais, ils sont tous des victimes. Aucun d’eux n’est de taille à lutter contre le puissant lobby de l’industrie chimique. Tout ce qu’ils exigent, ce sont des réponses. Mais ils posent des questions de plus en plus gênantes…
C’est le début d’une guerre sans pitié, de Paris à Bruxelles, de la Bourse à la Commission européenne, où s’affrontent santé publique et intérêts privés.
Critique :
J’imagine bien un Top Chef où on demanderait aux candidats d’épicer leurs plats à grands coups de perturbateurs endocriniens, de rajouter un peu de PCB (polychlorobiphényles) pour le goût et de ne pas oublier d’assaisonner le tout avec une touche de bisphénol A…
Plus envie de saliver devant les plats ?
Et pourtant, nous bouffons ces saloperies sans même le savoir…
Des trucs qui ne nous disent rien car nommés PFC, PCB, BPA, PBDE, APE,…
Oui, vu d’ici, on dirait ma nièce de 6 mois qui babille… Il n’en est rien.
Si je devais chanter pour résumer le roman de Michaël Mention, je vous proposerais bien du Jacques Dutronc avec du ♫ On nous cache tout, on nous dit rien ♪
Mais au final, ce sera Nolwenn avec ♫ Glacée, oh, oh, glacée ♪ (on change un peu son « cassée »).
Oui, ce roman m’a glacée. Normal, on parle de perturbateurs endocriniens (des substances capables d’interférer avec notre système hormonal), ces petits tueurs que l’on ne voit pas, que Hercule Poirot ne saurait démasquer et qui nous tuent à petit feu.
Nous mourons de mort lente, mais tout va très bien madame la marquise.
Déjà que tous les mercredis, le « Conflit de Canard » (du Canard Enchaîné) me donne des sueurs froides, mais ici, ce fut pire : sueurs froides et mains moites.
Les manœuvres perfides des lobbys, véritables gangs aussi puissants qu’une mafia; la lenteur du système; les scientifiques qui mangent à tous les râteliers; la presse qui est subsidiée ou qui appartient à des grands patrons d’industries, qui n’est plus indépendante, tant elle est à la merci de l’argent des campagnes de pubs; certaines maladies qui augmentent, dans indifférence totale…
Tout comme moi, quelques personnages du roman morflaient déjà sévèrement (Nabil, Marie, Léonard, Franck, Philippe) dans le roman, mais ce qui m’a glacé plus que tout, ce furent les campagnes de bashing que durent subir certains personnages.
La pire des choses, surtout à l’heure des réseaux sociaux qui s’enflamment très vite, où tout se partage encore plus vite, tout le monde oubliant la présomption d’innocence et où l’on mise sur les émotions des gens et non sur leurs réflexions.
Propagande, tu n’as pas fini de vivre et d’enfler. C’est aussi dévastateur qu’une exécution musclée du gang des MS-13, le sang en moins. Après, on ne s’en relève jamais tout à fait.
Le roman de Michaël Mention parle d’un sujet difficile, que personne n’a envie de lire parce que la politique de l’autruche est plus simple et que de toute façon, après moi, les mouches…
Et pourtant, même avec un sujet rébarbatif au possible, l’auteur arrive à nous faire vibrer, à nous instruire, à nous faire peur, à nous faire vivre ce combat perdu d’avance entre David le citoyen lambda et Goliath, la grosse industrie qui se la joue comme un gang.
Les personnages font beaucoup, on s’y attache, on vibre avec eux, on s’insurge à leurs côtés, on vocifère, on a envie de hurler que « Putain, c’est trop injuste » et de dégommer certains méchants, qui sont réussis eux aussi, même s’ils sont toujours dans l’ombre et qui envoient leurs « hommes » faire le sale boulot.
C’est d’un réalisme saisissant, quasi un reportage journalistique, sauf que ce reportage est romancé pour faciliter son ingestion. Ne comptez pas le digérer, c’est de notre santé et de notre vie qu’il en est. Une fois de plus, l’auteur me marque au fer rouge.
L’écriture de Michaël Mention me plait toujours autant, elle est reconnaissable entre toutes, c’est sa patte : jamais barbante, toujours intéressante, brassant large, tapant sous la ceinture et tout le monde en prendra pour son grade dans notre société.
Comme quoi, on peut instruire les lecteurs sans les noyer sous les informations, les pousser à s’interroger, les entraîner dans une histoire glaçante, aux côtés de personnages qui, comme nous, vont en baver.
Des romans glaçants, j’en ai lu beaucoup. Même des plus horribles que celui-ci, de ceux qui ont terminé dans mon freezer, car trop éprouvant à lire.
La seule différence, c’est qu’ils se déroulaient loin de chez moi, soit dans des autres pays, soit dans une autre époque. Ça m’avait remué les tripes, mais je me sentais protégée par la distance ou le temps.
Ici, je ne puis me protéger, je suis dedans jusqu’au cou… Et vous aussi. Glaçant. Dérangeant. Angoissant. Du grand art.
Bon appétit, s’il nous en reste.
PS : Michaël, désolée, mais vu ce que tu as osé faire à Starsky, tu viens d’intégrer ma kill-list, aux côtés d’Olivier Norek (son utilisation du micro-onde n’est toujours pas pardonnée) et de Bernard Minier (la scène de « Glacé » dans la montagne n’est toujours pas digérée non plus). Il est des choses qui ne se font pas, même dans un roman.
Challenge Thrillers et Polars de Sharon (du 11 Juillet 2020 au 11 Juillet 2021) [Lectures N°01].
Pour mourir (lentement) moins bête… Mais on mourra quand même.
- PFC (composés perfluorés) : s’accumulent dans les êtres vivants, causant des problèmes de développement et de la reproduction ainsi que des troubles du métabolisme. Ils sont cancérigènes et agissent sur les hormones thyroïdiennes.
- PCB (polychlorobiphényles) : ils sont toxiques, écotoxiques et reprotoxiques (y compris à faible dose en tant que perturbateurs endocriniens). Ils sont classés comme cancérogènes probables.
- BPA (bisphénol A) : Son écotoxicité est encore en débat, mais en juin 2017, après que le Canada l’a classé comme reprotoxique, le comité des États-membres de l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) a classé à l’unanimité le bisphénol A parmi les substances extrêmement préoccupantes du règlement REACh, en tant que perturbateur endocrinien.
- PBDE (polybromodiphényléthers) : ils sont une suite de 209 produits chimiques bromés différents, dont certains sont ou ont été utilisés pour ignifuger les matières plastiques et les textiles. Ils ont aussi été utilisés à haute dose dans les années 1970 et 1980 pour l’extraction pétrolière. Plusieurs de leurs propriétés physiques rendent les composés de cette famille dangereux.
- APE (éthoxyates d’alkylphénol) : En tant que composés xénobiotiques (c’est-à-dire en tant que molécule artificielle introduite dans l’environnement) ils sont considérés comme étant des perturbateurs endocriniens.