Titre : Le cœur battant du monde
Auteur : Sébastien Spitzer
Éditions : Albin Michel (21/08/2019) / Livre de Poche (2021)
Résumé :
Dans les années 1860, Londres, le cœur de l’empire le plus puissant du monde, se gave en avalant les faibles. Ses rues entent la misère, l’insurrection et l’opium.
Dans les faubourgs de la ville, un bâtard est recueilli par Charlotte, une Irlandaise qui a fui la famine.
Par amour pour lui, elle va voler, mentir, se prostituer sans jamais révéler le mystère de sa naissance. L’enfant illégitime est le fils caché d’un homme célèbre que poursuivent toutes les polices d’Europe. Il s’appelle Freddy et son père est Karl Marx.
Alors que Marx se contente de théoriser la Révolution dans les livres, Freddy prend les armes avec les opprimés d’Irlande.
Après « Ces rêve qu’on piétine », un premier roman très remarqué et traduit dans plusieurs pays, qui dévoilait l’étonnante histoire de Magda Goebbels, Sébastien Spitzer prend le pouls d’une époque où la toute-puissance de l’argent brise les hommes, l’amitié et l’espoir de jours meilleurs.
Critique :
Londres, XIXe siècle, ma période préférée (pas pour y vivre ou y bosser). Londres, immense cœur battant du monde, mais immonde cloaque aussi.
Londres, la ville aux multiples visages, la ville où les ouvrières (et ouvriers) trimaient comme des forçats et où la semaine des 35 heures se faisait en trois jours.
Le résumé était alléchant et il me tardait d’entamer ce roman qui me promettait beaucoup. Ma rencontre avec Charlotte fut un plaisir, je sentais bien que j’allais l’apprécier, elle, tout comme le docteur Malte (qu’on perdra de vue ensuite).
Puis, un autre personnage a fait son entrée, un certain monsieur Engels et, à ma toute grande honte, je n’ai pas tilté de suite, pourtant, je l’ai étudié à l’école, ce mec. Puis, lorsque mon shilling est tombé, j’ai compris aussi qui était « Le Maure » dont on parlait, un type que j’avais aussi étudié à l’école aussi et dont le portrait brossé dans le roman n’était guère flatteur.
Mais quelle faignasse, le Marx ! Dépensier, incapable d’aller bosser, se faisant entretenir par Engels (qui aurait dû aller s’acheter une paire de cojones, soit dit en passant) et qui, lorsqu’il touchera enfin son héritage, ira louer une maison bourgeoise, jouant les bourgeois lui-même, tout en continuant de se faire entretenir comme une maîtresse par Engels et en gagnant un peu d’argent en boursicotant !
Si j’étais mesquine, je dirais que le patient zéro de la gauche caviar, ce fut lui ! L’homme n’était pas exempt de contradictions, tout comme Engels (comme tout le monde, sauf qu’eux, ils cumulent).
Ce roman est une mine d’information en tout genre pour la période concernée : de 1850 à 1867. Bien des sujets vont être abordés, notamment la famine des Irlandais, la guerre de Sécession, le blocus des port, le coton qui n’arrive plus, les faillites des usines de filature, les conditions de travail déplorables, la misère, l’opium, la crasse, les grèves, l’Internationale qui commence, la lutte des classes, les Fenians,…
L’auteur s’est fortement documenté et tout respire le réalisme. De ce point de vue là, je n’ai pas à me plaindre. Par contre, le récit manquait de flamboyance, d’émotions, de vie, tout simplement. Il était trop clinique, trop rigide.
Cela a commencé après que Charlotte ait recueilli le petit Freddy : le récit passe du gamin qui vient de naître à ses 12 ans. L’ellipse est grande, trop grande. Le personnage de Charlotte a changé, sans doute à cause des sacrifices qu’elle a dû faire pour élever seule un enfant.
Le récit ne donnera que des bribes, me laissant un goût de trop peu. Non pas que je voulais faire du voyeurisme sur leur misère, mais j’aurais aimé en apprendre plus sur ses sacrifices et non pas me contenter de miettes, alors que pour d’autre sujets, j’ai eu des détails dont je me serais bien passée (une opération).
Les personnages de Charlotte et Freddy ont perdu du corps dans cette ellipse, de la profondeur et pire, du réalisme ! Alors que les autres personnages étaient bien ancrés, eux, je les ai vu partir à la dérive et Charlotte finira en personnage laborieux.
Et puis, il est difficile de savoir quel personnage est mit à l’honneur dans ces pages, puisque le récit suivra aussi bien Charlotte et Freddy, que Marx et Engels. Sur la fin, au moment où l’on abordera les révoltes des Fenians, j’avais décroché.
Un récit plus concentré sur Freddy et Charlotte m’aurait mieux convenu, une écriture plus ramassée dans certains passages aurait donné de l’oxygène au roman, et rallumé la flamme, même si ces détails étaient utiles pour ancrer le tout dans le réalisme (les lecteurs ne sont jamais contente, je sais et nous ne manquons pas de contradictions non plus).
Dans l’ensemble, cette lecture ne fut pas un fiasco, le côté historique était très bien rendu, même si une narration au passé lui aurait rendu service, ainsi qu’une écriture moins clinique. L’histoire manquait d’émotions brutes, alors que nous sommes dans l’East End, dans la misère, avec des gens qui bossent dans les usines 13 à 15h par jour, pour un salaire de misère.
Un roman dont j’attendais beaucoup et où un récit au ton assez froid m’a fait perdre une partie de mon intérêt pour cette histoire, où certains personnages ont manqué de cohérence, de profondeur, d’étoffe qui font les grands personnages marquants dans une lecture.
Et pourtant, sa partie historique était bien réussie, m’a appris beaucoup de choses, m’a immergé dans l’époque à tel point que je ne peux pas dire que tout était foiré et que je n’ai pas pris du plaisir à certains moments.
Une LC avec Bianca en balance… Elle ne vous dira pas tout à fait la même chose que moi, allez donc lire son avis et laissez lui un petit mot.